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La rue était déserte. Les lampadaires crevaient <strong>à</strong> peine les<br />
ténèbres que l’absence de lune rendait très épaisses. Derrière elle,<br />
le ver géant approchait. Il était encore éclairé par la lumière de la<br />
maison, mais bientôt, il rejoindrait l’obscurité et deviendrait difficile<br />
<strong>à</strong> repérer. Elle se précipita chez ses voisins les plus proches, les<br />
Douglet, et sonna frénétiquement. Un silence épouvantable suivit le tintement. Elle appuya encore trois<br />
fois et appela de vive voix. Le monstre n’était pas encore dans la rue, mais cela ne suffisait pas <strong>à</strong> la rassurer.<br />
Elle savait que ses voisins étaient chez eux. Une lueur filtrait entre les volets de leur porte-fenêtre. Mais,<br />
peut-être ne voulaient-ils pas lui venir en aide. Les salauds !<br />
Un éclairage puissant perça soudain l’obscurité. C’était la lampe extérieure. Paul Douglet apparut<br />
sur le seuil de sa demeure.<br />
« Aidez-moi, je vous en prie ! hurla Clotilde. Mon mari a été dévoré et…<br />
— Tu vas arrêter de nous faire chier, la radasse ? Est-ce qu’on vient t’emmerder, nous ?<br />
— Mais écoutez-moi, enfin ! Je vous dis que mon mari est mort !<br />
— Et moi, je te dis d’aller te faire foutre, salope ! On n’aime pas ta gueule, ici, alors<br />
démerde-toi ! »<br />
La porte claqua violemment. Le silence étendit <strong>à</strong> nouveau son empire. Clotilde entendit alors nettement<br />
un souffle. Une respiration qui était devenue familière dans sa vie, car elle avait pu en apprécier<br />
la ferveur, lorsque les jambes de René se faisaient réduire en pièces. Elle se retourna et hurla de plus belle,<br />
l’esprit encombré de questions. Même si Douglet ne l’aimait pas, pourquoi avait-il refermé sa porte, alors<br />
que le monstre était l<strong>à</strong>, <strong>à</strong> quelques mètres ? Il aurait dû hurler, lui aussi, et s’enfuir en courant !<br />
La lampe extérieure s’éteignit, la libérant de l’emprise de cette vision de cauchemar. Elle en profita<br />
pour s’enfuir <strong>à</strong> nouveau. Instinctivement, elle prit la direction de sa voiture. Celle-ci se situait <strong>à</strong> quelques<br />
centaines de mètres, sur un parking réservé au lotissement. Durant sa course, elle n’entendait aucun mouvement<br />
dans son sillage ; pas de frottement, pas de cognement, pas de glissement. Le monstre semblait<br />
ne pas être <strong>à</strong> sa poursuite. Pourtant, elle ne pouvait s’affranchir de sa terreur. Elle ahanait hystériquement.<br />
Sa robe, ample et molletonnée, ralentissait sa course. Elle l’ôta, se retrouvant dans la fraîcheur nocturne<br />
en sous-vêtements.<br />
Elle pénétra dans le véhicule d’un geste brusque. Elle réalisa alors que la clé n’était pas en sa possession.<br />
Bien sûr, quelle conne ! Elle devait se trouver dans la poche du pantalon de Réné. C’est-<strong>à</strong>-dire,<br />
dans le gosier de la chose… Il laissait toujours la portière ouverte, mais n’était pas négligent au point de<br />
laisser un double <strong>à</strong> l’intérieur de l’habitacle. Elle poussa un cri mêlé de rire, une sorte de maelström d’expressions,<br />
indéfinissable, mais qui témoignait de son profond désarroi.<br />
Elle trouva une lampe électrique dans la boîte <strong>à</strong> gants. Elle s’en empara, sortit de la voiture et<br />
l’alluma.<br />
Au moment où son doigt appuyait sur le bouton circulaire du cylindre de plastique, elle eut un<br />
doute. La scène de certains soirs lui vint <strong>à</strong> l’esprit, comme un cauchemar.<br />
« Il faut dormir, maintenant.<br />
— J’ai peur du noir, maman.<br />
— Ne t’inquiète pas, il ne te fera rien, lui…<br />
— C’est papa…<br />
— Ce sont des rêves, Jeremy, seulement des rêves. Papa ne viendra pas. Tu n’as pas <strong>à</strong> t’inquiéter. »<br />
Le noir ne fait pas de mal, c’est ce qui l’habite qui est dangereux.<br />
« Aidez-moi,<br />
je vous en prie ! »<br />
17<br />
L’Obscurité