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Des vestiges

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sur le “ Briquetage de la Seille ”, en Moselle – des <strong>vestiges</strong> d’exploitation du sel, poussé à un<br />

stade “ proto-industriel ” à l’âge du Fer – ainsi que sur le système karstique aménagé du<br />

sanctuaire gallo-romain de Grand (Vosges) : il m’a communiqué son enthousiasme pour la<br />

recherche, fondé sur cette certitude qu’il y a quelque chose à trouver ; c’est-à-dire à<br />

comprendre. Je crois que c’est à son contact, et par les premières expériences de terrain que<br />

j’ai partagées avec lui, que j’ai acquis la conviction que les <strong>vestiges</strong> du passé sont<br />

fondamentalement le résultat d’une situation initiale dans laquelle ils occupent une place<br />

déterminée mais qu’on ne peut saisir qu’après coup. Ainsi, comprendre l’archéologie des<br />

gigantesques accumulations de déchets techniques du “ Briquetage de la Seille ” - c’est-à-dire<br />

savoir quels types de <strong>vestiges</strong> doivent être trouvés à quels endroits – cela nécessite qu’on ait<br />

saisi au préalable la technique de production du sel à l’âge du Fer dans cet endroit et<br />

l’organisation de sa production. Hors de cela, on peut certes accumuler de la donnée<br />

archéologique, mais on n’est pas capable d’en dire quelque chose.<br />

Saisir la situation initiale des <strong>vestiges</strong> archéologiques dans les sociétés qui les ont<br />

produites, qu’est-ce que cela veut dire, au juste ? C’est la question qui a naturellement dominé<br />

mes premières expériences où j’ai eu à diriger une fouille, en particulier comme à Clayeures<br />

(Meurthe-et-Moselle), une vaste nécropole de tumulus du premier âge du Fer. J’en ai d’abord<br />

cherché obstinément la réponse dans l’application à l’archéologie des sépultures<br />

protohistoriques des méthodes de la fouille ethnographique élaborée par André Leroi-<br />

Gourhan, et je dois dire que je ne l’y ai pas trouvée. Spontanément, l’archéologie funéraire de<br />

l’âge du Fer m’a amené à m’intéresser à l’interprétation sociale des nécropoles, qui se fonde<br />

immanquablement sur l’analyse structurelle des sites funéraires. Dès lors, je me suis trouvé<br />

confronté au problème de la fossilisation de l’information dans les matériaux archéologiques,<br />

et à la question de leur structure interne : qu’est-ce qui est conservé, même déformé, dans les<br />

données archéologiques et qu’est-ce qui en a disparu, qui y signale un manque ? La lecture<br />

des premiers travaux de Lewis Binford – et en particulier celle de son article lumineux sur<br />

l’analyse des pratiques de différenciation funéraire 4 – m’a apporté la révélation qu’une autre<br />

archéologie était possible; alors que la production archéologique française ou allemande<br />

restreignait l’horizon à de fastidieuses études de typo-chronologie. C’est l’archéologie<br />

processuelle américaine, et à l’origine essentiellement les travaux de Lewis Binford et Joseph<br />

Tainter, qui m’ont attiré. Ici, ce n’est pas tant l’approche « anthropologique » de la New<br />

Archaeology qui m’a séduit – avec ce fameux slogan des années 1970: « rechercher l’Indien<br />

derrière l’artefact » – mais le fait que cette autre archéologie était incomparablement plus<br />

soucieuse de la nature des <strong>vestiges</strong> archéologiques que ne l’était alors l’archéologie<br />

européenne. Chez nous, on considérait aller de soi que les <strong>vestiges</strong> du passé étaient les<br />

témoins passifs des périodes anciennes, puisqu’ils en étaient la production : les armes<br />

déposées dans les tombes signifiaient que l’homme enterré avec était un guerrier, la présence<br />

de mobilier visiblement prestigieux indiquait naturellement l’existence d’un “ chef ” ou d’un<br />

“ prince ” ; tandis que l’absence de mobilier funéraire désignait spontanément une tombe<br />

“ pauvre ”. Rien n’a d’ailleurs fondamentalement changé depuis. A l’inverse, les Américains<br />

savaient, par l’expérience de la confrontation de l’archéologie avec les données<br />

ethnologiques, que les données archéologiques ne fonctionnaient pas comme un témoignage<br />

du passé mais comme une transcription. Ils avaient compris que cet enregistrement nécessitait<br />

d’abord d’être décodé afin d’être lu correctement ensuite.<br />

Comment faire ? Il est évident que ce décryptage des informations fossiles enregistrées<br />

dans les données archéologiques passe d’abord par une démarche de formalisation des<br />

<strong>vestiges</strong> archéologiques. Il fallait d’abord – il faut toujours – se poser la question de savoir<br />

4 BINFORD, 1971.<br />

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