27.06.2013 Views

Des vestiges

Des vestiges

Des vestiges

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

accumulation, nous devons trancher, sectionner, amputer dans cette matière qui est faite toute<br />

entière du passé pour en produire une image visible et compréhensible. Notre savoir<br />

d’archéologue se trouve dans la maîtrise de cette pratique, qui nous est en réalité inaccessible.<br />

Le reste est après tout accessoire. Leroi-Gourhan nous enseigne que le lieu à partir duquel la<br />

pratique archéologique produit du sens ou de la connaissance, c’est ici même, au présent, et<br />

non pas dans un ailleurs fictif, un passé lointain que nous contribuerions à recomposer.<br />

Chemins et détours<br />

Je me trouve aujourd’hui à un moment où il m’est nécessaire de rassembler ce que je<br />

suis parvenu à accumuler, où je dois déterminer ce qui me mobilise et exposer ce que j’ai à<br />

transmettre. C’est l’objet de l’exercice d’un travail d’habilitation, que j’avais pensé à l’origine<br />

cantonner strictement aux problèmes spécifiques de l’archéologie de l’âge du Fer – c’est-àdire<br />

au domaine que je pratique – mais qui n’a cessé de m’entraîner ailleurs, au delà des<br />

marges. Pour rendre compte de ce que j’ai appris par moi-même, je n’ai pas pu faire<br />

autrement que de commencer par en raconter une histoire, tant il est évident que ce qui<br />

m’intéresse aujourd’hui s’est constitué progressivement à la suite de rencontres avec des gens<br />

dont la compagnie m’a plu, au hasard d’opportunités qui se sont présentées et dont j’ai saisi<br />

certaines, ou encore dans des épreuves particulières qui m’ont affecté. « Sortir de la sujétion<br />

des précepteurs pour chercher la science qui se trouve en soi-même ou dans le grand livre du<br />

monde : ... voyager, voir des cours et des armées, fréquenter des gens de diverses humeurs et<br />

conditions, recueillir diverses expériences, s’éprouver soi-même dans les rencontres que<br />

propose la fortune 3 » ; c’est ainsi que <strong>Des</strong>cartes identifie les conditions qui l’ont conduit à<br />

élaborer son Discours de la Méthode. La méthode – nous dirions dans notre jargon actuel : la<br />

démarche méthodologique, le projet épistémologique – ça n’est rien d’autre que le chemin<br />

qu’on a parcouru, soi-même, pour parvenir là où on se trouve, maintenant, et dont on retrace<br />

l’itinéraire après qu’on l’ait parcouru. A tout moment, en me liant avec d’autres personnes ou<br />

en m’engageant dans d’autres projets, je serais allé vers des domaines sans doute très<br />

différents ; je me serais certainement tourné vers d’autres sujets, j’aurais abordé d’autres<br />

questions, j’aurais expérimenté d’autres outils. Ce que je fais aujourd’hui est l’aboutissement<br />

provisoire de ce chemin incertain, qui aurait pu prendre de nombreuses autres routes.<br />

Raconter cette histoire, c’est en révéler la contingence. C’est aussi tenter d’en trouver ce qui<br />

en a produit la continuation, à chaque moment où s’ouvraient d’autres voies que celles que<br />

j’ai finalement prises. Je ne pense pas qu’on puisse affirmer que le sens de notre travail nous<br />

soit toujours clairement visible, dans la mesure où celui-ci est d’abord le résultat de l’histoire<br />

qui le travaille dans la durée. Je veux dire que les questions qui me préoccupent aujourd’hui,<br />

comme en particulier celles qui touchent au temps et à la mémoire, ont mis plus de vingt ans à<br />

cheminer inarticulées avant de commencer à émerger et à se structurer ; c’est-à-dire à ce que<br />

je sois en mesure de les formuler aujourd’hui.<br />

Et pourtant… ce vers quoi je n’ai pas cessé d’aller, d’abord sans le savoir puis<br />

maintenant de manière délibérée, c’est la question de savoir comment l’archéologie –<br />

j’entends par cela la matérialité des <strong>vestiges</strong> du passé – peut être appréhendée comme un objet<br />

3 DESCARTES R. (1966) – Discours de la méthode. Paris, éditions S. de Sacy, p. 410. Le contexte de la citation<br />

est le suivant : “ (…) sitôt que l’âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement<br />

l’étude des lettres. Et me résolvant de ne chercher plus d’autre science que celle se pourrait trouver en moimême,<br />

ou bien dans le livre du monde, j’employais le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des<br />

armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m’éprouver<br />

moi-même dans les rencontres que la fortune me proposait (…) ”.<br />

6

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!