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Des vestiges

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associés aux tumulus du Bronze moyen et du premier âge du Fer, c’était peut-être d’abord<br />

parce qu’ils se trouvaient physiquement là et non pas parce que les gens de la Protohistoire<br />

avaient voulu les placer dans leurs monuments funéraires. Contrairement à ce que j’avais<br />

compris de mes lectures de Leroi-Gourhan, je découvrais, contre mon gré, que les<br />

distributions de restes matériels n’étaient pas que le produit des actions des hommes du passé<br />

qui les avaient arrangées. Elles étaient le produit aussi – et je crois aujourd’hui peut-être<br />

surtout – de cette bizarre insistance de la matière à continuer d’exister après avoir été<br />

transformée, de cette persévérance des choses à durer, inertes mais présentes, de cet apparent<br />

retour du passé disparu qui en réalité n’est jamais parti.<br />

Cette inertie des <strong>vestiges</strong> matériels attaquait l’irréfutabilité du temps, elle gangrenait<br />

l’apparente évidente cohésion du passé, sur laquelle reposait tout l’édifice délicat de cette<br />

archéologie ethnographique que nous cherchions à mettre en pratique. Il nous était en<br />

particulier impossible de contrôler l’homogénéité chronologique des <strong>vestiges</strong> auxquels nous<br />

étions confrontés, autrement qu’en postulant que l’hétérogénéité que nous découvrions à<br />

toutes les échelles d’observation ne comptait pas, qu’elle ne devait pas compter. Mais<br />

comment en être sûr ? Si l’on prenait par exemple la céramique domestique associée aux<br />

épisodes de construction des tumulus, on constatait que les fragments portant des caractères<br />

typologiques (comme des formes et/ou des décors) ne représentaient, selon le degré de<br />

précision typologique recherché, qu’au maximum entre 5 et 10% du nombre total des restes<br />

de poterie. En moyenne, il fallait donc réunir au moins un millier de tessons pour être en<br />

mesure de proposer une approximation typo-chronologique globale, d’une précision de l’ordre<br />

d’un à deux siècles selon la typo-chronologie reconnue. Logiquement, moins on en avait et<br />

plus l’intervalle d’approximation chronologique grandissait, pour couvrir des périodes qui<br />

s’étendaient objectivement sur plusieurs millénaires. Le doute s’insinuait y compris à propos<br />

des séries numériquement conséquentes. Ainsi, si l’intégrité chronologique du dépôt<br />

archéologique n’était pas physiquement garantie, comme cela s’avérait évident, rien<br />

n’interdisait de penser que certains éléments, dont nous ne pouvions pas reconnaître<br />

l’identité en soi, aient pu appartenir en réalité à d’autres périodes chronologiques : peut-être<br />

ces fragments de poterie absolument atypique, mais comportant un dégraissant différent de<br />

celui des autres, étaient-ils par exemple néolithiques ? Ou ces fragments de broyons en<br />

quartzite, pourquoi pas ? Ou ces éclats de débitage en silex, dont rien ne prouvait,<br />

intrinsèquement, qu’ils étaient bien protohistoriques ? Sans que je m’en rende vraiment<br />

compte sur le moment, Clayeures avait ouvert une fêlure, d’abord infime, par où<br />

s’évaporaient toutes mes certitudes acquises avec mon éducation archéologique, une fissure<br />

qui se transformait à mon insu en un fracture béante par où s’écoulaient mes facultés mêmes<br />

de mener une fouille archéologique selon les objectifs vers lesquels je pensait qu’elle devait<br />

tendre. C’était la réalité du temps archéologique, ce temps relatif enregistré dans les <strong>vestiges</strong><br />

matériels, qui commençait à me travailler, à miner l’appréhension conventionnelle des restes<br />

archéologiques que j’avais apprise. Il m’a fallu une vingtaine d’années avant que je ne<br />

commence à être en mesure de formaliser le problème et d’envisager ses répercussions sur ma<br />

pratique du terrain.<br />

Malaise dans la chronologie<br />

Pour l’essentiel des chercheurs, il n’existait pas de « problème du temps<br />

archéologique », mais seulement des questions de chronologie, que la multiplication des<br />

données provoquée par l’essor des fouilles était destinée à bientôt résoudre : on trouverait<br />

bien un jour les types archéologiques qui combleraient les trous de notre chronologie et dont<br />

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