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Des vestiges

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obustes. Comme nous nous approchions, Gilbert nous asséna d’un ton qui balayait à l’avance<br />

toutes les futilités que nous aurions pu formuler : “ Mes toubibs vont l’étudier ”.<br />

C’était effectivement une tombe à char hallstattienne, comme l’avait reconnu Gilbert 69<br />

et dont on ne connaissait aucun équivalent en France. Les circonstances même de sa<br />

découverte étaient incroyables. C’était en réalité un agriculteur du village de Marainville-sur-<br />

Madon (Vosges), Roger Sivadon, qui l’avait trouvée bien des années auparavant : Roger, qui<br />

était curieux de nature, avait toujours remarqué un endroit particulier de son champ où les<br />

pommes de terre poussaient mieux qu’ailleurs et où se trouvaient des pierres blanches qui,<br />

nous a-t-il dit, “ n’étaient pas nées là ”. Au moment des labours de 1977, il avait accroché un<br />

gros bloc avec sa charrue, était descendu du tracteur et avait vu qu’il venait de faire apparaître<br />

une tombe. Il y était retourné les jours suivants et avait patiemment dégagé avec un couteau<br />

de cuisine un grand squelette sur le côté duquel se trouvait une longue épée en fer. Les<br />

bandages de roues et les boîtiers de moyeux des quatre roues du char se trouvaient à leur place<br />

de part et d’autre du corps, tandis qu’un chaudron en bronze accompagné d’une petite coupe à<br />

boire était situé en arrière de la tête. Il avait protégé sa trouvaille par une tôle, prévenu son<br />

voisin le maire, qui avait averti la Préfecture, qui avait transmis l’affaire au Service de<br />

l’Archéologie. C’était parfait jusque là. Puis l’ingénieur de la Direction des Antiquités<br />

historiques de Lorraine était venu en grommelant, avait décrété qu’il s’agissait d’une tombe<br />

mérovingienne, assuré qu’il était hors de question qu’il vienne fouiller dans ce trou perdu et<br />

était reparti. Alors, Roger Sivadon avait soigneusement recueilli tous les morceaux de métal et<br />

d’os – d’autant que la nouvelle s’était répandue dans le voisinage 70 et que nombre d’amis<br />

repartaient de leur visite avec un petit souvenir : un petit bout d’os, un morceau de bronze – et<br />

les avait rangés à l’abri dans une boîte. Hélas, la tombe à char n’était pas sauvée pour autant,<br />

puisque que le Professeur Lienhard était arrivé de Nancy et s’était fait remettre le matériel<br />

pour, avait-il dit, “ l’analyser ”. Il était toujours dessus en 1986.<br />

L’un des ensembles les plus importants du premier âge du Fer jamais découvert en<br />

Lorraine se trouvait donc enfermé dans l’antre psychédélique du Professeur Lienhard et je ne<br />

voyais pas très bien comment l’en faire sortir. J’étais allé voir le site et il était évident que la<br />

tombe appartenait à un tumulus arasé, dont la masse limoneuse – apparemment bénéfique aux<br />

pommes de terre – était étalée sur une cinquantaine de mètres de diamètre. Il fallait rendre un<br />

contexte 71 à cette trouvaille. L’occasion s’en présenta bientôt quand nous fumes sollicités, au<br />

Service d’Archéologie de Lorraine où j’avais été nommé conservateur, pour proposer au<br />

Directeur des Affaires culturelles des idées de projets pouvant valoriser la partie culturelle du<br />

programme Sar-Lor-Lux, qui associait la Sarre, la Lorraine et le Luxembourg pour des<br />

accords surtout économiques. C’était normalement une question de pure forme. J’avais<br />

rencontré l’été précédent Walter Reinhard, qui venait d’être nommé conservateur au Service<br />

archéologique de la Sarre, à Clayeures où il était venu voir notre fouille de La Naguée. Lui<br />

aussi fouillait une nécropole de tumulus du premier âge du Fer, à Rubenheim (Saar-Pfalz-<br />

Kreis), à une dizaine de kilomètres de la frontière franco-allemande, où il trouvait un mobilier<br />

funéraire qui ressemblait à s’y méprendre à celui de la Lorraine centrale. Nous avions<br />

sympathisé et nous étions dit qu’il serait intéressant de travailler ensemble. Je profitais donc<br />

de l’occasion qui nous était offerte pour proposer la mise sur pied d’un programme de<br />

69 LIENHARD (1981) : 43.<br />

70 La tombe à char de Marainville a même fourni l’argument d’un petit roman de Denis Montebello, intitulé<br />

“ Moi Petturon, prince celte ” et paru en 1992 aux éditions de l’Aube (MONTEBELLO, 1992).<br />

71 Leroi-Gourhan me poursuivait toujours, en me rappelant que “ Le but des fouilles est (…) de sortir de la terre<br />

des documents sur le passé humain en tirant profit de tout ce qui peut leur constituer un contexte ” (LEROI-<br />

GOURHAN, 1983 : 135).<br />

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