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COMMISSION DE L'UNION AFRICAINE<br />

CELHTO<br />

CE 'TRE O'ETUOES LI GUSTIQUES ET<br />

HISTORIQliES PAR TRADITIO ORALE<br />

LES BASAA DU CAMEROUN<br />

MO OGRAPHIE HISTORIQUE D'APRES LA TRADITION ORALE


© HARMATTAN BURKINA, 2010<br />

Av. Mahamar KADAFI<br />

12 BP 226 Ouagadougou 12<br />

(+226) 50 37 54 36<br />

www.harmattanburkina.com<br />

infos@harmattanburkin.com,<br />

harmattanburki na@ fasonet. bf<br />

Dépôt légal BNB N° DL: 10-856<br />

ISBN: 978-2-266-03528-6<br />

EAN: 9782266035286


LES BASAA DU CAMEROUN:<br />

MONOGRAPHIE HISTORIQUE<br />

D'APRES LA TRADITION ORALE<br />

CELHTO


Jean-<strong>Marcel</strong> Eugene WOGNOU<br />

LES BASAA DU CAMEROUN:<br />

MONOGRAPHIE HISTORIQUE<br />

D'APRES LA TRADITION ORALE<br />

CELHTO


AVANT-PROPOS<br />

Le texte ci-après n'est pas écrit à la manière <strong>de</strong>s historiens<br />

classiques, surtout ceux d'inspiration extra-africaine, ce qui, sur ce plan,<br />

présentera certaines lacunes. <strong>Les</strong> documents utilisés en Occi<strong>de</strong>nt ou<br />

ailleurs pour écrire l'histoire ne se trouvent pas en Afrique dans leur libellé<br />

habituel. La gran<strong>de</strong> source historique africaine reste, et <strong>de</strong> loin, la tradition<br />

orale. Cette tradition n'est pas connue <strong>de</strong> qui veut la possé<strong>de</strong>r. <strong>Les</strong> écrits<br />

reproduisant la geste <strong>de</strong> l'homme africain ont été présentés jusqu'ici<br />

comme <strong>de</strong>s «griotages », toutefois sans qu'on comprenne que le griot<br />

dépenaillé et ambulant rencontré souvent est un savant au sens plein <strong>de</strong> ce<br />

temps. Cette fonction en Afrique est héréditaire, comme l'est aussi la<br />

légitimité du pouvoir. Rien ici n'est inventé <strong>de</strong> toutes pièces. L'homme<br />

transmet ce qu'il a reçu <strong>de</strong> celui qui l'a créé.<br />

Le Basaa appelle cet être Mbot (bot = créer). L'Africain, dans sa<br />

logique, dit: Si je vis, c'est qu'il y a eu quelqu'un avant moi, et ce <strong>de</strong>rnier<br />

aussi a dû être le produit d'un autre, ainsi <strong>de</strong> suite jusqu'à l'infini qu'il<br />

appelle en Basaa, Hilôlômbi, le Dieu <strong>de</strong>s autres civilisations. Hilôlômbi<br />

veut dire « le sommeil ancien» ou « celui qui vit <strong>de</strong> toute éternité ». C'est<br />

celui-ci qui dans son sommeil a transmis à l'homme le pouvoir <strong>de</strong> le<br />

découvrir et <strong>de</strong> se découvrir grâce à son messager N gambi Si, incarné par<br />

une araignée. Ainsi, l'histoire en Afrique est inséparable <strong>de</strong> cette partie <strong>de</strong><br />

la philosophie qu'on appelle métaphysique.<br />

<strong>Les</strong> griots ou poètes africains, avec leurs récits, procè<strong>de</strong>nt par<br />

intuition, grâce à l'expérience et à la méditation, afin <strong>de</strong> comprendre et non<br />

d'expliquer. Or nous savons que cette démarche heurte l'esprit<br />

scientifique. Mais comme la science ne donne aucune réponse aux<br />

questions sur l'existence, l'Africain ne pouvait s'embarrasser dans <strong>de</strong>s<br />

constructions abstraites pour raconter à sa <strong>de</strong>scendance ce qu'il est et d'où<br />

il vient. En présentant cette histoire <strong>de</strong>s <strong>Bassa</strong> du <strong>Ca</strong>meroun selon le<br />

vœu <strong>de</strong> l'UNESCO, nous n'avons fait qu'imiter la formule <strong>de</strong> nos pères<br />

qui disent toujours: « Nous venons d'Egypte ». Est-ce vrai ou faux? Nous<br />

y joignons la convention (n°l) tirée d'un vieux document du<br />

Laboratoire d'Anthropologie Juridique, Familiale <strong>de</strong> Droit et <strong>de</strong>s Sciences<br />

Economiques <strong>de</strong> Paris Panthéon).<br />

IYoir chapitre II, note 1<br />

7


internationale. Elle a été empruntée aux textes américains, les premiers<br />

étrangers qui aient utilisé le Basaa écrit.<br />

Au Directeur du département <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> r UNESCO et à tous<br />

ceux qui nous ont apporté leur ai<strong>de</strong> dans la réalisation <strong>de</strong> ce travail, nous<br />

exprimons ici notre plus profon<strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>.<br />

9


INTRODUCTION


La présente réflexion s'intitule <strong>Les</strong> Basaa du <strong>Ca</strong>meroun: monographie<br />

d'après la tradition orale. Dans cette introduction, il sera question <strong>de</strong> la<br />

mise en relief <strong>de</strong>s raisons qui ont présidé au choix <strong>de</strong> ce sujet, <strong>de</strong> la<br />

métho<strong>de</strong> par laquelle il est examiné et <strong>de</strong>s grands moments qui vont<br />

structurer ce propos. Mais qu'il nous soit préalablement permis <strong>de</strong> dire un<br />

mot sur le titre ci-<strong>de</strong>ssus évoqué. La première partie, à savoir « <strong>Les</strong> Basaa<br />

du <strong>Ca</strong>meroun », suppose à juste titre l'existence <strong>de</strong> ce peuple en <strong>de</strong>hors du<br />

<strong>Ca</strong>meroun. Il constitue en effet une diaspora à l'intérieur du continent<br />

africain. Nous les retrouvons notamment en Afrique du sud, au Benin, en<br />

Gambie. au Kenya, au Libéria. au Nigéria, en République Centrafricaine,<br />

en République Démocratique du Congo et au Sénégal. La précision <strong>de</strong><br />

cette première partie du titre signifie qu'il ne sera question ici que <strong>de</strong>s<br />

Basaa du <strong>Ca</strong>meroun. Elle spécifie donc l'objet <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>. La secon<strong>de</strong><br />

partie quant à elle s'emploie à préciser ou à spécifier la métho<strong>de</strong> par<br />

laquelle cet objet sera examiné. Il s'agit d'une monographie, c'est-à-dire<br />

d'une <strong>de</strong>scription synoptique <strong>de</strong>s items culturels <strong>de</strong> l'ethnie basaa, laquelle<br />

se fera sur la base <strong>de</strong> la tradition orale.<br />

Le choix <strong>de</strong> ce sujet s'explique principalement par un certain<br />

nombre <strong>de</strong> zones d'ombres non élucidées par <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s antérieurement<br />

menées sur les peuples africains C'est par exemple le cas <strong>de</strong> la série<br />

«Populations» <strong>de</strong>s Mémoires <strong>de</strong> l'IRCAM 3 qui n'a pas épuisé le travail<br />

sur les ethnies camerounaises. il nous sied d'apporter notre mo<strong>de</strong>ste<br />

contribution à l'histoire <strong>de</strong> l'une d'entre elles, d'après la tradition orale:<br />

les Basaa du <strong>Ca</strong>meroun 4 . Quelle serait l'origine <strong>de</strong> ce groupe qui participe<br />

au mouvement général <strong>de</strong> migration <strong>de</strong>s peuples africains <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

siècles? Comme tout groupe humain, ce <strong>de</strong>rnier a dû s'associer à d'autres<br />

groupes dans l'espace et dans le temps. Parmi les poussières d'humanités<br />

qu'embrasse le pèlerinage <strong>de</strong> toute la création, nous pensons, et à juste titre<br />

d'ailleurs, que s'il manque <strong>de</strong>s matériaux permettant <strong>de</strong> situer les Basaa<br />

dès l'âge <strong>de</strong> la pierre, il ne reste pas moins vrai qu'ils ont vécu en tant<br />

qu'entité spécifique, tout comme une autre, quelque part sur ce globe, bien<br />

avant qu'on mentionne leur existence sous Méroé (1900 avant J .C.).<br />

Parmi les trois grands peuples qui peuplent l'Afrique actuelle:<br />

Bantous, Hamites et Soudanais, le groupe basaa fait partie <strong>de</strong> la masse<br />

bantoue, laquelle couvre le sud et le centre camerounais. Si, aujourd'hui,<br />

on classe ceux-ci parmi les Bantous, qui sait, dans la nuit préhistorique,<br />

3 IRCAM: Institut <strong>de</strong>s Recherches <strong>Ca</strong>merounaises, Yaoundé<br />

4 Nous précisons «du <strong>Ca</strong>meroun» car]' on verra par la suite qu'il y en ailleurs.<br />

13


14<br />

avec les déplacements successifs et fréquents sur cette terre africaine, si on<br />

ne peut déceler à l'intérieur <strong>de</strong> leur culture, <strong>de</strong>s traits tantôt soudanais,<br />

tantôt hamitiques ... C'est ainsi qu'en matière d'histoire, on doit faire une<br />

large part à <strong>de</strong>s suppositions et non à une vérité rigoureuse et immuable, en<br />

parlant <strong>de</strong> nos peuples. <strong>Les</strong> Basaa sont-ils venus <strong>de</strong> l'extérieur ou bien<br />

sont-ils originaires d'Afrique? Sans document authentique, l'on ne peut<br />

l'affirmer ou infirmer d'une manière péremptoire et irréfutable. En ce qui<br />

concerne ceux dont nous parlons dans cette étu<strong>de</strong>, plusieurs sources les<br />

font venir <strong>de</strong> l'Egypte <strong>de</strong>s Pharaons 5 .<br />

Il faudra, à juste raison, admettre que leur traversée <strong>de</strong> ]' Afrique du<br />

nord-est au sud-ouest ne pouvait les dispenser <strong>de</strong> métissages dOs au contact<br />

<strong>de</strong>s peuples et <strong>de</strong>s sites historiques traversés. Au sein <strong>de</strong> ce métissage qui<br />

caractérise le peuplement africain, il faudra retenir l'apport fait par certains<br />

groupes. <strong>Les</strong> Basaa en constituant l'un <strong>de</strong>s plus dynamiques, l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

leur évolution <strong>de</strong>vait être entreprise, et c'est le motif qui a poussé<br />

l'UNESCO à nous confier cette tâche. Comme tout groupe ethnique, celuici<br />

n'échappera pas à certains critères d'authenticité, à savoir:<br />

a- le premier, l'appartenance à un groupe <strong>de</strong>scendant en principe d'un<br />

même ancêtre; pour les Basaa du <strong>Ca</strong>meroun, cet ancêtre s'appelle Ngé 6 ;<br />

b- le <strong>de</strong>uxième, la tradition, élément culturel par excellence, viendra<br />

corroborer et accentuer cette appartenance au même sang. Tous les Basaa,<br />

au moins au <strong>Ca</strong>meroun, quel que soit le lieu où ils habitent, reconnaissent<br />

ce même ancêtre Ngé, par conséquent le même sang.<br />

<strong>Les</strong> autres éléments culturels tels que la famille, le mariage, la<br />

propriété, les arts, obéissant à la même conception du mon<strong>de</strong>, sont<br />

i<strong>de</strong>ntiques partout où l'on rencontre ce groupe au <strong>Ca</strong>meroun.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> leur réalité ethnique, (Faites vous référence à<br />

l'anthropologie somatique?) empruntant les éléments tels que la<br />

morphologie <strong>de</strong> l'organisme humain et la biochimie, on rencontre les<br />

Basaa dans le groupe dit mésocéphale, dont l'indice varie <strong>de</strong> 75 à 79,9<br />

avec les Ewondos, Babouté, Bamoun, Foulbé au <strong>Ca</strong>meroun, mais aussi<br />

avec les Kuyu du Kenya et les Ovambo du sud-ouest africain. Sur le plan<br />

<strong>de</strong> la biochimie, où l'élément sang est primordial, les Basaa possè<strong>de</strong>nt le<br />

même indice que les Européens, les Bané, les Bamilékés, les Bamoun, les<br />

Douala, les Manguissa et les Tikar du <strong>Ca</strong>meroun. Même dans les sousgroupes<br />

où le sang 0 est plus important que A, ce <strong>de</strong>rnier plus important<br />

5 Voir carte nO 1.<br />

6 Terme étudié dans le chapitre V, Section Il


que le B, et le B plus important que le AB, on les rencontre avec les Ife au<br />

Nigeria, les Pygmées <strong>de</strong> l' Ituri au Congo, les Yebekolo et Douala au<br />

<strong>Ca</strong>meroun, les Sara du Tchad, les Haoussa du Nigeria et les Songhaï du<br />

Soudan (Benin, Burkina Faso, Niger, Mali).?<br />

En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la biochimie, parlant <strong>de</strong> la communauté culturelle en<br />

tant qu'élément culturel (culture supposant une conception du mon<strong>de</strong><br />

relativement semblable chez tous), leur langue, leurs manifestations <strong>de</strong> la<br />

vie politique, sociale, religieuse, folklorique, <strong>de</strong>meurent les mêmes chez<br />

tous avec quelques nuances dues à l'interaction avec d'autres<br />

communautés. Parler <strong>de</strong> leur histoire serait parler tout court <strong>de</strong> la<br />

civilisation commune à ces 500000 locuteurs actuellement éparpillés au<br />

sein <strong>de</strong> la République fédérale du <strong>Ca</strong>meroun.<br />

La bibliographie indiquée à la fin n'ayant pas traité le sujet sous cet<br />

angle, l'angle évolutif ou dynamique, donc historique, l'on a fait appel à<br />

nos propres recherches sur le terrain, en explicitant les sources et les<br />

réflexions sur les métho<strong>de</strong>s employées, suivant l'ethnologie et<br />

l'anthropologie. La démarche employée ici emprunte à la fois à l'histoire à<br />

l'anthropologie culturelle. Aussi, ce travail est-il balloté entre la recherche<br />

documentaire privilégiant les sources écrites et la recherche <strong>de</strong> terrain,<br />

essentiellement basée sur les sources orales. <strong>Les</strong> données collectées par<br />

cette double procédure sont soumises à la critique et à la comparaison<br />

avant d'être synthétisé. Voici en extension comment s'articule notre<br />

métho<strong>de</strong>.<br />

7 Mveng, Histoire du <strong>Ca</strong>meroun, Engelberg, p. 215-216<br />

15


16<br />

Dans les pays à écriture reconnue et diffusée <strong>de</strong> longue date, l'on<br />

peut parler d'histoire dans le sens occi<strong>de</strong>ntal du terme, parce qu'on se base<br />

sur l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s documents tels que les imprimés, écrits, manuscrits,<br />

parchemins, papyrus, inscriptions, etc. Mais en Afrique Noire, où l"oralité<br />

prédomine, pour s'aventurer dans le passé d'un peuple, il faut une longue<br />

recherche et un traitement rigoureux <strong>de</strong>s traditions recueillies, sous forme<br />

<strong>de</strong> poèmes, <strong>de</strong> généalogies, <strong>de</strong> mythes, etc.<br />

Des objets anciens, ainsi que l'apport <strong>de</strong>s sciences telles que<br />

rethnologie,8 l'anthropologie, l'archéologie, seront d'une valeur<br />

appréciable, car la traduction <strong>de</strong>s mythes et légen<strong>de</strong>s en actes vécus et non<br />

conçus relève d'une science encore à ses débuts et que nous pouvons<br />

désigner sous le nom d'ancestrologie, car celle-ci n'est basée que sur<br />

r étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la religion ancestrale, étu<strong>de</strong> qui n'est pas à la portée <strong>de</strong> tout un<br />

chacun.<br />

<strong>Les</strong> spécialistes <strong>de</strong> cette science encore ésotérique sont <strong>de</strong>s membres<br />

<strong>de</strong> certaines académies fermées, connues en Occi<strong>de</strong>nt sous le nom <strong>de</strong><br />

« Sociétés secrètes », tenne qui ne rejoint pas la réalité vécue. Ces cercles<br />

ne sont secrets que pour un observateur pressé ou imbu d'une certaine<br />

vérité <strong>de</strong> la seule «vraie» civilisation. Lorsqu'on prend la peine d'y<br />

pénétrer le secret comme l'auteur <strong>de</strong> ces lignes, l'on remarque qu'un<br />

généalogiste <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s familles ou un poète épique ne sont pas <strong>de</strong>s gens<br />

qui vivent retirés. Ils sont dans la société et s'occupent d'activités autres<br />

que la science qu'ils détiennent <strong>de</strong> par une étu<strong>de</strong> approfondie. Cette<br />

science qu'ils possè<strong>de</strong>nt provient d'étu<strong>de</strong>s faites dans <strong>de</strong>s couvents<br />

initiatiques auprès <strong>de</strong> grands maîtres, les Grands initiés bavi-mam.<br />

L'assiduité, le temps et les aptitu<strong>de</strong>s sont <strong>de</strong>s critères nécessaires à<br />

l'acquisition <strong>de</strong>s lauriers. Ainsi, pour <strong>de</strong>s sociétés sans écriture à caractères<br />

d'imprimerie, un généalogiste, un poète épique, sont <strong>de</strong>s livres fermés et<br />

parfaitement «écrits», dont il importe <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r la clé.<br />

Dès lors, il <strong>de</strong>vier.t évi<strong>de</strong>nt que le travail qui va être présenté, au<br />

lieu <strong>de</strong> compiler les suppositions et les prénotions. privilégiera plutôt<br />

l'apport <strong>de</strong> cette catégorie <strong>de</strong>s documents dont il importait d'utiliser et <strong>de</strong><br />

solliciter le concours au moins dans la pério<strong>de</strong> d'avant les colonisations.<br />

8 Voir Mme <strong>Du</strong>gast, Peuplement du Sud-<strong>Ca</strong>meroun, citée par R.P. Mvcng p. 242 cité, où<br />

cet autcur parle au conditionnel. Nous y reviendrons.


1. LA PERIODE A V ANT LE CONTACT EUROPEEN<br />

Cette pério<strong>de</strong> que ces gens désignent par les termes Mbog kôba ni<br />

kwan et qui traduisent la réalité connue sous les noms <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>s et<br />

mythes, on ne peut mieux la saisir que par l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s objets anciens<br />

témoignant d'une civilisation passée à travers la science archéologique<br />

dont les recherches n'ont pas encore été organisées d'une manière digne<br />

d'intéresser J'histoire c1assique. Le Basaa n'ayant pas toujours habité son<br />

territoire actueL même les objets qu'on y trouverait ne témoigneront pas <strong>de</strong><br />

sa civilisation, surtout au-<strong>de</strong>là du 9 ème siècle, c'est-à-dire avant son<br />

installation à Ngok Lituba, grotte autour <strong>de</strong> laquelle la légen<strong>de</strong> voudrait<br />

que les Basaa au <strong>Ca</strong>meroun fussent sortis ou originaires.<br />

Quant à la pério<strong>de</strong> du 19 ème au 15 ème siècle, date <strong>de</strong> la découverte<br />

<strong>de</strong>s côtes camerounaises par le Portugais Femao Do Po, l'on peut parler<br />

cette fois <strong>de</strong>s documents imprimés ou écrits intéressant non seulement les<br />

Basaa seuls, mais aussi presque tout ce qui, à l'époque, s'appelait<br />

<strong>Ca</strong>meroun, c'est-à-dire le vieux Batscha ou Biafra. La tradition orale ici<br />

fera spécialement appel aux langues locales et européennes, aux archives<br />

<strong>de</strong>s différents pays ayant eu <strong>de</strong>s contacts avec le <strong>Ca</strong>meroun. Leur véritable<br />

apport va du 15 ème au 20 ème siècle. Certains auteurs qui nous ont précédé ne<br />

parlent <strong>de</strong> l'histoire qu'à partir <strong>de</strong> cette époque.<br />

Reprenant ce qui précè<strong>de</strong>, nous poserons, comme limites temporelles<br />

dans l'appréhension <strong>de</strong> l'histoire dynamique <strong>de</strong>s Basaa, ce découpage<br />

provisoire selon la terminologie <strong>de</strong>s poètes et généalogistes <strong>de</strong> ce groupe:<br />

1- Kwan : temps mythique <strong>de</strong> l'origine jusqu'au 19è siècle avant J.C.<br />

(empire méroétique) ;<br />

2- Kôba: temps légendaire ou cosmologique <strong>de</strong> 1900 J.C. au 15è<br />

siècle après J.C. ;<br />

3- Len : temps historique. allant du Xyè siècle à nos jours.<br />

C'est donc dans ces limites temporelles que nous interrogerons <strong>de</strong>s<br />

langues locales telles que le <strong>Du</strong>ala et le Basaa ou Mea, <strong>de</strong>s docmnents<br />

arabes (Ibn khaldoun par exemple), <strong>de</strong>s langues européennes (portugais,<br />

hollandais, anglais, allemand et français), les archives <strong>de</strong> ces puissances,<br />

celles <strong>de</strong>s missions chrétiennes et <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> commerce, mais aussi<br />

celles <strong>de</strong> personnes privées, <strong>de</strong>s sous-préfectures, préfectures et<br />

bibliothèques nationales. Grâce à cette abondante matière, on sera fondé à<br />

suivre le cheminement qui nous a conduit à écrire cette monographie<br />

histoirique <strong>de</strong>s Basaa dans toute sa vitalité.<br />

17


18<br />

Encore une fois, la réalité culturelle basaa, comme foyer transmetteur<br />

<strong>de</strong> la connaissance, suivant celle du passé ne peut être mieux saisie qu'à<br />

travers ces temps grâce aux mythes, aux généalogies, aux <strong>de</strong>vises, à la<br />

poésie historique et épique, aux précé<strong>de</strong>nts juridiques propres à ce passé.<br />

S'agissant du temps qu'on peut appeler mo<strong>de</strong>rne, les types sociaux <strong>de</strong> la<br />

tradition privilégiés seront les souvenirs personnels, grâce à notre âge, et à<br />

nos contacts multiples, tant sur le, plan privé que public 9 . <strong>Les</strong> structures<br />

sociales en voie <strong>de</strong> disparition sur lesquelles ont été menées les enquêtes<br />

qui ont conduit à la rédaction <strong>de</strong> cette monographie restent pour nous, et <strong>de</strong><br />

loin, la seule et vraie source orale <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong> cette Afrique <strong>de</strong>s peuples<br />

qu'on a prétendument présentée comme un continent sans histoire parce<br />

que sans écriture.<br />

Bien sûr, l'historien africain <strong>de</strong> ]' Afrique ne pourra parler<br />

valablement <strong>de</strong> son continent, <strong>de</strong> son ethnie que s'il remplit certaines<br />

conditions, à savoir :<br />

a- avoir vécu dans le pays, au sein <strong>de</strong> sa population comme un poisson<br />

dans l'eau,<br />

b- possé<strong>de</strong>r la langue <strong>de</strong> l'ethnie dont il étudie l' histoire,<br />

c- être en même temps ethnographe, ce qui suppose la connaissance <strong>de</strong> la<br />

géographie, du droit, <strong>de</strong> la religion du milieu, car pour parler <strong>de</strong> 1 'histoire<br />

selon la signification occi<strong>de</strong>ntale du terme, il lui faut d'abord partir du<br />

mythe en passant par les légen<strong>de</strong>s pour déboucher sur le vécu ambiant,<br />

c'est-à-dire la réalité. L'explication <strong>de</strong>s mythes et légen<strong>de</strong>s en langue<br />

claire, profane, lui permettra <strong>de</strong> les recouper avec les grands courants <strong>de</strong><br />

l 'humanité et le situera dans son contexte. Il s'agira alors <strong>de</strong> voir quels<br />

critères privilégier pour étayer sa métho<strong>de</strong>. Pour le travail qui suit, on en a<br />

retenu trois: le témoignage, la comparaison et la synthèse.<br />

9 L'auteur, né en 1927, a été professeur, ministre <strong>de</strong> l'Information, et membre <strong>de</strong> plusieurs<br />

associations culturelles et scientifiques.


II. LES CRITERES RETENUS<br />

Ils sont au nombre <strong>de</strong> trois. à savoir: le témoignage, la<br />

comparaison et la synthèse.<br />

II.1 LE TEMOIGNAGE<br />

Ce témoignage nous a été donné par <strong>de</strong>s vieillards <strong>de</strong> 70 à 90 ans<br />

qui ont vu leurs pères ou les vieux <strong>de</strong> leur temps, retenu les récits tel qu'ils<br />

leur ont été transmis. Ces vieillards ont été consultés dans trois<br />

départements où les Basaa sont majoritaires au <strong>Ca</strong>meroun: Sanaga<br />

Maritime (quatre-vingts clans à Babimbi et huit à Edéa) ; Nyong et kellé<br />

(vingt clans à Eséka) ; Wouri (quinze clans) ; kribi (huit clans) ; Yabassi­<br />

Nkam (trente clans). Toutes les personnes consultées sont <strong>de</strong>s chanteurs ou<br />

poètes épiques qui s'accompagnent <strong>de</strong> leur instrument, hiluii. une sorte <strong>de</strong><br />

cythare à trois cor<strong>de</strong>s. <strong>Les</strong> exploits rapportés dans leurs propos traitent <strong>de</strong>s<br />

sites et moments historiques <strong>de</strong> tout le peuple. Certains individus se sont<br />

tellement illustrés qu'en écoutant les récits, l'on revoit tout le territoire où<br />

se sont déroulées toutes les guerres <strong>de</strong> conquête et celles <strong>de</strong> défense du<br />

terrain conquis.<br />

Ainsi, le récit <strong>de</strong>s expéditions <strong>de</strong> Mo<strong>de</strong> Sop ou <strong>de</strong> Bilong bi Nlep<br />

pourchassant les Fang vers les forêts gabonaises ou guinéennes, et r épopée<br />

<strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> Liton li Ngôm, la plus gran<strong>de</strong> geste basaa, donnent<br />

chronologiquement toute l'histoire <strong>de</strong>s Basaa du <strong>Ca</strong>meroun <strong>de</strong>Euis la grotte<br />

<strong>de</strong> Ngok Lituba jusqu'à la rencontre avec les Européen au 15 me siècle (en<br />

1472 précisément).<br />

II.2 LA COMPARAISON<br />

II ne fallait pas seulement recueillir cette tradition, mais il faUai4<br />

aussi, une fois celle-ci enregistrée. vérifier certains lieux cités dans les<br />

récits; aussi, dans la mesure où cela s'avérait possible, nous r avions<br />

confrontée avec les documents écrits à partir <strong>de</strong>s premiers contacts avec<br />

l'extérieur. Ce qui n'a pas été conforme à la réalité observée a été<br />

systématiquement élagué pour ne laisser place qu'à ce qui nous paraissait<br />

digne d'être retenu pour les générations futures: certains faits et noms <strong>de</strong><br />

personnages. Après quoi venait la synthèse.<br />

19


20<br />

II.3 LA SYNTHESE<br />

En quoi consiste-t-elle dans ce travail? Elle se vérifie<br />

essentiellement sur le fonctionnement <strong>de</strong>s institutions: famille, mariage,<br />

autorité, organisations sociale et religieuse. <strong>Ca</strong>r ces institutions, bien que<br />

soumises à <strong>de</strong>s influences étrangères, conservent la particularité d'être peu<br />

i<strong>de</strong>ntiques à celles <strong>de</strong>s ethnies avoisinantes, ce qui fait que nos recherches<br />

ethnographiques antérieures 10 ont été largement exploitées, et comme notre<br />

histoire ne peut se concevoir sans l'apport <strong>de</strong> cette science, nous n'en<br />

avons fait qu'une utilisation appropriée. Contrairement à ce que pontifie<br />

Hubert Deschampsll: «Il est rare que dans les anarchies, on puisse<br />

remonter à plus <strong>de</strong> 200 ans sans tomber dans le mythe », la partie <strong>de</strong><br />

l'existence <strong>de</strong>s Basaa du <strong>Ca</strong>meroun racontée ici est celle qui se situerait<br />

vers les XIIe - XIIIe siècles au sud <strong>Ca</strong>meroun, autour <strong>de</strong> la grotte signalée<br />

plus haut - or cet espace dépasse bien 200 ans.<br />

Lorsqu'on constate que dans cette ethnie, les généalogistes remontent<br />

jusqu'au 30 e ascendant sans se tromper, on s'étonne <strong>de</strong> voir qu'un homme<br />

<strong>de</strong> sciences <strong>de</strong> la trempe du Gouverneur Deschamps puisse avancer un tel<br />

jugement <strong>de</strong> condamnation pour nier aux Africains d'avoir un passé.<br />

Prenant trente années qui servent, en Occi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> mesure <strong>de</strong> compte<br />

pour une génération, nous voyons que 30 générations x 30 années = 900<br />

ans. Si nous soustrayons 900 <strong>de</strong> 1971, nous trouvons 1071 du calendrier<br />

romain. Inutile <strong>de</strong> préciser que nous sommes en plein Moyen Age. Au vrai,<br />

ne sommes-nous pas loin <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> société anarchique? Surtout si nous<br />

faisons appel à d'autres sciences, celles-là non rigoureusement historiques<br />

à l'occi<strong>de</strong>ntale mais historiques quand même pour nos religions, à savoir la<br />

géographie humaine qui rend compte <strong>de</strong>s rapport\) <strong>de</strong> l'homme avec le sol<br />

et ses ressources, son implantation, son adaptation au milieu, sa<br />

concentration ou son expansion, ses rapports avec son expansion, ses<br />

rapports avec l'extérieur. Ces contacts sont très propices à l'ethnographie<br />

signalée plus haut, à la linguistique et à l'anthropologie physique que ce<br />

travail a pris soin d'utiliser pour mieux faire sentir la réalité <strong>de</strong> l'histoire<br />

<strong>de</strong>s Basaa.<br />

Grâce à ces multiples éclairages, nous pouvons dire que le texte qui<br />

suit, au lieu d'être une simple monographie faisant l'objet d'une<br />

10 Voir notre « Essai sur l'organisation et la religion <strong>de</strong>s <strong>Bassa</strong> », Mémoire Diplôme Ecole<br />

Pratique Hautes Etu<strong>de</strong>s Sociales, Paris 1971<br />

Il Hubert Deschamps, l'Afrique Noire précoloniale, Paris, P U F P 19


<strong>de</strong>scription spéciale, constitue pour l'auteur l'histoire authentique <strong>de</strong> ce<br />

peuple, sinon la plus complète, du moins celle à partir <strong>de</strong> laquelle<br />

l'insertion dans le concert évolutif <strong>de</strong>s peuples du mon<strong>de</strong> entier peut et doit<br />

servir <strong>de</strong> modèle au moins <strong>de</strong>puis 1900 avant J.C, sous les pharaons <strong>de</strong><br />

Méroé.<br />

La démarche ci-<strong>de</strong>ssus décrite nous a permis d'aboutir aux résultats<br />

suivants présentés en huit chapitres ainsi qu'il suit: le chapitre l, intitulé<br />

«Le milieu: approche méthodologique du concept "ethnie" », comprend<br />

<strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s orientations. La première consiste à présenter les éléments<br />

structurants du milieu physique tels que la géographie, le climat, etc., et<br />

ceux du milieu humain avec un accent particulièrement mis sur<br />

l'anthropologie physique <strong>de</strong>s Basaa, quelques éléments <strong>de</strong> la culture<br />

matérielle, etc .. Le chapitre IL « La dynamique <strong>de</strong> l'oralité », entièrement<br />

consacré à la diachronie, insiste sur les différents cycles <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s<br />

Basaa. Le chapitre III, titré l'organisation socio-politique présente la<br />

composante humaine <strong>de</strong> l'ethnie basaa sous le double aspect <strong>de</strong><br />

l'horizontalité et <strong>de</strong> la verticalité. Il est en effet question ici <strong>de</strong><br />

l'organisation sociale et <strong>de</strong> la stratification sociale. Le chapitre IV portant<br />

sur «La vie familiale» prolonge la réflexion engagée au chapitre<br />

précé<strong>de</strong>nt avec une insistance particulière sur la constitution, les alliances<br />

matrimoniales et le vécu familial. <strong>Les</strong> Chapitres V et VI décrivent le<br />

rapport <strong>de</strong>s Basaa du <strong>Ca</strong>meroun au sacré, <strong>de</strong> manière diachronique et<br />

synchronique. Enfin les chapitres VII et VIII, intitulés «La vie<br />

intellectuelle et artistique 1» et « La vie intellectuelle et artistique 2 : les<br />

mo<strong>de</strong>s d'expression littéraires» font un inventaire <strong>de</strong>s différentes formes<br />

d'art élaboré par les Basaa et leurs modalités d'expression.<br />

21


CHAPITRE 1<br />

LE MILIEU: APPROCHE<br />

METHODOLOGIQUE DU CONCEPT<br />

«ETHNIE »


f.C':rYPTE.<br />

<strong>Ca</strong>rte <strong>de</strong> localisation <strong>de</strong>s Basaa du <strong>Ca</strong>meroun dans la diaspora<br />

africaine<br />

25


Le projet <strong>de</strong> ce chapitre est double: d'abord, présenter les éléments<br />

structurants du milieu physique et ensuite ceux du milieu humain.<br />

I. LE PA YS ET SES CONTOURS GEOGRAPHIQUES<br />

L'on sait que le découpage politique mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l'Afrique noire ne<br />

correspond qu'à un aspect <strong>de</strong> la réalité socioculturelle <strong>de</strong> cette importante<br />

partie du mon<strong>de</strong>. Une autre part <strong>de</strong> cette réalité, qui est souvent la plus<br />

profon<strong>de</strong>, correspond à une juxtaposition d'ensembles socioculturels qui<br />

constituent souvent les cadres les plus essentiels <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s populations<br />

locales, lesquelles se répartissent entre ses ensembles.<br />

Une première ébauche <strong>de</strong> découpage socioculturel <strong>de</strong> l'Afrique noire<br />

a été tentée par quelques auteurs, avant le découpage politique mo<strong>de</strong>rne.<br />

Ces travaux constituent encore les seuls éléments <strong>de</strong> référence dont nous<br />

puissions disposer. Or ils présentent <strong>de</strong>s lacunes considérables sur le plan<br />

scientifique. En réalité, ils se fon<strong>de</strong>nt parfois sur une information<br />

superficielle et inégale tenant à l'état <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> l'Afrique noire au<br />

moment <strong>de</strong> leur conception. Ils aboutissent ainsi à <strong>de</strong>s délimitations<br />

discutables selon les documents que nous possédons aujourd'hui. En<br />

second lieu, le découpage réalisé repose sur <strong>de</strong>s critères qui ne<br />

correspon<strong>de</strong>nt pas toujours à ceux qui tiennent le plus <strong>de</strong> place dans la vie<br />

<strong>de</strong>s populations locales ou qui en offrent l'aspect le plus significatif. Une<br />

référence à d'autres critères, dont les événements plus récents <strong>de</strong> l'histoire<br />

contemporaine <strong>de</strong> l'Afrique noire ont montré l'importance, s'impose<br />

aujourd'hui. Par ailleurs, <strong>de</strong> nombreuses transformations ont affecté les<br />

cadres socioculturels traditionnels africains. Des formes nouvelles <strong>de</strong><br />

regroupements sont apparues. Des échanges, <strong>de</strong>s conversions, <strong>de</strong>s<br />

emprunts ont modifié considérablement la réalité locale. Il importe donc <strong>de</strong><br />

réaliser une approche différente <strong>de</strong> celles-ci. L'intérêt d'une telle recherche<br />

est multiple: d'une part, elle doit permettre <strong>de</strong> mieux connaître un<br />

continent qui <strong>de</strong>meure sous <strong>de</strong> vastes aspects une terre incognito, même<br />

pour un public informé. D'autre part, elle doit permettre <strong>de</strong> faire le bilan<br />

<strong>de</strong>s lacunes <strong>de</strong> nos connaissances, notamment en certains domaines<br />

décisifs, et constituer par là même un instrument pour la pensée<br />

scientifique. Par ailleurs, elle doit ai<strong>de</strong>r et susciter <strong>de</strong>s questions concernant<br />

les processus à l'œuvre dans ce <strong>de</strong>venir, questions relevant d'une science<br />

plus générale <strong>de</strong>s faits collectifs.<br />

27


28<br />

Cette recherche doit tenir compte <strong>de</strong> la très gran<strong>de</strong> variété <strong>de</strong> formes<br />

<strong>de</strong> regroupements socioculturels qui apparaît à l'observation et à r analyse<br />

<strong>de</strong>s faits africains, variété que cerne mal le seul critère <strong>de</strong> « l'ethnie ». Il<br />

existe en effet, d'une part. <strong>de</strong>s ensembles socioculturels «traditionnels »,<br />

fondés sur une histoire plus ou moins profon<strong>de</strong> et, d'autre part, <strong>de</strong>s<br />

ensembles <strong>de</strong> formation récente, étant entendu que les données<br />

« traditionnelles» ont subi <strong>de</strong>s modifications très profon<strong>de</strong>s au cours <strong>de</strong><br />

ces <strong>de</strong>rnières décennies. En ce qui concerne les ensembles socioculturels<br />

« traditionnels », certains sont fondés sur l'existence <strong>de</strong> communautés<br />

« ethniques» correspondant à <strong>de</strong>s peuples ayant une histoire et une<br />

personnalité bien affirmées .. Mais il en est d'autres qui reposent sur<br />

l'adhésion <strong>de</strong>s populations importantes à certains cultes, sur l'usage d'une<br />

même langue, sur <strong>de</strong>s affinités entre groupes, sur le fait <strong>de</strong> se référer à <strong>de</strong>s<br />

modèles <strong>de</strong> représentation ou <strong>de</strong> conduite communes. Certains groupes ne<br />

sont unis que par le fait <strong>de</strong>s événements historiques récents, qui les ont<br />

contraints à coexister et à mettre en commun leurs patrimoines culturels<br />

respectifs, sous la forme <strong>de</strong> constructions syncrétiques très variables.<br />

D'autres se sont constitués par la scission d'ensembles originels fondés,<br />

par exemple, sur <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> dominance et d'allégeance. Ces divers<br />

fon<strong>de</strong>ments doivent être pris en considération.<br />

En ce qui concerne les ensembles socioculturels <strong>de</strong> formation<br />

contemporaine, ils reposent également sur <strong>de</strong>s facteurs très variables:<br />

certains se sont constitués par réaction à <strong>de</strong>s situations mo<strong>de</strong>rnes d'ordre<br />

économique, politique, culturel, etc., ou par l'effet <strong>de</strong> celles-ci.<br />

L'implantation <strong>de</strong>s villes mo<strong>de</strong>rnes et <strong>de</strong> zones d'attraction économique<br />

nouvelles, la scolarisation, l'expansion <strong>de</strong>s religions « importées », la<br />

conjoncture politique propre à certains pays mo<strong>de</strong>rnes, ont entraîné la<br />

fonction d'ensembles nouveaux se fondant parfois sur une tradition<br />

ethnique ou sur une histoire, mais s'en dégageant fortement. <strong>Les</strong><br />

migrations mo<strong>de</strong>rnes, le phénomène <strong>de</strong> la diaspora ethnique, les<br />

modifications apportées à la vie technique ou économique <strong>de</strong> certaines<br />

populations <strong>de</strong>vaient avoir les mêmes effets. D'autres regroupements<br />

résultent <strong>de</strong> l'influence exercée par certains personnages ou certaines<br />

formations. D'autres enfin, se ressentent <strong>de</strong>s divisions introduites dans la<br />

réalité africaine par l'implantation <strong>de</strong>s empires européens, division dont les<br />

aspects sont multiples (découpages géographiques, politiques,<br />

économiques, linguistiques, etc.).


Or, l'influence <strong>de</strong> ces diverses formes <strong>de</strong> regroupement sur la vie et<br />

la pensée <strong>de</strong>s populations locales est généralement laissée aux<br />

appréciations d'observateurs qui n'utilisent pas toujours une métho<strong>de</strong><br />

d'approche véritablement scientifique.<br />

La connaissance <strong>de</strong>s faits dont il est question doit permettre <strong>de</strong> mieux<br />

cerner ou d'éclairer la dynamique politique contemporaine <strong>de</strong> l'Afrique<br />

noire. Une frontière ou une barrière peut diviser une même population. Un<br />

Etat peut être ébranlé par <strong>de</strong>s conflits ethniques touchant à <strong>de</strong>s problèmes<br />

mal connus. L'existence <strong>de</strong> grands ensembles socioculturels peut favoriser<br />

les regroupements <strong>de</strong>s nationalités ou <strong>de</strong>s régions.<br />

Des faits <strong>de</strong> ce genre nous paraissent solliciter l'esprit <strong>de</strong> recherche. Notre<br />

projet est <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s cartes <strong>de</strong> l'Afrique noire tenant compte <strong>de</strong> ces<br />

réalités. Cet objectif implique que soit menée une recherche portant sur<br />

plusieurs domaines:<br />

- Analyse conceptuelle<br />

Il apparaît qu'un certain nombre <strong>de</strong> concepts utilisés pour la<br />

<strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s faits ou leur évolution ne con'espon<strong>de</strong>nt pas à la réalité. Un<br />

examen critique <strong>de</strong> ces concepts nous paraît indispensable. Il en est ainsi<br />

notamment <strong>de</strong>s concepts d'ethnie, <strong>de</strong> peuple, <strong>de</strong> tribu, <strong>de</strong> mouvement<br />

religieux, <strong>de</strong> nation.<br />

- Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s processus<br />

<strong>Les</strong> processus sous-ten<strong>de</strong>nt la formation, la désagrégation, le<br />

maintien <strong>de</strong> ces ensembles ainsi que les changements qui les affectent.<br />

L'analyse <strong>de</strong>s problèmes posés par l'existence <strong>de</strong> ces ensembles, leur<br />

évolution et leur confrontation. Il s'agit ici <strong>de</strong> réaliser une approche <strong>de</strong> la<br />

dynamique socioculturelle africaine.<br />

- Recherche méthodologique<br />

Concernant l'approche <strong>de</strong> ces faits, une telle recherche est rendue<br />

nécessaire par l'orientation à la fois globale et dynamique <strong>de</strong> la perspective<br />

proposée, et par le fait qu'elle se dégage du cas <strong>de</strong> la monographie<br />

ethnique classique. La réalité socioculturelle basaa est presque<br />

continentale: on trouve les uns et les autres éparpiIlés en grands essaims<br />

<strong>de</strong> populations dans les divers territoires ci-<strong>de</strong>ssous nommés:<br />

29


30<br />

CAMEROUN NIGERIA<br />

Basaa <strong>Bassa</strong><br />

Bas a la <strong>Du</strong>ne<br />

<strong>Bassa</strong> Ngé<br />

<strong>Bassa</strong> 0 komo<br />

R.C.A<br />

Basaa<br />

<strong>Bassa</strong>ka<br />

CONGO KINSHASA<br />

Basaa<br />

<strong>Bassa</strong> la Mpasu<br />

Nos enquêtes qui ont été menées au <strong>Ca</strong>meroun portent sur trois axes:<br />

horizontal, vertical et oblique. Le premier conduit à la compréhension <strong>de</strong><br />

toute population africaine par rapport à une société segmentaire ou étatique<br />

englobante, ce qui permet <strong>de</strong> mesurer la sensibilité au nationalisme<br />

territorial dans un espace donné. Le second met en scène l'inscription <strong>de</strong><br />

chaque population au sein d'un arbre généalogique et pose le problème <strong>de</strong><br />

sa migration à travers le temps et l'espace. Cet axe débouche sur l'étu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s nationalités (exemple du phénomène peul). Le <strong>de</strong>rnier axe, l'axe<br />

oblique, concerne l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s institutions politiques, sociales,<br />

économiques, culturelles, etc ..<br />

II. LE CADRE PHYSIQUE<br />

<strong>Les</strong> Basaa du <strong>Ca</strong>meroun, en tant que réalité sociale, possè<strong>de</strong>nt-ils une<br />

culture originale dont l'étu<strong>de</strong> peut conduire à dégager une civilisation<br />

parmi le grand nombre <strong>de</strong> courants qu'a connu l'Afrique?<br />

L 'histoire coloniale, avant Fernando Poo, ne mentionne pas le<br />

nom « <strong>Ca</strong>meroun ». dans ses récits. Si Hannon parle du Char <strong>de</strong>s Dieux,<br />

« Mundongo ma Loba» pour désigner la montagne surplombant le fleuve<br />

qui a hérité <strong>de</strong> l'appellation portugaise du pays. Nulle part ailleurs nous ne<br />

trouvons trace aucune <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s mœurs et coutumes <strong>de</strong>s habitants.<br />

allant <strong>de</strong>s bords du Wouri jusqu'au Tchad. Cependant tout cet espace a<br />

toujours été occupé par <strong>de</strong>s hommes groupés au sein <strong>de</strong>s tribus plus ou<br />

moins solidaires. Certaines <strong>de</strong>s celles-ci sur le plan territorial formaient<br />

avant la lettre <strong>de</strong>s véritables «entités nationales» : l'étu<strong>de</strong> minutieuse <strong>de</strong><br />

ce qu'elles ont dû réaliser avant la colonisation conduite seule à partir <strong>de</strong><br />

leur civilisation, fruit d'une fracture culturelle dont la richesse surprend <strong>de</strong><br />

nos jours. De ses multiples tribus nous privilégions ici les Basaa ou Bon ba<br />

Ngog Lituba (enfants <strong>de</strong> la pierre à trou) mais avant <strong>de</strong> les présenter dans<br />

le détail, parlons tout d'abord du lieu où ils se trouvent insérés parmi<br />

d'autres ethnies. Il s'agit du <strong>Ca</strong>meroun, le cadre nature <strong>de</strong> leur habitat<br />

aujourd'hui.


32<br />

Le relief divise le <strong>Ca</strong>meroun en <strong>de</strong>ux réseaux hydrographiques.<br />

a- Le réseau du sud comprend:<br />

- la Haute val1ée <strong>de</strong> la Cross. rivière qui se jette dans la mer au Nigeria;<br />

- le Bassin du Munïo (4000 km 2 ) forme à Douala avec le wou ri (250 km <strong>de</strong><br />

long et Il.500 km <strong>de</strong> bassin versant) et la Diabamba (12 km 2 ) un vaste<br />

estuaire.<br />

- le Bassin <strong>de</strong> l'Atlantique. possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> nombreux fleuves dont les plus<br />

puissants sont la Sanaga, ou lorn rnpupi en basaa, le plus grand fleuve du<br />

<strong>Ca</strong>meroun (920 km et 140 000 km 2 <strong>de</strong> bassin versant), le Nyong ou Lorn<br />

Nhindi (860 km 29.000 km 2 ) ; le Ntem (360 km 31.000 km 2 ) navigables<br />

sur certains tronçons. trois bassins complètent cette gamme: le bassin du<br />

Congo. le bassin du Niger et le bassin du Tchad. dont nous ne parlerons<br />

pas ici.<br />

II.2 LE CLIMAT<br />

Il varie avec la latitu<strong>de</strong> et le relief. On y trouve <strong>de</strong>ux reglmes<br />

différents <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong> l'équateur thermique (l'altitu<strong>de</strong> 5° Y2 nord) :<br />

au nord le climat tropical avec <strong>de</strong>ux saisons par ans; au sud le climat<br />

équatorial avec quatre saisons caractérisées par <strong>de</strong>s variations importantes<br />

<strong>de</strong> température et d'humidité moyenne. Le pays Basaa jouit d'un climat<br />

équatorial. <strong>Les</strong> formations végétales se répartissent à grands traits en <strong>de</strong>ux<br />

zones. Au sud <strong>de</strong> l'équateur thermique. la zone forestière couvre 6,5% du<br />

<strong>Ca</strong>meroun oriental. Cette forêt <strong>de</strong>nse équatoriale, qui couvre tout le<br />

territoire <strong>de</strong>s Basaa va jusqu'aux pieds <strong>de</strong> l'Adamaoua. <strong>Les</strong> palétuviers<br />

envahissent <strong>de</strong>ux secteurs côtiers, à l'ouest du mont <strong>Ca</strong>meroun et entre les<br />

embouchures du Wouri et du Nyong. C'est la région <strong>de</strong> la forêt où pousse<br />

le raphia très employé par les Basaa pour la construction <strong>de</strong> leurs cases,<br />

pour rhabillement. jadis, et pour la cuei11ette du vin <strong>de</strong> raphia.<br />

III. LE CADRE HUMAIN<br />

Comme pour la géographie, sur le plan humain, la République<br />

Fédérale du <strong>Ca</strong>meroun offre une gamme <strong>de</strong> plusieurs Afrique: les<br />

principales. sur le plan <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nsité, étant l'Afrique soudanaise au Nord, et<br />

l'Afrique bantoue au Sud. <strong>Les</strong> Basaa font partie <strong>de</strong> l'Afrique bantoue avec<br />

les Béti, Basoo. Bamiléké, Tikar (semi bantous), Douala, Baya, etc.


111.1 L'ETHNIE ET LA RELIGION<br />

La diversité camerounaise relevée sur d'autres points se retrouve, ici,<br />

à la fois sur les plans ethnique, linguistique et religieux.<br />

Nous privilégierons la famille bantoue qui comprend: au Sud <strong>de</strong> la<br />

Sanaga Basaa et Bakoko, plus <strong>de</strong> 400 000 habitants; <strong>Du</strong>ala et apparentés:<br />

35 000, Maka et Djem, proches parents <strong>de</strong> ceux-ci: 70 000 h, les Fang et<br />

Boulou: 180 000 h ; les Etons et Ewondos : 280 000 h ; la famille semi<br />

bantoue: Bamiléké (700 000 environ dont plus <strong>de</strong> 200 000 se trouvent hors<br />

<strong>de</strong> leur habitat naturel).<br />

<strong>Les</strong> Bamoun:<br />

<strong>Les</strong> Kaka:<br />

1 la 000 habitants<br />

45 000 habi tants<br />

Pour mention, la famille soudanaise ( ou du Nord) comprend:<br />

<strong>Les</strong> Peuls ou Foulbés:<br />

<strong>Les</strong> Kirdis :<br />

350 000 habitants<br />

plus d'un million.<br />

Selon <strong>de</strong>s statistiques non officielles portant sur 3,7 millions<br />

d'habitants au <strong>Ca</strong>meroun orientaL on dénombre 1 600 000 animistes,<br />

800 000 catholiques, 600 000 protestants et 700 000 musulmans. <strong>Les</strong><br />

Basaa partagent les trois premières croyances.<br />

111.2 LA DEMOGRAPHIE<br />

Bien qu'on ait réalisé une série d'enquêtes démographiques, on ne<br />

peut en donner, ici, tous les résultats.<br />

Au 31 décembre 1964, la population totale <strong>de</strong> la République Fédérale<br />

du <strong>Ca</strong>meroun était estimée à 5 080 000 habitants dont 4 070 000 pour le<br />

<strong>Ca</strong>meroun oriental et 1 080 000 pour le <strong>Ca</strong>meroun occi<strong>de</strong>ntal.<br />

33


34<br />

La répartition par âge était la suivante:<br />

Moins <strong>de</strong> 5 ans Sexe masculin Sexe féminin Ensemble<br />

392 7,6% 396 7.7% 788 15,3%<br />

5 à 14 ans 566 11,0 % 520 10.1 % 1086 21,1%<br />

15 à 39 ans 876 17,0 % 1117 21,7 % 1993 38.7 %<br />

40 à 59 ans 487 9,4 % 494 9.6% 979 19,0%<br />

60 ans et plus 160 3,1 % 144 2,8 % 304 5,9%<br />

La <strong>de</strong>nsité moyenne est <strong>de</strong> 9,7 h au km 2 dans le <strong>Ca</strong>meroun oriental;<br />

elle dépasse même 100 et 150 chez les Bamoun et les Bamiléké.<br />

<strong>Les</strong> principaux centres urbains du pays Basaa sont:<br />

Edéa 20.000 h<br />

Eséka 10.000 h<br />

Makak 6.000 h<br />

Ngambe 5.000 h<br />

Douala plus <strong>de</strong> 100.000 h<br />

Yabassi 5.000 h<br />

Plus <strong>de</strong> 100 000 Basaa à Douala où ils occupent la <strong>de</strong>uxième place<br />

après les Bamiléké. Cette population urbaine <strong>de</strong>s Basaa comme celle <strong>de</strong><br />

tout le <strong>Ca</strong>meroun Oriental représente 17% un peu plus du taux <strong>de</strong> la<br />

fédération soit 16%, comme l'on voit, 83% <strong>de</strong>s Basaa sont ruraux.<br />

Sauf au cours <strong>de</strong> leur installation qui remonte avant la colonisation, et<br />

<strong>de</strong>rnièrement pendant les troubles dus à l'indépendance du pays, les Basaa<br />

se déplacent très peu. Ils sont trop attachés à leurs villages où ils veulent<br />

mourir et être enterrés auprès <strong>de</strong> leurs ancêtres.<br />

111.3 LA SANTE<br />

Dans l'ensemble, l'état sanitaire <strong>de</strong>s Basaa est assez bon, leur région<br />

n'ayant jamais connu la maladie du sommeil comme d'autres .Cependant,<br />

on y trouve <strong>de</strong>ux léproseries, et quelques centres médicaux aux chefs-lieux<br />

<strong>de</strong>s villes citées.


111.4 L'ENSEIGNEMENT<br />

La population scolaire, chez les Basaa, est <strong>de</strong> 864.000 âmes, et le<br />

taux <strong>de</strong> scolarisation y atteint parfois 100 % dans l'enseignement primaire.<br />

De nombreux intellectuels diplômés <strong>de</strong>s universités étrangères et<br />

camerounaises sont d'origine Basaa, qui dans la fonction publique et le<br />

secteur privé, occupent <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> haut rang.<br />

En matière d'emplois, Edéa étant après Douala, la ville la plus<br />

industrialisée du <strong>Ca</strong>meroun, grâce au complexe Alucam EEC, on y<br />

rencontre un grand nombre <strong>de</strong> Basaa dans les trois secteurs <strong>de</strong> l'économie<br />

(primaire, secondaire et tertiaire). Toutefois, il est difficile <strong>de</strong> préciser leur<br />

pourcentage, les statistiques n'étant pas prêtes dans ces secteurs.<br />

111.5 LE GOUVERNEMENT ET L'ADMINISTRATION<br />

La République Fédérale du <strong>Ca</strong>meroun est formée <strong>de</strong> 2 Etats, l'un<br />

oriental et l'autre occi<strong>de</strong>ntal. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux Etats sont divisés en régions<br />

administratives et en départements. Il y a 6 régions et 39 départements. <strong>Les</strong><br />

Basaa proprement dits se trouvent dans <strong>de</strong>ux régions: le Littoral et le<br />

Centre-Sud.<br />

<strong>Les</strong> départements <strong>de</strong> la Sanaga-Maritime (chef-lieu Edéa), du Nkam<br />

(chef-lieu Yabassi) et du Wouri (chef-lieu Doula) se trouvent dans la<br />

région du Littoral. <strong>Les</strong> départements du Nyong et Kellé (chef-lieu Eséka),<br />

et <strong>de</strong> Kribi (chef-lieu Kribi) font partie du Centre-Sud.<br />

<strong>Les</strong> langues officielles parlées sont le français et l'anglais. <strong>Les</strong> Basaa<br />

sont francophones. Ils ont 2 députés fédéraux et 8 représentants à<br />

l'assemblée législative du <strong>Ca</strong>meroun orientaL <strong>de</strong>ux communes <strong>de</strong> plein<br />

exercice, Edéa et Eséka, ainsi que <strong>de</strong>s communes rurales dans les<br />

arrondissements <strong>de</strong> chaque département.<br />

Leur propre langue, le Basaa ou Me' a, est une langue à classes. Pour<br />

mieux l'appréhen<strong>de</strong>r, il faut considérer 4 pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> son évolution:<br />

- le Basaa parlé avant 1472,<br />

- le Basaa parlé entre 1472 et 1919,<br />

-le Basaa parlé entre 1919 et 1945,<br />

- le Basaa parlé aujourd'hui.<br />

Comme toute langue confrontée à d'autres cultures, le Basaa a subi<br />

certains emprunts, surtout d'origine occi<strong>de</strong>ntale. Selon Bôt ba Njok, les<br />

35


111.6 L' ANTHROPLOGIE SOMATIQUE<br />

Comme la langue, les traits physiques <strong>de</strong>s Basaa ne présentent plus<br />

un type qu'on peut qualifier vraiment <strong>de</strong> Basaa. Cependant, certains traits<br />

distinguent le Basaa <strong>de</strong> ses autres cohabitants. La taille n'est pas uniforme:<br />

Elle varie <strong>de</strong> la stature d'un pygmée du cyclope <strong>de</strong> 2 m et celle appelé<br />

saglô mut. La peau, pas toujours noire, varie du rouge au brun clair; à se<br />

méprendre, on dirait <strong>de</strong>s métis <strong>de</strong> Blancs et <strong>de</strong> Noires, mais un métissage<br />

où l'élément Noir domine. <strong>Les</strong> autres traits sont fins: petite bouche, nez<br />

parfois droit, torse trapu et bras longs, gros mollets. Le canon <strong>de</strong> la beauté<br />

physique rési<strong>de</strong> dans l'élément féminin, puisque, par trois fois, Miss<br />

<strong>Ca</strong>meroun, prototype <strong>de</strong> la beauté féminine camerounaise, est sortie <strong>de</strong><br />

groupe ethnique. <strong>Les</strong> tatouages étoilés au front <strong>de</strong>s hommes préfiguraient<br />

la carte d'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> nos jours, puisque grâce, à ceux-ci, on pouvait non<br />

seulement déterminer le groupe ethnique <strong>de</strong> l'étranger, mais aussi le clan<br />

d'où il sortait. Cela s'appelait le bakun. <strong>Les</strong> femmes se faisaient scarifier le<br />

bas-ventre et le dos, en rangs savamment agencés, ressemblant<br />

étrangement au métier Jacquard. C'étaient les dikep. Sur l'avant- bras <strong>de</strong>s<br />

élégants, on procédait à <strong>de</strong>s opérations esthétiques connues sous le nom <strong>de</strong><br />

bituya qui par leur <strong>de</strong>ssin harmonieux, donnaient à cette partie du corps<br />

une touche d'une beauté certaine. Sur les joues et les encoignures <strong>de</strong>s<br />

lèvres <strong>de</strong>s femmes, on pratiquait aussi <strong>de</strong>s tatouages en étoiles à trois<br />

branches. La chirurgie esthétique <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts, njôlô pour les femmes, njaii<br />

pour les hommes. complétaient ces marques et ornements distinctifs du<br />

groupe ethnique.<br />

111.7 L'HABILLEMENT<br />

Le Basaa précolonial. tel que nous le révèle la tradition, ne se<br />

promenait pas nu comme on pouvait l'observer dans d'autres sociétés <strong>de</strong><br />

cette époque. L'homme portait une sorte <strong>de</strong> caleçon fait d'écorce d'arbre,<br />

passé entre les jambes et retenu par une ceinture <strong>de</strong> la même matière. Ce<br />

cache-sexe s'appelait hikubi et la matière première po. Le chef <strong>de</strong> tribu<br />

portait en outre <strong>de</strong>s bracelets d'ivoire, dikomb dimoo, et <strong>de</strong>s colliers<br />

d'ambre bakola. L'esclave avait <strong>de</strong>s boucles aux oreilles, ce qui le<br />

distinguait du noble <strong>de</strong> la tribu. La femme basaa précoloniale à son tour<br />

possédait <strong>de</strong>s tenues vestimentaires, allant <strong>de</strong>s feuilles qu'on mettait l'une<br />

<strong>de</strong>vant. l'autre <strong>de</strong>rrière, mandoga. à la jupe tressée <strong>de</strong> fibres <strong>de</strong> raphia,<br />

37


38<br />

mabui ma bisôhô. Dès le contact avec J'Europe vers 1472, on la voit<br />

ajouter à sa toilette, le ondol, sorte <strong>de</strong> sarreau du type hindou qu'elle<br />

mettait à partir <strong>de</strong>s seins, qui. jusque là, n'étaient jamais couverts. La robe<br />

à l'occi<strong>de</strong>ntale est venue compléter cette gar<strong>de</strong>-robe qui comprendra les<br />

pagnes et les parures d'importation, sauf les bihian, qu'on portait autour<br />

<strong>de</strong>s chevilles et qui étaient r œuvre du forgeron du village.<br />

111.8 LE TEMPERAMENT, LES MANIERES ET LES HABITUDES<br />

D'ordinaire. le Basaa <strong>de</strong> la campagne camerounaise. non acculturé,<br />

est un homme simple, paisible mais bavard. Ce bavardage est dû à la<br />

palabre. N'étant pas hypocrite, il aime jouer cartes sur table sous le grand<br />

fromager ou dans le corps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> cour du vi lIage. Là, assis<br />

sur <strong>de</strong>s trépieds ou étendus sur <strong>de</strong>s nattes, on s'explique chacun à son tour<br />

jusqu'à ce que personne n'ait plus la parole. Et la palabre souvent<br />

s'arrange à la joie <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. Seulement, cet homme d'un aspect<br />

paisible, d'un accueil si chaleureux, qui va jusqu'à vous prêter une <strong>de</strong> ses<br />

femmes pour la nuit, <strong>de</strong>vient féroce, sanguinaire même, <strong>de</strong>vant un affront,<br />

une blessure d'amour- propre. Cet homme qui se dit <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> ses<br />

ancêtres sur la terre <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers n'aime pas qu'on le prenne pour un<br />

imbécile, il sort sa griffe et <strong>de</strong>vient l'homme le plus intraitable qu'on n'ait<br />

jamais rencontré. En un mot, les traits caractéristiques et dominants du<br />

Basaa, ce sont la franchise, la sincérité, un jeu sans malices. Son amour <strong>de</strong><br />

la discussion lui a donné le goût <strong>de</strong> l'éloquence où se mêlent finesse et<br />

redondance, les hyperboles, les insinuations dogmatiques, dans les<br />

proverbes qu'il utilise pour développer sa pensée. Nous y reviendrons dans<br />

la cinquième partie <strong>de</strong> cette monographie.<br />

111.9 LA CULTURE MATERIELLE<br />

L'art chez les Basaa est représenté à cette époque par <strong>de</strong> multiples<br />

formes d'expression. Le forgeron excelle dans la fabrication <strong>de</strong> tous les<br />

outils usuels: coutelas, lances, couteaux <strong>de</strong> cuisine ngwal, grelots pour<br />

chien, parures pour élégants et élégantes, objets rituels <strong>de</strong>s cultes <strong>de</strong><br />

diverses divinités; les marmites, jarres et gargoulettes sont l'œuvre <strong>de</strong>s<br />

potiers. <strong>Les</strong> pêcheurs évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> gros troncs d'arbres pour en faire <strong>de</strong>s<br />

pirogues, les prêtres <strong>de</strong>s cuItes se font fabriquer <strong>de</strong>s tambours, <strong>de</strong>s gongs,<br />

<strong>de</strong>s tam-tams. L'activité <strong>de</strong>s pêcheurs reste débordante: ils construisent


une sorte <strong>de</strong> barrages sur les cours d'eau makot, où ils mettent un genre <strong>de</strong><br />

paniers à trois compartiments minsôn, dans lesquels s'engouffrent les<br />

poissons qui ne peuvent en ressortir. <strong>Les</strong> chasseurs creusent <strong>de</strong>s trous<br />

bibee, le long <strong>de</strong>s clôtures, basap et y ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s pièges tjandi ou<br />

minkume. Ils font le brûlis, la chasse à course et à l'arbalète, et attrapent<br />

<strong>de</strong>s singes sur les arbres par un piège appelé siga dont la technique est très<br />

compliquée. <strong>Les</strong> jeunes gens attrapent les oiseaux soit par la fron<strong>de</strong>, soit<br />

par les pièges sur les arbres bikédi, soit par la glu nkamo. <strong>Les</strong> filles et les<br />

femmes assèchent les ruisseaux et les étangs et en récoltent le produit:<br />

Cette opération s'appelle og. Quand une rivière a mis longtemps à être<br />

visitée par les pêcheurs, on procè<strong>de</strong> à une pêche collective avec <strong>de</strong>s herbes<br />

vénéneuse: c'est le nkôma. La propriété <strong>de</strong> ces herbes est <strong>de</strong> rendre le<br />

poisson ivre, mais une fois l'effet passé, le poisson reprend ses sens et on<br />

ne peut plus l'attraper. La construction <strong>de</strong>s cases d'habitation, la<br />

fabrication <strong>de</strong>s nattes, <strong>de</strong>s sièges, <strong>de</strong>s masques <strong>de</strong> danses rituelles, tous ces<br />

aspects si divers étaient si bien menés qu'il leur en faudrait une étu<strong>de</strong><br />

particulière; ce qui ne peut rentrer dans le cadre <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> limitée.<br />

Après avoir vu successivement les cadres physique et humain <strong>de</strong><br />

l'homme basaa du <strong>Ca</strong>meroun, il va falloir maintenant restituer celui-ci<br />

dans le temps, c'est-à-dire détrminer si possible son origine, ses<br />

déplacements à travers l'espace et le temps, avant d'abor<strong>de</strong>r le cadre<br />

écologique <strong>de</strong> son existence actuelle. <strong>Les</strong> Basaa du <strong>Ca</strong>meroun, avons-nous<br />

dit, rési<strong>de</strong>nt dans les régions du Littoral et du Centre et du Sud. Leurs villes<br />

principales ont pour noms: Eséka, Makak, Edéa, Ngambé, Ndôm, Pouma,<br />

Yabassi, Douala et Bipindi.<br />

Ils occupent:<br />

- dans la Sanaga Maritime: 8 925 km 2 soit 13,01 hab/km 2<br />

- dans le Nyong et Kellé : 5 926 km 2 soit 10,98 hablkrn 2<br />

- dans le Nkam: 6212 km 2 soit 5,18 hablkrn 2<br />

- dans le Wouri avec les autres: 1 160 km 2 soit 172 hablkrn 2<br />

- une partie dans le KribL soit: Il 714 km 2 soit 5, Il hablkm 2<br />

Selon les estimations <strong>de</strong> statistiques officielles (1965), il y aurait:<br />

- 65 093 habitants dans le Nyong et Kellé,<br />

- 59 865 habitants dans le KribL<br />

- 32 193 habitants dans le Nkam,<br />

- 116 113 habitants dans la Sanaga Maritime,<br />

- 200 000 habitants dans le Wou ri (Douala).<br />

39


40<br />

Sur ces 473 264 habitants, plus <strong>de</strong> la moitié parlent et vivent comme<br />

<strong>de</strong>s Basaa, surtout que dans une ville comme Douala. qui compte<br />

actuellement 251 000 habitants, les Basaa viennent en 2è position après les<br />

Bamiléké. Avec les autres Basaa éparpillés à travers toute la République<br />

Fédérale où ils forment <strong>de</strong>s colonies et <strong>de</strong>s quartiers entiers. on peut<br />

estimer leur population à plus <strong>de</strong> 400 000 habitants. De cette importante<br />

fraction <strong>de</strong> la population camerounaise, nous allons parler <strong>de</strong> divers<br />

caractéristiques: histoire, mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie, organisation politique, vie<br />

familiale. vie religieuse. vie intellectuelle et artistique.<br />

En portant notre attention et notre intérêt sur l'ensemble <strong>de</strong> ces<br />

institutions. tous ces moments <strong>de</strong> la vie d'un peuple ayant pour nom<br />

civilisation, laquelle a pour point modal la culture, nous nous approcherons<br />

peut-être <strong>de</strong> l'authenticité <strong>de</strong> la réalité basaa. Le but <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> est sans<br />

conteste d'approcher cette réalité pour mieux l'intégrer dans l'ensemble <strong>de</strong><br />

l'évolution <strong>de</strong> l'histoire humaine. <strong>Ca</strong>r si ces 400000 personnes qui vivent<br />

aujourd'hui ensemble, parlent la même langue, obéissent au même système<br />

<strong>de</strong> valeurs malgré divers emprunts dans leurs contacts avec d'autres. c'est<br />

parce qu'elles ont su intégrer ces éléments nouveaux sans toutefois aliéner<br />

leur culture originelle. Or cette culture originale, avant <strong>de</strong> produire une<br />

totalité nouvelle en continuité du sta<strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>vrait connaître<br />

précisément celui-ci. Et pour parvenir à cette connaissance, quels<br />

matériaux autres que ceux <strong>de</strong> la tradition nous y aurait ramenés, dans une<br />

civilisation qui n'employait pas les bienfaits <strong>de</strong> Gutenberg?<br />

L'oralité et les textes écrits, vérifiés, inventoriés, critiqués et adaptés,<br />

seront les matériaux essentiels <strong>de</strong> ce travail. Ainsi, pour comprendre et<br />

pénétrer le mon<strong>de</strong> africain précolonial en général, et basaa en particulier,<br />

dans sa continuité, cette étu<strong>de</strong> s'attachera en même temps à décrire les<br />

structures sociales tout en recherchant comment cette culture a façonné la<br />

personnalité basaa consciemment ou inconsciemment. Et cette approche<br />

méthodologique d'un chercheur interne au groupe étudié serait la seule qui<br />

se rapprocherait du concept "Histoire",


CHAPITRE II<br />

LA DYNAMIQUE DE L'ORALITE


L'introduction, dans son paragraphe nous a présenté trois moments<br />

dans l'histoire <strong>de</strong>s Basaa. Ces découpages ont pour noms, selon la<br />

tradition:<br />

• Kwan : cette époque va <strong>de</strong> l'origine jusqu'à celle où l'on a cité le nom<br />

<strong>Bassa</strong> dans quelque document ou fait. Nous l'avons désignée époque<br />

d'avant l'existence au bord du Nil (1 900 avant Jésus-Christ) ;<br />

• Koba: désigne l'époque allant <strong>de</strong> 1 900 avant J.C. à 1 000 après J.C;<br />

moment probable <strong>de</strong> leur existence à Ngog Lituba (Sud-<strong>Ca</strong>méroun) ;<br />

• Len : cette époque va <strong>de</strong> 1 000 après J.C. à nos jours.<br />

Grâce à ces découpages dont nous donnerons <strong>de</strong>s explications ci<strong>de</strong>ssous,<br />

nous avons essayé <strong>de</strong> saisir la démarche historique suivant 3<br />

critères: le ténl0ignage, la comparaison et la synthèse. Que savons-nous <strong>de</strong><br />

précis sur les Basaa <strong>de</strong>puis l'origine <strong>de</strong> la vie sur la planète jusqu'à nos<br />

jours? Certains facteurs comme les mythes et les légen<strong>de</strong>s ont alimenté<br />

nos enquêtes. Personne d'autre n'ayant entrepris d'étudier les Basaa sur le<br />

plan historique, il nous a fallu mieux étudier ces mythes et légen<strong>de</strong>s pour<br />

essayer d'approcher ce qu'on appelle la réalité historique <strong>de</strong>s Basaa.<br />

Sans toutefois tomber dans les mona<strong>de</strong>s d'un tribalisme opaque, la<br />

rigueur <strong>de</strong>s enquêtes nous ayant conduit jusqu'à découvrir que le<br />

phénomène basaa dépassait les frontières camerounaises, il nous a paru<br />

nécessaire <strong>de</strong> centrer sur l'homme, sa société, les manifestations culturelles<br />

qui racontent sa vie, un intérêt majeur.<br />

1. LE MONDE DE MBOK KOBA NI<br />

Tous les mythes africains parlant <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> l'homme partent soit<br />

d'un œuf, soit d'une spirale ou encore d'un néant qui, en subissant <strong>de</strong>s<br />

vibrations dues à <strong>de</strong>s énergies cosmiques, transforment en mouvements<br />

d'abord fermés, ensuite se déroulant jusqu'à s'ouvrir en laissant tomber un<br />

couple androgyne (homme-femme), lequel fécondé par rapport <strong>de</strong> ces<br />

énergies nouvelles donne naissance à un rejeton.<br />

43


44<br />

o<br />

/<br />

Figure n O l : Le mbok<br />

Ainsi en est-il du chiffre 3 dans la cosmologie basaa. Au départ, il y<br />

avait un néant en forme <strong>de</strong> cercle dans lequel se trouvait inséré un triangle,<br />

et <strong>de</strong> l'éclatement <strong>de</strong> ce triangle, il est sorti un objet en forme <strong>de</strong> verge,<br />

laquelle verge ayant fécondé le triangle ouvert, l'on a obtenu un objet plus<br />

petit encore.<br />

Le cosmologue basaa dit, en parlant <strong>de</strong> la création du mon<strong>de</strong>: KU<br />

mbok gwéé mbok yaa ibôô nkégi (le mon<strong>de</strong> n'est né que le jour où le sexe<br />

<strong>de</strong> la femme s'est ouvert). Le mythe <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> l'homme tourne sur<br />

le vagin <strong>de</strong> la femme. Le chiffre 3 s'explique donc <strong>de</strong> la façon suivante: le<br />

grand bâton sorti du triangle représente la verge <strong>de</strong> l'homme: le triangle<br />

ouvert le vagin <strong>de</strong> la femme et le petit bâton, produit <strong>de</strong> la copulation du<br />

bâton s'introduisant dans le trou. à engendré 'Man', d'où la signification<br />

<strong>de</strong> ce signe.<br />

Le cercle complet représente le Mbok, univers complet. <strong>Les</strong> 3 signes<br />

désignent l'homme, la femme et l'enfant. <strong>Les</strong> mots qui désignent ces êtres<br />

en Basaa s'éclairent par la sémantique <strong>de</strong> leur signification. Ainsi:<br />

. Isaii : le père, vient <strong>de</strong> sa (la lutte) ; l'homme est un lutteur;


. Nyaii: la mère, vient du verbe nye (pondre); le rôle <strong>de</strong> la femme est<br />

l'enfantement:<br />

. Man: l'enfant, vient du verbe aii, lier ou relier: donc c'est un être qui lie<br />

l'un à l'autre ses parents et qui complète en même temps les trois sommets<br />

du triangle qui constitue le sexe <strong>de</strong> la femme. Pour mieux comprendre ce<br />

mythe, il faudra se référer au chapitre sur le rôle <strong>de</strong>s confréries,<br />

particulièrement sur celle <strong>de</strong>s femmes, le koo.<br />

Comme nous le voyons, le mythe basaa <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> l'humanité<br />

n'a pas échappé à la règle commune. Comment l'aurait-il fait lorsque sur le<br />

plan religieux le chiffre 3 ou ses multiples sont dits sacrés? Mbee mudga<br />

maa i nkunus bé bijek : « si une marmite est posée sur trois pierres. elle fait<br />

cuire nécessairement la nourriture ». Si l'on transpose ce proverbe en<br />

langue basaa, on explique le rôle dévolu à la famille nucléaire. Sur le plan<br />

même <strong>de</strong> r autorité, on observe assez éloquemment ce symbolisme du<br />

chiffre 3. Le chef <strong>de</strong> tribu s'assied toujours sur un trépied appelé mbenda,<br />

trépied sur lequel on s'assied pour dire la loi, mbén. Sur le plan<br />

métaphysique, '3' désigne trois mon<strong>de</strong>s: le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dieux, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

ancêtres et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vi vants. Est -ce une simple coïnci<strong>de</strong>nce lorsque<br />

dans la première gran<strong>de</strong> religion révélée l'on trouve cette symbolique <strong>de</strong> la<br />

trinité?<br />

Ne fùt-ce que par ce caractère mythique dont culturellement l'homme<br />

basaa saisit la réalité <strong>de</strong> sa création, l'on a le droit et le <strong>de</strong>voir d'étudier son<br />

histoire et cette histoire qui est partie d'un seul être, puis <strong>de</strong> 2 et, ensuite<br />

<strong>de</strong>s 3 êtres, en a donné aujourd'hui 400.000 au <strong>Ca</strong>meroun. Qu'ont-ils fait,<br />

et qu'est-ce qu'ils ont été, les ancêtres <strong>de</strong>s ancêtres <strong>de</strong> nos ancêtres? C'est<br />

maintenant le tour <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> nous le rapporter. Elle fait grâce aux<br />

voisinages avec d'autres sites, grâce à l'incorporation et à l'intégration <strong>de</strong>s<br />

faits et évènements ayant existé dans le temps, ce temps que le Basaa<br />

appelle ici Mbok kôba.<br />

De ce mon<strong>de</strong> Kôba, tiré du mot kob (apprendre par l'initiation), c'està-dire<br />

l'enseignement, nous n'en savons rien <strong>de</strong> plus précis. Nous<br />

imaginons qu'il a existé parce que nous existons. De ce mon<strong>de</strong>, seules les<br />

investigations <strong>de</strong> la science peuvent nous décrire les caracteristiques, grâce<br />

à certains moyens qu'a employés tout homme pour porter son langage à sa<br />

postérité. On raconte souvent cette existence antérieure par certains signes,<br />

certaines manifestations, lesquels constituent <strong>de</strong>s documents: œuvres d'art,<br />

écrits, outils, ruines, oralité. Pour l' homme basaa, qui est un éternel<br />

45


46<br />

migrant, on ne peut bien le situer sur les sites qu'il a fréquentés. parce qu'il<br />

a toujours été un itinérant.<br />

Cependant il reste ce qu'il a dit et raconté à ses enfants. Cet usage <strong>de</strong><br />

la parole. véhicule idéal <strong>de</strong> toute pensée vivante pour africain à qui il<br />

manque une écriture, il n'y a pas plus noble mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transmission <strong>de</strong> la<br />

geste humaine que celui-ci, bien que certains le taxent d'in objectivité et <strong>de</strong><br />

mythologie. Nous pensons qu'en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cette parole. on ne peut écrire<br />

l'histoire authentique <strong>de</strong> l'Afrique. Cette histoire est dans la parole qui<br />

elle-même se trouve enfermée dans les mythes et légen<strong>de</strong>s. Possédant les<br />

clés <strong>de</strong>s mythes, l'on peut appréhen<strong>de</strong>r ou approcher la réalité historique<br />

pour transcen<strong>de</strong>r le mythe afin d'écrire la vraie histoire issue <strong>de</strong> la parole<br />

racontée. De cette approche qui n'est que produit <strong>de</strong> l'oralité, passons à la<br />

recherche <strong>de</strong> l'authenticité <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong>s Basaa. Cette démarche exige<br />

un calendrier et. dans ce travail. celui-ci s'articule en cycles historiques.<br />

Nous en avons relevé 7, en partant <strong>de</strong> l'époque du bord du Nil jusqu'à celle<br />

<strong>de</strong> 1971.<br />

11- LES CYCLES HISTORIQUES<br />

Ils sont au nombre <strong>de</strong> sept et s'éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'Egypte méroïtique à nos<br />

jours.<br />

Cycle 1: DE L'EGYPTE MEROÏTIQUE AU BORD nu LAC TCHAD<br />

D'un vieux document consulté à la Faculté <strong>de</strong> Droit et <strong>de</strong> Sciences<br />

Economiques <strong>de</strong> Paris-Panthéon, (Laboratoire d'Anthropologie Juridique),<br />

nous avons extrait la carte n O l, qui, en matière <strong>de</strong> source historique, nous a<br />

placé dans l'obligation <strong>de</strong> mieux situer le problème. Dans ce document<br />

nous lisons en anglais «Map showing the Island of Merce and the<br />

antiquities found there,,12.<br />

Parmi ces antiquités et les sites, l'on lit en bas <strong>de</strong> Meroe (Tempels<br />

and towns) (Basaa Réservoir). Un peu plus bas Umm USUDA (Reservoir<br />

and Tempel). Pour mieux situer cette histoire à partir <strong>de</strong>s temps<br />

méroétiques grâce à cet auteur. écoutons ce que la tradition orale a pu<br />

retenir <strong>de</strong> l'origine égyptienne <strong>de</strong>s Basaa. Nous retiendrons 3 sources <strong>de</strong><br />

12 Il s'agit très probahlemcnt <strong>de</strong> l'ouvrage <strong>de</strong> Crowfoot, .JW. 1911, «The Island of<br />

Merce », Archoelogical sumery of egypt, memoir n019 Londre (III, p 37. Mokhtar G,<br />

HGA- volume II, UNESCO, 1980).


trois authentiques Basaa, un évêque cathol ique, un pasteur protestant, et un<br />

ethnarque. grand initié aux choses du passé.<br />

Dans «Ngok Lituba, lieux <strong>de</strong> pèlerinage» p.21, Thomas MONGO<br />

écrit:<br />

«D'importants lnouvelnents <strong>de</strong> populations vraisemblablement<br />

originaires du haut-Nil et qui, se dirigeant vers l'Ouest, auraient<br />

séjourné quelque temps dans les régions du Mandara, d'où elles<br />

<strong>de</strong>scendirent ensuite vers le Sud-<strong>Ca</strong>meroun, empruntèrent une savane<br />

herbeuse à peine ondulée avec <strong>de</strong> place en place quelques ilôts forestier.<br />

A travers laquelle circule la rivière Liwa, affluent <strong>de</strong> droite <strong>de</strong> la Sanaga,<br />

au bord <strong>de</strong> laquelle rivière se trouve, à 150 km d'Edéa, le «Rocher<br />

percé» ou Ngok Lituba, traditionnellement connue <strong>de</strong> tous les Basaa et<br />

Basoo ou Sow du <strong>Ca</strong>meroun comme étant leur origine ethnique ».<br />

Dans les notes inédites <strong>de</strong> Samuel MASSING, nous avons relevé et<br />

traduit en français ceci :<br />

«Le Noir <strong>Bassa</strong> du <strong>Ca</strong>meroun vient d'Egypte,. c'est le <strong>de</strong>scendant<br />

rebelle d'un fils d'Israël, MELEK, qui refusa d'être conduit par Moïse<br />

au moment <strong>de</strong> la sortie d'Egypte, parce qu'il était très lié à la coutume<br />

égyptienne, et, craignant les représailles après le cataclysme <strong>de</strong> la mer<br />

Rouge, s'enfuit avec son petit mon<strong>de</strong> et, remontant le cours du Nil, il<br />

traversa l'Afrique par les grands Lacs et se trouva finalement dans ce<br />

qu'on appela, au Moyen Age, l'empire du BORNU KANEM ».<br />

Le troisième témoignage recueilli sur l'origine égyptienne <strong>de</strong>s Basaa<br />

est celui <strong>de</strong> mon feu père, trouvé dans ses documents. Selon lui, «les<br />

Basaa seraient venus du Nord en suivant une rivière Liwa et<br />

s'installèrent à Ngok Lituba avant <strong>de</strong> se répandre vers la côte jusqu'à<br />

Mben<strong>de</strong> (Wouri) et le Lom-Nhindi (Nyong). C'est à partir <strong>de</strong> cette étape<br />

<strong>de</strong> Ngok Lituba qui, fut la <strong>de</strong>uxième après l'Egypte, que tout rejeton <strong>de</strong><br />

cette race peut établir avec clarté son arbre généalogique ».<br />

Nous pouvons. grâce à ces 4 sources, établir un véritable calendrier<br />

qui nous permette <strong>de</strong> remonter jusqu'à Meroe, donc vers 1900-2000 avant<br />

J.C. Peu <strong>de</strong> peuples, ou d'ethnies en Afrique sont capables <strong>de</strong> présenter une<br />

telle chronologie. C'est donc 4 000 ans d'histoire qu'il nous faut<br />

débrouiller pour suivre, pas à pas notre Basaa, au moins à partir <strong>de</strong> cette<br />

région nilotique jusqu'à l'Atlantique. Des bords du Nil au jusqu'au Tchad,<br />

il est aisé <strong>de</strong> suivre leur itinéraire bien que, durant cette pério<strong>de</strong>, leur nom<br />

générique égyptien ne s' écrit plus <strong>de</strong> la même façon. Certains, comme<br />

Dicka Akwa. les assimilent aux Sao légendaires. D'autres, notamment les<br />

47


48<br />

textes portugais postérieurs à cette époque, les désignent sous les vocables<br />

Basaa, Mascha, Easha, Biafra, Biafaré. D'autres vont jusqu'à prétendre que<br />

Massa et Basaa sont le même mot et que Biafra n'en est que la corruption<br />

portugaise.<br />

Sans documents authentiques relatant leur existence, que peut<br />

alléguer un historien digne <strong>de</strong> ce nom? Malgré cette absence <strong>de</strong> documents<br />

écrits, nous retenons <strong>de</strong>ux faits: le nom générique égyptien ou basaa, et le<br />

culte <strong>de</strong> Um, déesse <strong>de</strong> la guérison et <strong>de</strong> la danse. Dans l'introduction <strong>de</strong> ce<br />

chapitre, nous avons rencontré le phénomène basaa en <strong>de</strong>hors du<br />

<strong>Ca</strong>meroun. <strong>Les</strong> Basaa du bord du Nil qui habitaient près <strong>de</strong> la région Umm<br />

Usuda, auraient ils pratiqué le culte <strong>de</strong> ce Dieu dont nous avions signalé ici<br />

le temple? On sait que ceux du <strong>Ca</strong>meroun continuent jusqu' à ce jour à<br />

vénérer cette divinité: Um Nkoda ton. Puisque nous sommes au sta<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

conjectures, peut-on avancer que parmi les populations noires qui<br />

colonisèrent l'Egypte dès le 3 ème millénaire, figurait aussi les Basaa ? On<br />

est tenté <strong>de</strong> répondre par l'affirmative car le document en anglais trouvé à<br />

la Faculté <strong>de</strong> Droit <strong>de</strong> Paris, est à l'heure actuelle le seul qui fait remonter<br />

le Basaa aussi loin dans l'histoire avec une certaine précision <strong>de</strong> lieu et <strong>de</strong><br />

nom.<br />

Que le mot basaa ait été corrompu ou confondu avec Sao, Massa,<br />

Mandara, il <strong>de</strong>meure un fait patent: les Basaa ont participé aux<br />

mouvements migratoires <strong>de</strong>s populations, partant du désert <strong>de</strong> l'est vers<br />

l'ouest pour d'abord s'établir au Kanem. <strong>Du</strong> Kanem, ils auraient occupé la<br />

vallée du Logone, les hauts plateaux <strong>de</strong> l'Adamaoua, selon Myeng. Il<br />

s'agirait ici <strong>de</strong>s Basaa dits du <strong>Ca</strong>meroun, et peut-être du Nigeria qui se<br />

disent Basaa Ngé. Partant du Nil, selon MASSING, compte tenu <strong>de</strong> la<br />

débanda<strong>de</strong> consécutive au désastre <strong>de</strong> la traversée <strong>de</strong> la mer Rouge, l'on<br />

comprend facilement qu'une population qui possédait tout un territoire se<br />

soit éparpillée et le seul élément qu'ils aient emporté aurait été seulement<br />

leur dénomination générique: Basaa. D'autres n'ont pas oublié le nom <strong>de</strong><br />

leur dieu préféré, d'où certains se disent Basaa Um USUDA, Basaa Mpasu,<br />

<strong>Bassa</strong> Ngé, Basaa Mpasu. L'histoire aux bords du Lac nous apprend que<br />

les Sao, s'étant mélangés aux aborigènes et aux Massa. ont donné les<br />

Kotoko.<br />

Qui sont les Kotoko, sinon les Massa et Maya ou Baya qui. eux aussi,<br />

ont donné Mandara ou Kirdi ? Parmi les vingt «ethnies païennes» du<br />

Nord-<strong>Ca</strong>meroun actuel. ne peut-on pas rencontrer <strong>de</strong> proches parents <strong>de</strong>s


Basaa du Sud? Nous savons que les Mousgoum et Massa venus <strong>de</strong> l'est<br />

étaient paysans et montagnards.<br />

Nous savons aussi qu'au <strong>Ca</strong>meroun, l'habitat type <strong>de</strong>s Basaa est la<br />

forêt où, ils campent leurs hameaux sur <strong>de</strong>s collines. Quand nous lisons<br />

l'histoire du <strong>Ca</strong>merounI3 du Père Mveng, nous sommes frappé par certains<br />

éléments culturels ressemblants <strong>de</strong>s kirdis et <strong>de</strong>s Basaa. Prenons, par<br />

exemple, l'organisation politique et sociale <strong>de</strong>s Kirdis. C'est une société<br />

fondée sur la famille patriarcale. La famille est monogamique ou<br />

polyginique. La parenté suit la règle <strong>de</strong> l'exogamie L'usage <strong>de</strong> la dot est<br />

courant. Il consiste souvent en têtes <strong>de</strong> bétail. Il y a <strong>de</strong>s castes (forgerons<br />

par exemple). L'initiation est appelée Laba ou Labi. Le Basaa désigne<br />

cette séquestration Bilab. C'est le chef <strong>de</strong> famille qui initie. Le cycle n'est<br />

pas i<strong>de</strong>ntique (3, 5,10 ans).<br />

Sur le plan <strong>de</strong> l'organisation politique, c'est une société lignagère.<br />

L'autorité sur le groupe est restreinte autour <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scendance ancestrale.<br />

Il existe un second personnage non moins important, le chef religieux<br />

<strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> la première race <strong>de</strong>s habitants du pays. Cette société paraît<br />

très indépendante. L'homme grandit sous le signe <strong>de</strong> la liberté et <strong>de</strong> la<br />

solidarité: liberté à l'égard <strong>de</strong> tout ce qui serait autorité extérieure et<br />

cadres artificiels, solidarité à l'intérieur du bloc clanique et familial. Le<br />

Père Mveng appelle une pareille société «société palée soudanaise ».<br />

Lorsqu'on abor<strong>de</strong>ra ]' étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s institutions autour du Mbok basaa, l'on<br />

verra que le Basaa est véritablement un <strong>de</strong>scendant soudanais. Cette<br />

existence au bord du Lac Tchad, bien qu'immanente, n'est pas pour autant<br />

moins obscure. On ne retrouvera un peu <strong>de</strong> clarté qu'à partir <strong>de</strong> Ngok<br />

Lituba, c'est-à-dire vers le 9_10 ème siècle <strong>de</strong> notre ère. Nous entrons ainsi<br />

dans le <strong>de</strong>uxième cycle.<br />

Cycle 2 : DES BORDS DU LAC TCHAD A NGOK LlTUBA<br />

(SUD CAMEROUN)<br />

Entre les Bassins du Nil, du Congo et du Niger, le plateau <strong>de</strong><br />

l'Adamaoua déverse aux quatre coins <strong>de</strong> l'Afrique <strong>de</strong>s cours d'eau qui.<br />

pour n'être pas aussi célèbres que leurs voisins, n'en sont pas moins <strong>de</strong>s<br />

routes qui marchent vers toute l'Afrique et qui remontent ainsi la Sanaga,<br />

le Nyong, la Sangha, la Bénoué, le Logone, le Chari (Mveng p.I8). Ces<br />

routes-cours d'eau ont souvent servi au Basaa d'itinéraire sûr. L'histoire<br />

13 Histoire du <strong>Ca</strong>meroun, Mveng Engellent, Paris, Présence Africaine, 1963, pp221-222<br />

49


50<br />

récente <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>scente du Nord au Sud-<strong>Ca</strong>meroun le prouve. De son ancien<br />

habitat, la savane soudano-adamouienne, il est <strong>de</strong>scendu vers la forêt où,<br />

avant d'y pénétrer, il s'est installé toujours au bord d'un cours d'eau et<br />

dans une région presque désertique (cf. MONGO) 14. Des <strong>de</strong>ux foyers <strong>de</strong><br />

l 'histoire du <strong>Ca</strong>meroun, le Lac Tchad et la côte, les historiens et la tradition<br />

orale s'accor<strong>de</strong>nt à présenter les Basaa comme venant du Nord pour se<br />

retrouver vers le Sud (cf. <strong>Du</strong>gast. Mveng et nos trois <strong>de</strong>rniers informateurs<br />

cités ci-<strong>de</strong>ssus). D'abord, <strong>de</strong>s Sao légendaires naîtront plus tard le Kanem<br />

Bomou Mandara, adamanoua, <strong>de</strong> ces groupes issus <strong>de</strong>s migrations venant<br />

<strong>de</strong> l'est africain, où en est la souche Basaa du Sud-<strong>Ca</strong>meroun?<br />

<strong>Du</strong> Nord-<strong>Ca</strong>meroun, porte ouverte sur la vallée du NiL en passant par<br />

le Fezzan et aux empires soudanais <strong>de</strong> l'Afrique Occi<strong>de</strong>ntale, on décèle <strong>de</strong>s<br />

esclaves qui portent le nom Basaa. Ces Basaa utilisent la peau <strong>de</strong> chèvre et<br />

se parent <strong>de</strong> tatouages comme les Basaa du <strong>Ca</strong>meroun. Si les Basaa actuels<br />

du Sud-<strong>Ca</strong>meroun n'ont pas aimé les diverses civilisations connues au bord<br />

du Lac Tchad, notamment celles-<strong>de</strong>s Sao, <strong>de</strong> Nok et du Kanem, que<br />

faisaient-ils et où étaient-ils avant leur existence signalée autour <strong>de</strong> Ngok<br />

Lituba? Seraient-ils issus <strong>de</strong>s débris <strong>de</strong>s tribus juives chassées <strong>de</strong> la<br />

cyrénaïque au début du nème siècle <strong>de</strong> notre ère, comme le rapporte<br />

l'historien MASSING ? Peut-être sont-ils parmi ces Africains Noirs dont<br />

écrivait DIODORE <strong>de</strong> Sicile qu'ils se croyaient autochtones et<br />

indépendants <strong>de</strong>puis toujours?<br />

L 'histoire parle <strong>de</strong>s Batsha, Batwa, Bambuti. ou pygmées du<br />

R wanda, dans la forêt <strong>de</strong> r Ituri, comme étant les premiers habitants <strong>de</strong><br />

l'Afrique Il sied <strong>de</strong> remarquer que la collision Basaalpygmées a été<br />

maintes fois signalée par <strong>de</strong>s auteurs, notamment Mme <strong>Du</strong>gast. Or, 2000<br />

ans avant J.C., sous le pharaon du Moyen Age Pepi IL nous notons la<br />

présence <strong>de</strong>s pygmées danseurs venant du Sud. Nous savons que la danse<br />

et la chasse sont inséparables <strong>de</strong>s populations bantoues. Si cette hypothèse<br />

est confirmée, le Sud signalé ici serait-il le grand berceau <strong>de</strong> la civilisation<br />

Zimbabwé, que les découvertes <strong>de</strong> Larkey pontifient comme étant le lieu<br />

premier <strong>de</strong> l'existence humaine? Ainsi, le mouvement migratoire basaa<br />

serait sud-nord-est-Ouest-Sud. Lorsqu'ils se disent eux-mêmes, selon leur<br />

tradition, qu'ils sont d'authentiques Africains, le fait serait-il peu<br />

vraisemblable?<br />

14 Cf. Mongo, p 210 note 2


L 'hérédité et le milieu jouant un rôle primordial dans le<br />

comportement <strong>de</strong>s individus, nous sommes plus proches <strong>de</strong> la notation <strong>de</strong><br />

Diodore <strong>de</strong> Sicile, à savoir que les Batscha, ou Batwa ou Basaa, seraient<br />

d'authentiques Africains peu portés à la contrainte extérieure. Cette<br />

observation qui reste à vérifier serait-elle à l'origine <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> résistances<br />

présentées par cette ethnie à chaque tentative d'hégémonie manifestée par<br />

l'envahisseur étranger eu cours <strong>de</strong> son histoire? Peut-être serait-il peu<br />

élégant <strong>de</strong> nier comme biologique ce trait <strong>de</strong> caractère. Malgré cette<br />

brûlante volonté <strong>de</strong> savoir quelque chose <strong>de</strong> précis sur les Basaa, entre les<br />

bords du Nil et ceux <strong>de</strong> la Sanaga, sur son affluent la Liwa au lieu dit Ngok<br />

Lituba, l'inconnue reste totale, faute <strong>de</strong> textes écrits. Des personnes<br />

ressources interrogées au cours <strong>de</strong> nos enquêtes ne s'aventurent même pas<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Ngok Lituba, si ce n'est qu'ils avancent, à chaque question, Di<br />

nlôl likôl: «Nous venons <strong>de</strong> J'Est ». Nousnous retrouvons ainsi à Ngok<br />

Lituba. Que savons-nous <strong>de</strong> précis à partir <strong>de</strong> cette époque? C'est le 3 ème<br />

cycle qui nous y conduira.<br />

Cycle 3 : DE NGOK LITUBA AU BORD DU MBENDE (WOURI)<br />

Ce que nous savons <strong>de</strong>s Basaa habitant la savane <strong>de</strong> Ngok Lituba<br />

privilégie plutôt le domaine <strong>de</strong> la généalogie comme source historique.<br />

Presque toutes les gran<strong>de</strong>s familles basaa actuelles font remonter jusqu'à<br />

Ngok Lituba leur arbre généalogique. Dans notre étu<strong>de</strong> présentée à la<br />

Sorbonne l5 , comme mémoire du diplôme <strong>de</strong> sciences religieuses, nous<br />

avons pu établir, notre propre arbre que voici :<br />

-NGOG<br />

-NANGA<br />

-NGE<br />

-NBOG<br />

-NWII<br />

-MBANG<br />

-NOO<br />

-MBANG<br />

- ITJEK<br />

-BASUMBUL<br />

15 E. WOGNOU, Essai sur l'organisation sociale et la religion <strong>de</strong>s Basaa du <strong>Ca</strong>meroun,<br />

EPHE, Paris Sorbonne, 1971, p. 36<br />

51


52<br />

-BAKENG<br />

- NETBE<br />

- LISUK<br />

-NGAWEE<br />

-MBEE<br />

-NTU<br />

-NGODI<br />

-NKOL<br />

- WONYU<br />

- WONYU (Eugène, l'auteur)<br />

En remontant ce tableau <strong>de</strong> WONYU Eugène à NGOG, l'on<br />

compte 20 générations. Si l'on admet que 30 années donnent une<br />

génération, nous sommes déjà <strong>de</strong>vant 600 ans d'histoire <strong>de</strong> la famille<br />

WONYU. ce qui nous renvoie vers 1372 après J.C., donc vers la fin du<br />

Moyen Age historique.<br />

Dans le mythe <strong>de</strong> l'origine recueilli par MBOUI Joseph sur le savoir<br />

social <strong>de</strong>s Basaa, nous avons relevé neuf ancêtres dont les noms nous sont<br />

parvenus et qui se trouvaient vers cette époque plus lointaine autour <strong>de</strong><br />

Ngok Lituba.<br />

<strong>Les</strong> neuf ancêtres sont par ordre <strong>de</strong> naissance:<br />

- NGOG (notre ancêtre signalé plus haut)<br />

- MBOG<br />

- NJEL<br />

- MBANG<br />

- MBAN<br />

- NGAA<br />

- NSAA<br />

- BIAS<br />

- BUWE<br />

Contrairement à ce que pensent certains auteurs sur r authenticité<br />

<strong>de</strong> l 'histoire africaine, ces neuf hommes ont réellement vécu autour <strong>de</strong><br />

cette pierre et y ont laissé 167 enfants. <strong>de</strong> qui relèvent tous les clans basaa<br />

actuels du <strong>Ca</strong>meroun.<br />

La tradition orale précise que ces neuf enfants eurent pour père.<br />

NANGA, qui, non seulement a donné les Basaa, mais aussi les Etons, les<br />

Bafia. une partie <strong>de</strong>s Ewondos, les Baya et les Yambasa. Au lieu <strong>de</strong> nous<br />

perdre dans le dédale <strong>de</strong> ces multiples ramifications, nous avons axé notre<br />

travail sur ceux qu'on appelle au <strong>Ca</strong>meroun BASAA (singulier <strong>de</strong> NSAA),


ou plus exactement BON BA NGOK LITUBA, «les enfants du Rocher<br />

Percé ». Ceux-ci se disent frères <strong>de</strong>s BASOW, qu'on appelle par ailleurs<br />

SOW. BANSOW et BAKOKO. En étudiant l'histoire <strong>de</strong> leurs cousins les<br />

Basaa stricto sensu, on ne peut manquer <strong>de</strong> citer leur existence. tellement<br />

leur habitat, leur religion et certaines <strong>de</strong> leurs coutumes <strong>de</strong>meurent les<br />

mêmes que chez les Basaa. Bien que l'ancêtre ait laissé neuf enfants, dont<br />

nous avons reproduit ici les noms, cinq <strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>scendants ont tellement<br />

illustré les leurs que plusieurs <strong>de</strong>s souches basaa actuelles ne se réclament<br />

que <strong>de</strong> ces cinq. Il s'agit, à l'heure actuelle, <strong>de</strong>s clans NTOMB, BAKEN,<br />

JOL, U, SOP.<br />

Pratiquement, et compte tenu <strong>de</strong> leur étendue et <strong>de</strong> leur poids, nous<br />

les avons classés, sur le plan <strong>de</strong> l'ethnologie, en sous-ethnies dont la mo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> désignation est LOK ou ND OK. Le vocable « Lôk », ou Ndôk signifie<br />

«ceux <strong>de</strong> ... ». Pour permettre aux recherches futures <strong>de</strong> bien situer la<br />

structure sociale <strong>de</strong>s Basaa, nous reproduisons ici les tableaux <strong>de</strong> ces cinq<br />

sous-ethnies:<br />

a- Sous-ethnie : Ntomb<br />

Clans: Lôk Ntômb, Ndôk Njéé, lôk Basogog, lôk Héndél, Mangaa,<br />

Ndôk Tindi.<br />

b- Sous-ethnie : Baken<br />

Clans: Lôk Bakéfi, Ndôk Mben, Lôk Hééga, Ndôk Njee, Ndôk Ngofid,<br />

Lôg Dikit, Lôk Ngwang. Lôk Hen<strong>de</strong>, Manga (branche Ndong).<br />

c- Sous-ethnie : J 01<br />

Clans: Lôk Basangén-Oa, Ndôk Nléd. Lôk Batjék, Lôk Ngônd. Ndôk<br />

Kôbe.<br />

d- Sous-ethnie: U<br />

Clans: Lôk Kat. Ndôk Makumak-Lém. Nwamp-Dikum, Mangaa (2 ème<br />

branche), Ndôk Tindi (2è branche), Lôk Nwanak.<br />

e- Sous-sthnie : Sop<br />

Clans: Bakembe, Lôk Ot, Lôk Biem. Nti, Lôk SÔp.<br />

Tous ces clans et sous-ethnies avec leurs familles se retrouvent au<br />

Sud-<strong>Ca</strong>meroun dans les départements <strong>de</strong> la Sanaga Maritime, <strong>de</strong> Nyong et<br />

kellé, <strong>de</strong> Yabassi, Wouri en majorité et Kribi. Leurs cousins proches ou<br />

éloignés sont les Bafia et Yambassa qui affirment être venus du sud du<br />

pays Babimbi, les Tikar du <strong>Ca</strong>meroun occi<strong>de</strong>ntal où l'on rencontre <strong>de</strong>s<br />

noms tels que NDOP, MBEM, BUM, KOM (même signification en<br />

Basaa), les MBO du Plateau <strong>de</strong> l'ouest qui se disent sortis <strong>de</strong> NDUBA 16 ou<br />

16 Voir chefferie Balen dans le Bamiléké dont l'ancêtre Fondo ou Lipondo (trou en Bac;aa)<br />

53


54<br />

Ngok Lituba, pratiquant aussi la religion <strong>de</strong> Ngambi «araignée », les<br />

Banen qui ne sont que le croisement entre Sow et Basaa.<br />

Selon Dicka Akwa, dans son œuvre «Terre et parenté» aux pages<br />

17-18 et 19, le rapprochement entre Basaa actuels et Bamiléké <strong>de</strong> Bana­<br />

Bafang ne serait pas une vue <strong>de</strong> l'esprit, puisque certains noms et certaines<br />

généalogies se recoupent <strong>de</strong> telle manière que tous se réclament <strong>de</strong> Ngok<br />

Lituva ou Nduba.<br />

En tout état <strong>de</strong> cause, entre 500 et 1500 <strong>de</strong> notre ère, les Basaa se<br />

trouveront entre le Nord-<strong>Ca</strong>meroun et le bord <strong>de</strong> la Liwa. A la veille du<br />

15è siècle, ils chercheront à trouver plus d'espace que ce petit territoire<br />

autour <strong>de</strong> la savane <strong>de</strong> Ngok Lituba. Nous avons vu que vers 1372, nos<br />

neuf ancêtres total isaient une population <strong>de</strong> 167 garçons. On ne compte pas<br />

les femmes chez les Basaa - l'une <strong>de</strong> ces ressemblances avec les Juifs;<br />

nous en verrons d'autres. L'éclatement <strong>de</strong> grosses familles autour <strong>de</strong> Ngok<br />

Lituba est sujet <strong>de</strong> tant d'épiso<strong>de</strong>s. Pour certains, c'est à la suite <strong>de</strong><br />

querelles entre frères que beaucoup <strong>de</strong>s branches se sont détachées pour<br />

aller trouver ailleurs où loger soit sa famille, ou encore son bétail. Pour<br />

d'autres, Nkog Lituba, comme tout autre, lieu, n'était qu'une étape <strong>de</strong> cette<br />

longue marche qui, partie du Soudan un jour, peut-être du 5 è siècle, peutêtre<br />

un peu plus tôt, <strong>de</strong>vait les conduire inexorablement jusqu'au bord <strong>de</strong><br />

l'océan Atlantique, lequel a été pour eux un obstacle infranchissable.<br />

Cette barrière <strong>de</strong> l'Atlantique se comprend parce que, d'une part, ils<br />

n'avaient pas jusqu'ici rencontré une telle massa d'eau, et d'autre part,<br />

nous nous approchons <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> époque <strong>de</strong> découvertes où les<br />

envahisseurs venus d'au-<strong>de</strong>là les océans, vont chercher à imposer leurs<br />

lois. C'est ainsi qu'en 1472 précisément, les Portugais, remontant le<br />

Mben<strong>de</strong> (Wuri), rencontreront <strong>de</strong>s populations à qui d'autres donnent pour<br />

nom <strong>Du</strong>ala. Malheureusement, les populations <strong>de</strong> la rivière Kamerun<br />

n'étaient pas composées que <strong>de</strong>s <strong>Du</strong>ala, bien que le mot Mbéatoé soit<br />

mentionné comme étant la crevette qui a donné le nom au pays. En effet, il<br />

se trouve établi par <strong>de</strong>s documents et par la recherche ci-<strong>de</strong>ssus que d'une<br />

part, les <strong>Du</strong>ala ont été reçus au bord <strong>de</strong> Mben<strong>de</strong> par les Basaa, et, d'autre<br />

part ceux-ci. selon leur coutume, avaient cédé les bords du fleuve à leurs<br />

beaux-fils les <strong>Du</strong>ala, parce que ceux-ci étaient <strong>de</strong>s pêcheurs.<br />

Si l'on se réfère à la vie <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> cette époque, où on ne voit que<br />

les noms <strong>de</strong>s chefs basaa, comme Nyal MAHOB, qui habitait le plateau <strong>de</strong><br />

Joss allant du consulat <strong>de</strong> France actuel au palais du Prési<strong>de</strong>nt, on ne peut<br />

que s'étonner du traitement malheureux que certains ont voulu infliger au


ôle que jouaient les véritables maîtres <strong>de</strong> la côte. comme nous l'avons vu<br />

un peu plus haut. Dans les traités signés avec les étrangers, on ne signale<br />

aucun nom Basaa, alors que ceux-ci sont les authentiques maîtres du lieu.<br />

L'explication que nous donnons et qu'on peut vérifier dans la vie sociale<br />

basaa est que les fils <strong>de</strong> NANGA ont toujours tenu les étrangers à leur<br />

groupe pour <strong>de</strong>s êtres inférieurs et, surtout, que ces étrangers étaient <strong>de</strong>s<br />

revenants (Mbôngô = homme noir mort, mais transformé en homme blanc).<br />

Le phénomène que nous soul ignons a été bien observé alors <strong>de</strong><br />

l'installation <strong>de</strong>s phénomènes que nous soulignons a été bien observé lors<br />

<strong>de</strong> l'installation <strong>de</strong>s Allemands au <strong>Ca</strong>meroun et surtout dans ce qu'on<br />

appelait à l'époque le pays Bakoko. Aucun vrai Mbombog (chef héréditaire<br />

<strong>de</strong>s Basaa) n'a répondu à l'appel <strong>de</strong> Dominik à Edéa. Tous ont envoyé les<br />

fils d'esclaves, prétextant qu'en tant que maîtres du pays, il était normal<br />

que seuls les étrangers se déplacent pour aller les rencontrer assis sur leur<br />

trépied, surtout lorsque ces étrangers sont en plus <strong>de</strong>s êtres inférieurs. TI<br />

s'agissait <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> la chefferie.<br />

La <strong>de</strong>uxième observation pour étayer cette thèse s'est présentée à<br />

l'occasion <strong>de</strong> l'envoi à l'école européenne vers 1887 <strong>de</strong>s autochtones;<br />

même jusqu'à 1930, le fils héritier du Mbombog n'était jamais envoyé à<br />

l'école <strong>de</strong>s étrangers. Seuls y furent expédiés les fils <strong>de</strong>s serviteurs du chef<br />

<strong>de</strong> tribu ou ceux dont le père ne tenait pas la mère en estime. Il faut avouer<br />

que cette attitu<strong>de</strong> n1alheureuse a causé à <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s familles citées plus<br />

haut, <strong>de</strong>s torts si profonds qu'aujourd'hui, rares sont les <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong><br />

Mbombog qui dirigent les <strong>de</strong>stinées du peuple basaa.<br />

Revenons un peu en arrière au bord <strong>de</strong> la Liwa, lieu <strong>de</strong> départ vers la<br />

côte: on est en droit <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si entre 500 et 1500, les forêts<br />

Babimi, Edéa, Yabassi et Kribi étaient inhabitées. Loin <strong>de</strong> là, les notes <strong>de</strong><br />

Mgr Raponda Walker du Gabon nous apprennent que ces régions étaient<br />

peuplées <strong>de</strong>s FANG ou Bulu, lesquels furent chassés par <strong>de</strong>s «sauvages<br />

guerriers» <strong>de</strong> Mo<strong>de</strong> Sop et Bilong bi Nlep. <strong>Les</strong> écrits <strong>de</strong> RAPONDA<br />

Walker sont confirmés par la tradition orale <strong>de</strong>s Basaa, eux-mêmes qui,<br />

dans leurs chansons <strong>de</strong> geste. racontent <strong>de</strong> la façon la plus éloquente<br />

comment ils chassèrent les «Libii» (Fang) <strong>de</strong>s forêts <strong>de</strong> Sakdayémé.<br />

Makak et kribi.<br />

Ngok Lituba ayant été le foyer <strong>de</strong> la civilisation basaa au Sud­<br />

<strong>Ca</strong>meroun. l'on peut entrevoir très clairement leur éparpillement vers tous<br />

les coins du <strong>Ca</strong>meroun. <strong>Les</strong> uns traversèrent la Sanaga en maints endroits;<br />

tels furent le cas <strong>de</strong>s Bikok <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> Mbafi, <strong>de</strong>s Ndôg Njee d'Eséka<br />

55


56<br />

<strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> Bakén, <strong>de</strong>s dôl Béa <strong>de</strong> Madak, <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> Béa Jôl, <strong>de</strong>s<br />

Ngase d'Edéa <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> Nsaa, <strong>de</strong>s Ndôk Biso d'Eséka <strong>de</strong>scendants<br />

<strong>de</strong> Soo Nanga, frère <strong>de</strong> Ngé Nanga. D'autres, ensuite, empruntèrent la<br />

forêt, en traversant les collines Banen, les forêts <strong>de</strong> Yabassi et du Haut­<br />

Nkam pour s'établir enfin dans Balen <strong>de</strong> Bafang, les Lôk Ngwang ou<br />

Banen, les Lôk Ngas et leurs sous-familles qui peuplèrent les bords <strong>de</strong><br />

Mbén<strong>de</strong>, après l'étape <strong>de</strong> Pitti. Nous voyons enfin apparaître les directions<br />

vers les col1ines <strong>de</strong> Dôn, il s'agit ici <strong>de</strong>s Bafia ou Bakwak, les Yambassa,<br />

vers le Noun où, se mélangeant avec les Tikar, ils donnèrent naissance à<br />

certaines familles Banen.<br />

De ces vagues successives <strong>de</strong> migrations vers toutes les directions, il<br />

est <strong>de</strong>meuré plusieurs souches au berceau: ce sont les populations du pays<br />

dit Bambimbi actuel, dans lequel se trouve le rocher percé qui a vu tant<br />

d'événements. Ces Bambimbi, cousins <strong>de</strong>s populations citées plus haut<br />

conservent à l'heure actuelle certains usages et coutumes qu'on peut<br />

qualifier d'un peu plus authentiques que ceux qu'on observe par exemple à<br />

Makak, Douala, ou Yabassi. Et cela se comprend d'autant aisément que<br />

malgré la supériorité guerrière <strong>de</strong>s Basaa assimilant <strong>de</strong>s populations<br />

conquises par les armes, ils ont dû copier certains usages rencontrés, ces<br />

<strong>de</strong>rniers étant dûs en gran<strong>de</strong> partie aux mariage mixtes. Le mariage mixte<br />

pour le Basaa est un phénomène nouveau, qui loin d'être l'apanage <strong>de</strong> son<br />

groupe ethnique en matière d'union conjugale.<br />

Nous savons que l'une <strong>de</strong>s ressemblances signalées plus haut avec les<br />

Juifs rési<strong>de</strong> dans le mariage. Se marier en <strong>de</strong>hors du cercle linguistique<br />

n'était pas courant chez les populations basaa. On peut dire, jusqu'ici,<br />

qu'un authentique Basaa épouse toujours une authentique Basaa. <strong>Les</strong><br />

règles relatives à cette institution étant <strong>de</strong> r ordre du religieux, il était<br />

vraiment peu digne d'aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s interdits.<br />

La barrière que constituent r océan et l'arrivée <strong>de</strong>s Européens sur la<br />

côte <strong>de</strong>puis 1472 a finalement eu raison <strong>de</strong> multiples déplacements <strong>de</strong>s<br />

Basaa. Ils vont désormais connaître d'autres vérités que les leurs,<br />

confronter leur conception <strong>de</strong> la société à celle <strong>de</strong>s autres. surtout <strong>de</strong>s<br />

étrangers non africains. Leur intransigeance mélée <strong>de</strong> générosité va être<br />

mise à l'épreuve. Intransigeants ont été nos ancêtres car, partis du bord du<br />

Nil, ils n'ont pu s'acclimater nulle part pour toujours. On remarquera que<br />

toutes les couches qui, jusqu'ici, portent le nom Basaa: Libéria, Sierra<br />

Leone, Togo (nord), Nigeria, Zaïre, Mozambique et Kenya, ne peuvent


58<br />

désigne le Dahomey, le Nigeria et le <strong>Ca</strong>meroun actuels (Mv. P. ] 28). Il<br />

faudra retenir que non content <strong>de</strong> pratiquer le vol sous le couvert<br />

commercial. les Hollandais, poussés par un ministre du culte protestant,<br />

inciteront d'autres hommes à vendre la chair humaine. Quel scandale pour<br />

illustrer la parole <strong>de</strong> celui qui était venu pour sauver la race humaine!<br />

Passant <strong>de</strong>s Hollandais aux Anglais, notre côte sera exploitée<br />

jusqu'au Congrès <strong>de</strong> Berlin par les sujets <strong>de</strong> sa Gracieuse Majesté<br />

Britannique, lesquels, à cause <strong>de</strong> leur fameux « Wait and See », rateront la<br />

première marche <strong>de</strong> la colonisation camerounaise au profit <strong>de</strong>s envoyés du<br />

Kaiser prussien. En 1884, les chefs traditionnels camerounais signeront <strong>de</strong>s<br />

accords <strong>de</strong> protectorat avec les Allemands. En résumé, la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l'histoire <strong>de</strong>s Basaa qui fait partie intégrante <strong>de</strong> l'histoire du Bénin entre<br />

1500 et 1800, est celle qui voit pour la première fois déferler sur le<br />

continent les séquelles du bouleversement du mon<strong>de</strong> dans ses rapports: les<br />

gran<strong>de</strong>s découvertes, tant scientifiques que géographiques, ont, jusqu'aux<br />

côtes camerounaises, <strong>de</strong>s hommes dont ni la langue, ni la culture, ni la<br />

couleur <strong>de</strong> la peau n'avaient jamais fait partie <strong>de</strong> l'univers <strong>de</strong> la Baie du<br />

Biafra.<br />

Des auteurs spécialisés dans l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> nous parlent du<br />

Biafra comme ayant été un grand royaume ou empire selon certains. Aucun<br />

<strong>de</strong> leurs textes ne nous cite l'existence <strong>de</strong>s Basaa, et cependant ceux-ci s'y<br />

trouvaient bien avant la découverte du Wouri en 1472. Pourquoi sont-ils si<br />

absents dans ces documents? Il semble qu'ayant cédé le bord du fleuve<br />

aux nouveaux-venus, les <strong>Du</strong>ala, ils n'aient plus cherché à jouer au rôle<br />

quelconque dans le commerce avec l'étranger. Nous avons expliqué plus<br />

haut le phénomène. Le Basaa est trop imbu <strong>de</strong> sa noblesse et n'entend pas<br />

se faire passer pour un mendiant. Aller au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> l'étranger eût été<br />

contraire à son caractère, et c'est là qu'au lieu <strong>de</strong> jouer le rôle qui lui<br />

revenait dans cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre histoire, il a laissé échapper une<br />

occasion jamais rattrapée jusqu'à nos jours.<br />

Quand nous savons que son territoire s'étendait <strong>de</strong> r Atlantique<br />

jusqu'à la savane <strong>de</strong> Bafia-Tikar, nous comprenons que, plus qu'un autre,<br />

il se considérait comme le maître du pays et tout étranger lui <strong>de</strong>vait respect<br />

et soumission. Cette position si intransigeante est d'autant plus vraie qu'en<br />

1946, un pasteur américain, dans une campagne d'évangélisation en pays<br />

basaa, essuya un cuisant échec auprès d'un vénérable chef coutumier,<br />

Nsegbe Bodog, à qui il reprochait la polygamie et le manque <strong>de</strong> foi en<br />

Dieu. Comme il s'aventura à dire au vieillard que Dieu n'était pas content


<strong>de</strong> lui, il eut cette réponse directe: «Si Dieu est maître dans son<br />

royaume, moi aussi je le suis sur la tombe <strong>de</strong> mon père ». A quoi sert la<br />

colère d'un chef vis-à-vis d'un autre? Le pasteur rapporte qu'il repartit<br />

comme venu, sans parvenir à infléchir la fierté du vieux N segbe qui ne<br />

comprenait pas qu'un chef <strong>de</strong> son statut puisse se plier aux volontés d'un<br />

autre chef.<br />

Nous verrons par la suite, au cours <strong>de</strong>s multiples colonisations, la<br />

résistance opposée à toute entrave à la liberté <strong>de</strong> celui qui se croit « tout»<br />

sur la tombe <strong>de</strong> son père. Le Basaa n'a jamais compris ni admis qu'une<br />

autorité au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> celle du clan (la tombe <strong>de</strong>s ancêtres) fût plus profitable<br />

au grand groupe qu'à sa cellule familiale. Parti <strong>de</strong> Ngok Lituba, un peu<br />

vers la fin du Monyen-Age, on voit notre Basaa installé dans cette zone<br />

côtière qu'on appelle Sawa ou bord <strong>de</strong> la mer. Ici il est mêlé à tout ce qui<br />

caractérise le melting-pot camerounais. Il y vit comme cultivateur, pêcheur<br />

et chasseur. Son commerce avec les Malimba, <strong>Du</strong>ala et Bakoko est très<br />

intense. Beaucoup <strong>de</strong>s produits importés <strong>de</strong>puis 1472 se trouvent déjà<br />

assimilés dans sa consommation journalière: rhum, sel, pagnes,<br />

verroteries, ustensiles <strong>de</strong> cuisine, etc.<br />

<strong>Les</strong> premiers Européens disent <strong>de</strong> lui qu'il est «socialement<br />

évolué »17 mais peu malléable.<br />

Cela part du caractère trop marqué <strong>de</strong> sa société à classes; on peut<br />

même parler <strong>de</strong> castes. Cette société du type patriarcal est fondée sur le<br />

droit d'aînesse, et <strong>de</strong> l'aîné <strong>de</strong> la famille à l'esclavage intégré, l'on compte<br />

neuf classes bien hiérarchisées, d'où le proverbe bien connu dans<br />

l'étiquette réglant les rapports entre individus qui exprime cette réalité<br />

Mbok dinoo di moo : la société ressemble aux doigts d'une main, les uns<br />

sont grands. les autres petits.<br />

Nous noterons avec juste raison que le <strong>Bassa</strong> parti <strong>de</strong> la savane <strong>de</strong><br />

Ngok Lituba, ayant rencontré bien d'autres sociétés. ne gar<strong>de</strong> plus tous les<br />

éléments spécifiques <strong>de</strong> sa culture. C'est ainsi que chez les Basaa dits<br />

Buala, sur les bords du Mbend, les noms et les habitu<strong>de</strong>s épousent ceux <strong>de</strong>s<br />

<strong>Du</strong>ala qu'ils ten<strong>de</strong>nt à imiter, cependant que le nom patronymique, la<br />

désignation clanique restent typiquement Basaa, avec quelques altérations,<br />

telle que: Ndôg Hém au lieu <strong>de</strong> Nfôg Ném comme à Babimbi par<br />

exemple. De ce Basaa, il sera trop peu question durant la colonisation<br />

germano-française. Ceci nous amène à parler <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> 1884-1960.<br />

17 Nicol Yves, <strong>Les</strong> Bakoko, La Rose, Paris, 1929<br />

59


60<br />

CYCLE 6: LA COLONISATION GERMANO-FRANÇAISE(1846-1960)<br />

Pour la commodité <strong>de</strong> l'exposé, on peut diviser la pério<strong>de</strong> en 2<br />

parties: 1884-1916 et 1916-1960.<br />

a- La pério<strong>de</strong> alleman<strong>de</strong> (1884 - 1916)<br />

Nous savons que parmi les six gran<strong>de</strong>s explorations menées au<br />

<strong>Ca</strong>meroun par les Allemands <strong>de</strong> 1885 - 1907, <strong>de</strong>ux ont touché le pays<br />

basaa. Il s'agit d'abord <strong>de</strong> l'expédition du capitaine KUND et du lieutenant<br />

TAPPENBECK vers l'Est, jusque chez les Bakoko (1887)18. Au cours <strong>de</strong><br />

cette expédition, T APPENBECK atteint le confluent du Mbam et <strong>de</strong> la<br />

Sanaga et rejoint la côte pour y mourir d'épuisement (1889).<br />

La <strong>de</strong>uxième expédition est celle <strong>de</strong> CURT Morgen accompagné <strong>de</strong><br />

ZENKER. Elle part <strong>de</strong> Yaoundé le 30 Novembre 1889 pour le pays <strong>de</strong>s<br />

Voutés (Babouté), le Mbam, les Tchinga et les Beti contre lesquels il doit<br />

combattre avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre la Sanaga jusqu'à Edéa. Cette installation<br />

<strong>de</strong>s Allemands va non seulement se heurter à <strong>de</strong>s souverains côtiers qui<br />

sont privés d'une partie <strong>de</strong> leurs revenus, mais encore, dans l'intérieur, à<br />

<strong>de</strong>s populations guerrières acceptant difficilement <strong>de</strong> se soumettre aux<br />

Européens, note avec intérêt CORNEVIN I9 .<br />

Au cours <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> (1885 - 1907), nous rencontrons le nom<br />

Basaa cité dans les expéditions du major Hans DOMINIK. «L'autorité<br />

Alleman<strong>de</strong>, note CORNEVIN, doit faire face à la rébellion <strong>de</strong>s Yaoundé<br />

(1896) et aux troubles chez les Basaa et les Bakoko qui coupent à plusieurs<br />

reprises les communications entre Douala et Yaoundé. »<br />

L'on notera pour mémoire que c'est à cette époque à Kan sur la<br />

Sanaga, dans la province Babimbi, les autochtones livrèrent une <strong>de</strong> ces<br />

gran<strong>de</strong>s batailles qui coûta la vie à plusieurs Allemands. Cette résistance<br />

força le major DOMINIK à construire non loin <strong>de</strong> là, sur un promontoir à<br />

Ndgo Njé, un fort appelé <strong>de</strong> nos jours «Lipénd li Tom », "le fort <strong>de</strong><br />

DOMINIK'. Après cette résistance farouche, les troupes d'Ikong Yab se<br />

disciplinèrent et leur chef s'entendit avec les autorités alleman<strong>de</strong>s. Ce qui,<br />

par la suite, durant la pério<strong>de</strong> 1907 - 1916, lui vaudra beaucoup <strong>de</strong>s<br />

distinctions honorifiques et un vaste territoire, comprenant plus <strong>de</strong> 80<br />

18 Histoire <strong>de</strong> la colonisation alleman<strong>de</strong> par M. CORNEVIN, PUf Paris, 1969 p. 52-53<br />

19 Ibidi p. 63


clans. <strong>Du</strong>rant cette pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong>ux pistes furent tracées: Edéa- Kopongo­<br />

Ngambe Omeg, Edéa - Sakbayémé - Kan - Bafia.<br />

<strong>Les</strong> Allemands introduisirent la cacaoculture, intensifièrent celle du<br />

palmier. Ils créèrent <strong>de</strong>s centres importants tels que EDEA, ESEKA,<br />

MAKAK, LONGONE, KAN OMENG, NYAMBAT. <strong>Les</strong> plus grands<br />

chefs basaa <strong>de</strong> l'époque furent. à Babimbi: IKONG y AP, NBOM,<br />

IKENG, KUMA y A, NGWEM, BALEMA, BIMAI; à Edéa : HIAK,<br />

NKONGA, NDONK BAKENG, TOCKO NGANGO, MBOME PEP; à<br />

Eséka: MTIP ma NDOMBOL, MA YI ma MBEM, MANGELE ma<br />

YOKO, BITJOKA bi TUM. C'est dans cette organisation du pays basaa<br />

que la colonisation française puisera ses cadres les plus valables. Bien<br />

qu'ayant combattu les Allemands, les Basaa n'avaient pas facilement<br />

adopté le nouvel arrivant. Ce qui expliquera la gran<strong>de</strong> résistance autour <strong>de</strong><br />

la ville d'Eséka vers 1916.<br />

b- La pério<strong>de</strong> française (1916-1960)<br />

Elle est la continuation normale <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte, du moins jusqu'en<br />

1948. Le chemin <strong>de</strong> fer du Centre qui s'était arrêté à Njok au temps <strong>de</strong>s<br />

Allemands fut prolongé jusqu'à Yaoundé qu'il atteignit en 1927. La<br />

construction <strong>de</strong> cette ligne ferroviaire a illustré dans le pays basaa ce qu'on<br />

appela à l'époque le régime <strong>de</strong> l' indigénat et <strong>de</strong>s travaux forcés, si bien<br />

qu'indigénat et travaux forcés se confondaient dans l'esprit du Basaa avec<br />

le nom Njok, lieu où les travaux forcés <strong>de</strong> percement <strong>de</strong>s tunnels <strong>de</strong><br />

Songbadjek furent les plus durs et les plus meurtriers.<br />

Le ministre camerounais MANGA MADO a commis un ouvrage sur<br />

la situation <strong>de</strong>s travailleurs sous le régime <strong>de</strong> l'indigénat. C'est au cours <strong>de</strong><br />

cette pério<strong>de</strong> que les Français ont ouvert le poste administratif <strong>de</strong> Ngambe<br />

(1922), dans la localité <strong>de</strong> Babimbi, en décentralisant la circonscription<br />

d'Edéa par un découpage plutôt d'affinité ethnique que territorial. Nous<br />

nous habituerons à partir <strong>de</strong> cette époque aux désignations suivantes:<br />

Babimbi l, Babimbi II, Babimbi III, Bikok, Edéa, Eséka, Ndôg Njee Nord,<br />

Ndog Njee Sud, etc.<br />

<strong>Du</strong>rant cette époque, on ne trouve dans la région aucune gran<strong>de</strong><br />

école. Le Centre <strong>de</strong> certificat d'étu<strong>de</strong>s se trouve au chef lieu <strong>de</strong><br />

circonscription Edéa. Quelques élèves doués seront admis à l'Ecole<br />

Normale <strong>de</strong> Foulassi. créée par les Américains, et d'autres à l'Ecole<br />

Primaire Supérieure <strong>de</strong> Yaoudé. Grâce à ces <strong>de</strong>ux institutions, le pays<br />

61


62<br />

basaa produira un premier contingent <strong>de</strong> diplômés qui vont servir <strong>de</strong><br />

premiers cadres évolués <strong>de</strong> l'ethnie et joueront un rôle très important<br />

pendant et après la Secon<strong>de</strong> Guerre Mondiale. A la déclaration <strong>de</strong> la guerre<br />

par les Al1emands en 1939, les Basaa s' enroleront en masse pour<br />

combattre, aux côtés <strong>de</strong>s Français, les forces armées hitlériennes. Grâce à<br />

cet enrôlement, parvenu à l'indépendance en 1960, le <strong>Ca</strong>meroun comptera<br />

dans ses rangs comme sous-officiers valables, les éléments Basaa, qui<br />

forme à l'heure actuel1e la majeure partie <strong>de</strong>s officiers supérieurs <strong>de</strong> armée.<br />

L' œuvre missionnaire tant protestante que catholique est énorme en<br />

pays basaa. On comptera en 1932, lors <strong>de</strong> la première consécration <strong>de</strong>s<br />

prêtres indigènes, quelque quatre Basaa. La mission protestante formera à<br />

Bibia <strong>de</strong>s pasteurs dont les <strong>de</strong>ux premiers, après la guerre, visiteront<br />

l'Amérique où ils complèteront leur formation à J'Université <strong>de</strong> Princeton.<br />

Parmi ces 2 pionniers se trouvera le pasteur Joseph TJEGA, originaire du<br />

pays basaa. Après la guerre, la première fille diplômée <strong>de</strong> l'enseignement<br />

supérieur sera une Basaa. Il s'agit <strong>de</strong> ma<strong>de</strong>moiselle Marie Biyong, <strong>de</strong>venue<br />

par la suite madame NGAPETH.<br />

Sur le plan <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s idées dues aux bouleversements<br />

apportés par la guerre, les Basaa s'illustreront dans la personne d'un UM<br />

NYOBE Ruben, ex-normalien <strong>de</strong> Foulassi, <strong>de</strong>venu par la suite<br />

fonctionnaire <strong>de</strong> la justice. C'est lui qui, après la création <strong>de</strong> la première<br />

vraie opinion politique <strong>de</strong>s autochtones en 1948, se verra confier la mission<br />

<strong>de</strong> populariser l'idée <strong>de</strong> l'indépendance du <strong>Ca</strong>meroun.<br />

De 1948, date <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> l'Union <strong>de</strong>s Populations du<br />

<strong>Ca</strong>meroun (UPC), à 1958, date <strong>de</strong> sa mort dans le maquis, le nom Basaa<br />

sera connu dans le mon<strong>de</strong> entier, si bien qu'on i<strong>de</strong>ntifiera le mot<br />

indépendance à cette ethnie (en Afrique. en Europe, et même sur les<br />

tribunes <strong>de</strong>s Nations Unies à New-York). Bien que ce courant d'idées ait<br />

eu un mobile noble, les Basaa se verront traités, même par leurs<br />

concitoyens, d'ambitieux, <strong>de</strong> gens du désastre, d'anti-Blancs. Malgré cette<br />

hostilité sauvage et aveugle, les chefs basaa du mouvement<br />

d'indépendance du <strong>Ca</strong>meroun, ne cessèrent leur lutte jusqu'au suprême<br />

sacrifice <strong>de</strong> leur vie pour que le <strong>Ca</strong>meroun, la terre <strong>de</strong> leurs ancêtres, qu'ils<br />

considèrent comme leur propre terre - l'histoire, plus haut. l'a démontré-,<br />

ne soit jamais asservie par les étrangers. Après la mort <strong>de</strong> leur chef et <strong>de</strong> la<br />

plupart <strong>de</strong>s lieutenants celui-ci, <strong>de</strong>ux années après, le <strong>Ca</strong>meroun accè<strong>de</strong> à<br />

la pleine souveraineté, but ultime <strong>de</strong> leur glorieux sacrifice. Nous sommes<br />

en 1960.


Que sont-ils <strong>de</strong>venus et que fon-ils <strong>de</strong>puis cette date? C'est ce que<br />

nous dira le chapitre suivant.<br />

Cycle 7 : DE 1960 A NOS JOURS<br />

Un an après la mort du lea<strong>de</strong>r Ruben Um Nyobe, les Basaa se<br />

ressaisissent autour <strong>de</strong> MA YI MATIP, fils héritier authentique d'un grand<br />

Mbombog du pays basaa. MATIF ma NDOMBOL. Autour <strong>de</strong> celui-ci, les<br />

Basaa se regroupent après une dure épreuve où ils seront diminués et<br />

démunis. Ils vont prêcher la réconciliation d'abord entre aux, ensuite avec<br />

tous les autres antagonistes. principalement les Français et les nouveaux<br />

dirigeants camerounais. Ils acceptent même <strong>de</strong> jouer le jeu <strong>de</strong> la<br />

démocratie.<br />

Une liste patronnée par le même MAYI aux élections partielles dans<br />

leur région en 1959 est plébiscitée. MA YI, NONGA, INACK et MBONG<br />

entrent dans l'assemblée législative. Nous nous approchons <strong>de</strong> la date du<br />

1 er Janvier 1960, jour <strong>de</strong> l'indépendance rêvée <strong>de</strong> tous et pour laquelle le<br />

peuple basaa aura payé cher. Il est trop tôt pour faire le bilan <strong>de</strong> l'action <strong>de</strong><br />

tous les <strong>Ca</strong>merounais concernant cette lutte. Mais d'ores et déjà, à<br />

l'intérieur comme à l'extérieur du triangle camerounais, <strong>de</strong> 1948 à 1960, le<br />

nom Basaa aura été l'un <strong>de</strong>s plus i<strong>de</strong>ntifiables avec le mot<br />

« Indépendance ».<br />

Après ce remue-ménage, ces soubresauts dûs à la quête <strong>de</strong> la liberté<br />

qu'ils estimaient nécessaire pour l'épanouissement <strong>de</strong> leur patrie, ils<br />

participent aujourd'hui à la construction <strong>de</strong> cette patrie pour laquelle ils se<br />

sont tant sacrifiés. Sans entrer dans les détails, on peut dire que l'élément<br />

basaa <strong>de</strong>meure le plus efficace, tant à la conception qu'à la réalisation <strong>de</strong>s<br />

plans qui modifient <strong>de</strong> jour en jour notre République. Il constitue en<br />

quelque sorte le levain <strong>de</strong> la pâte, le fer <strong>de</strong> la lance, bien que n'étant pas<br />

admis aux avant-postes du combat.Tels sont pour l'instant les jalons<br />

historiques <strong>de</strong> la branche basaa, détachée du bord du Nil, on ne sait trop<br />

quand exactement et qui au <strong>Ca</strong>meroun se trouverait <strong>de</strong>puis le Moyen Age.<br />

Nous l'avons suivie pas à pas, du Nord-<strong>Ca</strong>meroun au bord du Wouri. Nous<br />

l'avons vue conquérant <strong>de</strong>s territoires pour installer ses différentes<br />

familles. Nous l'avons vue recevant d'autres populations africaines et leur<br />

laissant quelquefois le monopole <strong>de</strong>s contacts extérieurs.<br />

Nous la retrouvons, après les <strong>de</strong>ux guerres mondiales, renouant avec<br />

son idée <strong>de</strong> liberté. <strong>de</strong> refus <strong>de</strong> l'aliénation et <strong>de</strong> la contrainte extérieure.<br />

63


64<br />

Nous l'avons admirée dans la lutte pour la conservation <strong>de</strong> cette chose si<br />

nécessaire à toute évolution harmonieuse: la liberté. Nous la retrouvons<br />

aujourd 'hui, au cœur <strong>de</strong> l'indépendance retrouvée, reprenant son calme, en<br />

poussant la roue par ici et en tirant la gâchette par là, pour que vive la<br />

République camerounaise. Après avoir réussi à ramener le calme là où<br />

encore existaient les querelles du désordre qu'il avait contribué à<br />

provoquer et pour cause, le Basaa actuel s'acharne à la recherche <strong>de</strong><br />

l'authenticité du mon<strong>de</strong> noir.<br />

Des thèses <strong>de</strong> doctorat sur les éléments culturels authentiques du<br />

passé se soutiennent avec, comme fon<strong>de</strong>ment, la culture basaa. Tous les<br />

aspects <strong>de</strong> la culture africaine précoloniale au <strong>Ca</strong>meroun sont abordés par<br />

les éléments basaa <strong>de</strong> l'Université et dans tous les cercles savants du pays.<br />

Sans préjuger <strong>de</strong> l'avenir, on peut pourtant être sûr d'une chose: c'est que<br />

si cette recherche continue, et elle continuera sans doute, dans quelques<br />

années, en parlant <strong>de</strong> la culture camerounaise, on sous-entendra la culture<br />

basaa. Ainsi donc, nous essayerons, dans les pages qui suivent, d'analyser<br />

certains aspects <strong>de</strong> cette culture, telle qu'elle a été conçue par le Basaa<br />

antique et transmise <strong>de</strong> génération en génération non par une conservation<br />

classique, c'est-à-dire celle écrite, mais par une force assimilatrice et<br />

dynamique: la tradition orale. Grâce à cette tradition orale, l'on évaluera la<br />

somme <strong>de</strong>s connaissances qui faisaient la richesse <strong>de</strong> cette culture<br />

embrassant tous les domaines <strong>de</strong> la vie d'un homme, dans les sites les plus<br />

divers et les moments les plus historiques <strong>de</strong> son existence.<br />

Dès lors, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment, cet homme, qu'on a suivi au<br />

cours <strong>de</strong> ses multiples déplacements, vivait et sur quoi il avait basé son<br />

mo<strong>de</strong> d'existence. C'est cette somme <strong>de</strong> compilations qui constituera la<br />

trame <strong>de</strong> la troisième section.<br />

111- LE MODE DE VIE ET LES OCCUPATIONS<br />

L'on notera qu'à partir <strong>de</strong> ce chapitre nous ne présenterons le Basaa<br />

que selon la tradition orale, tel qu'il a vécu, organisé sa vie, conçu son<br />

mon<strong>de</strong>, réglé ses rapports avec tout son environnement. Selon le titre<br />

donné par l'UNESCO, il s'agit plutôt <strong>de</strong> présenter le Basaa dans sa totalité<br />

et non <strong>de</strong> laisser dormir un côté <strong>de</strong> son existence, parce que rétrogra<strong>de</strong> ou<br />

négative. Nous essayons, dans le cadre <strong>de</strong> ce travail, <strong>de</strong> présenter au mon<strong>de</strong><br />

cet Africain qu'on appelle le Basaa tel qu'il a vécu et vit encore<br />

actuellement. Comme nous r avons signalé, plus haut, nous ne donnerons


pas ici <strong>de</strong> recettes d'une vie imaginaire, mais celles d'une époque vécue<br />

dans un espace donné. Et pour qu'on parvienne aujourd'hui à comprendre<br />

les réactions <strong>de</strong>s Basaa <strong>de</strong>vant tel ou tel phénomène, il faut faire une<br />

excursion vers leur passé que nous connaissons déjà, grâce aux<br />

investigations du chapitre II sur leurs données historiques. A la fin <strong>de</strong> ce<br />

chapitre, nous nous sommes posé <strong>de</strong>ux questions: d'une part, quel était le<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s Basaa ? Quelles étaient leurs occupations?<br />

Le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> production du Basaa antique, comme celui <strong>de</strong> tous les<br />

Africains, reposait sur certains impératifs, d'ordre religieux entre autres.<br />

Un mauvais présage dès J'entrée dans la forêt, soit pour aller chasser,<br />

pêcher, ou ramasser les fruits, le dispensait <strong>de</strong> tout effort inutile au cours<br />

<strong>de</strong> la journée, car l'explication qu'il se donne lui-même ou par<br />

l'intermédiaire d'un <strong>de</strong>vin est celle-ci: cet acte qu'il veut entreprendre n'a<br />

pas reçu l'agrément du mon<strong>de</strong> invisible. N'oublions pas que le Basaa obéit<br />

à une double vie, celle <strong>de</strong>s vivants et celle <strong>de</strong>s morts.<br />

Le milieu culturel dans lequel il évolue lui apprend que quoiqu'il<br />

fasse - qu'il prépare ses plantations, construise sa case, aille à la chasse ou<br />

à la pêche, ou même en promena<strong>de</strong> -, il doit s'assurer avant tout <strong>de</strong><br />

l'acquiescement <strong>de</strong>s ancêtres.<br />

C'est ainsi que beaucoup d'Européens qui ont constaté que les<br />

Africains passaient <strong>de</strong>s journées entières dans leurs cases à palabrer, à<br />

boire du vin, étendus sur leurs nattes, ont crié à la paresse <strong>de</strong>s Noirs, sans<br />

comprendre, au fond, ce qui dans l'environnement était la cause <strong>de</strong> cette<br />

vraisemblable farniente ou dolce vita. Et bien, le Basaa qui habite la forêt<br />

était <strong>de</strong> ceux-là. Seulement, c'est à tort qu'on pouvait le taxer <strong>de</strong><br />

paresseux.<br />

Le Basaa est essentiellement agriculteur. 11 n' y a pas travail plus<br />

pénible, plus dur, plus fatigant que rabattage <strong>de</strong>s arbres, au début <strong>de</strong> la<br />

gran<strong>de</strong> saison sèche, pour la préparation <strong>de</strong>s plantations avec une petite<br />

hache et un bout <strong>de</strong> machette. Remarquons que ses plantations sont<br />

nombreuses, qu'il ait une seule ou plusieurs femmes. La coutume veut<br />

qu'il ait sa propre plantation, celle <strong>de</strong> sa mère, celles <strong>de</strong> ses sœurs s'il en a,<br />

et bien sûr, celles <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong> ses femmes. Heureusement que dans ce<br />

genre d'occupations, il a dû trouver <strong>de</strong>s solutions, celle par exemple qui<br />

consiste à faire partir d'une coopérative appelée yum, ou d'une association<br />

<strong>de</strong> classe d'âge, appelée sega.<br />

Des hommes <strong>de</strong> même âge, sega ou <strong>de</strong> même village, yum, avec<br />

leurs haches et leurs machettes, abattent <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s étendues <strong>de</strong> forêts qui,<br />

65


Dès que les arbres sont abattus, leurs troncs dégagés, l'herbe et le<br />

menu branchage brûlés, l'homme cè<strong>de</strong> la place à sa ou ses femmes.<br />

L'homme basaa ne cultive jamais la terre. C'est un interdit religieux et une<br />

croyance due au rapport qui existe entre la fécondité <strong>de</strong> la terre et celle <strong>de</strong><br />

la femme. La terre chez les Basaa est une déesse <strong>de</strong> la fécondité, <strong>de</strong> la<br />

bonté, <strong>de</strong> la tendresse, tous traits qui caractérisent une bonne mère.<br />

Dans la culture du macabo, nourriture <strong>de</strong> base <strong>de</strong>s Basaa, la femme<br />

imite l'homme dans sa façon <strong>de</strong> travailler en groupes. Ses propres<br />

associations ont pour noms bambala (groupe <strong>de</strong> toutes les épouses d'un<br />

homme ou <strong>de</strong>s hommes d'un même clan), bakoko (groupe <strong>de</strong>s femmes<br />

appartenant à la confrérie <strong>de</strong> l'escargot, 'koo' dont entrée nécessite<br />

certaines vertus cardinales, entre autres celle d'être chaste, c'est-à-dire <strong>de</strong><br />

ne jamais coucher avec un homme autre que le mari légitime. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />

cette occupation principale, l'agriculture, venait la construction <strong>de</strong>s cases,<br />

où l'homme pose les fondations, monte les charpente, pose la toiture,<br />

attache les bambous aux poteaux sur lesquels les femmes viendront, après<br />

malaxage du torchis, élever les murs.<br />

La construction chez les Basaa est simple. L'homme, aidé <strong>de</strong> ses fils,<br />

frères ou « sega », coupe les piquets dans la forêt en prenant soin <strong>de</strong> choisir<br />

ceux qui soutiendront les quatre coins. S'il est jeune, il appelle un<br />

architecte qui, avec une longue cor<strong>de</strong> et quatre poteaux, donnera une forme<br />

à la future habitation qui. chez le Basaa, épouse toujours la forme<br />

rectangulaire.L'homme grimpe au palmier soit pour l'émon<strong>de</strong>r, soit pour<br />

cueillir les régimes <strong>de</strong> noix que sa femme prendra soin <strong>de</strong> dépulper pour<br />

extraire <strong>de</strong> l'huile. Elle concassera les aman<strong>de</strong>s pour en retirer les<br />

palmistes qu'elle vendra au marché, atin <strong>de</strong> remettre le produit <strong>de</strong> sa vente<br />

à son mari.<br />

Le Basaa chasse non pour le plaisir <strong>de</strong> chasser, mais par nécessité.<br />

Pour compléter son équilibre alimentaire en azote, lui qui n'est pas un<br />

grand éleveur, doit chasser le gibier par plusieurs moyens. Jadis, avant<br />

l'arrivée <strong>de</strong>s Européens, les Basaa fabriquaient et utilisaient le fusil à pierre<br />

« tjap ngaa ». La chasse chez les Basaa se pratiquait à l'affût ou à course à<br />

l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s chiens « nsombi ugwo ». Ils employaient non seulement le fusil<br />

mais aussi l'arc «mpir-lôngô », arbalète, «mpan », la fron<strong>de</strong> « ndamb »,<br />

etc. Le moyen le plus répandu était le piégeage, « amb ». Il y avait le piège<br />

à lacet « nsum », à assomoir « lihéé », à trappe « mamb » et à fosse « bee ».<br />

En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ces occupations, les Basaa du bord <strong>de</strong> la Sanaga<br />

pratiquaient la pêche à souhait, à la masse, au filet, à la sagaie ou à<br />

67


68<br />

l'hameçon. Il s'agit ici <strong>de</strong> la pêche masculine, mais les femmes aussi<br />

pratiquaient une sorte <strong>de</strong> pêche qu'on appelle og et qui consistait à<br />

assécher le cours d'une rivière, surtout aux endroits profonds, et <strong>de</strong><br />

capturer, à l'ai<strong>de</strong> d'un grand tamis, crabes, crevettes et petits poissons. On<br />

pratiquait même une pêche commune aux hommes et aux femmes, le<br />

Nkôma, utilisation <strong>de</strong> décoctions d'herbes vénéneuses qui affolent<br />

momentanément les poissons. Bien que l'habitat basaa soit la forêt, il<br />

élevait plutôt caprins et ovins parce que moins difficiles à nourrir. Le<br />

Basaa n'a aucun goût à l'élevage. On trouve cependant à l'état libre poules,<br />

canards, chiens, chats et même <strong>de</strong>s porcs qui se débrouillent eux-mêmes<br />

pour trouver leur pitance journalière.<br />

Ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie qui est basé sur l'agriculture, la chasse, la pêche et le<br />

ramassage ne connaît pas <strong>de</strong> spéculations commerciales avec vocation <strong>de</strong><br />

faire du capital. Le surplus <strong>de</strong> la production sert souvent à entretenir <strong>de</strong>s<br />

parasites: oncles et cousins besogneux. Le petit bétail complètera la dot.<br />

<strong>Les</strong> vraies transactions commerciales reposent sur le troc. Cependant, à ce<br />

sta<strong>de</strong>, le Basaa connaît déjà le système <strong>de</strong> courtage, <strong>de</strong> cOlnmissions, qu'il<br />

appelle mél. C'est le prix <strong>de</strong>s efforts faits par un homme pour amener un<br />

acheteur à acheter et un ven<strong>de</strong>ur à lui vendre la marchandise après <strong>de</strong> longs<br />

débats. Comme le Basaa aime le verbe, il excellait dans cette tâche <strong>de</strong><br />

courtier. Le goût du gain est apparu à l'arrivée <strong>de</strong>s Européens avec les<br />

marchandises apportées d'Europe.<br />

A partir <strong>de</strong> ce moment, la production va se modifier ainsi que les<br />

techniques, et l'activité domestique tendra vers la répartition judicieuse du<br />

travail avec idée <strong>de</strong> rentabilité. Ainsi les anciens métiers tels que la poterie,<br />

la réparation <strong>de</strong>s nasses, le tannage <strong>de</strong>s peaux, la construction <strong>de</strong>s cases, la<br />

fabrication <strong>de</strong>s ustensiles <strong>de</strong> cuisine, vont cé<strong>de</strong>r la place à <strong>de</strong> nouvelles<br />

formes d'occupations au fur et à mesure que pénètre une autre civilisation.<br />

L'on verra briquetiers, maçons, charpentiers, ébénistes, qui, formés dans<br />

les chantiers européens, vont rentrer dans leurs villages et imiter la façon<br />

du Blanc <strong>de</strong> construire, ou <strong>de</strong> fabriquer chaises, tables ...<br />

De 1900 à 1922, les Basaa vont intensifier la culture du cacaoyer qui<br />

fera la richesse <strong>de</strong> la région au même titre, sinon plus, que le palmier à<br />

huile. Ce goût du gain pousse bon nombre <strong>de</strong>s jeunes ayant reçu une<br />

instruction primaire dans les écoles à rechercher les emplois <strong>de</strong> bureau:<br />

commis, interprètes, clercs <strong>de</strong> boutiques, etc. Certains vont même <strong>de</strong>venir<br />

agents commerciaux ou traitants installés à leur compte dans les centres <strong>de</strong><br />

brousse. La division du travail <strong>de</strong> jadis où le père débroussaille un coin <strong>de</strong>


forêt, la mère cultive le même coin pour produire le macabo. la banane<br />

plantain, les légumes, les enfants s'occupant <strong>de</strong> leurs petits frères et sœurs<br />

ou allant puiser l'eau, a cédé petit à petit la place et tendra vers un autre<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie adapté à une autre époque, celle dite mo<strong>de</strong>rne. On verra plus<br />

tard ce qu'elle a donné à la société globale. avec ses écoles. ses moyens<br />

faciles <strong>de</strong> déplacement, ses multiples possibilités <strong>de</strong> contacts,<br />

l'introduction <strong>de</strong> la monnaie fiduciaire, source pour ainsi dire <strong>de</strong> tous les<br />

bouleversements heureux ou malheureux pour les Basaa et leur<br />

organisation socio-politique.<br />

69


CHAPITRE III<br />

L'ORGANISATION SOCIO­<br />

POLITIQUE


74<br />

terme <strong>de</strong> totalisation, on fait remplacer b par p et on obtient pok, ou vice<br />

versa; <strong>de</strong> pok, on fait bok : arranger, d'où MBOK : totalité qui arrange, et<br />

qui préexiste et survit à l'individu. MBOK est parti donc <strong>de</strong> cette idée <strong>de</strong><br />

commencement, <strong>de</strong> primogéniture, <strong>de</strong> pouvoir d'organisation.<br />

Ainsi, pour le Basaa, au moins à partir <strong>de</strong> cette charte, le MBOK<br />

connote le pays dans sa totalité, comprenant hommes, animaux, arbres,<br />

fleuves, institutions sociales, économiques et politiques. C'est le concept<br />

qui totalise le corps global <strong>de</strong> l'ethnie. Comme l'on peut facilement le<br />

remarquer, il ne s'agit ni d'ossements, ni d'oligarchie fétichiste, mais <strong>de</strong><br />

quelque chose qu'on peut appeler vital pour le Basaa d'hier et<br />

d'aujourd'hui, puisque ni l'un ni l'autre ne peut se passer du concept pour<br />

organiser rationnellement sa vie et celle <strong>de</strong> son groupe, si petit soit-il.<br />

Dans la charte, nous relevons 3 catégories <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs et d'obligations<br />

parmi les 9 articles. Le jeune homme qui atteignait l'âge <strong>de</strong> la circoncision<br />

et qui, par l'initiation, entrait dans la société <strong>de</strong>s adultes, <strong>de</strong>vait prêter<br />

semlent <strong>de</strong> cette façon :<br />

Je m'engage à protéger:<br />

1. Nwa Mbok [DeVOirs <strong>de</strong> protection, d'obéissance et d'aSSistance]<br />

2. Man Mbok <strong>de</strong>s personnes physiques (femmes, fils et hommes<br />

3. Mbombok du peuple)<br />

4. Tjom di mbok<br />

5. Mis ma mbok<br />

6. Nin Mbok<br />

7. Mbenda Mbok<br />

8. Nkaa - Mbok<br />

9. Mbok i Mbok<br />

[<br />

[<br />

Devoirs <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s biens et <strong>de</strong> la]<br />

vie (choses, décisions et vie du groupe)<br />

Devoirs <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>s ]<br />

institutions (loi. justice et droit)<br />

Si l'on représente cette institution (figure n02) sur le plan graphique,<br />

l'on remarque que socialement, le Mbok Basaa comprend:<br />

a- Ndap : lien <strong>de</strong> sang<br />

b- Mbai : lien <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong> sang<br />

c- Lihaa : lien <strong>de</strong> sang, pas forcément <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce<br />

d- Liten : lien <strong>de</strong> sang, rarement <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce


e- Pes Mbok ou Lon: lien géographique (région)<br />

f- Mbok : sens sacré <strong>de</strong> patrie<br />

Ndap : Lien <strong>de</strong> sang<br />

Politiquement. le fonctionnement <strong>de</strong> l'institution chez le Basaa<br />

précolonial se résume comme suit :<br />

<strong>Les</strong> familles sont groupées et réparties sous l'autorité <strong>de</strong>s<br />

Bambombok, et ceux-ci soumis à leur Nkaambok. Le Nkaambok tient<br />

son pouvoir d'une assemblée du Mbok suivant les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> la figure n02.<br />

Et ce pouvoir dépend <strong>de</strong> cette institution, donc cet ordre ne peut être<br />

qu'hiérarchique. Il y a autour <strong>de</strong> lui le corps <strong>de</strong>s prêtres. gardiens <strong>de</strong>s<br />

usages du pays, dont l'autorité, tantôt manifeste. tantôt occulte, s'impose<br />

au Nkaambok lui- même.<br />

Le pouvoir du Nkaambok s'exerce dans la limite du droit coutumier.<br />

Il est tempéré par les Ministres ou Dikoo di mbok. chef <strong>de</strong>s familles<br />

primaires au niveau <strong>de</strong> chaque portion territoriale et dans les assemblées au<br />

sein <strong>de</strong>squelles se débattent certaines questions politiques et juridiques.<br />

75


76<br />

Le système global prend la configuration suivante ci-<strong>de</strong>ssous (figuren03) :<br />

Expliquons ce schéma :<br />

Le petit cercle du milieu connote cette réalité totalisante et<br />

transcendantale autant qu'est le MBOK en tant que globalité.<br />

<strong>Les</strong> ordres <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur dans le pouvoir d'organiser et <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>ler<br />

l'ensemble partent d'abord <strong>de</strong>s hommes religieux, Bayimam, qui. dans<br />

cette société, occupent la première place bien que souvent effacés. Cette<br />

apparence d'un pouvoir diffus fait penser à <strong>de</strong>s sociétés dites secrètes.<br />

Cette catégorie <strong>de</strong>s citoyens entoure les Bakaamkok (maîtres temporels)<br />

<strong>de</strong> leurs conseils et avis dans le gouvernement <strong>de</strong> leur unité familiale.<br />

L'on verra que les groupes 1 et 2 sont désignés ici sous le nom<br />

commun <strong>de</strong>s Bambombok, parce que la réalité du pouvoir rési<strong>de</strong> dans<br />

leurs mains, grâce à leur naissance non contestée. Ils <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt tous d'un<br />

même ancêtre et se classent suivant l'ordre <strong>de</strong> naissance. Nous rappelions<br />

plus haut que la société basaa était d'essence patriarcale et agnatique.<br />

La <strong>de</strong>rnière classe est celle du peuple tout entier qui comprend même<br />

les étrangers, les esclaves nés ou achetés, les femmes et les enfants.


78<br />

Telle que présentée plus haut, la société autour du MBOK, comme<br />

ciment, fonctionnait suivant le système lignager sous les trois conditions<br />

expresses suivantes:<br />

Pour être consacré comme Mbombok, il fallait possé<strong>de</strong>r:<br />

- un territoire connu,<br />

- une autorité lignagère connue,<br />

- une ascendance noble connue.<br />

Ces trois critères sont exprimés dans la charte ci-<strong>de</strong>ssus.<br />

Territorialement, tout Basaa doit nécessairement possé<strong>de</strong>r ou<br />

montrer, suivant le tableau ci-<strong>de</strong>ssous, au moins une partie du territoire où<br />

lui-même ou ses ancêtres s'étaient fixés.<br />

Ainsi, <strong>de</strong> WOM 23 , espace territorial mis en valeur par l'individu,<br />

jusqu'à HISI, terre Oll l'on s'est fixé, il y a chez les Basaa 9 mo<strong>de</strong>s<br />

d'occupation du sol. Lorsque dans cette société on appelle quelqu'un<br />

Mbombok, ou fils <strong>de</strong> Mbombok, on sous-entend qu'il a une possession<br />

immobilière. Et <strong>de</strong> cette attribution peut découler l'autorité lignagère,<br />

laquelle débouchera sans doute sur la <strong>de</strong>scendance agnatique. Le rapport<br />

<strong>de</strong>s classes ou castes est né <strong>de</strong> cette situation, et c'est ce qui expliquera<br />

l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s statuts socio-politiques.<br />

11- LE FONCTIONNEMENT:STATUTS SOCIO-POLITIQUES<br />

Parler <strong>de</strong> l'organisation <strong>de</strong> la société basaa traditionnelle, c'est<br />

immédiatement toucher à un problème politique, celui <strong>de</strong> l'ordre, <strong>de</strong><br />

r organisation étatique telle qu'on r observe dans les sociétés mo<strong>de</strong>rnes et<br />

laquelle découle d'une partie d'un droit qui est global. Ce droit global qui<br />

comprend l'ensemble <strong>de</strong>s coutumes et <strong>de</strong>s lois ou interdits, forme en<br />

quelque sorte l'armature <strong>de</strong> la société, « le précipité d'un peuple» comme<br />

dit Portalis. Mais existait-il avant la colonisation? C'est ce que nous<br />

essayerons <strong>de</strong> voir dans cette section 2.<br />

Dans ce précipité, il y a le caractère d'intimité et <strong>de</strong> communauté, le<br />

phénomène moral qui découle lui-même <strong>de</strong> l'usage fondamental <strong>de</strong>s<br />

précé<strong>de</strong>nts coutumiers, car sans vie morale il n'y a pas <strong>de</strong> vie commune, et<br />

pour vivre en commun, il faut certaines limites à certaines choses; c'est la<br />

notion d'obligation créatrice, d'institutions régulatrices: l'Etat. Pouvait-on<br />

ou peut-on parler d'Etat dans le fonctionnement du groupe basaa d'alors?<br />

23 Voir tableau <strong>de</strong>s champs familiaux (tableaux n° 1).


80<br />

comme tel, le Nkaanlbok ou Nten, n'est que le père du clan, <strong>de</strong> la tribu,<br />

qui a plusieurs noms suivant le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> représentation: Isan Mbai<br />

(famille), Isan Nkan (village), Isan Lon (tribu), ou Isan Mbok (ethnie ou<br />

sous-ethnie). Ce sont ces personnalités qui forment le gouvernement à<br />

differents niveaux.<br />

Comme chez les Celtes, le chef, à chaque niveau, est éponyme: il<br />

incarne à la fois l'ancêtre, le clan, la famille, l'autorité civile, religieuse et<br />

militaire. Et autour <strong>de</strong> lui, il a <strong>de</strong>s nobles qui ont le même sang que lui<br />

(frères, cousins, neveux, oncles) parce qu'eux aussi <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

l'ancêtre. Ce sont ceux qui forment ce qu'on a appelé les Bet Mbok (les<br />

maîtres du terroir), en opposition aux Balolo (les étrangers <strong>de</strong> toutes<br />

conditions: captifs, esclaves, affranchis, immigrants, etc.).<br />

Dans cette démocratie qu'on peut appeler «nobiliaire », il y a la<br />

société <strong>de</strong>s anciens, les Dikoo di Mbok, qui, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> Nkaanlbok,<br />

peuvent prétendre à la place <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>r dès qu'il y a vacance; par contre, les<br />

ca<strong>de</strong>ts <strong>de</strong>s familles peuvent assister aux assemblées délibératives mais sans<br />

voix, et ne peuvent remplacer les autres <strong>de</strong> leur vi vant.<br />

Ces assemblées qui portent le nom <strong>de</strong> Likoda, ou Borna Mbok, sont<br />

l'organe politique suprême <strong>de</strong>s Basaa, qu'elles siègent sur le plan clanique,<br />

tribal, ou même, parfois, ethnique: c'est le parlement.<br />

<strong>Les</strong> mots Likoda et Borna viennent du verbe Kod: rassembler,<br />

réussir. S'il y a réunion, il faut qu'il y ait quelqu'un qui la convoque, et<br />

pour qu'il y ait rencontre, conséquence d'une convocation, il faut qu'on<br />

soit convoqué, et que le lieu <strong>de</strong> la réunion soit connu, et même quelquefois<br />

son objet. Ce rôle est dévolu au Nkaambok assisté <strong>de</strong> son état-major, les<br />

Dikoo di Mbok.<br />

Comme nous le verrons par la suite, il y a dans ces réunions qui sont<br />

périodiques une étiquette régulière: un certain apparat, un endroit<br />

approprié, le droit à la parole, le droit d'accord et <strong>de</strong> désaccord, et les<br />

signes distinctifs <strong>de</strong>s participants. Que reste-t-il ici d'un parlement<br />

mo<strong>de</strong>rne?<br />

Pour mieux comprendre l'organisation socio-politique <strong>de</strong>s Basaa,<br />

passons directement à la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l'Etat, <strong>de</strong> ses représentants, du<br />

conseil, du parlement, <strong>de</strong>s lois constitutionnelles, <strong>de</strong> la capacité juridique<br />

d'être député, <strong>de</strong>s prérogatives attachées à la dignité <strong>de</strong> Mbornbok.


II.2. Approche étatique<br />

Il est dit dans la charte institutionnelle présentée plus haut (cf.I<br />

chap3):<br />

2.1 De la citoyenneté<br />

Sont citoyens basaa ceux qui traversèrent la Liwa ou naquirent à<br />

Ngok Lituba ou leurs <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> parents non esclaves ou captifs, ou<br />

ceux qui auront acquis, après naturalisation rituelle <strong>de</strong>vant rassemblée<br />

réunie, le titre <strong>de</strong> Nsaa. Tout cet ensemble constituera le Mbok. Son rôle<br />

essentiel sera <strong>de</strong> perpétuer la race et <strong>de</strong> respecter la tradition basaa.<br />

Tout ce que le Mbok déci<strong>de</strong>ra téii, interdira kila, légiferera témbén<br />

sera respecté et observé comme bien commun <strong>de</strong> la tribu; c'est pour cela<br />

que nous disons aujourd'hui: «Mbon wog, minson mi yihga », «les<br />

pères meurent, les fils les remplacent ». Voici le préambule <strong>de</strong> la charte<br />

traditionnelle <strong>de</strong>s Basaa approuvé à Ngok Lituba après l'installation.<br />

L'intérêt et le but <strong>de</strong> cette décision solennelle ont pour objet la continuité<br />

du peuple basaa, sa survie.<br />

Le même jour que fut décrétée cette loi fondamentale, les<br />

ordonnances suivantes furent prises en vertu <strong>de</strong> ce dicton:<br />

1- Nwaa mbok : la femme appartient au peuple. Tu ne l'abandonneras.<br />

2- Manyo ma mbok : les décisions du peuple tu ne les casseras.<br />

3- Mis ma mbok : les yeux du peuple, tu y feras attention.<br />

4- Mhenda mbok : la loi du peuple, tu la respecteras.<br />

5- Nkaa mbok : le père du peuple, tu reconnaîtras.<br />

6- Mbombok : le vieux du peuple, tu obéiras.<br />

Parce que «Mbok kwog, mbok nyodag »(le peuple tombe, mais<br />

toujours se relève et rajeunit et ne meurt jamais).<br />

1) Si un homme bat un vieux du peuple, il sera sanctionné.<br />

« Ibale mut a njos MBAMBOK, ba je nye kwag, a mbok hala yaga? Mbok<br />

hoom!24<br />

2) Celui qui frappe son père, sa mère ou un vieux <strong>de</strong> même âge, qu'il soit<br />

sanctionné.<br />

« Mut a bép isafi to nyan, to man mut sega yap, wee a nkôs kwag' Mbok<br />

hoom!<br />

24 L'expression Mbok boom! indique l'approbation unanime.<br />

81


82<br />

3) Celui qui tuera sa femme, son fils ou un esclave, Mbok le sanctionnera.<br />

« Mut a nol nwaa, to nkol wé, mbok nôgôs nye. Mbok hoom !<br />

4) la femme qui connaîtra le Ngé ou cherchera à regar<strong>de</strong>r quelque autre<br />

divinité en face, aura affaire avec le Mbok.<br />

« Muda a yi Ngé to linun sat pe ni mis, a gwé hop ni MBOK. Mbok hoom !<br />

5) Tout crime crapuleux doit être affaire <strong>de</strong> MBOK.<br />

«Jam libe li kwo lonn Mbok yon i nsomjo, Mbok hoom!<br />

6) La femme qui mangera un animal interdit (panthère. phacochère,<br />

poisson) aura affaire à MBOK.<br />

« Muda a je yom kila : njée. tjobi a gwéé hop ni MBOK. Mbok hoom !<br />

7) Au cours d'une lutte, d'un duel. d'une guerre, s'il y a eu blessure ou<br />

meurtre, seul MBOK procé<strong>de</strong>ra au rite <strong>de</strong> purification.<br />

« Ngéda santo gwét, ndi ndô pam, MBOK yon i nyén isi. i kan jomb ni<br />

sayab. Mbok hoom.»<br />

8) Chaque individu doit soumission et obéissance totales au MBOK.<br />

« Hi mut a nlama nôgôl Mbok ni suhene yo nyuu. Mbok hoom !»<br />

9) Si un homme a une palabre avec MBOK, il faut chercher à se purifier<br />

par le rite <strong>de</strong> purification, sinon MBOK le regar<strong>de</strong>ra.<br />

«U bag beba ni Mbok, u nana say ba nlo bé. Mbok 1 nol bé we. ndi 1<br />

nkahal we béba liemb Mbok hoom!»<br />

10) Tu ne te moqueras pas <strong>de</strong> MBOK.<br />

« U tahbenege ban Mbok ».<br />

1 1) Tu gar<strong>de</strong>ras comme sacrées toutes ces prescriptions.<br />

«Honol mam mana unok len. i kolba ni MBOK. A MBOK hala yaga?<br />

Mbok hoom! »<br />

Ces prescriptions qui furent édictées <strong>de</strong>vant le peuple réuni après le<br />

passage <strong>de</strong> la Liwa constituent l'essentiel, le fon<strong>de</strong>ment inviolable <strong>de</strong> toute<br />

la société basaa, prescriptions qui étaient tenus <strong>de</strong> respecter tous les Basaa<br />

<strong>de</strong> toutes les conditions.<br />

2.2 De l'autorité<br />

A la tête <strong>de</strong> chaque « tribu» basaa il y avait un Nkaambok. A la tête<br />

du clan ou du sous-clan, un Hikoo hi Mbok (Dikoo di mbok).<br />

Le Nkaa Mbok et le Hikoo hi Mbok, qui sont les premiers <strong>de</strong> la<br />

« tribu» ou du clan, ou bien les aînés <strong>de</strong>s parents <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendance<br />

patrilinéaire connue. <strong>de</strong>vaient former le conseil du gouvernement à<br />

l'échelon tribal. Chez les Lôk Bakén <strong>de</strong> Babimbi. par exemple, le


Nkaambok était <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> Mamén, fils ca<strong>de</strong>t <strong>de</strong> Basambul, frère<br />

puiné <strong>de</strong> Bakeng, parce que ce <strong>de</strong>rnier avait vu tous ses fils quitter le pays:<br />

Mben, Heega, Njee, Ngondi, Ndon et Dikit. Chez les Bikok, c'est un<br />

<strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> Lôg Baki; chez les Ndog Njée, c'est le premier né <strong>de</strong> Lôg<br />

Ntômta, etc.<br />

Ce sont ces «princes» qui forment le gouvernement du peuple,et<br />

entre lesquels les portefeuilles sont distribués suivant les compétences:<br />

affaires culturelles, judiciaires, d'administration centrale, <strong>de</strong> police et <strong>de</strong>s<br />

forces armées, <strong>de</strong> l'économie, <strong>de</strong>s finances, <strong>de</strong> l'information et <strong>de</strong> la santé.<br />

Notons par ailleurs que le clivage n'est pas aussi net que dans l'Etat<br />

mo<strong>de</strong>rne, car le seul Mbombok pouvait remplir (et le faisait du reste)<br />

plusieurs fonctions: <strong>de</strong> député, <strong>de</strong> ministre, <strong>de</strong> prêtre et <strong>de</strong> chef <strong>de</strong> douane<br />

par exemple (Mpodom), (Hikoo Mbok), (Nyimam), (Njenjel).<br />

2.2.1 Prérogatives <strong>de</strong> NKAAMBOK ou Père du peuple<br />

Nous avons vu par les ordonances que sa personne est inviolable. Il<br />

convoque les réunions du conseil (Nkaambok Bikumba). Il représente son<br />

peuple, sa « tribu» ou son clan, auprès <strong>de</strong>s clans ou «tribu» étrangers. Il<br />

parle au nom <strong>de</strong> tout son clan ou <strong>de</strong> sa « tribu ».<br />

Il est le chef <strong>de</strong>s cultes.<br />

Il rend la justice.<br />

Il prési<strong>de</strong> les cours et tribunaux.<br />

Il peut déclarer la guerre ou engager <strong>de</strong>s pourparlers en vue d'établir<br />

<strong>de</strong>s conventions <strong>de</strong> paix.<br />

Il nomme les chefs <strong>de</strong> guerre parmi les plus valeureux <strong>de</strong> la tribu<br />

reconnus pour le nombre <strong>de</strong> leurs lanières <strong>de</strong> peau <strong>de</strong> panthère, car chaque<br />

lanière représentait un homme tué pendant les expéditions antérieures.<br />

Il notifie à tout le peuple les décisions et les arrêtés pris au cours <strong>de</strong>s<br />

séances.<br />

Il envoie <strong>de</strong>s représentants auprès <strong>de</strong>s Bakaambok <strong>de</strong>s autres tribus.<br />

Il est le dépositaire <strong>de</strong>s coutumes et rites et reste vigilant pour que<br />

rien ne change, car la véritable bénéficiaire <strong>de</strong> l'ordre public est la société<br />

tout entière qu'il n'entend pas détruite.<br />

Il ne prélève aucun impôt, mais son gouvernement a droit aux dons<br />

qui vont jusqu'aux personnes physiques. Son gouvernement n'est pas pour<br />

extorquer <strong>de</strong>s biens aux populations, mais au cours <strong>de</strong>s assises, on peut le<br />

83


84<br />

corrompre. «Bot ba bi kébél nye ki gwés vap, a bé ane bé i katal tiorn,<br />

ndi a bé yon bitek to le bilô, inyu hop ba nIona nyeni ».<br />

Il a droit aux premières parts dans toutes les cérémonies, telle la<br />

poitrine <strong>de</strong> la chèvre dans le repas rituel. Dans tous ces actes, il est assisté<br />

<strong>de</strong> ses ministres ou nobles; toute décision ne pouvait être prise qu'après<br />

une discussion préalable Oll chacun était intervenu suffisamment. S'il<br />

arrivait qu'un Nkaarnbok, pour une raison ou une autre, se trouve<br />

empêché d'exercer son mandat, qui est par ailleurs héréditaire, il déléguait<br />

ses pouvoirs à un Mbornbok, en lui confiant son chasse-mouches, insigne<br />

<strong>de</strong> sa dignité. Cet homme assistait à l'assemblée ou au conseil sous le nom<br />

<strong>de</strong> Mpodol (député ou délégué).<br />

Tout ce qu'il recevait partout au cours <strong>de</strong> sa représentation, voire son<br />

mandat, était remis intégralement au Nkaarnbok. Si, après la mort du<br />

titulaire, celui-ci, au cours <strong>de</strong>s multiples occasions, s'était montré apte,<br />

sage, brillant orateur et capable d'offrir <strong>de</strong>s festins, c'est lui qui <strong>de</strong>venait le<br />

Nkaarnbok à la place du défunt.<br />

« Mut nunu nyen a bi yika ki Nkaarnbok ibale a bi hop, a bana pék<br />

ni makondo ki ».<br />

2.2.2 Le Borna Mbok<br />

A chaque tribu son Borna Mbok. Cette assemblée se réunissait pour<br />

délibérer. Elle était composée <strong>de</strong> Bakaarnbok (les chefs coutumières ou<br />

P.M.), <strong>de</strong> dikoo di Mbok (notables ou députés ministres) et <strong>de</strong>s Banjejel<br />

(chefs d'administration publique). C'était lorsqu'on siégeait comme<br />

assemblée « tribale ». Chaque Mbombok pouvait y amener ses fils majeurs<br />

ou ses frères, mais pas d'enfants ni <strong>de</strong> femmes d'étrangers ou d'esclaves.<br />

Cela pour 4 raisons, à savoir:<br />

1) Quand ils (les maîtres) tenaient une assemblée, il y avait<br />

automatiquement la présence <strong>de</strong> la divinité Ngé qui y assistait et cette<br />

divinité n'est pas visible <strong>de</strong>s catégories précitées.<br />

2) Parce qu'on y prenait <strong>de</strong> graves décisions et comme les enfants et les<br />

femmes sont bavards, ils risquaient <strong>de</strong> divulguer les secrets d'Etat.<br />

3) <strong>Les</strong> hommes qui se rassemblaient n'étaient pas tous animés <strong>de</strong> bonnes<br />

intentions, aussi les enfants non initiés risquaient <strong>de</strong> payer les frais <strong>de</strong>s<br />

«jeteurs <strong>de</strong> sort ».


4) Avant d'y arriver chaque partIcIpant avait déjà consulté la divinité<br />

Ngarnbi qui leur avait prescrit ou <strong>de</strong> se taire durant toute la séance, ou <strong>de</strong><br />

parler parce qu'il était plus fort ce jour-là, ou encore <strong>de</strong> :<br />

a- se tenir <strong>de</strong>bout et <strong>de</strong> ne point tendre la main à quelqu'un:<br />

b- ne pas boire;<br />

c- ne pas manger;<br />

d- ne jamais se quereller;<br />

e- ni jamais oublier <strong>de</strong> tenir la canne (Nsurnbi Mbok) en main en parlant.<br />

Tout ceci pour éviter quelque malheur.<br />

2.2.3 Lieu <strong>de</strong> réunion (Liborna li borna Mbok)<br />

L'interdit <strong>de</strong> se rencontrer n'importe où était religieux (ha tohee<br />

horna bé Mbén i). Presque toujours, c'était au carrefour <strong>de</strong>s pistes ou sous<br />

l'ombre d'un arbre totémique (e Mbok) tels: Côm, Bogi, Hitat Mbaï<br />

(noms d'arbres en basaa). Préalablement, les femmes <strong>de</strong>vaient nettoyer<br />

l'endroit choisi.<br />

Le premier jour était consacré au rite <strong>de</strong> purification (Biban). Le<br />

prêtre du NGAMBI <strong>de</strong>vait apporter un régime <strong>de</strong> palme non mûr (suu ton)<br />

+ 9 fruits d'un arbre appelé Tu-Njog.<br />

Chaque Mbornbok apportait un branchage libui li bie, un régime <strong>de</strong><br />

palme + 9 fruits <strong>de</strong> Tunjog + les branchages + l'arbre <strong>de</strong> Mbok, Hihént,<br />

ainsi que les paroles qu'on <strong>de</strong>vait prononcer contre les mauvais esprits i<br />

tuus baernp, prévenir le désordre liyanda, le meurtre Manola ou djern.<br />

Tout cela était pour sacraliser cette place ban = exorciser, laquelle à partir<br />

<strong>de</strong> ce jour, n'était plus un simple carrefour, ou un arbre quelconque, mais<br />

la maison <strong>de</strong> rencontre <strong>de</strong>s vivants et <strong>de</strong>s morts, puisque le régime non mûr<br />

et les fruits <strong>de</strong> Tunjog sont la nourriture <strong>de</strong>s ancêtres et que les esprits sont<br />

représentés par les feuillages.<br />

Commettre l'adultère par exemple en cet endroit était sacrilège et puni<br />

sévèrement. Tout autour <strong>de</strong> la place étaient placés <strong>de</strong>s sièges kaka.<br />

Certains apportaient leur natte mataama bibunga ou s'adossaient sur le<br />

trépied Mbenda. Mais le Mbenda était toujours réservé au Nkaambok qui<br />

avait toujours son chasse-mouches en mains, ou posé sur une peau <strong>de</strong> lion<br />

à côté d'une corbeille contenant 3 kolas.<br />

Il portait <strong>de</strong>s bracelets d'ivoire (dikomb di moo) et <strong>de</strong>s bihiafi aux<br />

chevilles, et une épée dans un fourreau pa-sogo ; s'il était aussi guerrier;<br />

on y reconnaissait les prêtres à leurs chapeaux emplumés, le cou ceint<br />

85


86<br />

d'une double rangée <strong>de</strong>s «bakola» (sorte <strong>de</strong> colliers <strong>de</strong> perles), et les<br />

guerriers à leurs lanières <strong>de</strong> peaux <strong>de</strong> panthère (Nkaynjéé). Tout le mon<strong>de</strong><br />

avait une canne ciselée (Nsumbi Mbok), qui représentait l'amulette ou le<br />

gris-gris protecteur.<br />

2.2.4 Fonction <strong>de</strong> Borna Mbok<br />

Pour organiser au mieux la vie dans la communauté, il fallait <strong>de</strong>s lois,<br />

nous l'avons dit. Nous avons vu aussi ceux qui <strong>de</strong>vaient prendre part à<br />

l'élaboration <strong>de</strong> ces coutumes qui avaient force <strong>de</strong> loi.<br />

C'est donc au Nkaambok <strong>de</strong> la «tribu» que revenait le soin <strong>de</strong><br />

convoquer ces assises. Ce n'était pas <strong>de</strong> son bon vouloir: plusieurs<br />

doléances présentées dans la maison du peuple, Kumba Lon où siège son<br />

gouvernement, étaient la cause principale <strong>de</strong>s réunions. Ces doléances<br />

étaient. par exemple :<br />

a- le meurtre domestique,<br />

b- l'organisation <strong>de</strong>s troupes en cas d'attaque ennemie,<br />

c- le meurtre d'un citoyen dans une tribu étrangère,<br />

d- la fuite à l'étranger ou chez ses oncles d'un citoyen ayant tué un autre<br />

citoyen,<br />

e- le décrét <strong>de</strong> nouvelles lois (té manlbén ma yondo),<br />

f- la punition <strong>de</strong> ceux qui transgressent les vieilles lois (ou lois établies), g)<br />

la punition <strong>de</strong> l'homme ou du clan qui désobéit au Mbombok.<br />

Cette assemblée se réunissait aussi dans le cas où un citoyen ayant<br />

tué un étranger s'enfuyait à l'étranger, ou qu'un étranger se saisissait d'un<br />

otage. Il fallait pour cela convoquer les représentants pour statuer.<br />

Par exemple: une femme du clan ou un éléphant sont passés dans<br />

une tribu étrangère, alors on y associe les Banjenjel, c'est - à - dire les<br />

titulaires <strong>de</strong>s routes ou douaniers.<br />

Une fois passées et décidées <strong>de</strong>vant cette assemblée souveraine, ces<br />

prescriptions entraient en vigueur. Toute inobservance était passible <strong>de</strong>s<br />

peines prévues, qui étaient principalement:<br />

a) le Kwag (blâme),<br />

b) le Mbuma (pillage <strong>de</strong>s biens),<br />

c) le Kéna (bannissement).<br />

d) le Mabet ma Ngé (mise à mort par décision du peuple <strong>de</strong>vant la divinité<br />

Ngé).


N'oublions pas qu'avant la tenue <strong>de</strong> l'assemblée, les Bakaambok<br />

<strong>de</strong>vaient se réunir pour arrêter le programme <strong>de</strong> la rencontre: c'est ce<br />

qu'on appelait le NKAA MBOK BIKUMBA, ou ordre du jour, ou conseil<br />

<strong>de</strong>s ministres.<br />

87


CHAPITRE IV<br />

LA VIE FAMILIALE


92<br />

marchandises diverses, ou tout objet utile pour permettre d'acquérir <strong>de</strong>s<br />

biens propres pour affronter aussi l'opération avec beaucoup <strong>de</strong> facilités.<br />

L'argent n'est venu qu'avec l'occi<strong>de</strong>ntalisation <strong>de</strong> la société, et avec elle<br />

tous les abus qu'on est en droit <strong>de</strong> critiquer <strong>de</strong> nos jours.<br />

Il faudra noter aussi qu'à l'époque, l'assentiment <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux groupes<br />

était toujours sollicité, surtout pour la première femme, Nyafi mbai (mère<br />

du foyer domestique), tandis que pour les autres, les bakila (celles qui font<br />

les commissions), seul le mari. quelquefois accompagné <strong>de</strong> la mère <strong>de</strong><br />

l'héritier, donc nyan mbai, menait les opérations. Le groupe ne faisait<br />

qu'homologuer J'inclination marquée par le mari, étant donné la<br />

prescription traditionnelle qui dit que la femme appartient au groupe.<br />

Pour l'accomplissement <strong>de</strong> ce mariage, les formalités suivantes<br />

étaient observées:<br />

Sitôt connue la naissance d'une fille, qui, ailleurs était fiancée parfois<br />

étant encore dans le ventre <strong>de</strong> sa mère, le père est sollicité pour la<br />

promettre en mariage. Il va consulter le prêtre du Ngambi avant <strong>de</strong> fixer<br />

ren<strong>de</strong>z-vous à l'un <strong>de</strong>s solliciteurs qui semble agréé par la divinité.<br />

Le chef <strong>de</strong> la famille "épouseuse" qui se présente, agit soit pour lui<br />

même, soit pour le compte <strong>de</strong> l'un <strong>de</strong> ses fils et appuie sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l'offre d'un petit sac <strong>de</strong> sel et quelques calebasses <strong>de</strong> vin <strong>de</strong> palme.<br />

L'acceptation <strong>de</strong> ces petits ca<strong>de</strong>aux signifie que le père accepte le principe<br />

<strong>de</strong>s fiançailles. Quelque temps après, à une date est fixée par le prêtre du<br />

Ngambi, le prétendant ou son père, ou son chef <strong>de</strong> famille le cas échéant.<br />

revient trouver le futur beau-père qui a pour la circonstance fait ample<br />

provision <strong>de</strong> vin <strong>de</strong> palme et réunit tous les anciens <strong>de</strong> son groupe. En<br />

buvant ce vin, l'on discute du prix <strong>de</strong> la « dot ». Si tout est bien arrangé, le<br />

fiancé ou son répondant immole un bouc qu'il a amené <strong>de</strong> son village et<br />

offre ainsi un festin qui marque, aux yeux <strong>de</strong> tous, la cérémonie <strong>de</strong>s<br />

fiançailles officielles. Il verse en même temps et très ostensiblement un<br />

premier acompte sur le montant convenu ( un fusil à pierre, une chèvre ou<br />

une pièce d'étoffe).<br />

A partir <strong>de</strong> cette date jusqu'au mariage, le fiancé sera tenu <strong>de</strong> donner<br />

<strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux aux membres <strong>de</strong> sa future belle-famille, laquelle ne ratera<br />

aucune occasion <strong>de</strong> se les faire offrir: tous les motifs seront désormais<br />

bons pour éprouver la générosité du futur beau - frère. Quelquefois, c'est<br />

une banale visite pour apporter les nouvelles <strong>de</strong> la fiancée, car celle-ci.<br />

avant huit ans, <strong>de</strong>meure encore dans sa propre famille parce que, dit le<br />

proverbe basaa, «le mariage est un sac sans fond ». D'ailleurs le mot


« dot », impropre en basaa, se dit Nkôbi, ou sac sans fond. Contracter<br />

mariage ici, c'est créer une industrie qui rapporte plus par l'amitié<br />

généreuse que par un faux calcul, car l'offre <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux est réciproque.<br />

Pour ne pas s'exposer à une supercherie du père <strong>de</strong> la fiancée, le<br />

futur mari s'empressait souvent d'aller réclamer sa femme dès que celle-ci<br />

présentait <strong>de</strong>s soupçons <strong>de</strong> puberté (petits mamelons par exemple). Pour<br />

convaincre ses beaux-parents, il arguait qu'un ancêtre lui était apparu en<br />

songe et qu'il lui annonçait que la jeune fille <strong>de</strong>vait rejoindre sa nouvelle<br />

famille. Quelquefois, c'était par l'intervention du prêtre <strong>de</strong> Ngambi.<br />

Si entre temps, il n'y avait pas eu d'autres fiançailles, la jeune fille<br />

était confiée à sa nouvelle famille. Un banquet réunissait à cette occasion<br />

les <strong>de</strong>ux familles et un nouvel acompte sur la dot était versé. S'il y avait eu<br />

d'autres prétendants plus riches, on remboursait les ca<strong>de</strong>aux et la partie <strong>de</strong><br />

la dot déj à versée.<br />

Bien que mineure, la jeune fille prend le statut <strong>de</strong> femme mariée du<br />

fait <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> domicile. Coutumièrement, cette épouse-enfant<br />

n'aura pas <strong>de</strong> case propre, mais habitera dans la case <strong>de</strong> sa belle - mère ou<br />

dans celle d'une <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> son mari. Ici. la réalité du mariage est<br />

d'ordre juridique et non biologique. Tous les droits du père sur sa fille<br />

passaient ainsi aux mains du mari qui ne manquait pas quelquefois d'en<br />

abuser: c'est le cas <strong>de</strong> viol prématuré, hélas ! bien que coutumièrement cet<br />

acte accompli à temps n'était pas blâmable. <strong>Ca</strong>r dans cette société, le mari<br />

doit toujours jouir <strong>de</strong>s prémices <strong>de</strong> la maturité <strong>de</strong> sa future épouse.<br />

La partie du Nkôbi restant, était versée à conlpte-gouttes parce que,<br />

versée une seule fois, il n'était pas exclu qu'on y revienne, soit pour le<br />

nier, soit pour l'augmenter, surtout si la fille se révélait prolifique ou<br />

travailleuse. Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers cas, estime la coutume, étaient une source<br />

inépuisable <strong>de</strong> revenus pour la belle- famille, aussi celle-ci <strong>de</strong>vait-elle<br />

compenser le gros manque à gagner qui résultait du fait du mariage au<br />

détriment <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> la fille.<br />

Dans les cas <strong>de</strong> contestation <strong>de</strong> la réalité du Nkôbi ou <strong>de</strong> sa<br />

composition, les vieux Basaa avaient imaginé un système d'inscription sur<br />

bois. En effet, ils se servaient <strong>de</strong> planchettes percées <strong>de</strong> trous <strong>de</strong> différentes<br />

formes et dimensions, à significations particulières connues <strong>de</strong> tous et<br />

présentées en cas <strong>de</strong> conflit.<br />

Ces inscriptions représentaient les têtes <strong>de</strong> bétail, les sacs <strong>de</strong> sel, les<br />

esclaves et même les banquets offerts. Toute négation tombait d'elle-même<br />

dès qu'on sortait cette planchette. C'est pour cela qu'en matière <strong>de</strong> preuve<br />

93


94<br />

par écrit, nous pouvons dire que le Basaa primitif la connaissait <strong>de</strong> longue<br />

date. Telle était r ancienne coutume, qui a subi pas mal <strong>de</strong> changements en<br />

matière <strong>de</strong> dot, <strong>de</strong> la composition <strong>de</strong> celle - cL <strong>de</strong> la transaction, <strong>de</strong> sa<br />

pratique en tant que richesse traditionnelle. Nous n'avons vu que le type <strong>de</strong><br />

mariage monogamique et le cas <strong>de</strong> la 'fiancée - bébé.<br />

Essayons <strong>de</strong> voir aussi l'origine et la pratique <strong>de</strong> la polygamie.<br />

On a vu plus haut que le Basaa pratiquait la monogamie autant que la<br />

polygamie. La polygamie est née, selon la coutume, <strong>de</strong> trois facteurs<br />

d'ordre parental.<br />

Quand un jeune homme atteignait la majorité, c'est - à - dire à la<br />

sortie <strong>de</strong> l'initiation après la circoncision, il <strong>de</strong>vait s'attendre, si ce n'était<br />

avant cette opération visant à obtenir <strong>de</strong> son père une femme, la première,<br />

Ki baa nlénd (celle qui, après le décès, pleure la première). Cette femme<br />

lui est offerte d'office. Son oncle maternel, du fait <strong>de</strong> Kukumba, lui <strong>de</strong>vait<br />

aussi une épouse, et si celui-ci s'acquittait sur-le-champ <strong>de</strong> son <strong>de</strong>voir, il se<br />

retrouvait mari <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux femmes en même temps, toutes les <strong>de</strong>ux légitimes<br />

aux yeux <strong>de</strong> la coutume.<br />

Pour ne pas s'exposer aux sarcasmes <strong>de</strong> ses pairs, qui <strong>de</strong>vraient le<br />

railler plus tard parce que, bien qu 'homme mûr, il <strong>de</strong>vait tout à son père, il<br />

travaillait dur et, avec ses <strong>de</strong>ux premières épouses, amassait le Nkôbi<br />

nécessaire pour épouser alors sa propre femme, qu'on appelle Nwaa masaï<br />

ma nan, mot à mot, la femme du pipi <strong>de</strong> la maturité, c'est - à - dire celle<br />

dotée grâce à mes propres efforts.<br />

Il lui restait maintenant à organiser son foyer en déterminant, selon la<br />

coutume, l'ordre hiérarchique <strong>de</strong>s épouses. Ces trois premières épouses<br />

portent trois noms différents:<br />

- la première en titre s'appelle Nyan mbai « mère du foyer ». Si elle a le<br />

bonheur <strong>de</strong> donner un garçon, c'est ce <strong>de</strong>rnier qui héritera <strong>de</strong> son père tout<br />

le patrimoine, personnes et biens.<br />

- la <strong>de</strong>uxième, Kindak, celle à qui l'on confie certains secrets, gardait<br />

souvent les clés <strong>de</strong> la case personnelle du " patron". Elle remplace la<br />

première en cas <strong>de</strong> décès <strong>de</strong> celle-ci, en tout et pour tout.<br />

- la troisième, que le mari appelait Bot, ou mon sac, était préposée pour les<br />

déplacements. Tout polygame basaa, dans ses déplacements, <strong>de</strong>vait être<br />

accompagné d'une femme, car non seulement elle <strong>de</strong>vait accomplir ses<br />

tâches régulières d'épouse, telles que allumer la pipe, préparer la nourriture<br />

et l'eau chau<strong>de</strong> pour le bain, mais en plus elle <strong>de</strong>vait satisfaire le maître.<br />

qui ne pouvait passer plusieurs nuits sans faire l'amour.


Disons que toutes ces femmes avaient chacune sa case, sa plantation,<br />

ses cabris, ses poules, ceci pour respecter le serment prononcé le jour du<br />

mariage qui dispose que l'homme est tenu <strong>de</strong> :<br />

1) donner une case particulière à sa femme;<br />

2) lui fournir <strong>de</strong>s ustensiles nécessaires (marmites, nattes), les outils<br />

<strong>de</strong> culture (houe, machette) ;<br />

3) débroussailler une superficie assez vaste pour y établir une<br />

plantation;<br />

4) gar<strong>de</strong>r une part équitable dans les faveurs octroyées <strong>de</strong> manière<br />

que les préférences pour les autres ne soient pas trop manifestes.<br />

En un mot, il <strong>de</strong>vait prendre soin <strong>de</strong> sa femme et la gar<strong>de</strong>r, même en<br />

cas <strong>de</strong> maladie, comme une acquisition précieuse.<br />

Bien qu'égales en traitement comme le voulait la coutume, l'autorité<br />

<strong>de</strong> la première femme sur l'ensemble <strong>de</strong> ses co-épouses (ses bambala)<br />

n'était pas chose à négliger.<br />

Le fait qu'elle désigne les autres épouses sous le nom <strong>de</strong> Bakila<br />

montre qu'elles sont soumises à elle et cela sans contestation. Comme le<br />

nom nkila l'indique, leur rôle est <strong>de</strong> lui servir <strong>de</strong> commissionnaires.<br />

Pour le Basaa ancien, être célibataire c'est être assimilé à une sorte<br />

d'esclave, Nkoi; avoir une seule femme, c'est s'exposer aussi à une<br />

raillerie peu flatteuse. On vous considérait comme un écureuil qui n'a<br />

qu'une seule épouse parce qu'il ne sait pas construire <strong>de</strong> case, Nwaa wada,<br />

wee hiko paa. Mourir sans héritier était considéré comme un malheur,<br />

puisque sans héritier, pas <strong>de</strong> culte. Aussi certains hommes sont arrivés à<br />

épouser jusqu'à 300 femmes (cas du feu chef mangele Ma Yoko) pour<br />

s'assurer un héritier.<br />

En même temps que la polygamie renforçait le foyer d'un homme et<br />

l'enrichissait par là mênle, elle pemlettait aussi à ceux qui n'avaient pas eu<br />

assez <strong>de</strong> bonheur avec leurs premières épouses <strong>de</strong> s'assurer. après la mort,<br />

les bienfaits du culte. Ainsi donc, économiquement et religieusement, pour<br />

la mentalité <strong>de</strong> l'époque, la polygamie n'était pas le péché véniel comme<br />

clament certains penseurs superficiels sur les us et coutumes africains,<br />

mais un acte beaucoup plus rationnel et même hautement religieux. Se<br />

préoccuper <strong>de</strong> l'au - <strong>de</strong>là, c'est le propre <strong>de</strong> toute religion, et c'est aussi la<br />

raison d'être <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> tout homme.<br />

La polygamie, sur le plan <strong>de</strong>s relations entre les peuples, différents<br />

évi<strong>de</strong>mment, créait <strong>de</strong>s liens d'amitié et <strong>de</strong>s alliances très poussées entre<br />

eux. ce qui assurait la paix propice à tout épanouissement. Il faut noter que<br />

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96<br />

toute médaille a son revers: si, sur les plans religieux, économique et<br />

diplomatique, la polygamie rendait d'éminents services, sur. celui <strong>de</strong> la<br />

possibilité pour chacun d'avoir au moins une épouse, elle créait d'énormes<br />

difficultés à la génération montante, surtout avec l'arrivée <strong>de</strong>s Européens.<br />

A partir <strong>de</strong> cette époque en effet, les idées nouvelles introduites dans<br />

le pays par le biais d'un système qui prêchait l'indépendance, la dignité,<br />

l'individualisme, le "chacun pour soi. Dieu pour tous", contraire à . 'un<br />

homme ou les hommes et les hommes ou l'homme", l'abus est apparu. <strong>Les</strong><br />

vieux, qui n'étaient plus obéis, se sont vu forcés à frustrer la jeunesse <strong>de</strong>s<br />

faveurs du mariage: la dot, ayant cessé d'être une compensation, est<br />

<strong>de</strong>venue une grosse transaction commerciale, et seuls les aînés qui<br />

possédaient déjà désormais <strong>de</strong>vaient affronter les nouvelles métho<strong>de</strong>s<br />

d'acquisition <strong>de</strong>s femmes. Ils accumulèrent ainsi les jeunes filles qu'ils<br />

allaient prêter aux jeunes gens contre leur force <strong>de</strong> travail. Ces <strong>de</strong>rniers, qui<br />

arrivaient à procréer, n'étaient pas les pères <strong>de</strong> ces rejetons vis-à-vis <strong>de</strong> la<br />

coutume: s'ils étaient pères biologiques, ils n'étaient pas pères légitimes.<br />

Ce malaise, dû à la frustration <strong>de</strong>s jeunes éléments en faveur <strong>de</strong>s vieux<br />

polygames, mécontente ces <strong>de</strong>rniers.<br />

Tant qu'existait la coutume, la vision <strong>de</strong> la famille selon les<br />

Européens, au lieu d'apporter <strong>de</strong>s résultats escomptés, développait la<br />

polygamie au bénéfice <strong>de</strong>s possédants, donc <strong>de</strong>s vieux. Heureusement que<br />

vint en 1922 un arrêté du gouvernement <strong>de</strong> l'époque qui réglementa le<br />

mariage.<br />

A partir <strong>de</strong> cet arrêté jusqu'à nos jours, le système matrimonial a<br />

connu <strong>de</strong>s fortunes diverses et la famille en a subi <strong>de</strong>s très graves<br />

distorsions. Selon cet arrêté et les autres textes postérieurs, l'on avait fixé<br />

l'âge <strong>de</strong>s futurs époux, la durée <strong>de</strong>s fiançailles, le consentement <strong>de</strong>s futurs<br />

conjoints et non <strong>de</strong> leurs familles seules, le montant <strong>de</strong> la dot, les<br />

formalités d'établissement <strong>de</strong> l'acte <strong>de</strong> mariage, la dévolution <strong>de</strong>s enfants<br />

nés avant, pendant et après le mariage, les règles <strong>de</strong> dissolution du<br />

mariage, le veuvage et la dévolution <strong>de</strong>s veuves. Comme l'on voit, il s'agit<br />

là du co<strong>de</strong> civil français calqué sur la coutume et qui <strong>de</strong>vait <strong>de</strong>meurer en<br />

vigueur jusqu'en 1969, date à laquelle le <strong>Ca</strong>meroun indépendant a adopté<br />

son co<strong>de</strong> civil fédéral.<br />

En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> la famille par le mariage, il y a d'autres<br />

moments <strong>de</strong> la vie qu'observaient et observent encore certaines couches<br />

<strong>de</strong>s populations basaa. Nous avons parlé <strong>de</strong> la naissance, <strong>de</strong> l'allaitement,


<strong>de</strong> l'éducation, <strong>de</strong> la circoncision, <strong>de</strong> la collation du nom, <strong>de</strong> la maladie et<br />

<strong>de</strong> la mort.<br />

11- LES DIVERS MOMENTS DE LA VIE<br />

Après la consommation du mariage, il est normal qu'un heureux<br />

évènement s'annonce, et, pendant <strong>de</strong>ux à trois mois, que duraient les fêtes<br />

organisées en l'honneur <strong>de</strong> la nouvelle "épousée", tout le mon<strong>de</strong> attendait<br />

sa sortie. Celle - ci était précédée <strong>de</strong>s commérages <strong>de</strong>s proches parents qui<br />

ne font pas faute <strong>de</strong> raconter partout que la sombo, la nouvelle mariée,<br />

n'avait pas vu ses règles le mois précé<strong>de</strong>nt: « a nlel sôn ».<br />

Cette fois, celle - ci pouvait sortir, vaquer à ses occupations; elle<br />

n'était l'objet d'aucun soin prénatal si ce n'était les conseils prodigués par<br />

la belle-mère ou les belles-sœurs. Dès qu'apparaissaient les premières<br />

douleurs, elle se faisait assister <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières ainsi que d'une matrone<br />

expérimentée appelée «Kap », c'est - à - dire celle qui reçoit l'enfant.<br />

Avant cette naissance, le père avait déjà consulté le prêtre du Ngambi pour<br />

s'informer <strong>de</strong>s pratiques spéciales qui <strong>de</strong>vaient régir les rites généraux<br />

favorables aux accouchements sans douleur et sans acci<strong>de</strong>nt.<br />

L'accoucheuse pressait le bas-ventre <strong>de</strong> la femme et faisait<br />

quelquefois boire une décoction à la parturiente, décoction qui a pour effet<br />

<strong>de</strong> faciliter la délivrance. Une fois l'accouchement terminé, l'enfant et sa<br />

mère étaient soigneusement lavés à l'eau bouillie qu'on avait pris soin <strong>de</strong><br />

recueillir et <strong>de</strong> conserver. Selon la coutume, une femme qui accouche reste<br />

couchée cinq jours durant pour un garçon et quatre jours pour une fille.<br />

Pendant ce temps, on lui fait absorber <strong>de</strong>s mets chauds et du vin <strong>de</strong><br />

palme pour provoquer, dit-on, une abondante sécrétion <strong>de</strong>s seins.<br />

La première sortie <strong>de</strong>s couches donne lieu à une fête: le Mapam ma<br />

yaa, qui réunit parents et amis. A cette occasion, l'eau <strong>de</strong>s ablutions au<br />

moment <strong>de</strong> l'accouchement est versée sur le toit <strong>de</strong> la case, et doit<br />

retomber sur le nouveau - né tenu par l'accoucheuse. Après cela, la mère,<br />

parée <strong>de</strong> guirlan<strong>de</strong>s <strong>de</strong> feuil1es, dilengwo, et <strong>de</strong> coquilles d'escargot, ko,<br />

danse <strong>de</strong>s pas spéciaux en faisant avec son enfant le tour <strong>de</strong>s cases du<br />

village. La coutume veut que cette cérémonie ait pour but d'écarter les<br />

mauvais sorts et <strong>de</strong> recevoir le nouveau - né dans le cercle familial.<br />

L'eau représente le créateur, les guirlan<strong>de</strong>s les esprits <strong>de</strong>s anciens et<br />

l'escargot les êtres vivants. Ces éléments <strong>de</strong> baptême. car il s'agit ici d'un<br />

baptême, permettent <strong>de</strong> conférer un prénom à l'enfant, lequel peut être le<br />

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98<br />

nom d'un ancêtre mort ou d'un ancien du clan, selon les indications du<br />

prêtre du Ngamhi. Ce parrainage sera nécessaire à l'enfant toute sa vie<br />

durant.<br />

Un enfant qui meurt avant d'avoir eu ce prénom est considéré comme<br />

n'ayant jamais fait partie <strong>de</strong> la famille; on ne le pleure pas et son<br />

enterrement ne fait l'objet d'aucune publicité. Quelquefois, on lui coupe un<br />

doigt pour s'assurer qu'il ne reviendra pas plus tard.<br />

L'enfant. maintenant intégré au groupe, sera têtera pendant <strong>de</strong>ux ans,<br />

c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il marche et puisse aller quelquefois chercher <strong>de</strong><br />

l'eau à la rivière, pour que son père se rapproche encore <strong>de</strong> sa mère.<br />

D'ordinaire, une pareille femme regagnait sa famille d'origine, et, durant<br />

ce temps, si elle couchait avec un homme autre que son mari, elle<br />

commettait le crime le plus crapuleux, et l'injure la plus manifeste à<br />

l'égard <strong>de</strong> son mari. Ce crime avait pour nom limo, et était considéré<br />

comme une maladie plutôt que comme un préjudice moral. A cet effet,<br />

pour que tout rentre dans l'ordre, il était normal <strong>de</strong> faire appel aux bons<br />

offices d'un prêtre <strong>de</strong> Ngamhi.<br />

Jusqu'à l'âge <strong>de</strong> dix ans, cet enfant sera toujours avec sa mère,<br />

passant la nuit à ses côtés, ou l'accompagnant aux champs, où il <strong>de</strong>vait<br />

surveiller ses petits frères. Après cet âge, les garçons se rassemblaient<br />

chaque soir auprès <strong>de</strong>s vieux pour écouter les contes dans lesquels sont<br />

mêlées les leçons <strong>de</strong> morale sociale et <strong>de</strong> savoir - vivre selon les anciens.<br />

Si la cérémonie <strong>de</strong> la sortie <strong>de</strong>s couches conférait un prénom à<br />

l'enfant suivant le rite du baptême, pour le groupe social, surtout s'il<br />

s"agissait d'un garçon, celui - ci ne comptait pas. D'ailleurs, tant qu'on<br />

n'est pas circoncis, le Basaa ne compte jamais les enfants et les femmes<br />

qu'il considère comme n'ayant pas tous les attributs <strong>de</strong> la personne.<br />

C'est grâce à la circoncision Iikwee, que le garçon était compté pour<br />

un homme. La cérémonie <strong>de</strong> Iikwee était une gran<strong>de</strong> occasion pour la<br />

famille d'offrir un grand banquet.<br />

Le père <strong>de</strong> famille prenait soin <strong>de</strong> consulter le Nganlhi pour mieux<br />

fixer la date <strong>de</strong> l'opération. Ensuite, il invitait l'opérateur Nkwee hi ôk et<br />

son ai<strong>de</strong> Nkap hi ôk. On choisissait ainsi l'endroit précis où <strong>de</strong>vaient se<br />

dérouler les différentes phases <strong>de</strong> l'initiation, temps pendant lequel les<br />

anciens, généalogistes et pédagogues, <strong>de</strong>vaient révéler au groupe préposé<br />

les différents rites, l'histoire du clan et le secret <strong>de</strong>s rapports sexuels.<br />

<strong>Du</strong>rant cette mise en quarantaine, ils n'étaient vus par personne<br />

d'autre, vivaient nus, ne se rasaient pas. Au village, on proclamait qu'ils


étaient morts et qu'à leur réapparition, ils auraient perdu l'état antérieur. Le<br />

jour <strong>de</strong> la sortie était un grand jour connu sous le nom <strong>de</strong> Ngand Iikwee.<br />

La cérémonie <strong>de</strong> Iikwee proprement dite se passait sur le toit d'une<br />

case à palabres en construction. Là s'installaient l'opérateur et son<br />

assistant. <strong>Les</strong> jeunes gens y montaient sur appel nominal. Ils arrivaient le<br />

corps enduit <strong>de</strong> Hiol, sorte d'ocre, chacun accompagné <strong>de</strong> sa femme, s'il<br />

en avait déjà reçue.<br />

<strong>Du</strong>rant l'opération, le patient <strong>de</strong>vait se montrer insensible à la<br />

douleur sous peine <strong>de</strong> se voir injurier et bafouer. Il lui était même <strong>de</strong>mandé<br />

<strong>de</strong> se livrer à la danse rituelle du torse sur le toit afin d'être acclamé par la<br />

foule. Alors on disait: A rnill likwee (il a bravé la douleur: c'est un<br />

homme). Un tel garçon était félicité et gratifié <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>aux, et recevait un<br />

second prénom d' homme.<br />

La cérémonie se terminait par un grand tam - tam et une libation <strong>de</strong><br />

vin <strong>de</strong> palme.<br />

A propos du nom, nous avons déjà remarqué <strong>de</strong>ux occasions où une<br />

seule personne peut avoir <strong>de</strong>s noms différents: cinq jours après la<br />

naissance pour un garçon, quatre pour une fille, et aussi après les<br />

cérémonies <strong>de</strong> la circoncision pour un adolescent. Ceci nous amène à nous<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si le fait <strong>de</strong> porter plusieurs noms n'était pas qu'une fantaisie.<br />

Mais loin <strong>de</strong> là, dans l'esprit <strong>de</strong>s anciens Basaa.<br />

Pour le Basaa primitif, sa religion lui enseigne que le nom est une<br />

partie concrète <strong>de</strong> sa personne, son image dont on peut se servir pour <strong>de</strong>s<br />

usages nuisibles. Aussi, ne faut-il pas le prononcer à tort et à travers.<br />

<strong>Les</strong> noms dans cette société sont donnés aux enfants suivant les<br />

circonstances qui ont précédé ou suivi immédiatement leur naissance, en<br />

<strong>de</strong>hors du prénom habituel cité plus haut, qui, comme prénom, ne constitue<br />

pas un véritable nom.<br />

<strong>Les</strong> concepts moraux, les animaux doués <strong>de</strong> force, les cataclysmes, les<br />

grands ancêtres servent <strong>de</strong> calendrier aux pères basaa pour conférer un<br />

nom qui convient à leurs rejetons garçons. <strong>Ca</strong>r pour la fille, en <strong>de</strong>hors du<br />

prénom au moment du baptême, le préfixe "Ngo" désignant qu'elle est la<br />

fille d'un tel, et du nom <strong>de</strong> cet individu, il n'y a pas d'autre explication,<br />

pour ce qui concerne la collation chez le sexe féminin.<br />

Si nous reprenons nos critères ci - <strong>de</strong>ssus, nous rencontrons, par<br />

exemple:<br />

- Tarn: la jalousie,<br />

- Njok : l'éléphant,<br />

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100<br />

- Ntida : le déluge,<br />

- Nanga : ancêtre éponyme, nom qui est suivi <strong>de</strong> celui du père, avec ou<br />

sans particule, et suivi encore du lieu <strong>de</strong> naissance, <strong>de</strong> la province, <strong>de</strong> la<br />

patrie à laquelle on appartient en Afrique. En voici un exemple:<br />

- Ngubôt : Tarn, Banga, Lôg Nkol, Babimbi, Basaa, <strong>Ca</strong>meroun, Afrika<br />

- Ngubôt: prénom,<br />

- Tarn: nom propre,<br />

- Banga : nom du père biologique,<br />

- Lôg Nkol : désignation tribale,<br />

- Babimbi : province,<br />

- Basaa : ethnie,<br />

- <strong>Ca</strong>meroun : patrie,<br />

- Afrika : continent.<br />

De tout cet assortiment, seul le mot Tarn est considéré comme un<br />

véritable attribut <strong>de</strong> la personne. De cet individu, les autres ai<strong>de</strong>nt à une<br />

i<strong>de</strong>ntification facile.<br />

Le nom étant une <strong>de</strong>s composantes <strong>de</strong> la personne, lorsque, par un<br />

procédé quelconque, le sorcier l'utilisait à <strong>de</strong>s fins maléfiques, l'homme<br />

qui <strong>de</strong>venait mala<strong>de</strong> attribuait la cause à cet usage mauvais. Il rendait<br />

visite, lui - même ou un <strong>de</strong>s siens, au prêtre - mé<strong>de</strong>cin, lequel, après<br />

consultation du Ngambi, décidait <strong>de</strong> le soigner ou <strong>de</strong> le faire soigner par un<br />

autre <strong>de</strong> ses confrères loin du domicile du mala<strong>de</strong>.<br />

<strong>Les</strong> séances <strong>de</strong> traitement étaient accompagnées <strong>de</strong> danses, car selon<br />

la mentalité basaa, la danse est un remè<strong>de</strong>, autant qu'une décoction ou une<br />

scarification. Si, au cours du traitement, le patient mourait, le mé<strong>de</strong>cin<br />

renonçait pendant un mois à consulter ses dieux.<br />

Quelquefois, le mala<strong>de</strong> ne trouvant pas la guérison, mé<strong>de</strong>cin après<br />

mé<strong>de</strong>cin, Ngambi <strong>de</strong>crétait qu'il n'y avait plus moyen <strong>de</strong> le sauver et qu'il<br />

<strong>de</strong>vait attendre courageusement sa fin. Alors on l'emmenait dans son<br />

second village, au milieu <strong>de</strong>s plantations, le Mangom, où rési<strong>de</strong>nt souvent<br />

les vieilles femmes, qui le préparaient à l'ultime issue dans la résignation.<br />

Se sachant condamné à partir, le malheureux en profitait pour dicter<br />

ses <strong>de</strong>nlières volontés, entouré <strong>de</strong> toute sa maisonnée. C'est la cérémonie<br />

<strong>de</strong> Li lagal ou testament, après quoi il rendait l'âme.


111- LE DECES ET LES FUNERAILLES<br />

101<br />

Jadis, lorsqu'un homme mourait, les anciens <strong>de</strong> sa famille, après<br />

l'avoir dévêtu et étendu sur la natte où il était décédé, lavaient<br />

soigneusement son corps et le frottaient à l 'huile <strong>de</strong> palme.<br />

On transportait ensuite le cadavre dans la case à palabres, ou Kumba,<br />

où il restait exposé <strong>de</strong>ux à trois jours, revêtu <strong>de</strong> ses plus beaux atours. Il<br />

était veillé par ses femmes en pleurs et qui hurlaient <strong>de</strong>s chants funèbres,<br />

pendant que ses proches et amis clamaient ses louanges et se lamentaient<br />

sur sa disparition. Ceci était fait pour apaiser la colère <strong>de</strong> l'âme du disparu,<br />

mécontente <strong>de</strong> sa nouvelle condition. Pour ne pas encourir ses nuisances,<br />

les survivants, femmes, parents et amis se marquaient le corps <strong>de</strong> tâches<br />

blanches et noires.<br />

Le soir qui précédait l'enterrement, les hommes dressaient <strong>de</strong>rrière le<br />

Kumba une sorte <strong>de</strong> paravent circulaire en feuilles <strong>de</strong> palmier. C'est dans<br />

cet enclos que l'on creusait la tombe du disparu. Il était donc interdit aux<br />

femmes et aux enfants <strong>de</strong> sortir cette nuit- là, parce que, expliquaient les<br />

anciens, le génie <strong>de</strong> la nuit, Ngé, <strong>de</strong>vait venir chercher le défunt et c'était<br />

un malheur pour un non-initié <strong>de</strong> voir ce génie.<br />

Le Ngé venait pour expliquer les causes <strong>de</strong> la mort: maléfices,<br />

mauvais œil, jalousie <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s ennemis ou <strong>de</strong>s siens. <strong>Les</strong> supposés<br />

coupables étaient amenés dare-dare pour confesser leurs torts à l'endroit du<br />

disparu. On jugeait séance tenante ces fautes, on passait <strong>de</strong>s amen<strong>de</strong>s et le<br />

produit <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières <strong>de</strong>vait servir à payer les frais du festin <strong>de</strong>s<br />

funérailles.<br />

Après cela, le matin venu, on procédait à l'enterrement. Devant la<br />

tombe, le chef <strong>de</strong> famille prononçait l'éloge funèbre du disparu, le<br />

chargeait <strong>de</strong>s messages à l'intention <strong>de</strong>s ancêtres. S'il y avait un oncle, il<br />

en faisait autant, ou, le cas échéant, un membre <strong>de</strong> sa classe d'âge, ou <strong>de</strong> sa<br />

confrérie. Alors on appelait les fossoyeurs et on leur donnait l'ordre<br />

d'inhumer par ces paroles rituelles: Ngé mi yonog mbinl (Allez donner le<br />

cadavre à Ngé).<br />

Le défunt, ficelé dans un pagne ou une natte, est étendu sur le dos au<br />

fond <strong>de</strong> la tombe, la tête dans la direction du soleil couchant, ses effets<br />

préférés à ses côtés. Au - <strong>de</strong>ssus du corps on disposait plusieurs feuilles <strong>de</strong><br />

palmier ou <strong>de</strong>s palmes, <strong>de</strong> façon que la terre qui doit combler la fosse ne<br />

soit pas en contact avec le cadavre. Quelquefois, on aménageait une<br />

<strong>de</strong>uxième cavité dans un coin. Cette espèce <strong>de</strong> tombe s'appelait Likan li


103<br />

Bien entendu, à chaque occasion, on banquetait en l'honneur du<br />

défunt et aux frais <strong>de</strong>s héritiers: leur troupeau et leur basse - cour en<br />

sortaient considérablement amoindris et. souvent, leur pécule aussi.<br />

Nous n'avons parlé jusqu'ici que <strong>de</strong> la mort d'un notable. Qu'en<br />

était- il donc <strong>de</strong> celle d'un enfant. d'une femme ou d'un esclave? Aucune<br />

occasion ici n'entraînait les formalités décrites ci-<strong>de</strong>ssus, pour <strong>de</strong>s raisons<br />

évi<strong>de</strong>ntes et faciles à comprendre.<br />

Ayant été <strong>de</strong>s gens diminués et inoffensifs sur cette terre, ces <strong>de</strong>rniers<br />

<strong>de</strong>vaient le <strong>de</strong>meurer dans l'au - <strong>de</strong>là. Par conséquent, n'étant pas à<br />

redouter, il n'était pas nécessaire <strong>de</strong> les amadouer en les honorant, tandis<br />

que pour un grand sectateur du Ngé, il fallait <strong>de</strong>s confessions et <strong>de</strong>s<br />

punitions aux manquements à leur égard, sans quoi. l'on était sûr que leurs<br />

minkuki (âmes errantes), n'allait pas vous laisser impunis.<br />

Que sont <strong>de</strong>venus aujourd'hui tous ces moments que nous venons<br />

d'étudier? S'il reste <strong>de</strong>s cérémonies <strong>de</strong> Iiyap lép ou so moo, ngand maéa<br />

et Iikap bum, dans les villages surtout, on n'invoque par contre plus les<br />

foudres du génie Ngé.<br />

Ainsi donc, la vie familiale chez nous, qui se caractérisait par le<br />

régime du partenariat appuyé dans toutes ses manifestations par <strong>de</strong>s<br />

pratiques religieuses, a presque complètement disparu.<br />

Au groupe social <strong>de</strong> jadis, connu pour son immuable conservatisme,<br />

pour sa stricte observance <strong>de</strong>s concepts religieux dont quelques rares<br />

privilégiés tiraient bénéfice (prêtres <strong>de</strong> toutes divinités et membres <strong>de</strong><br />

confréries), s'est substitué un individualisme qui non seulement a rejeté les<br />

anciens usages, mais en plus a accepté toutes les idées nouvelles sans<br />

contrôle du contenu.<br />

Cependant, malgré ce changement si considérable <strong>de</strong>s mentalités dû<br />

surtout à la prédication et à l'évangélisation trop zélées <strong>de</strong>s missions<br />

chrétiennes, et plus <strong>de</strong> cent années après cette vison nouvelle <strong>de</strong> la vie, les<br />

Basaa s'interrogent déjà sur la réalité <strong>de</strong> leur existence. Sont-ils vraiment et<br />

foncièrement convertis, ou <strong>de</strong>meurent-ils encore, malgré ces apports<br />

extérieurs, Basaa d'Afrique, donc habitants d'un mon<strong>de</strong> qui n'avait pas<br />

pour éthique le « chacun pour soi, Dieu pour tous» ?<br />

C'est sur ce dilemme que vivent actuellement tous les peuples<br />

africains. Ignorant tout <strong>de</strong> leur véritable passé, ils s'interrogent quelquefois<br />

sur ce qu'ils doivent réellement faire: abandonner son étu<strong>de</strong> comme étant<br />

un produit <strong>de</strong> musée, ou l'étudier pour y puiser certaines valeurs dont la<br />

morale du « pour soi» a détruit les fon<strong>de</strong>ments?


104<br />

Telle est la situation <strong>de</strong> cette famille que nous avons dénichée aux<br />

bords du Nil, les Basaa, voici déjà presque 4.000 ans d'histoire, histoire<br />

qui, d'essence religieuse, se paganise petit à petit tout en se détruisant<br />

chaque jour.<br />

De cette religion, il a été longtemps question dans les pages<br />

précé<strong>de</strong>ntes. Que contenait-elle et quelle signification lui donnait le<br />

Basaa? C'est l'objet <strong>de</strong> la quatrième partie: la pensée religeuse.


CHAPITRE V<br />

LA VIE RELIGIEUSE 1


107<br />

De ses étymologies, la religion désigne le lien qu'une communauté<br />

humaine entretient avec le sacré. Elle est l'ensemble <strong>de</strong>s croyances d'un<br />

peuple. Elle est conçue, vécue et exprimée. Il est question dans ce chapitre<br />

<strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> l'abstraction et <strong>de</strong> l'expression religieuse chez les<br />

Basaa.<br />

1- L'ETUDE DE LA PENSEE RELIGIEUSE<br />

Dans la société mo<strong>de</strong>rne africaine, on tend <strong>de</strong> plus en plus à séparer<br />

le domaine spirituel du domaine temporel. Il en allait autrement jadis. <strong>Les</strong><br />

<strong>de</strong>ux domaines se pénétraient <strong>de</strong> telle sorte qu'il n'était pas possible <strong>de</strong> les<br />

distinguer. Il faut avouer que cette notation d'un prélat catholique au début<br />

<strong>de</strong> r évangélisation en Afrique reste à nos yeux la seule valable et que nous<br />

citerons au début <strong>de</strong> ce chapitre.<br />

Mgr le Roy, cité par Nicol, écrit: « Chez eux les Noirs, la religion, en<br />

tant que croyances et pratiques diverses, est mêlée à tout: c'est la somme<br />

<strong>de</strong>s coutumes reçues <strong>de</strong>s ancêtres, ce que l'on a toujours cru et toujours<br />

pratiqué pour les joies, les <strong>de</strong>uils, les fêtes, les travaux, les inci<strong>de</strong>nts et les<br />

acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la vie, tout ce que l'on doit faire en un cas donné et dont<br />

l'inobservation amènerait le malheur ».<br />

Il n'y avait pas pour le Basaa primitif un acte <strong>de</strong> sa vie individuelle,<br />

familiale ou sociale qui ne fût une manifestation <strong>de</strong> sa vie religieuse. Aussi<br />

pensons-nous que pour comprendre ce chapitre, il fallait faire le point <strong>de</strong> la<br />

situation <strong>de</strong> cette pensée hier et aujourd'hui, plutôt que <strong>de</strong> faire une étu<strong>de</strong><br />

ethnologique <strong>de</strong> la religion <strong>de</strong>s Basaa. On se reportera, à ce sujet, à notre<br />

essai déposé au Département <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong> l'UNESCO.<br />

Etant donné que les Basaa participent au grand ensemble Noir<br />

africain, nous avons estimé nécessaire <strong>de</strong> partir <strong>de</strong> cet ensemble pour<br />

aboutir au cas spécifique <strong>de</strong> la pensée religieuse basaa, avant <strong>de</strong> conclure<br />

par une invite à la réflexion approfondie sur cette exigence fondamentale<br />

qu'est l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la religion ancestrale.<br />

Comme on lira dans le texte du professeur <strong>Marcel</strong> Bot, cité dans le<br />

prochain chapitre. Je Basaa n'est pas <strong>de</strong>venu religieux seulement à l'arrivée<br />

<strong>de</strong>s Blancs: le Blanc ne lui a apporté qu'une autre forme d'adoration. C'est<br />

pourquoi. sur le plan strictement religieux, il n'y a pas eu beaucoup <strong>de</strong><br />

résistance, sauf lorsqu'on ne voulait pas respecter le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong><br />

sa pensée en matière <strong>de</strong> religion.


109<br />

continent, pas plus qu'il n'y a, hélas! une religion européenne ou<br />

américaine. Il y a certes <strong>de</strong>s religions africaines. Cependant, dans le<br />

domaine religieux, la vérité est sans doute moins gran<strong>de</strong> que dans d'autres,<br />

du moins en ce qui concerne les Noirs avant les pénétrations extérieures;<br />

on peut noter en passant que la diversité constatée <strong>de</strong> nos jours n'est<br />

accentuée que par les séquelles <strong>de</strong> cette pénétration.<br />

Pendant longtemps, la pensée religieuse <strong>de</strong>s Noirs d'Afrique a été<br />

conçue et élaborée au sein du milieu familial, cette famille entendue au<br />

sens africain où aucun homme n'est ni inutile ni <strong>de</strong> trop. Le sentiment<br />

d'appartenance à un ensemble, la soumission <strong>de</strong> l'individu à une<br />

transcendance ainsi que le respect dû à tout ce qui a toujours fait la force<br />

du groupe (Dieu unique, panthéon, ancêtres et anciens), voilà ce qui<br />

fondait la religion familiale <strong>de</strong>s Noirs.<br />

L'introduction d'autres systèmes <strong>de</strong> pensée comme on peut le<br />

<strong>de</strong>viner, n'a pas manqué <strong>de</strong> porter un coup mortel à cette religion familiale,<br />

en tant que lien ontologique et logique à la fois, lien qui rattache l'homme<br />

noir à son créateur en ligne directe, grâce à ses ancêtres. Cette logique que<br />

nous appellerons ici, filiatique, puisait sa foi dans ce dicton <strong>de</strong>s Basaa,<br />

selon lequel «aucune science ou connaissance n'est possible au - <strong>de</strong>là du<br />

chiffre 9(26) », ce qui se dit : IikaÏi li nlel bé bÔô.<br />

26Ce tableau qui est valable pour les Basaa du <strong>Ca</strong>meroun pour la compréhension <strong>de</strong> leur<br />

religion pourrait s'adapter, nous l'espérons, à toute famille humaine; remarquons que 9 +<br />

1 = 10, chiffre qui représente Dieu ou la chose complète, d'où Bôô i nlel bé Iikaii. Plus <strong>de</strong><br />

science au - <strong>de</strong>là <strong>de</strong> 9. 5 représente le sexe masculin et 4 le sexe féminin, avons-nous vu<br />

au moment <strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> l'enfant, au chapitre IV.


110<br />

Tableau 0°2: LOGIQUE FILIATIQUE<br />

Créateur = Hilôlômbi = Etre suprême = DIEU<br />

1 5 Mbot bôt(fondateur) Trisaïeul<br />

}<br />

2 4 Isôgôlsôgôl Bisaïeul Bagwal<br />

3 Isôgôl Aîeul Ascendants<br />

2 Isafi Père<br />

0<br />

3<br />

1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

Man<br />

NIai<br />

Ndandi<br />

Ndindi<br />

Fils (plaque tournante)<br />

}<br />

Petit-fils Balai<br />

Arri ère-peti t -fi 1 s Descendants<br />

Arrière arrière-petit-fils<br />

5 Kitbofi ou l'être<br />

Arrière arrière-petit-fils ou<br />

l'être du dépassement comme une<br />

clause d'ouverture et <strong>de</strong> fermeture<br />

Pour le Basaa, tout être humain n'est complet que s'il est 9. Parce que<br />

d'un côté il est le produit d'un mon<strong>de</strong> préétabli avant sa naissance, soit au<br />

moins cinq générations. Ce sont <strong>de</strong>s ascendants ou bagwal : <strong>de</strong> l'autre, il<br />

doit être le chef d'une <strong>de</strong>scendance ( les balai) allant <strong>de</strong> son propre fils au<br />

<strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> l'échelle, lequel <strong>de</strong>rnier, en même temps qu'il continue la<br />

lignée, la dépasse en renouvelant le cycle, <strong>de</strong>venant à son tour le fondateur<br />

( mbot bôt). Il est le symbole ou la clause <strong>de</strong> fermeture et d'ouverture.<br />

Ainsi dans une famille africaine sans garçon, l'homme mourant se plaint<br />

d'avoir vécu inutilement, d'être perdu pour l'éternité. C'est le cri <strong>de</strong> Me<br />

mbélel mbok du Basaa du <strong>Ca</strong>meroun. Sans ce fils, il n 'y a aucun lien entre<br />

lui et la société qui survit, d'où il résulte que la caractéristique essentielle<br />

<strong>de</strong> cette pensée repose dans le fon<strong>de</strong>ment d'une famille, lieu idéal où<br />

l'homme trouve toutes sortes <strong>de</strong> liens: affection. autorité, tradition,<br />

solidarité.<br />

Dans les pages qui suivent, nous essayerons <strong>de</strong> reprendre certains<br />

aspects didactiques du symbolisme du chiffre 9 et d'exploiter les<br />

proverbes.<br />

L'utilisation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux aspects <strong>de</strong> la pensée africaine, les proverbes<br />

et le symbolisme <strong>de</strong>s chiffres, n'est pas une simple démarche <strong>de</strong> l'esprit.


112<br />

rationnelle, donc <strong>de</strong> l'imaginaire; religion sans doctrine définie ni dogme<br />

établi, etc.<br />

Toutes ces opinions, <strong>de</strong> prénotions et <strong>de</strong> préjugés jetés çà et là sur les<br />

croyances et les pratiques religieuses africaines précoloniales, nous les<br />

avons connus, lus et commentés jusqu'à ces <strong>de</strong>rniers temps dans les<br />

rapports <strong>de</strong>s missionnaires, administrateurs, spécialistes <strong>de</strong> telle ou telle<br />

partie <strong>de</strong> l'Afrique. <strong>Les</strong> concepts <strong>de</strong> fétichisme, d'animisme, d'animalisme,<br />

<strong>de</strong> mânisme, <strong>de</strong> paganisme (au sens péjoratif du terme) désignant la<br />

religion traditionnelle, tout cela n'est que <strong>de</strong>s mots. Mais comme les mots<br />

en linguistique n'ont <strong>de</strong> sens que dans l'emploi qu'on en fait. il restera à<br />

nous interroger sur les emplois faits <strong>de</strong> ceux qu'on a forgés pour traduire<br />

une certaine inquiétu<strong>de</strong>, semble-t-il, et qui est la suivante:<br />

Est-il possible et même scientifiquement acceptable d'accor<strong>de</strong>r aux<br />

Africains l'honneur <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r un système <strong>de</strong> croyances et pratiques<br />

spécifique à eux et susceptible d'être rangé au même niveau que les autres<br />

religions? Le nœud du problème jusqu'à ces <strong>de</strong>rniers temps était là. Ce<br />

génie déployé à bâtir <strong>de</strong>s concepts appropriés applicables à priori au cas<br />

africain, ces opinions et ces préjugés défavorables que véhiculent les mots,<br />

comment, après 1930, les Européens d'une part et les Africains d'autre<br />

part, les ont - ils appréhendés?<br />

1.2. <strong>Les</strong> religions africaines étudiées après 1930 par les<br />

Européens et par les Africains<br />

Cette pério<strong>de</strong> sera ouverte en 1936 par la publication d'une<br />

«Histoire <strong>de</strong> la civilisation africaine» <strong>de</strong> Léo-Frobenius aux Editions<br />

Gal1imard à Paris. Elle sera suivie <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> l'école dite Griaule d'où<br />

sortira <strong>de</strong>s sommités telles que Mme Germaine DIETERLEN, Dominique<br />

ZAHAN et d'autres. Plus tard, le révérend père Tempels avec sa<br />

« Philosophie bantoue », Uli Beier avec la «théologie <strong>de</strong>s Yoruba », J.<br />

Dournes dans «Dieu aime les païens », J. Poirier dans «éthnologie<br />

générale <strong>de</strong> encyclopédie <strong>de</strong> la pléia<strong>de</strong> », Denise Paulme avec «Dieu »,<br />

etc., viendront grossir les rangs.<br />

De cette longue liste <strong>de</strong> reconversion <strong>de</strong>s mentalités <strong>de</strong>s individus, on<br />

est arrivé petit à petit au tâtonnement <strong>de</strong>s églises établies en Afrique, en<br />

passant par les efforts faits par l'UNESCO qui a vu en nos croyances une<br />

source <strong>de</strong> civilisation et <strong>de</strong> culture.


113<br />

Dans cette course contre la montre, il nous faut apporter nous aussi,<br />

et ce à travers ce travail. en Africain initié et fils <strong>de</strong> grand initié aux choses<br />

du passé, notre point <strong>de</strong> vue, si mo<strong>de</strong>ste soit-il. Depuis le colloque<br />

d'Ibadan (Nigeria) en 1963, en passant par celui <strong>de</strong> Bouaké (Côte<br />

d'Ivoire) en ] 966 et <strong>de</strong>rnièrement le colloque <strong>de</strong> Cotonou (Benin)<br />

en 1970, bon nombre d'Africains authentiques sÏntéressent à cet aspect <strong>de</strong><br />

leur culture: la religion. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> Cotonou, on note <strong>de</strong>ux apports aux<br />

recherches faites par les Africains. Il y a ceux qui étudient cette religion<br />

suivant les métho<strong>de</strong>s et concepts extérieurs à leurs sociétés, et ceux enfin<br />

qui, initiés, vont toujours auprès <strong>de</strong>s anciens <strong>de</strong> leurs peuples, avec respect<br />

et humilité, pour puiser la matière authentique <strong>de</strong> leur pensée antique. Le<br />

commerce avec ces ., académiciens", dépositaires <strong>de</strong> ce passé, ne peut être<br />

que bénéfique pour ces Africains pour plusieurs raisons évi<strong>de</strong>ntes:<br />

a- ces <strong>de</strong>rniers possè<strong>de</strong>nt les langues - mères, supports irremplaçables pour<br />

la compréhension d'une autre culture ;<br />

b- ils ont été eux-mêmes initiés à plusieurs <strong>de</strong>grés;<br />

c- ils sentent que ceux qui ont détruit ce qui existait (et existe d'ail1eurs<br />

encore) ne peuvent pas le remplacer;<br />

d- ils sont convaincus que sans cette étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la religion comme source <strong>de</strong><br />

culture et <strong>de</strong> civilisation pour l'Afrique, on ne peut mieux comprendre et<br />

pénétrer d'une façon authentique la nature <strong>de</strong> l'âme africaine.<br />

De cette <strong>de</strong>rnière catégorie s'est détaché déjà un pionnier, le prince<br />

Dicka Akwa Bonambela, dont les cours à l'université <strong>de</strong> Paris VII<br />

illustrent, si besoin était, notre thèse selon laquelle, si l'on veut pénétrer<br />

l'âme africaine, c'est-à-dire bâtir sa case non sur une tombe, mais sur un<br />

terrain vierge, il ne faudrait jamais couper le commerce avec les anciens <strong>de</strong><br />

son peuple.<br />

C'est dans le sillage <strong>de</strong> cette démarche que nous allons appréhen<strong>de</strong>r<br />

un <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> la pensée religieuse africaine chez les Basaa du<br />

<strong>Ca</strong>meroun.<br />

1.3. La religion africaine vue par un initié<br />

A vant <strong>de</strong> voir l'aspect particulier <strong>de</strong> l'absolu chez les Basaa,<br />

examinons d'abord ce qu'est la religion pour un Africain et quel1es sont les<br />

caractéristiques propres à cette religion.


114<br />

1.3.1. La religion africaine: le point <strong>de</strong> vue d'un initié africain.<br />

Parler <strong>de</strong> religion <strong>de</strong>s Africains en africain, qu'est-ce à dire?<br />

Pour nous, c'est, avant tout, entrevoir un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie, l'ensemble <strong>de</strong>s<br />

coutumes, <strong>de</strong>s pratiques, <strong>de</strong>s croyances, <strong>de</strong>s rites, <strong>de</strong>s observations, <strong>de</strong>s lois<br />

et <strong>de</strong>s obligations <strong>de</strong> tout un peuple; c'est toucher tous les domaines <strong>de</strong> la<br />

vie. Ce n'est pas exhiber <strong>de</strong>s chiffres <strong>de</strong>s a<strong>de</strong>ptes ni se livrer à la course au<br />

prosélytisme; c'est vivre. Et vivre, pour nous, c'est dominer la nature et<br />

créer les conditions d'existence commo<strong>de</strong>s. Vivre, c'est s'organiser en<br />

survivant autour <strong>de</strong> certaines idées - forces. Vivre, c'est savoir ce qu'on<br />

est, ce qu'on a été, ce qu'on veut être et ce qu'on sera <strong>de</strong>main; c'est<br />

renoncer à croire que ce qui est africain est primitif, rétrogra<strong>de</strong>. Vivre,<br />

c'est définir les rapports <strong>de</strong> bon voisinage avec les autres et les valeurs sur<br />

lesquelles reposera l'harmonie, l'entente, la sécurité, la fraternité <strong>de</strong>s<br />

hommes <strong>de</strong> <strong>de</strong>main. Vi vre, c'est, aussi, découvrir qu'on n'est pas l'alpha et<br />

l'oméga <strong>de</strong> la création, c'est reconnaître qu'avant nous il y a eu d'autres et<br />

qu'après nous il y aura d'autres auxquels il faut transmettre la chaîne<br />

d'union.<br />

En résumé, la religion comme nos parents l'on définie, pratiquée et<br />

expliquée, embrassait en même temps tout: la politique, r économie, la<br />

philosophie, les sciences exactes, l'éthique, la théologie, etc. C'était toute<br />

une civilisation issue d'une vaste culture. Parmi les sciences. nous avons<br />

relevé surtout la botanique, la zoologie, la zootechnique, les<br />

mathématiques, la mé<strong>de</strong>cine, la pharmacopée, l'astronomie. Tout cet<br />

ensemble faisait partie du programme d'enseignement au cours <strong>de</strong>s<br />

initiations dans les couvents <strong>de</strong>s différentes confréries. De ces raisons<br />

évoquées, il apparaît que pour étudier une religion africaine ou ses aspects<br />

particuliers, les Africains et leurs amis africanistes n'ont pas d'autre choix<br />

que <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong> la totalité du problème et non d'une <strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> ce tout<br />

qui est notre raison d'être. Ici il faut, pour appréhen<strong>de</strong>r notre véritable<br />

civilisation, que les Africains "se servent <strong>de</strong> leur propre bien que du bien<br />

d'autrui", comme le conseillait déjà au XVI ème siècle Montaigne.<br />

En apprenant à se servir <strong>de</strong> leur propre bien, ils comprendront qu'en<br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l'Afrique, les religions africaines ont débordé le cadre <strong>de</strong> la<br />

pigmentation épi<strong>de</strong>rmique <strong>de</strong>s mélano<strong>de</strong>rmes. Elles ont par exemple, dans<br />

le nouveau mon<strong>de</strong>, notamment à Cuba, au BrésiL aux Guyanes. en Haïti,<br />

imprégné l'esprit <strong>de</strong> nombreux leuco<strong>de</strong>rmes. Ces prolongements <strong>de</strong> nos<br />

religions, tout comme leurs a<strong>de</strong>ptes et les valeurs qu'elles proclament,


115<br />

orientent les faits et gestes <strong>de</strong> cette masse d'hommes ainsi que leur<br />

conception du mon<strong>de</strong>. Que cette remarque soit naïve pour certains, nous ne<br />

doutons pas. Seulement nous donnerons, pour preuve <strong>de</strong> leur poids, le<br />

tableau comparatif <strong>de</strong>s différentes religions existant en Afrique<br />

d'aujourd'hui. avec leurs a<strong>de</strong>ptes.<br />

Tableaux comparatifs<br />

RELIGIONS DANS LE MONDE EN AFRIQUE<br />

CATHOLIQUES 572 millions 30 millions<br />

PROTEST ANTS 219 millions 21 millions<br />

ORTHODOXES 138 millions 14 millions<br />

MUSULMANS 437 millions 85 millions jU<br />

Remarquons en passant que sur la population totale <strong>de</strong> l'Afrique<br />

actuelle, il y a plus <strong>de</strong> 100 millions qui ne croient ni en Allah, ni en Jésuschrist:<br />

les statistiques disent qu'il s'agit <strong>de</strong> 55% et si l'on y ajoute les<br />

masses sud-américaines, il y aurait plus <strong>de</strong> 200 millions d'individus dont le<br />

culte rendu à l'Etre suprême passe par l'ancêtre <strong>de</strong> la famille (voir tableau<br />

<strong>de</strong> la logique filiatique, page 1). Ce chiffre n'est parlant que si nous le<br />

comparons séparément à celui <strong>de</strong>s protestants ou <strong>de</strong>s orthodoxes.<br />

Etant donné le courant qui secoue actuellement le mon<strong>de</strong> en matière<br />

d'œcuménisme, quels enseignements d'une portée internationale certaine<br />

n'aurait-on pas tirés si seulement on avait pensé à ces 200 millions <strong>de</strong><br />

« mondiaux »! Le sacré étant universellement reconnu, serait-il vraiment<br />

universel d'oublier l'apport <strong>de</strong> ces prêtres du Vaudou, d'Orisha, <strong>de</strong><br />

Nyambé, <strong>de</strong> N'Zamba, du Komo, du Mbok, dont nous allons développer<br />

certains aspects dans cette petite étu<strong>de</strong>?<br />

Renonçant à la facilité qui consiste à critiquer en s'engageant dans<br />

<strong>de</strong>s discussions conceptuelles inutiles, nous attacherons, après avoir senti<br />

le poids <strong>de</strong> l'oubli, à dégager dans les pages qui vont suivre, les valeurs<br />

que vécurent nos pères et que vivent encore ces multitu<strong>de</strong>s d'hommes et <strong>de</strong><br />

femmes, en interrogeant leurs différents comportements et attitu<strong>de</strong>s<br />

dans les mythes et légen<strong>de</strong>s. les rites et les rituels, dont, cependant, ils ne<br />

sera pas expressément question ici. Après avoir dégagé cette analyse, on<br />

30R.P. MVENG : Dossier culturel africain, Présence africaine, Paris 1966


116<br />

sera fondé à considérer l'une <strong>de</strong>s variantes du Nyambeisme africain dans<br />

le Mbok Basaa du <strong>Ca</strong>meroun, comme le point modal <strong>de</strong> l'effet et <strong>de</strong> la<br />

cause <strong>de</strong> leur civilisation, cette matière non inscrite dans les livres mais<br />

pourtant vivante.<br />

1.3.2 Des religions africaines ou une religion africaine ?<br />

Il n'y a pas une religion africaine, tout comme il n'y a pas non plus<br />

une religion américaine ou européenne, avons-nous dit: il y a, du nord au<br />

sud, <strong>de</strong> l'Est à l'Ouest <strong>de</strong> l'Afrique, une diversité déconcertante.<br />

Cependant malgré cette apparente variété portant sur <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s<br />

manifestations secondaire, se dégagent <strong>de</strong>s points communs quant à<br />

l'essentiel. C'est à partir <strong>de</strong> ce point essentiel que nous dégagerons les<br />

traits spécifiques d'une <strong>de</strong> ces variantes dans l'exemple du Nyambe Basaa.<br />

Quelle est cette image d'ensemble à travers cette religion? Elle rési<strong>de</strong><br />

d'abord dans le manque radical qu'accuse l'univers pour l'homme basaa.<br />

Dans cet esprit, les religions africaines visent à rendre un culte à une<br />

force ou à un être suprême en passant par la médiation du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

ancêtres, garant <strong>de</strong> l'intégrité et <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> la communauté, en s'appuyant<br />

sur certains principes à l'œuvre d'un bout à l'autre <strong>de</strong> l'Afrique. Ces<br />

principes sont:<br />

a- l'unité, la communauté et la hiérarchie <strong>de</strong>s ordres et <strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong><br />

l'univers selon le proverbe basaa Mbok dinoo di moo : les hommes sont<br />

comme les doigts d'une main, les uns grands, les autres petits;<br />

b- la liaison solidaire entre les ancêtres et leurs <strong>de</strong>scendants Mbok len bi<br />

nyôlles hommes; c'est comme les poutres d'un toit qui s'emboîtent;<br />

c- la réincarnation <strong>de</strong>s ancêtres méritants, lien indissoluble entre le visible<br />

et l'invisible Mbok i mal bé : la vie est un éternel recommencement:<br />

d- l'importance primordiale <strong>de</strong> l'acte <strong>de</strong> vivre "Mbok kwog, Mbok<br />

nyodag,,31 ; les uns passent, les autres arrivent et la vie continue.<br />

Comment ces religions réalisent-elles cette fin? Elle le font en<br />

s'aidant <strong>de</strong> la force ou <strong>de</strong> la puissance que tout être recèle en lui et qu'il est<br />

possible <strong>de</strong> capter grâce à l'enseignement irremplaçable <strong>de</strong> l'initiation<br />

approfondie dans les confréries. Pour que cette force opère, il faut qu'elle<br />

soit entretenue, selon un rythme approprié, par certains rites, offran<strong>de</strong>s ou<br />

sacrifices; c'est à ce prix seul que l'individu ou le groupe se sent vivre, et<br />

31 Ces notions servent <strong>de</strong> base au programme d'enseignement dans les classes initiatiques<br />

chez les Basaa.


117<br />

survivre à la foudre <strong>de</strong>s calamités que l'inobservance pourrait faire tomber<br />

sur lui. Telle est l'image générale que nous nous proposons <strong>de</strong> dégager<br />

provisoirement sur la religion africaine ou Nyambéisme. On remarquera<br />

que dans notre propos, il ne s'agissait pas <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à un dénombrement<br />

exact et définitif <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> notre pensée religieuse. mais plutôt <strong>de</strong><br />

dégager ce que nous estimons être essentiel dans son expression à une<br />

étu<strong>de</strong> axée sur le cas particul ier <strong>de</strong>s Basaa.<br />

11- LES FONDEMENTS ET LES CROYANCES<br />

Ils sont essentiellement endogènes et relèvent <strong>de</strong>s attributs internes<br />

<strong>de</strong> la culture basaa. En voici tout d'abord les caractères généraux.<br />

II.1. <strong>Ca</strong>ractères généraux<br />

Selon l'image que nous venons <strong>de</strong> présenter, l'un <strong>de</strong>s aspects<br />

particuliers <strong>de</strong> l'ensemble, n'est pas religion <strong>de</strong> Nyambe chez les Basaa est<br />

qu'elle n'est pas une religion révélée. C'est r expression <strong>de</strong>s efforts<br />

constants déployés par les patriarches <strong>de</strong> ce peuple au cours <strong>de</strong> leur histoire<br />

dynamique pour comprendre ce manque radical <strong>de</strong> quelque chose<br />

qu'accusait pour eux l'univers et où ils cherchaient à se mettre en rapport<br />

ou en harmonie avec lui. Ce sont ces idées collectives nées <strong>de</strong> cette<br />

situation qui orientèrent désormais leurs comportements, leurs attitu<strong>de</strong>s et<br />

les usages <strong>de</strong> tout le groupe <strong>de</strong>puis leur apparition sur la planète jusqu'à<br />

nos jours.<br />

Cette religion croit en un Dieu unique universel, père et créateur <strong>de</strong><br />

tous les hommes et <strong>de</strong> toutes les choses. Elle croit au panthéon (cf. tableau<br />

n03). qu'il soit terrestre, aérien ou aquatique; ces panthéons peuvent avoir<br />

une dimension régionale. nationale ou tribale. Elle croit aux ancêtres parce<br />

que garants.


118<br />

Le Panthéon céleste<br />

Terre _____________________ Ciel<br />

(Hisi) (Ngi)<br />

Lune<br />

(SÔfi)-------<br />

Biosphère _______________<br />

( Libu)<br />

________ Arc-en-ciel<br />

_______ - ( Nyum)<br />

Créateur<br />

(Hilôlômbi)<br />

_Soleil<br />

(Hianga)<br />

Harmattan<br />

(Mbebi)<br />

Atmosphère<br />

(Aakôp)<br />

Ce panthéon est une catégorie <strong>de</strong> 36 divinités dont 9 ont été<br />

présentées dans le tableau n03. Leurs rapports dans l'exercice <strong>de</strong> leurs<br />

fonctions seules expliquent l'harmonie et l'ordre dans le mon<strong>de</strong>, l'intégrité<br />

et la vie <strong>de</strong> la communauté. Elle rend différents cultes suivant les<br />

dimensions où l'on appréhen<strong>de</strong> le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l'intermédiaire du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

ancêtres: famille, clan, tribu, nation. Elle a son lieu saint et <strong>de</strong>s lieux<br />

sacrés, elle a ses savants issus <strong>de</strong> la prêtrise que confère l'initiation à<br />

plusieurs <strong>de</strong>grés. Comme l'on remarquera. c'est une religion familiale au<br />

sens africain <strong>de</strong> ce terme: la religion <strong>de</strong>s Basaa ne prêche pas <strong>de</strong> guerre<br />

sainte, par conséquent elle est une religion <strong>de</strong> cœur et d'essence paisible.<br />

Elle n'est ni dogmatique, ni exclusionnniste, puisque tout le mon<strong>de</strong> en fait<br />

partie, pourvu qu'on appartienne à une famille, à quelque <strong>de</strong>gré où l'on se<br />

place, qu'on soit natif (nwet Ion) ou étranger (nlo njel). Elle est naturelle


119<br />

mais non irrationnelle, parce qu'elle répond à un besoin qui est <strong>de</strong><br />

retrouver son créateur par la lignée <strong>de</strong>s ancêtres.<br />

La religion <strong>de</strong>s Basaa est une source <strong>de</strong> civilisation pour les<br />

populations parce qu'elle véhicule <strong>de</strong>s valeurs d'une haute portée<br />

philosophique. Sa conception du mon<strong>de</strong> a créé un système intellectuel qui<br />

fonctionne d'après la théorie suivante: Chaque chose, chaque être doit être<br />

à sa place, parce qu'entre l'être suprême = hilôlômbi, les divinités = bilôn,<br />

les esprits = Mimbu, les hommes = Bôt, il y a un cadre qui explique<br />

l'ordre et pennet <strong>de</strong> comprendre les phénomènes du cosmos (Mbok dinoo<br />

di moo), ce mon<strong>de</strong> symbolisant les doigts <strong>de</strong> la main.<br />

Pour mieux saisir ce rapport d'assistance mutuelle entre les vivants et<br />

les morts, il y a d'une part les sacrifices <strong>de</strong>s uns et, d'autre part, la<br />

protection <strong>de</strong>s autres, d'où l'équation: sacrifices = protection et vice<br />

versa, ou encore: la force <strong>de</strong> r individu provient <strong>de</strong>s ancêtres et la survie<br />

<strong>de</strong> l'ancêtre n'est possible que grâce aux offran<strong>de</strong>s qui sont <strong>de</strong>stinées à<br />

maintenir sa puissance.<br />

Le respect dû aux anciens <strong>de</strong> la famille, l'assistance qu'on doit leur<br />

porter ainsi qu'à toute la communauté, la soumission aux volontés <strong>de</strong> l' au<strong>de</strong>là,<br />

sont dus à <strong>de</strong>ux facteurs essentiels:<br />

- les anciens sont plus proches du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ancêtres par leur<br />

primogéniture<br />

- ils savent tout, parce qu'ils sont la mémoire vivante <strong>de</strong> r ethnie; leur rôle<br />

est assimilé à celui <strong>de</strong>s bibliothèques dans d'autres civilisations.<br />

Parce que l'ancêtre peut se réincarner n'importe quand et où, il faut<br />

pratiquer l'hospitalité envers toute personne et d'où qu'elle vienne. Dans<br />

ce mon<strong>de</strong> où l'ancêtre est tout, contrôle tout et veille à tout, l'oracle est la<br />

base judiciaire <strong>de</strong> toute contestation et le mo<strong>de</strong> idéal <strong>de</strong>s règlements <strong>de</strong>s<br />

différends. La vigilance <strong>de</strong> ces ancêtres auxquels on rend un culte remplace<br />

les lois politiques qui créent la police, donc la punition en cas <strong>de</strong><br />

manquement ou la critique en cas d'inefficacité <strong>de</strong>s institutions. D'où le<br />

rôle privilégié dans chaque village du <strong>de</strong>vin, c'est-à-dire l'homme du culte<br />

dans son rôle <strong>de</strong> prêtre pour transmettre les ordres <strong>de</strong> l'au-<strong>de</strong>là Mut<br />

Ngambi.<br />

Le rituel lui - même chez le Basaa se conforme d'une part à l'ordre<br />

immanent du mon<strong>de</strong>, et d'autre part aux gestes originellement effectués par<br />

l'ancêtre fondateur. Cette pratique, au lieu d'être considérée comme<br />

formelle ou archaïque, se veut dynamique et signifiante, car elle s'explique<br />

par le fait que, les ancêtres l'ayant accompl i et vécue longtemps, pourquoi


120<br />

n'en serait-il pas <strong>de</strong> même pour celui qui le fait ou pour qui on<br />

l'accomplit maintenant? <strong>Les</strong> interdits qu'on rencontre dans cette religion<br />

ont pour finalité <strong>de</strong> restreindre le désir immodéré et la convOItIse<br />

inconsciente dont la satisfaction individualiste menacerait la bonne<br />

renommée et l'honneur <strong>de</strong> la communauté.<br />

A propos du lieu saint et <strong>de</strong>s lieux sacrés, il existe chez les Basaa du<br />

<strong>Ca</strong>meroun un lieu saint appelé Ngok lituba «pierre à trou ». C'est ici que<br />

la tradition rapporte qu'après avoir traversé les régions désertiques à partir<br />

du Soudan actuel(Kordofan) en passant par r Adamaoua, les Basaa<br />

s'installèrent autour <strong>de</strong> cette pierre afin <strong>de</strong> réorganiser leur société et <strong>de</strong><br />

définir et répartir les tâches suivant les fils <strong>de</strong> l'ancêtre aîné <strong>de</strong> r ethnie,<br />

Ngog. Le caractère sacré <strong>de</strong> ce lieu a été profané par l'Eglise catholique<br />

qui y a planté la statue <strong>de</strong> Marie, ce qui fait qu'actuellement le peuple<br />

basaa, au <strong>Ca</strong>meroun, vit comme un navire sans boussole.<br />

<strong>Les</strong> lieux sacrés, qui sont au nombre <strong>de</strong> 9, se trouvent eux aussi dans<br />

le pays basaa. Parmi eux, il y a Tun-Likan dont nous rapportons les faits<br />

dans cette communication. Ici étaient vénérés tous les 9 dieux du panthéon<br />

terrestre, qui étaient:<br />

1- Ngambi ou la mygale, animal totémique <strong>de</strong> r ethnie, oracle du peuple,<br />

2- Ngé, divinité protectrice <strong>de</strong> la justice et <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l'univers<br />

basaa,<br />

3- Um, divinité <strong>de</strong> la guérison, <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine et <strong>de</strong>s manifestations<br />

culturelles,<br />

4- Kôô, déesse protectrice <strong>de</strong>s femmes, <strong>de</strong> la fécondité,<br />

5- Njeg, dieu <strong>de</strong> la vengeance, <strong>de</strong> l'ordre et <strong>de</strong> la police,<br />

6- Ngena, dieu <strong>de</strong>s maladies,<br />

7 - Kul, dieu du paIjure,<br />

8- Hu, dieu <strong>de</strong> la voyance,<br />

9- Lep-Liemb, dieu <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> l'âme humaine.<br />

Chacun <strong>de</strong> ces dieux ou déesses avait sa fête et son culte, ainsi que sa<br />

confrérie dont l'initiation comporte un certain nombre <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés.<br />

<strong>Les</strong> 9 lieux sacrés sont:<br />

1 - Ngog Lituba,<br />

2 - Li Boi Li Ngog,<br />

3 - Yum Nge,<br />

4 - Son Nlolo,<br />

5 - Sebe,


6 - Tun Likan,<br />

7 - Si Ndongi,<br />

8 - Bum Nyebel,<br />

9 - Ngog Bason.<br />

Leur observance nous paraît plus bénéfique que malfaisante pour tout<br />

individu qui accè<strong>de</strong> à certaines fonctions publiques: prêtrise,<br />

comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> clan ou <strong>de</strong> «tribu ». Ces « tabous» frappés du sceau<br />

sacré nous semblent un moyen efficace dans le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l'ethnos en<br />

tant que sûr rempart pour le groupe entier plutôt, et non <strong>de</strong>s impératifs<br />

savamment calculés issus <strong>de</strong> la simple éthique individualisante.<br />

La religion <strong>de</strong>s Basaa va plus loin que ces simples constatations que<br />

d'autres peuvent taxer d'empiriques. Elle distingue mieux que quiconque<br />

dans sa conception <strong>de</strong> la personne humaine <strong>de</strong>s principes bien nets et sans<br />

erreur dans le psychisme <strong>de</strong> ses a<strong>de</strong>ptes. Ainsi les fonctions:<br />

- <strong>de</strong> l'âme personnelle, Kep,<br />

- <strong>de</strong> l'âme qui retourne chez le créateur, nhébég,<br />

- <strong>de</strong> l'âme qui se réincarne pour <strong>de</strong>venir nouveau-né, titii,<br />

- <strong>de</strong> l'ombre <strong>de</strong> l'individu qui épouse la forme du corps et disparaît avec<br />

lui (yiyinda). Sont-elles bien préservées au cours <strong>de</strong>s cérémonies rituelles.<br />

soit pour augmenter leur force, soit pour les délivrer <strong>de</strong>s maléfices? La<br />

mort elle-même est un évènement d'une haute portée religieuse; il faut<br />

seulement assister à <strong>de</strong>s funérailles d'un prêtre, ou d'un chef <strong>de</strong> tribu pour<br />

en comprendre la beauté et la signification eschatologique. Le Basaa<br />

authentique préfère revenir chez lui se faire enterrer auprès <strong>de</strong> ses ancêtres<br />

plutôt qu'ailleurs, Parce qu'il dit: yon sat u nvi, yon u tôgbege «plutôt<br />

auprès <strong>de</strong> mes ancêtres qu'ailleurs ». Ces multiples valeurs qui lient<br />

l'individu basaa à la gran<strong>de</strong> communauté <strong>de</strong> tous ses environnements le<br />

1ibéraient <strong>de</strong> l'angoisse et du libertinage plus qu'ils ne paraissent l'aliéner<br />

ou le désemparer bien au contraire.<br />

A la lumière <strong>de</strong> ce tableau d'ensemble non exhaustif <strong>de</strong>s traits<br />

spécifiques <strong>de</strong> la religion africaine en général et <strong>de</strong> celle du Basaa en<br />

particulier, peut-on scientifiquement, comme l'ont souvent écrit les<br />

ethnologues et missionnaires classiques dans leur littérature <strong>de</strong> mépris,<br />

parler:<br />

- <strong>de</strong> paganisme incohérent.<br />

- <strong>de</strong> fétichisme désuet, d'animisme qui prête vie et conscience à <strong>de</strong>s choses<br />

inanimées,<br />

- du <strong>de</strong>vin du village incarnant le diable,<br />

121


122<br />

- <strong>de</strong> sacrifice aberrant <strong>de</strong> sang d'animaux,<br />

- d'imaginaire africain qui méconnaît le réel?<br />

Il sied <strong>de</strong> remarquer que le Basaa sacrificateur d'un poulet ou d'un<br />

bouc à l'autel <strong>de</strong>s ancêtres au cours d'une cérémonie religieuse n'est pas le<br />

seul homme au mon<strong>de</strong> à avoir pratiqué pareille «barbarie ». L'histoire<br />

humaine abon<strong>de</strong>, en effet, d'exemples dans ce sens, <strong>de</strong>puis la religion <strong>de</strong>s<br />

Juifs jusqu'à celle <strong>de</strong>s Grecs.<br />

Pour ce qui est par exemple du reproche <strong>de</strong> l'imaginaire, du mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s rêves et <strong>de</strong>s désirs évasifs, qu'on nous permette <strong>de</strong> dire tout<br />

simplement ceci: « Heureux le savant capable d'appréhen<strong>de</strong>r le réel en soi<br />

sans l'intrusion <strong>de</strong> l'imaginaire et du symbolisme ». C'est peut être parce<br />

que l'Africain a porté l'imaginaire au niveau le plus haut qu'il fallait taxer<br />

son geste d'anachronique.<br />

Cet imaginaire a permis <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s millénaires à l'homme basaa, qui<br />

admet le mal dans le bien, <strong>de</strong> trouver la solution <strong>de</strong> la technique <strong>de</strong>s<br />

missiles dans la manipulation <strong>de</strong> l'invisible dans sa théorie <strong>de</strong>s sortilèges:<br />

cest le Nsofi basaa.<br />

De ces 3 mouvements:<br />

- Om : provoquer le mal,<br />

- Tabal : guérir le mal,<br />

- Ban : prémunir contre le mal,<br />

l'on peut comprendre celles <strong>de</strong>s:<br />

- missiles,<br />

- anti-missiles,<br />

- anti-anti-missiles.<br />

y a-t-il réalité plus objective que cette invention contre les<br />

sortilèges?


124<br />

laissé <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendant, ils n'ont pas <strong>de</strong> place dans le nouveau village où<br />

habitent les ancêtres. Disparaissant du mon<strong>de</strong> visible parce qu "inconnu, le<br />

malheureux se transforme en un élément sans âme pour venir errer dans les<br />

villages; c'est le nkuki, «le rejeté <strong>de</strong> la cité <strong>de</strong>s bienheureux ». Sa<br />

<strong>de</strong>stinée reste la <strong>de</strong>struction totale du circuit normal s'exprimant par malo,<br />

naître, et mahu, mort physique. Il appartient au grand initié d'organiser la<br />

chasse <strong>de</strong> l'âme qui se termine par la capture <strong>de</strong> ce double malfaisant et<br />

voué à l'anéantissement totaL c'est le rite <strong>de</strong> « Lilôôs ndoa ». Par ce geste,<br />

il <strong>de</strong>vient Nlémba. 34<br />

Socialement. le Basaa du <strong>Ca</strong>meroun connaît 9 classes:<br />

1- les Bakaambok : chefs <strong>de</strong> « tribus », <strong>de</strong> clans, etc.,<br />

2- les Bambombok: membres <strong>de</strong>s assemblées politiques et grands<br />

électeurs,<br />

3- les Bangéngé : hommes religieux ayant l'autorité <strong>de</strong> réviser les lois <strong>de</strong><br />

Mbok et le renvoi du Nkaambok,<br />

4- les Dikoo di Mbok : ., princes" tirés <strong>de</strong>s lignages régnants,<br />

5- les Banjehjel : notables chargés <strong>de</strong> l'administration,<br />

6- les Bonge : enfants ou jeunesse.<br />

7-les Bôda : les femmes,<br />

8- les Minkol : les esclaves.<br />

9- les Minyon : les captifs.<br />

Politiquement. le «gouvernement» d'une «tribu» ou d'un clan<br />

basaa comprend 9 membres, soit 1 Nkaambok et 8 Dikoo di Mbok, les 9<br />

formant le conseil <strong>de</strong> Bambombok.<br />

34 Nlémba : trépa'isé, du verbe lém, « éteindre»


126<br />

Léo Frobenius que « l'Africain est le plus religieux <strong>de</strong> tous les hommes <strong>de</strong><br />

la planète ».<br />

L'aumône était ignorée parce que personne dans le groupe n'est<br />

superflu. Ce qu'on a pour 5 suffit aussi pour 10. Pourquoi être mendiant<br />

puisqu'on n'a pas besoin <strong>de</strong> se faire inviter pour manger, donnir ou<br />

s'habiller. Tout était partagé par tous.<br />

Quand à la fête annuelle, c'était une occasion solennelle, à une saison<br />

fixe <strong>de</strong> l'année, connue <strong>de</strong> tous les habitants et annoncée d'avance par les<br />

prêtres. Elle était faite <strong>de</strong> danses, <strong>de</strong> prières, <strong>de</strong> dévotion, <strong>de</strong> communion,<br />

<strong>de</strong> sacrifices, d'exorcisme, d'expiation et <strong>de</strong> purification. Un tel .,<br />

pélerinage" représente pour le Basaa un souvenir <strong>de</strong> la première fête<br />

autour <strong>de</strong> la grotte sacrée après sa traversée du désert. C'est une sorte <strong>de</strong><br />

retour aux sources <strong>de</strong> sa foi et une intime conviction que les ancêtres le<br />

combleront <strong>de</strong> tout le bonheur qu'un être puisse espérer <strong>de</strong> l'au - <strong>de</strong>là.<br />

Le manque <strong>de</strong> rappel <strong>de</strong> ce grand culte en r honneur <strong>de</strong>s ancêtres était<br />

quelquefois l'objet d'une prophétie. C'est le cas rapporté par notre<br />

infonnateur Nsang Boum André, <strong>de</strong> lôg bakéfi (Babimbi <strong>Ca</strong>meroun). En<br />

1942, dit notre informateur, une femme nommée Kimong, pythonisse <strong>de</strong><br />

son état, prédit la disparition <strong>de</strong> la sous-ethnie <strong>de</strong> lôg baken qui possédait<br />

un grand lieu sacré, au cœur <strong>de</strong> leur territoire à l'endroit dit Waa Ngok. Ce<br />

lieu s'appelle Tun Iikan ou buisson sacré. Le message <strong>de</strong> la pythonisse<br />

était conçu en ces termes: Vous, gens <strong>de</strong> la « tribu» <strong>de</strong> lôg bakéfi, qui<br />

avez abandonné le culte <strong>de</strong> vos ancêtres pour plaire aux esprits que vous ne<br />

connaissez pas, si vous ne réveillez plus ibale ni ntôdôl bé, les rites <strong>de</strong><br />

purification à Tun Likafi, une guerre viendra qui vous délogera <strong>de</strong> vos<br />

terres, et celles-ci <strong>de</strong>viendront le domaine <strong>de</strong>s singes et <strong>de</strong>s phacochères.<br />

Personne en ce temps n'avait prêté attention à cette femme, que j'ai moi -<br />

même connue, alors que je fréquentais l'école primaire <strong>de</strong> Nguibassal, petit<br />

village situé à un kilomètre <strong>de</strong> ce haut lieu. KIMONG était d'ailleurs une<br />

grand-tante d'une lignée collatérale qui, chaque fois, au carrefour qui<br />

menait au village, avait le nez contre terre. Mais, et c'est là que je crois<br />

pouvoir comprendre le sens <strong>de</strong> cette prophétie, mais, dis-je, elle avait<br />

l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> nous interpeller par nos noms sans pourtant nous regar<strong>de</strong>r. Il<br />

faut dire qu'à chaque fois qu'on <strong>de</strong>vait traverser ce carrefour, on se taisait,<br />

croyant <strong>de</strong> cette façon qu'elle ne pouvait. tant elle ressemblait à une morte,<br />

se douter <strong>de</strong> notre passage. Je comprends maintenant que c'est grâce au<br />

voyage <strong>de</strong> son double qu'elle était capable d'annoncer par exemple une<br />

mort prochaine dans le village, surtout lorsqu'elle se mettait à pleurer, ou


127<br />

qu'elle se barbouillait <strong>de</strong> rouge. <strong>de</strong> noir ou <strong>de</strong> blanc. Alors sa prophétie<br />

s'est réalisée en 1960 à cause <strong>de</strong>s troubles dûs à la lutte pour<br />

l'indépendance et à l'existence du maquis dans cette région; les autorités<br />

camerounaises ont délogé toutes les populations <strong>de</strong> la sous ethnie pour les<br />

parquer à trois endroits différents distants les uns <strong>de</strong>s autres <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> dix<br />

kilOInètres.<br />

Aujourd'hui, les plantations, les champs, les rivières, tout le<br />

patrimoine «tribal» est <strong>de</strong>venu la propriété <strong>de</strong>s singes. Quant au<br />

sanctuaire, il existe toujours avec son caractère <strong>de</strong> lieu sacré et entouré <strong>de</strong><br />

mystères. Le mystère <strong>de</strong> son état <strong>de</strong> lieu sacré rési<strong>de</strong> dans la résistance <strong>de</strong><br />

la profanation. Un ex-maquisard du nom <strong>de</strong> Mpouma KHama, dit<br />

Makan<strong>de</strong>put, originaire d'une autre sous ethnie, ayant appris que le lieu<br />

fût jadis le plus sacré <strong>de</strong>s Basaa. s'y rendit et se perdit dans la forêt au<br />

moment où il croyait avoir atteint son but, lequel était d'aller y puiser <strong>de</strong>s<br />

forces.<br />

M'ayant fait raconter sa mésaventure en 1961, à Kopongo. petit<br />

village <strong>de</strong> la Sanaga - Maritime, je m'étais rappelé ce proverbe basaa, qui<br />

dit, en matière religieuse, qu'on n'implore que la divinité qu'on connaît:<br />

Yon sat u nyi, yon u tôgbege. Ne faut-il pas voir par là que<br />

«l'ancestrologie » comme religion n'est pas un vain mot pour un Africain<br />

Noir? Est-ce professer <strong>de</strong>s idées anti-religieuses que <strong>de</strong> voir dans ce lien<br />

ontologique l'expression d'une foi authentique dans un ordre <strong>de</strong> choses <strong>de</strong><br />

manière à donner à l'homme sa raison d'être dans ce système dit universeL<br />

et interpréter son insertion dans la gran<strong>de</strong> réalité cosmo - humaine selon la<br />

philosophie propre à son milieu?<br />

Autour <strong>de</strong> la grotte sacrée <strong>de</strong> Ngok Lituba, les tâches furent<br />

attribuées à chaque fils Ngok, dit le mythe basaa ; c'est ainsi que la tribu <strong>de</strong><br />

lôg bakén. mentionnée ci - haut, qui <strong>de</strong>scend en ligne directe <strong>de</strong> Nwi. fils<br />

<strong>de</strong> Ngok, était celle qui avait pour mission d'enseigner les choses du jour et<br />

<strong>de</strong> la nuit, c'est-à-dire la religion. Abandonner une fonction aussi sacrée et<br />

vitale que celle <strong>de</strong> la prêtrise, n' est-ce pas renoncer soi - même à la vie?<br />

S'il est vrai qu'être, pour nous, c'est avoir <strong>de</strong>s ancêtres, lorsqu'on ne<br />

respecte plus les prescriptions <strong>de</strong> ceux-ci et qu'on accepte avec les autres<br />

que les morts n'existent plus dès lors qu'ils quittent cette enveloppe<br />

putrescible qu'est le corps, pour le grand départ, est- il digne <strong>de</strong> se dire:<br />

j'ai <strong>de</strong>s ancêtres, donc je suis, ou bien je suis parce que j'ai <strong>de</strong>s ancêtres?


128<br />

Le lieu sacré <strong>de</strong> Tun Likan existe. <strong>Les</strong> objets du culte nous sont<br />

connus 35 • <strong>Les</strong> formules <strong>de</strong> prière, on peut les apprendre auprès <strong>de</strong>s rares<br />

vieillards qui vivent encore. Seule la volonté d'organiser une telle<br />

cérémonie manque, non pas foncièrement par mépris, mais plutôt, pensonsnous,<br />

par méconnaissance. <strong>Les</strong> mahométans croient en Allah à travers<br />

Mahomet, les chrétiens à travers Jésus christ, les boudhistes à travers<br />

Boudha. Quant aux Africains Noirs, l'ancêtre <strong>de</strong>vrait rester le prophète<br />

idéal. En lui faisant connaître ce qu'a été cet ancêtre, ce qu'il représente<br />

pour lui, il retrouvera la vraie foi, celle qui l'incitera à capitaliser lui aussi,<br />

pour son salut, l'apport d'autres messages, qui tous, ten<strong>de</strong>nt vers le retour<br />

du créé à son créateur.<br />

Seuls les chemins divergents, le but <strong>de</strong>meure unique, comme<br />

l'origine a été unique. "Dieu a parlé à chaque homme <strong>de</strong> la création dans<br />

son langage partout où il se trouvait", disait la conclusion à Ibadan d'un<br />

colloque sur les religions africaines en 1963. <strong>Les</strong> 1 00 millions d'Africains<br />

qu'on désigne sous le terme <strong>de</strong> "païens" ne le sont qu'aux yeux <strong>de</strong> ceux<br />

qui pensent et croient que Dieu <strong>de</strong> tous les hommes n'est que celui <strong>de</strong><br />

quelques-uns qui se croient les plus privilégiés.<br />

L'Africain Noir, qui ne prêche pas la guerre sainte comme on le fait<br />

dans certaines religions, a préféré mépriser la provocation qui lui était faite<br />

en se taisant, en cachant aux autres les vrais piliers <strong>de</strong> sa foi. La défense <strong>de</strong><br />

celle-ci, sans recourir à la force, s'est faite par ce mutisme volontaire mais<br />

révélateur <strong>de</strong> sa vie en famille où l'homme, <strong>de</strong> l'orphelin au vieillard en<br />

passant par l'étranger, n'a jamais connu d'ostracisme narcissisant, mais<br />

dont, par contre, le soin à sa préservation a étonné et quelquefois<br />

scandalisé ceux - là mêmes qui prêchaient la loi <strong>de</strong> l'amour du prochain.<br />

<strong>Les</strong> martyrs <strong>de</strong> la guerre sainte, les compagnons <strong>de</strong> Mahomet, les<br />

grands mystiques sont honorés chez les musulmans comme <strong>de</strong> grands<br />

saints, leurs tombeaux et leurs reliques sont l'objet d'une dévotion<br />

spéciale, mêlée <strong>de</strong> magie et <strong>de</strong> superstition, et on leur attribue <strong>de</strong>s pouvoirs<br />

surnaturels, disent les catholiques. Il suffit, pour ceux-ci, <strong>de</strong> suivre<br />

seulement les spectacles <strong>de</strong> Lour<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> Fatima, <strong>de</strong> saint Jacques <strong>de</strong><br />

Compostelle, <strong>de</strong> l'apparition du pape à Rome, <strong>de</strong> sa loggia <strong>de</strong> saint Pierre,<br />

pour voir qu'en matière d'idoles, que dieu réprouve, et qui, le plus souvent,<br />

35 Voir notre étu<strong>de</strong> «Essai sur l'organisation sociale et la religion <strong>de</strong>s Basaa du<br />

<strong>Ca</strong>meroun », EHHE - Sorbonne 1971, diplôme en sciences religieuses et à l'UNESCO<br />

Département <strong>de</strong> la Culture.


129<br />

ne rentrent pas dans la vraie pratique religieuse africaine, pour se<br />

convaincre que les chrétiens n'échappent pas non plus à ce pharisaïsme<br />

ostentatoire qu'ils reprochent aux autres.<br />

Qu'a-t-on reproché et que reproche-t-on aujourd'hui encore au prêtre<br />

africain? On lui reproche d'avoir dans son arsenal <strong>de</strong>s crânes et <strong>de</strong>s os<br />

humains, <strong>de</strong>s cornes d'animaux, <strong>de</strong>s plumes d'oiseaux, etc., comme étant<br />

<strong>de</strong>s fétiches. A-t-on vraiment pris la peine <strong>de</strong> chercher à saisir la<br />

signification qu'ont pour lui ces objets? Quel culte rituel n'a pas ses<br />

objets? Le prêtre catholique brûle l'encens pour implorer, dit-il, la<br />

présence <strong>de</strong> l'esprit saint. Le prêtre africain du Mbok par exemple fait la<br />

même chose lorsqu'il met sur le feu sacré, certaines herbes dont la fumée a<br />

pour fonction d'apporter aux ancêtres les plaintes <strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>scendants.<br />

Nous pouvons multiplier les exemples, car ils abon<strong>de</strong>nt. On reproche par<br />

exemple à ce prêtre surtout le sacrifice. Olt a-t-on vu le salut sans<br />

sacrifice? Que ce sacrifice fût humain ou animal, le prêtre africain ne reste<br />

pas le seul qui ait pratiqué le rite.<br />

Beaucoup <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s religions en témoignent, comme le<br />

mahométisme et le judaïsme. <strong>Les</strong> chrétiens baptisent avec l'eau qu'on dit<br />

bénie par la prière. Le prêtre basaa, lui, emploie l'eau d'une source puisée<br />

<strong>de</strong> grand matin, dans une calebasse jamais utilisée auparavant.<br />

L'explication qui en découle, d'une très haute portée, est que l'un <strong>de</strong>s<br />

attributs <strong>de</strong> Dieu chez nous est l'eau, un <strong>de</strong>s éléments par essence parmi les<br />

4 olt il habite. Mettre cette eau sur la tête du nouveau - né en le présentant<br />

au soleil levant, c'est lui conférer les <strong>de</strong>ux premiers attributs du créateur:<br />

eau -feu, au moment <strong>de</strong> la collation du nom qui le distinguera et<br />

l'i<strong>de</strong>ntifiera dans cette société qu'il rejoint.<br />

Au <strong>de</strong>rnier jour <strong>de</strong> son séjour terrestre, c'est le même élément qui le<br />

lavera <strong>de</strong> toute souillure pour lui permettre une rentrée sans tâche au séjour<br />

<strong>de</strong>s bienheureux. Lorsque, après la cérémonie, soit du sacre, soit <strong>de</strong><br />

purification <strong>de</strong> la famille, le prêtre fait goûter à chaque assistant le produit<br />

<strong>de</strong> la marmite sacrée mbe mbina, on crie au repas du sorcier, comme si la<br />

communion <strong>de</strong>s uns et la sainte cène <strong>de</strong>s autres signifiait autre chose que<br />

cette fraternisation <strong>de</strong> tous les hommes <strong>de</strong>vant ce repas sacré. La gran<strong>de</strong><br />

différence, c'est que le prêtre africain a le souci <strong>de</strong> la purification et du<br />

salut <strong>de</strong> toute la communauté, tandis que les autres ont imposé le choix, en<br />

contradiction avec leur propre loi dite <strong>de</strong> Dieu, qui veut que tout homme<br />

soit sauvé. On peut dès lors se poser la question <strong>de</strong> savoir qui est<br />

véritablement disciple fidèle par rapport à l'autre vis-à-vis <strong>de</strong> son Dieu?


CHAPITRE VI<br />

LA VIE RELIGIEUSE 2 :<br />

LE BASAA D'AUJOURD'HUI ET SA<br />

RELIGION


133<br />

Il est question ici <strong>de</strong> répondre à la question fondamentale suivante: où<br />

en est le Basaa d'aujourd'hui dans sa pensée religieuse? Après cet envol<br />

rapi<strong>de</strong> sur certains éléments <strong>de</strong> la pensée traditionnelle en matière <strong>de</strong> foi<br />

religieuse, il faut nous intenoger sur l'avenir <strong>de</strong> cette pensée. A partir du<br />

moment où la famille n'existe pl us comme avant, la vie sociale dans<br />

laquelle toute religion puisait sa subsistance ayant subi une brutale<br />

mutation, le Basaa qui se veut mo<strong>de</strong>rne ou traditionaliste sent-il la vanité<br />

<strong>de</strong> son existence? Basaa, il ne l'est plus à part entière, car son passé, ou il<br />

l'ignore complètement, ou il le méprise sans le comprendre. Le présent<br />

pour lui est un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> contradictions multiples.<br />

Il essaye <strong>de</strong> vivre les valeurs d'autres civilisations Ol! les occasions ne<br />

manquent pas pour lui rappeler que ces ascendants ne sont ni Aryens, ni<br />

Yankees. Son désarroi est tel que, chrétien le jour, la nuit, il s'en va<br />

consulter le <strong>de</strong>vin du village, c'est -à-dire le prêtre <strong>de</strong> sa propre religion,<br />

qu'on lui a appris en public à mépriser parce que celui-ci est « un primitif»<br />

qui ne connaît ni notion <strong>de</strong> temps, ni logique, ni foi, ni loi, ni histoire, ni<br />

écriture. Parce que ces produits importés, le <strong>de</strong>vin ne les apprécie pas à la<br />

manière <strong>de</strong>s autres, selon les modèles conçus hors <strong>de</strong> son univers, sans son<br />

concours et quelquefois, si ce n'est toujours, contre sa propre existence. Le<br />

<strong>Bassa</strong> mo<strong>de</strong>rne est à la croisée <strong>de</strong>s chemins. Le sent-il? Si oui. que fait-il<br />

pour se désal iéner ?<br />

En dépit <strong>de</strong>s carcans idéologiques d'importation qui pèsent encore sur<br />

son existence, du fond <strong>de</strong> l'homme basaa resurgit cette étincelle qui ne<br />

s'est jamais éteinte malgré tant <strong>de</strong> seaux d'eau versés sur la flamme sacrée<br />

<strong>de</strong> sa foi en ses ancêtres. On le sent à l'occasion d'un mariage, on le sent à<br />

r occasion <strong>de</strong>s funérailles, on le sent aussi dans sa façon <strong>de</strong> partager avec<br />

l'autre, dans cette hospitalité venue du fond <strong>de</strong>s âges. Cette résistance<br />

larvée, latente, du fond religieux africain face aux croyances étrangères,<br />

comment la rendre militante, opérante et bénéfique? Une seule voie, un<br />

seul moyen: étudier à fond cette pensée religieuse <strong>de</strong> nos pères qui, pour<br />

tout Africain, est à la fois toute sa culture et toute sa civilisation. En<br />

étudiant avec ferveur et humilité, elle peut nous apporter la réponse, où <strong>de</strong>s<br />

réponses, à certaines <strong>de</strong> nos angoisses, à notre inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce que sera,<br />

<strong>de</strong>main, notre société. C'est la tâche présente <strong>de</strong> tous les hommes<br />

d'Afrique, principalement <strong>de</strong>s intellectuels <strong>de</strong> tous les cultes et <strong>de</strong> toutes<br />

les écoles philosophiques ou scientifiques.


134<br />

Parce que cette religion, aujourd'hui à travers le continent. est<br />

moribon<strong>de</strong>, parce que le moment est venu <strong>de</strong> lui donner une assise soli<strong>de</strong>,<br />

pour permettre à notre civilisation <strong>de</strong> s'épanouir. Parce que les<br />

responsables religieux manquent <strong>de</strong> formation approfondie à leur<br />

sacerdoce, formation grâce à laquelle nos ancêtres savaient tout <strong>de</strong> la faune<br />

et <strong>de</strong> la flore, <strong>de</strong> leurs catégories et <strong>de</strong> leurs correspondances; <strong>de</strong><br />

l'astronomie, <strong>de</strong> la physiologie, <strong>de</strong>s mathématiques et <strong>de</strong> beaucoup<br />

d'autres sciences encore ignorées ailleurs à l'époque.<br />

Parce qu'au lieu <strong>de</strong> remplir sa fonction tonique et mobilisatrice <strong>de</strong>s<br />

masses en vue d'une fin noble, beaucoup <strong>de</strong> nos gestionnaires du sacré se<br />

livrent à <strong>de</strong>s procédés maléfiques et à l'alcool, ne respectent plus les<br />

interdits, ne s'intéressent plus à la tâche noble <strong>de</strong> renseignement<br />

initiatique; tout à l'air paralysé, comme si jamais pensée religieuse fût<br />

aussi profon<strong>de</strong> et aussi logique que la nôtre. Oui, il nous faut l'étudier<br />

parce qu'en <strong>de</strong>rnier ressort, tout organe qui ne fonctionne pas, s'atrophie.<br />

Cette religion est une véritable religion parce que tous les a<strong>de</strong>ptes<br />

croient en <strong>de</strong>rnière instance à l'existence d'un être ou force surnaturelle<br />

désignée <strong>de</strong> multiples façons à travers la quasi-totalité <strong>de</strong> l'espace <strong>de</strong><br />

l'Afrique subsaharienne. 36 Cet être surnaturel ou force est immédiatement<br />

lié à <strong>de</strong>s êtres spirituels, les ancêtres, qui vivent quelques part dans<br />

l'univers en étroite intimité avec les humains dont ils conduisent et<br />

supervisent l'activité.<br />

Le culte dévolu à cet Etre ou force suprême, ainsi qu'aux esprits,<br />

réclame un corps sacerdotal hiérarchisé, une société <strong>de</strong> fidèles, <strong>de</strong>s<br />

temples, <strong>de</strong>s autels, <strong>de</strong>s cérémonies, <strong>de</strong>s lieux saints et sacrés, <strong>de</strong>s chants et<br />

prières, enfin, toute une tradition orale qui, certes, n'est pas i<strong>de</strong>ntique<br />

partout, mais grâce à laquelle se transmettent les parties essentielles du<br />

rituel.<br />

Cette religion est une authentique religion parce qu'à travers la facture<br />

<strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s, la richesse <strong>de</strong>s mythes (voir le mythe <strong>de</strong> jeki au <strong>Ca</strong>meroun)37<br />

aux versions parfois contradictoires, on peut exhumer une théologie. La<br />

condition est <strong>de</strong> savoir interpréter les mythes, ou un système <strong>de</strong><br />

représentations grâce auxquelles les Africains s'expliquent les phénomènes<br />

naturels, et qui d'une part gisent <strong>de</strong> façon latente à la base <strong>de</strong>s croyances<br />

36 Nyama, Nyame, Nyambé, Nzame, Zamba, Amma, Nomo, Nzambi, etc.<br />

37Dicka Akwa Nya bonanbela: Cours sur le Nyambéisme à la sorbonne<br />

1971


135<br />

<strong>de</strong>s convertis musulmans, catholiques et protestants, et d'autre part<br />

transparaissent manifestement dans <strong>de</strong> nombreuses nouvelles religions<br />

dissi<strong>de</strong>ntes issues du christianisme. L'Africain ne vit pas d'une mystique, il<br />

a un fon<strong>de</strong>ment religieux sur lequel il base sa conviction. Que<br />

conclure <strong>de</strong> » tout cela?<br />

Ce petit tableau comparé <strong>de</strong>s croyance <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre camp<br />

montre que si le christianisme dégageait <strong>de</strong> sa mission le préjugé sur ce<br />

qu'il appelle paganisme jusqu'ici, la capitalisation à l'africaine du message<br />

divin serait mieux introduite dans les mœurs, réinterprétée et réévaluée<br />

pour parvenir non à une évangélisation creuse, mais à une christianisation<br />

profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Afrique.<br />

Au lieu <strong>de</strong> considérer les différents points doctrinaux relevés ci<strong>de</strong>ssus<br />

comme <strong>de</strong>s impuretés découlant du paganisme propre aux peuples<br />

barbares, il serait temps <strong>de</strong> réfléchir là-<strong>de</strong>ssus, ce qui effacera <strong>de</strong> la tête<br />

<strong>de</strong>s Africains cette in<strong>de</strong>ntification du christianisme et une civilisation qui<br />

n'a rien <strong>de</strong> religieux. Le terrain pour une meilleure compréhension ne<br />

<strong>de</strong>vrait plus continuer à être miné par <strong>de</strong>s modèles non adaptés et dont les<br />

facteurs risquent d'orienter encore plus les gens <strong>de</strong> bonne foi vers<br />

l'irréligion ou l'indifférence totale, ces modèles qui ont pour noms école,<br />

industrie, genre <strong>de</strong> vie, modèle <strong>de</strong> développement, culture, comportement,<br />

pratique religieuse, tous d'importation sans contrôle.<br />

Pour la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s "valeurs spirituelles et morales", il serait<br />

souhaitable d'inventer <strong>de</strong> nouvelles formules d'approche et <strong>de</strong> travail,<br />

chose qui revient en premier lieu aux intellectuels africains, prêtres <strong>de</strong>s<br />

religions importées comme laïcs, car ils sont les premiers biculturés<br />

pratiquant les langues d'origine et d'emprunt. et ensuite à tous ceux qui<br />

aiment et veulent ai<strong>de</strong>r l'Afrique religieuse.<br />

De cette façon, les barrières peuvent tomber et un dialogue fructueux<br />

avec le <strong>de</strong>vin du village pourra enfin s'établir. Ainsi, l'Afrique, continent<br />

le plus"religieux <strong>de</strong> la planète", bénéficiera pleinement du message à lui<br />

aussi <strong>de</strong>stiné.<br />

Le domaine privilégié pour nous reste la rencontre à l'occasion <strong>de</strong>s<br />

pèlerinages aux lieux sacrés où il en a reste. <strong>Ca</strong>r c'est ici que s'exprimait<br />

jadis la vraie dévotion à une force transcendante, animatrice <strong>de</strong> l'action <strong>de</strong>s<br />

ancêtres. Faire sentir à un Africain que Jésus Christ n'est qu'un ancêtre,<br />

mais un ancêtre d'un genre nouveau, remplissant la même fonction<br />

d'intercesseur auprès du père <strong>de</strong> toute la création , voilà qui le rendra


136<br />

sensible et en même temps disponible à comprendre le fond du message<br />

qu'on annonce.<br />

Et pour que ce message porte loin, il faudrait que celui qui l'annonce<br />

soit débarrassé <strong>de</strong> tout sentiment <strong>de</strong> mépris, d'impatience, <strong>de</strong> complexe <strong>de</strong><br />

supériorité et <strong>de</strong> seul porteur <strong>de</strong> la seule vérité sur l'homme et son Dieu. Il<br />

faudrait qu'il soit pénétré <strong>de</strong> l'idée que Dieu ayant parlé à tous les<br />

hommes, il a dû parler aussi au <strong>de</strong>vin auquel il s'adresse.<br />

Il faudrait d'abord considérer la religion traditionnelle comme une foi<br />

authentique en un Dieu unique, reconnaître qu'elle porte <strong>de</strong>s valeurs<br />

religieuses qui font vivre <strong>de</strong>s millions d'hommes à travers les continents,<br />

travailler <strong>de</strong> manière qu'à partir <strong>de</strong> cette foi, on puisse apporter un message<br />

d'amour et <strong>de</strong> paix. Voilà qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une religion <strong>de</strong> cœur pur et droit, et<br />

non une religion d'intelligence calculée. N'en seront capables que ceux qui<br />

respectent l'autre et la volonté <strong>de</strong> Dieu en lui, qui ont l'amour total et<br />

brûlant <strong>de</strong> la vérité, qui ont le respect et l'amour désintéressé <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins<br />

<strong>de</strong> Dieu sur la race <strong>de</strong>s hommes et sur chaque homme. C'est un signe<br />

d'universalité pour la vérité qui n'est pas que judéo-chrétienne et dont<br />

certains témoignent "qu'elle ne peut se faire accueillante et ouverte sans<br />

rien perdre <strong>de</strong> ses exigences propres". La seule exigence pour nous est la<br />

volonté <strong>de</strong> Dieu qui veut sauver toute la création.<br />

Retenons en terminant, que c'est dans le prolongement <strong>de</strong><br />

l'expression du génie d'un peuple, qu'il faut continuer à s'enrichir et non<br />

en faisant table rase <strong>de</strong> l'acquis précieux <strong>de</strong> celui-ci, comme le soulignait<br />

le prési<strong>de</strong>nt SEKOU TOURE : "Prenant appui sur eux-mêmes et assurant<br />

leurs responsabilités, les peuples d'Afrique doivent opérer leur propre<br />

reconversion à travers l'expression consciente <strong>de</strong> leur liberté, la<br />

manifestation <strong>de</strong> leur volonté <strong>de</strong> progrès, le retour délibéré à la culture<br />

africaine, à ses valeurs, à ses vertus".<br />

"La réalité est que durant la colonisation, les grands initiés africains<br />

n'étaient ni pressés, ni disposés à livrer leur culture à ceux qui travaillent<br />

ostensiblement à la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la personnalité africaine. Nombreux sont<br />

les juristes, les philisophes et les théologiens disparus sans avoir livré leurs<br />

secrets, car ils n'ont pas eu suffisamment confiance en une certaine élite<br />

formée à l'occi<strong>de</strong>ntale ou imbue du marxisme-léninisme et qui, au lieu <strong>de</strong><br />

la recherche <strong>de</strong> l'initiation créatrice, a opté pour l'acculturation sans<br />

,. 1· , 38"<br />

S mterroger sur ses aspects a lenants .<br />

38 Prince Dika Nya Donambele, Religion du Nyambe, cours à la sorbone, déjà cité


137<br />

Etudier la religion traditionnelle, c'est être et avoir été, c'est avoir un<br />

passé, une culture, une civilisation, c'est faire partie intégrante <strong>de</strong> la race<br />

humaine universelle. Et ce passé cultureL nous le verrons dans la<br />

partie relative à la vie intellectuelle et artistique <strong>de</strong>s Basaa.<br />

1- LA NOTION DE PERSONNE<br />

En basaa, on désigne par Mut la personne, l'être humain, dont les<br />

manifestations sont polyvalentes: être aux éléments visibles et invisibles.<br />

<strong>Les</strong> supports visibles sont le Nyu, le corps, et sa couverture, Kôkô. <strong>Les</strong><br />

quatre principes spirituels sont composés <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux groupes.<br />

Pour le premier groupe, on a :<br />

? Yiyinda ou ombre, ou âme sombre,<br />

? Titii ou reflet, ou âme claire.<br />

Grâce à l'eau et au soleil. on peut les avoir et même agir sur eux.<br />

Le <strong>de</strong>uxième est constitué par les éléments les plus intimes. Ce sont:<br />

? Nhébég: le souffle (du verbe héb : respirer),<br />

? Kep ou mbu : le double vraiment invisible qu'on peut appeler âme.<br />

<strong>Les</strong> parties du corps en rapport direct avec eux sont principalement le<br />

nez pour le nhébég, le cœur pour le kep, le foie pour le mbu, la bile pour<br />

le kôkô, les ongles, les cheveux, l'empreinte <strong>de</strong> la plante du pied pour le<br />

yiyinda et le titii, et enfin. l'estomac pour le principe le plus néfaste appelé<br />

hu.<br />

Le mbûu peut être bon, a gwé mbuu nlam, ou nêm nlam : il a un<br />

esprit beau ou un cœur pur; par contre, lorsqu'on accuse quelqu'un d'avoir<br />

<strong>de</strong> mauvaises habitu<strong>de</strong>s, ou d'être méchant. l'on dit en basaa a gwé Iibaa<br />

Iibe: il a un foie laid ou un cœur laid. Le kep serait le crochet qui soutient<br />

le mbuu, car lorsqu'un homme cesse <strong>de</strong> vivre. l'on dit kep impédi nye<br />

« son âme est emportée », ou quelquefois lorsque les enfants font un grand<br />

vacarme, les vieux disent: ni mpat me kep, « vous me décrochez l'âme ».<br />

Le nhébég principe vital ou souffle, est mentionné lorsque l'homme<br />

cesse <strong>de</strong> parier: on constate la mort en disant anii nhébég, « il a cessé <strong>de</strong><br />

respirer ». Dès que disparaît cette respiration, le mbuu ou kep qui l'animait<br />

se dégage et reste sur le tôt <strong>de</strong> la case mortuaire jusqu'à r enterrement.<br />

C'est ainsi que pour un testament non exécuté, certains cadavres se<br />

relèvent pour protester contre la présence d'un parent à qui il avait été<br />

interdit d'assister aux funérailles. Cette force <strong>de</strong> réanimation ne se<br />

remarque que chez les vieilles personnes, spécialement les initiés du plus


138<br />

haut <strong>de</strong>gré. C'est à cause <strong>de</strong> cette croyance aussi qu'au bord <strong>de</strong> la tombe,<br />

avant la <strong>de</strong>scente du corps, chaque membre <strong>de</strong> la famille est tenu <strong>de</strong> dire<br />

quelques mots d'adieu au «partant », puisque mourir physiquement, ne<br />

signifie pas disparaître à jamais: au contraire: r expression a nhuu, «il<br />

rentre d'où il est venu », prouve qu'il vous voit et vous observe.<br />

Ce double qui rentre ainsi continue <strong>de</strong> s'intéresser aux vivants. C'est<br />

pourquoi dans la traversée d'une forêt, si l'on entend une brindille se<br />

briser, l'on dit chez nous que c'est à la suite <strong>de</strong> discussions entre <strong>de</strong>ux<br />

parents, l'un récemment décédé, et l'autre ancien, que s'accomplit ce geste<br />

pour mieux connaître l'i<strong>de</strong>ntité du <strong>de</strong> cujus.<br />

L'on voit par là que l'âme, selon cette croyance, ne reste pas<br />

emprisonnée, sauf à <strong>de</strong> rares occasions, comme celle <strong>de</strong>s morts sans<br />

sépulture (noyé, dévoré par un animal, pendu à la suite d'une assise <strong>de</strong> la<br />

confrérie <strong>de</strong> la divinité Ngé). Un tel mort ordinaire (le <strong>de</strong>rnier cas) est<br />

enterré au bord du chemin son mbaa njet, parce que, croit le Basaa, celui<br />

que le mon<strong>de</strong> visible a condamné à la peine <strong>de</strong> mort l'a été aussi par l'au<strong>de</strong>là,<br />

étant donné que c'est par l'intervention <strong>de</strong> la divinité <strong>de</strong> la punition<br />

Ngé que le malheureux a été condamné. Quand au noyé ou à celui qu'un<br />

animal a dévoré, l'eau ou l'animal ont volé le mbuu du disparu. Il ne peut<br />

participer pleinement au repos <strong>de</strong> l'âme.<br />

<strong>Les</strong> hommes, tout comme les choses, croit le Basaa, se dédoublent,<br />

qu'ils le fassent <strong>de</strong> leur gré (homme panthère) ou qu'ils y soient contraints<br />

par une force extérieure, par le principe néfaste du hu. Il arrive que dans<br />

l'état <strong>de</strong> veille comme pendant le sommeil, le double <strong>de</strong> l'homme voyage.<br />

Ce voyage peut être volontaire ou involontaire.<br />

Le voyage volontaire est le fait <strong>de</strong>s sorciers appelés, bôt ba Iiemb :<br />

les envoûteurs, ou plus exactement, <strong>de</strong> nos jours, les «aviateurs<br />

nocturnes », qui sont animés du hu, ou esprit laid et malfaisant. Ceux qui<br />

possè<strong>de</strong>nt ce hu voyagent à travers le mon<strong>de</strong> et font partie <strong>de</strong> véritables<br />

cohortes ou associations secrètes.<br />

On dit que leur principe ne se nourrit que du sang <strong>de</strong>s hommes. C'est<br />

ainsi que lorsqu'au cours <strong>de</strong> leurs libations nocturnes, ils ont réussi à<br />

prendre le mbuu <strong>de</strong> quelqu'un, celui-ci reste comme une coque sans noix,<br />

kugukugu. Un tel homme n'a plus <strong>de</strong> yiyinda ni <strong>de</strong> titii. Il mange, il boit,<br />

il se promène, mais il n'est plus vivant, bien qu'il conserve le nhébeg<br />

(souffle). Si, entre-temps, le <strong>de</strong>vin ne s'aperçoit pas <strong>de</strong> son état, il dépérit<br />

et peut cesser <strong>de</strong> respirer, même poussé par un coup <strong>de</strong> vent.


139<br />

<strong>Les</strong> hommes qui possè<strong>de</strong>nt le hu prédisent <strong>de</strong>s évènements futurs,<br />

comme un décès <strong>de</strong>vant se produire à une distance éloignée. la précision<br />

peut être telle que les circonstances décrites par eux se vérifient souvent<br />

exactement aux heures du jour indiqué. Le Basaa dit d'un tel homme a<br />

gwé hu « il a 4 yeux », c'est-à-dire que son double est bilocal. Mais l'on<br />

dit aussi d'un homme qui <strong>de</strong>vine juste. ou d'un enfant qui découvre le<br />

secret d'un jeu auquel il n'a pas participé, qu'il a le hu. Le hu, à ce qu'il<br />

paraît, n'est pas toujours malfaisant; il peut être utile à <strong>de</strong> bonnes<br />

opérations, surtout pour les hommes <strong>de</strong> sciences mathématiques, tel dans le<br />

cas <strong>de</strong> Mut Ngambi : l 'homme qui consulte la mygale.<br />

En <strong>de</strong>hors du voyage volontaire du double, il y' a une autre espèce <strong>de</strong><br />

voyage chez le Basaa: c'est la possession par un esprit, soit à la suite<br />

d'une danse <strong>de</strong> guérison, comme la danse thérapeutique <strong>de</strong> «djengu » en<br />

duala. ou « hijingô » en basaa, en l'honneur <strong>de</strong> la divinité <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine).<br />

Nous avons nous-même assisté un soir à une séance à Minkaa chez<br />

Samnik, en 1968.<br />

C'était dans un hangar. Nous étions arrivés <strong>de</strong> Yaoundé (capitale du<br />

<strong>Ca</strong>meroun) vers huit heures du soir. Le hangar était noir <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. Des<br />

tambours crépitaient. Des chants et <strong>de</strong>s danses accompagnaient les<br />

mélopées que scandait le chef <strong>de</strong>s initiés. Samnik, le grand prêtre, se<br />

trouvait <strong>de</strong>rrière un ri<strong>de</strong>au tendu <strong>de</strong> rouge, <strong>de</strong>vant un autel sur l'étagère<br />

duquel étaient placés pêle-mêle beaucoup d'objets rituels. Lui-même<br />

portait un morceau <strong>de</strong> drap blanc autour <strong>de</strong>s reins. Torse nu, il avait la tête<br />

ceinte <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>au rouge et la poitrine peinte en noir et blanc. Au son <strong>de</strong>s<br />

tambours, <strong>de</strong>s gongs et <strong>de</strong>s battements <strong>de</strong>s mains, <strong>de</strong>s chants repris en<br />

sourdine, quelques un dans la salle se mirent à danser plus fort que les<br />

autres et à crier, puis brusquement tombèrent et se roulèrent à terre, avant<br />

<strong>de</strong> sortir en courant dans la nuit noire. Ils disparurent dans la forêt, d'où ils<br />

ne <strong>de</strong>vaient rentrer que vers l'aube, tenant chacun en main <strong>de</strong>s branchages<br />

indiqués par les esprits guérisseurs pour le traitement <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s couchés<br />

dans le hangar à même le sol.<br />

Tant qu'ils furent absents, la danse et les chants continuèrent, car, diton,<br />

cette divinité ne peut leur restituer leur âme que sous l'effet <strong>de</strong> cette<br />

musique endiablée. Ce voyage <strong>de</strong> quelqu'un en pleine nuit noire, dans nos<br />

forêts équatoriales où l'on doit traverser <strong>de</strong>s rivières, où il y a <strong>de</strong>s<br />

embûches à chaque pas: épines, foumms magnans, etc., n'est possible<br />

qu'à <strong>de</strong>s personnes qui, momentanément, n'ont plus le contrôle effectif <strong>de</strong><br />

leur âme ni <strong>de</strong> leur sensibilité.


140<br />

La participation <strong>de</strong> l'être humain à <strong>de</strong>s activités visibles en tant que<br />

personne Mut, tel sera le premier élément d'une enquête qui se poursuit.<br />

11- LES ANCETRES, LA VIE DES MORTS ET LES<br />

FUNERAILLES<br />

Toute croyance plonge toujours ses racines dans un mon<strong>de</strong> mythique,<br />

car il faut que le produit <strong>de</strong> l'esprit soit autre chose qu'un produit pour que<br />

je puisse m'y soumettre religieusement- religion entendue dans le sens <strong>de</strong><br />

religere = relier. Mais relier moi-même à quoi? A une sorte <strong>de</strong> source<br />

énergétique située dans l'au-<strong>de</strong>là, qui me permet d'assumer et <strong>de</strong> perpétuer<br />

mon existence matérielle. Cette démarche est une nécessité pour tout être<br />

vivant qui cherche ce chemin vers ce quelque chose qui lui manque, ce<br />

vi<strong>de</strong> métaphysique qu'accuse l'environnement. Selon les mythes, l'homme<br />

abandonné, du fait <strong>de</strong> sa perversion, par son créateur dans un univers<br />

menaçant, et appelé à procréer, fonda une société qui ne pouvait pas vivre<br />

sans la connaissance vivante que détenait celui qui l'avait créé. Devant<br />

l'immensité du problème métaphysique, les Basaa formulèrent ainsi la base<br />

<strong>de</strong> leur philosophie <strong>de</strong> la vie: qu'est-ce qu'être? Etre c'est avoir été. Mais<br />

avoir été comment, par qui et quand? Telles furent les questions<br />

auxquelles il fallait avoir une réponse. Elle fut immédiatement trouvée: il<br />

fallait interroger le passé et remonter jusqu'au temps O. et notre<br />

philosophie établit ainsi r ordre <strong>de</strong> préséance et en fit la base <strong>de</strong> sa<br />

croyance.<br />

D'abord le créateur, ensuite le premier ancêtre créé par ce créateur,<br />

puis d'autres ancêtres et enfin lui-même.


Tableau nOS<br />

Fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la foi selon la logique filiatique<br />

HILOLOMBI<br />

CREATEUR<br />

{ NYAMBE ou Etre Suprême ou Endormi<br />

9<br />

1 5 MBOT Aïeul Fondateur<br />

2 4 ISOGOLSOGOL Arrière grand - père<br />

3 SOGOL<br />

2 SAN Père<br />

Grand - père<br />

141<br />

Bagwal Ascendants<br />

° 1 MAN Fils Plaque tournante<br />

3 2 NLAL<br />

3 NDANDI<br />

Petit - fils }<br />

. Balai Descendants<br />

Arrière petit - fils<br />

4 NDINDI Arrière - Arrière petit - filS}<br />

5 KITBON L'être du dépassement<br />

Selon le Basaa, ce tableau (voir aussi tableau n02) résume la filiation<br />

logique <strong>de</strong> tout être humain créé dont l'élément essentiel est l'héritier ou<br />

Man du tableau. C'est un cycle qui s'ouvre chaque fois par Mbot et qui se<br />

ferme par Kitbon.<br />

A partir <strong>de</strong> Kitbon cesse l'interdit <strong>de</strong> l'inceste: les parents ne se<br />

reconnaissent plus, d'où le nom Kitbon qui signifie l'être <strong>de</strong> la limite, <strong>de</strong><br />

fermeture et d'ouverture. C'est pour cela que nous l'avons appelé l'être du<br />

dépassement. Ainsi, tout être humain est le produit <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s<br />

ambivalents, l'un préétabli (bagwal), l'autre établi par l'égo ou Balau.<br />

Croire donc en ligne directe <strong>de</strong> l'Ego à l'ancêtre, c'est respecter l'ordre<br />

normal <strong>de</strong>s choses: aucune révélation spontanée. <strong>Ca</strong>r l'homme est 9 et<br />

Dieu est 9 + 1= 10, d'où le Basaa dit: bôô i nlel bé Iikan : au-<strong>de</strong>là du<br />

chiffre 9, plus <strong>de</strong> connaissance.


143<br />

<strong>de</strong>rnière partie sont réunis presque tous les objets familiers du défunt.<br />

Jadis, on y plaçait même <strong>de</strong>s esclaves (un homme et une femme), comme<br />

gar<strong>de</strong>s du corps et pour continuer à servir le maître dans l'au-<strong>de</strong>là. Cette<br />

espèce <strong>de</strong> tombe s'appelle ikafi ngoo = l'épine dorsale du silure (en forme<br />

d'accordéon).<br />

Il n'y a pas <strong>de</strong> cimetière public comme en Europe. Chaque<br />

groupement vit avec ses morts qui font toujours partie intégrante <strong>de</strong> la<br />

famille humaine dont ils forment la base. L'on voit que dans la vie comme<br />

dans la mort, la famille basaa se gar<strong>de</strong> d'être une association d'éléments<br />

divers; c'est une communauté au sens strict du mot. <strong>Les</strong> liens qui en<br />

unissent les membres sont d'ordre supérieur, transcendant, donc religieux.<br />

Nous en avons vu un exemple à l'occasion du mariage dans cette société.<br />

Ainsi, pour manifester la croyance en un créateur par un<br />

intermédiaire, l'ancêtre ou les ancêtres, il fallait trouver un moyen <strong>de</strong><br />

communication, et le règne animal en fournit un excellent gui<strong>de</strong>, le<br />

Ngambi'si, ou divinité, ou génie incarné dans une mygale. C'est ce que<br />

nous allons présenter dans la croyance relative à la nature.<br />

111- LES CROYANCES RELATIVES A LA NATURE:<br />

ANIMAUX - VEGETAUX - MINERAUX<br />

Pour les Basaa, la nature entière, qu'il s'agisse d'êtres vivants ou<br />

d'objets inanimés, est douée <strong>de</strong> forces immanentes. Ainsi la puissance<br />

appartient à l'éléphant, la vigueur à la panthère et la rapidité du vol au<br />

faucon. Parfois, pour lui, ces forces sont cachées mais néanmoins connues<br />

<strong>de</strong> tous: la noix <strong>de</strong> kola, la feuille <strong>de</strong> tabac, ont <strong>de</strong>s propriétés stimulantes<br />

ainsi que le fruit du piment; c'est pour cela qu'on les emploie dans les<br />

préparations <strong>de</strong>s ingrédients à l'occasion <strong>de</strong>s cérémonies d'initiation ou en<br />

décoctions qu'on fait boire aux guerriers la veille <strong>de</strong>s combats, ou aux<br />

mala<strong>de</strong>s.<br />

Ces vertus mystérieuses <strong>de</strong>s êtres et <strong>de</strong>s choses peuvent être<br />

appropriées par les humains qui détiennent une partie <strong>de</strong> ces êtres et <strong>de</strong> ces<br />

choses: le bracelet d'ivoire, le poil <strong>de</strong> la queue <strong>de</strong> l'éléphant ou <strong>de</strong> la<br />

crinière du lion, la <strong>de</strong>nt et la griffe <strong>de</strong> la panthère, les plumes du perroquet<br />

et du faucon, sont <strong>de</strong>s précieuses matières à talismans.<br />

Mais seuls pénètrent leurs secrets et utilisent leurs forces, les prêtres<br />

dans leur rôle <strong>de</strong> guérisseurs, les magiciens, les a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong>s sociétés


144<br />

ésotériques qui en font <strong>de</strong>s gris-gris, <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cines précieuses ou<br />

redoutables.<br />

Le soleil, la lune, les astres sont personnifiés dans les contes:<br />

- le soleil est un mari qui poursuit sa femme:<br />

- la lune et les étoiJes sont leurs enfants qui, effrayés <strong>de</strong>s dissensions qui<br />

séparent leurs parents, ont fui la colère <strong>de</strong> leur père et se sont dispersées<br />

partout dans le ciel NgL se cachant à son approche.<br />

Pour le Basaa, l'air est une gran<strong>de</strong> route qu'emploient les génies<br />

bakuki et les sorciers pour se rendre plus aisément d'un lieu à autre.<br />

Entre le mon<strong>de</strong> réel et celui <strong>de</strong>s esprits, le Basaa sent qu'il y'a <strong>de</strong>s<br />

êtres surnaturels par leur présence et leur action, puisqu'il leur attribue<br />

certains faits et méfaits, d'où la raison <strong>de</strong>s gestes religieux qu'il accomplit.<br />

La vie entière du Basaa est dominée par cette foi.<br />

Malgré toute cette foi aveugle ou réfléchie aux puissances et aux<br />

phénomèmes <strong>de</strong> la nature conditionnée par <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong>s génies ou bakuki,<br />

on ne trouve aucune statuette matérialisant soit hilôlômbi, soit <strong>de</strong>s génies,<br />

soit <strong>de</strong>s mânes. Le Basaa n'emploie que <strong>de</strong>s masques effrayants. Or, le<br />

Rév. Livingstone, qui ra constaté ce fait chez certains peuples <strong>de</strong> l'est<br />

africain, interprète cette absence <strong>de</strong> représentation grossière du mon<strong>de</strong><br />

supra-naturel comme une preuve <strong>de</strong> spiritualisme et prétend que c'est<br />

l'apanage <strong>de</strong>s peuples <strong>de</strong>s savanes dont les vastes horizons élèvent l'âme,<br />

alors qu'au contraire, les habitants <strong>de</strong>s sombres forêts équatoriales<br />

pratiquent l'idolâtrie.<br />

Pour ce qui est du Basaa du Bas-<strong>Ca</strong>meroun qui, actuellement, habite<br />

la forêt, espace qu'ils occupent 400 ans, personne n'ignore que ce peuple a<br />

longtemps séjourné dans les grands espaces du nord-est <strong>de</strong> la Sanaga, dans<br />

la région <strong>de</strong> l'Adamaoua, où ils vécurent après une longue traversée <strong>de</strong><br />

l'Afrique, partant <strong>de</strong>s bords du Nil en passant par le lac Léopold II et les<br />

savanes jusqu'au plateau central <strong>de</strong> l'Afrique.<br />

De toutes les croyances aux forces <strong>de</strong> la nature, la plus importante et<br />

<strong>de</strong> loin la plus redoutée était dans la nature animale incarnée dans<br />

Ngambi'si (mygale), génie protecteur <strong>de</strong> tout le peuple, et messager du<br />

mon<strong>de</strong> invisible en rapport avec le Ngé, une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s divinités du<br />

Panthéon.<br />

La première explication qui nous a été donnée sur cette croyance et<br />

cette soumission totale à un petit animal, c'est qu'elle serait la<br />

métamorphose d'un génie: son trou étant la <strong>de</strong>meure idéale <strong>de</strong>s génies et<br />

la terre elle-même étant une déesse <strong>de</strong> la vie en général, donc en contact


145<br />

avec le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dieux, seule son intercession serait digne d'être efficace.<br />

Cette croyance au Ngambi n'est pas particulière aux Basaa : les ashantis du<br />

Ghana, les Abouries, les Azandé, croient en Ananzé , les Congolais en<br />

Nyiko, premier fils <strong>de</strong> Dieu, chassé par son père par suite suite d'un inceste<br />

avec sa mère Mfam. En Haute Guinée, c'est Siya (araignée). Il serait<br />

tentant <strong>de</strong> croire que chassé par son père, il aurait emporté tous les secrets<br />

<strong>de</strong>s divinités, c'est pourquoi il se révèle par le moyen <strong>de</strong> la divination à<br />

ceux qui le consultent.<br />

La soumission du Basaa à ses volontés pourrait fort bien être justifiée<br />

par cette croyance qui explique pourquoi presque tous les Africains ont lié<br />

leur <strong>de</strong>stinée aux révélations <strong>de</strong> l'araignée.<br />

Ainsi, pour communiquer avec l'ancêtre qui se confond souvent avec<br />

Dieu Hilôlômbi, il fallait un intermédiaire sachant interpréter et manier<br />

avec <strong>de</strong>xtérité les objets divinatoires pour entrer en relation avec ce mon<strong>de</strong>.<br />

Voilà pourquoi l'araignée, élément <strong>de</strong> communication par excellence et<br />

dont nous ignorons quand et comment le premier homme entra en contact<br />

avec elle, conditionne toute la vie et l'existence <strong>de</strong>s Basaa : rapports avec<br />

les voisins, vie future, tels sont les termes que nous donnent les réponses à<br />

la divination, qui n'est qu'une démarche intellectuelle motivée par<br />

l'aigoisse existentielle. Comme tout être humain, le Basaa était troublé par<br />

le problème <strong>de</strong> déterminisme et celui <strong>de</strong> la contingence pour lesquels il<br />

avait cherché à sa façon une solution, voire la solution. Au milieu <strong>de</strong> sa<br />

forêt, en étroite relation avec le silence et la nature, le Basaa, <strong>de</strong>venu le<br />

jouet <strong>de</strong>s caprices <strong>de</strong> cette nature, et vivant dans le désordre initial et<br />

fondamental, avait senti un ordre caché, la présence d'un principe<br />

unificateur auquel rien n'échappe. C'est par là divination qu'il a voulu<br />

affirmer qu'il n'est plus un simple élément <strong>de</strong> la nature. Dans la divination<br />

il est passé <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> nature à celle <strong>de</strong> la culture. Cette divination en tant<br />

que réalité religio-culturelle atteste la volonté d'être lui-même au milieu<br />

<strong>de</strong>s autres créatures. En sachant ce qui se passe et ce qui va se passer, le<br />

Basaa avait cessé d'être le jouet <strong>de</strong>s caprices <strong>de</strong> la nature. En l'absence <strong>de</strong><br />

divination, le désordre <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> aurait pu créer une situation<br />

inquiétante. C'est la divination qui rassure le Basaa sur son existence.<br />

L'araignée jouant le rôle d'intermédiaire symbolisait l'intelligence.<br />

Notons que la contemplation sans religion, c'est-à-dire sans lien<br />

organisé, du créé au créateur, n'aurait pas amené <strong>de</strong> solution. <strong>Ca</strong>r la<br />

religion, nous l'avons dit plus haut, est une nécessité qui fournit à l'homme<br />

vivant le chemin vers la source <strong>de</strong>s énergies, un homme situé dans un


146<br />

mon<strong>de</strong> qui le dépasse, mon<strong>de</strong> peuplé, pense le Basaa, d'êtres qui vivent,<br />

mangent, se déplacent, se fâchent comme ils s'amusent, à l'image <strong>de</strong> son<br />

mon<strong>de</strong> propre, celui qu'il voit et dans lequel il vit. Ce mon<strong>de</strong> invisible et,<br />

pourtant, présent, c'est celui <strong>de</strong>s dieux, aussi hiérarchisé mais aussi<br />

perturbé que le sien.<br />

Cette pensée nous amènera à examiner enfin chapitre la réalité <strong>de</strong> ce<br />

mon<strong>de</strong> qu'il sied <strong>de</strong> nommer invisible.<br />

IV- LES CROYANCES RELATIVES A LA NOTION DE DIEU<br />

SUPREME, DES DIEUX SECONDAIRES, ET LE PANTHEON<br />

Le Basaa croit en une divinité supérieure qui aurait existé <strong>de</strong> toute<br />

éternité. IlIa nomme Hilôlômbi 39 ou Mbot, avons-nous dit. Le premier <strong>de</strong>s<br />

termes signifie le plus ancien. et le <strong>de</strong>uxième, le Créateur <strong>de</strong> :<br />

- Nlôm ou Nlômbi = vieux, ancien,<br />

- Bot = créer, produire en multipliant,<br />

- M'bot = celui qui crée.<br />

- Libot = la richesse, la production.<br />

Le terme connote aussi le sens <strong>de</strong> l'atome ou 'l'infiniment petit ou<br />

grand', l'Etre le plus éloigné, dont on ne fait aucune mention dans les<br />

cultes ou cérémonies. L'absence totale <strong>de</strong> son nom dans la liturgie seraitelle<br />

la concrétisation <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> qui dit: «Au commencement <strong>de</strong>s<br />

temps, Hilôlômbi ou Nyambe créa les génies et le premier couple humain»<br />

«qui n'avait pas <strong>de</strong> nombril» ? Ce couple eut <strong>de</strong> nombreux enfants qui,<br />

eux-mêmes, se multiplièrent. N'Yambé vécut longtemps avec eux dans les<br />

savanes au nord <strong>de</strong> la Sanaga, près du rocher Ngok Lituba. A cette époque.<br />

les hommes étaient heureux, ignorant la mort et la douleur. Devenus vieux,<br />

il leur suffisait <strong>de</strong> passer neuf jours auprès d'un arbre appelé singan pour<br />

retrouver la jeunesse et recommencer une vie nouvelle. <strong>Les</strong> hommes<br />

augmentaient en nombre mais <strong>de</strong>vinrent méchants et oublièrent d'honorer<br />

N'Yambé, leur «Vieux Père ». Courroucé, celui-ci les rassembla et, leur<br />

présentant un faisceau <strong>de</strong> menues verges, leur dit: «Que les plus forts<br />

d'entre vous viennent rompre ces tiges que j'ai liées ensemble! »<br />

Plusieurs s'y essayèrent, mais en vain. Dénouant alors le lien du<br />

faisceau, N'Yambé prit les baguettes qui le composaient et, les jetant aux<br />

hommes, il leur commanda <strong>de</strong> les briser, ce qu'ils firent sans effort.<br />

39 Hilôlômbi se décompose en Hilo : le sommeil; Nlômbi : ancien. Ainsi, le vrai sens <strong>de</strong><br />

Dieu serait l'être ancien endormi.


148<br />

l'inceste, les possessions. En somme, ils sont respectés et sont censés lutter<br />

contre les mauvais esprits ou sorciers, jeteurs <strong>de</strong> sorts.<br />

<strong>Les</strong> Basaa, dans le contexte précolonial, ont un\:! civilisation agraire<br />

comme presque tous les Bantu, et, partant, pratiquent l'animisme, cette<br />

croyance selon laquelle les vivants et les morts participent à la même<br />

puissance cosmique. Ici, les objets <strong>de</strong> la nature sont doués <strong>de</strong> personnalité<br />

et <strong>de</strong> volonté qui interfèrent avec celles <strong>de</strong>s hommes. Ainsi, le Basaa<br />

croira-t-il qu'une rivière qui ne donne pas <strong>de</strong> poissons est habitée <strong>de</strong> génies<br />

mécontents; dans ce cas, si un nageur s'y noie, c'est la rançon d'un forfait<br />

accompli à l'encontre du grand Maître <strong>de</strong>s mânes <strong>de</strong>s eaux, Ituk Yambén.<br />

C'est une croyance fondamentale du Basaa que ces génies ont une<br />

existence réelle sous <strong>de</strong>s formes animées. Ce sont les ninkuki ou bakuki<br />

(revenants) sur la terre, les dikidik di bôt (les hommes courts) dans les<br />

airs, et le bisima (mères et <strong>de</strong>moiselles <strong>de</strong>s eaux).<br />

Le Basaa primitif croit que ces esprits possè<strong>de</strong>nt une « âme» qui est<br />

caractérisée soit par le souffle (nhébég), le double (mbuu), l'ombre (yiye)<br />

et la personnalité, dont chacune a sa <strong>de</strong>stinée particulière. <strong>Les</strong> autres<br />

divinités telles que le Ngé, le Um, le koo, le Ngene. etc .. ne sont pas <strong>de</strong>s<br />

divinités <strong>de</strong> second rang. Ce sont <strong>de</strong>s <strong>de</strong>mi-dieux ou <strong>de</strong>s dieux-hommes. Et<br />

c'est cette incompréhension du véritable Panthéon du Basaa qui fera écrire<br />

<strong>de</strong>s inexactitu<strong>de</strong>s à certains auteurs pourtant bien intentionnés, en<br />

confondant Ngambi avec Ngé, Ngé avec Hilôlômbi et Hilôlômbi avec<br />

Um.<br />

D'après les <strong>de</strong>scriptions faites dans les chapitres « Divination »,41 le<br />

corps <strong>de</strong> Ngambi n'est jamais apparu dans la préparation d'un médicament<br />

appelé Ngambi, selon Yves Nicol.<br />

Que l'homme <strong>de</strong> Ngambi fût en même temps législateur, mé<strong>de</strong>cin et<br />

auxiliaire <strong>de</strong> la justice, il n'y avait pas lieu <strong>de</strong> le considérer comme un<br />

pauvre magicien <strong>de</strong> conception non-africaine. Le «Mut Ngambi» est,<br />

avant tout, le prophète d'un dieu caché inaccessible aux hommes. Ce Dieu<br />

qui est incarné dans l'araignée lui fait voir le passé, connaître le présent et<br />

prédire l'avenir.<br />

C'est ici que la religion <strong>de</strong>s <strong>Bassa</strong> se rapproche un peu <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s<br />

Juifs par les fonctions <strong>de</strong> prophète que remplissent les « Bot Ba Ngambi »<br />

et <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s Egyptiens avec <strong>de</strong> multiples dieux autour d'Osiris.<br />

41 Voir notre étu<strong>de</strong> sur la Réligion <strong>de</strong>s Basaa, Département <strong>de</strong> la Culture-UNESCO


151<br />

Si la calamité frappe le groupe (famille nucléaire, famille étendue,<br />

clan, tribu), le rôle revient au Nkaambok, chef du groupe suivant le <strong>de</strong>gré,<br />

et l'on se rend au lieu du culte olt la cérémonie publique (le Saï) se passe<br />

en présence <strong>de</strong> tous les peuples <strong>de</strong> tous les clergés réunis, avec l'assistance<br />

<strong>de</strong>s ancêtres auxquels on s'adressera <strong>de</strong> temps en temps à travers les<br />

prières d'intercession et au moment <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s. Ceci se passe à un<br />

carrefour <strong>de</strong> chemins, dans un coin du village aménagé pour la<br />

circonstance, <strong>de</strong>vant un autel sur une pierre, ou dans un bosquet.<br />

Le plus grand sanctuaire que j'ai visité est le Tun Likân buisson<br />

sacré, à lôg Bakén Babimbi oll se trouve une source sacrée sourdant d'un<br />

rocher sur lequel est accroché un arbre dont les racines n'entrent pas dans<br />

le sol, mais qui ne périt jamais, même en saison sèche. Cet arbre mythique<br />

planté par les ancêtres porte presque les feuilles <strong>de</strong> tous les arbres<br />

mythiques <strong>de</strong> la forêt <strong>de</strong> chez nous. Jadis on offrait à cet endroit le jour du<br />

marché ouvert qui est à côté, <strong>de</strong>s chèvres et <strong>de</strong>s poulets au cours <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s manifestations populaires. Cela se passait une fois tous les ans,<br />

vers janvier, au moment <strong>de</strong>s cultures <strong>de</strong>s champs. C'est là qu'au cours <strong>de</strong><br />

nos enquêtes, nous avions eu la prophétie <strong>de</strong> la pythonisse rapportée plus<br />

haut.<br />

D'une anecdote telle que celle rappelée ci-<strong>de</strong>ssus, nous voyons ce<br />

qu'est pour un Basaa la personne « Mut ». C'est d'abord un être total, qui<br />

participe dans sa vie à <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s et à <strong>de</strong>ux genres <strong>de</strong> vie, d'une part<br />

physiquement et son «nyu et son kôkô », le corps et son enveloppe<br />

visible, dont le yiyinda et le titii peuvent être attaqués par les sorciers ou<br />

les envoûtements, d'olt l'explication chez lui <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> certaines<br />

maladies. Mais pourquoi ces maladies arrivent-elles? Il faut que les<br />

principes spirituels aient perdu certaines <strong>de</strong> leurs forces. Cette diminution<br />

<strong>de</strong> forces d'autre part amène l'angoisse, et pour remédier à cet état <strong>de</strong><br />

choses, le Basaa aura recours à un spécialiste qui n'est autre que le Mut<br />

NgambL leguel diagnostique et propose <strong>de</strong>s thérapeutiques. A cet effet, il<br />

est son mé<strong>de</strong>cin consultant.<br />

<strong>Les</strong> soins seront assurés par le « Mut Njék », un autre mé<strong>de</strong>cin, celuilà<br />

soignant. Tous les <strong>de</strong>ux appartiennent au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Bayimam, dans<br />

une société dite Yima-Mbok ou religion du peuple. <strong>Les</strong> rôles <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong><br />

religion sont multiples. Tantôt conseillers techniques <strong>de</strong>s Bambomk dans<br />

les affaires temporelles, tantôt arbitres suprême <strong>de</strong> toute la société, leurs<br />

décrets revêtent la puissance <strong>de</strong>s forces occultes qu'ils ont préalablement<br />

consultées par <strong>de</strong>s procédés divinatoires afin d'éviter toute décision


152<br />

erronée ou <strong>de</strong> s"écarter <strong>de</strong> la bonne voie. C'est le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la<br />

responsabilité, une responsabilité collective ou collégiale qui leur permet<br />

<strong>de</strong> mener dans l'ordre et la cohésion, la paix et le respect. une société (<strong>de</strong>s<br />

bôt, sing: mut) aussi complète et apparemment anétatique que celle que<br />

nous avions présentée dans cette étu<strong>de</strong>.<br />

Il ne serait pas peut-être prétentieux <strong>de</strong> dire que seuls pouvaient<br />

réussir une telle organisation, <strong>de</strong>s hommes civilisés, nantis d'une sagesse<br />

di vine parce qu'appuyée sur la protection <strong>de</strong>s ancêtres.<br />

La religion juive <strong>de</strong> laquelle découle le christianisme n'est-elle pas<br />

un modèle <strong>de</strong> cette croyance dans l'invocation d'Elie pour le Roi ACHAB<br />

<strong>de</strong>vant les menaces d'invasions <strong>de</strong> ses ennemis? S'il y avait <strong>de</strong>s prêtresmé<strong>de</strong>cins<br />

tel le «Mut Ngambi » dans cette religion, c'est qu" il y avait<br />

aussi les dieux auxquels ils <strong>de</strong>vaient rendre un culte, et c'est <strong>de</strong> cet<br />

ensemble <strong>de</strong>s dieux basaa que nous parlerons en présentant une esquisse du<br />

panthéon basaa(tableau n08).


Tableau n08<br />

1<br />

<strong>Les</strong> autres divinités<br />

Esquisse du panthéon<br />

Dieu Génies Esprit<br />

Hilôlômbi ou Nyambé (Dieu Créateur)<br />

Isogolsôgôl (1 ère ancêtre créé non manifesté)<br />

Basôgôl : ancêtres dont le <strong>de</strong>rnier patriarche décédé<br />

Ngambi : Grand génie, fils du Créateur, personnifié<br />

Par l'Araignée et representé par la Confrérie<br />

Ngambi avec, à la tête, le Mut Ngambi<br />

Um Koo Ngwe Hilingô Diyim Sun-Kân Nsofi kuk-njog<br />

les esprits <strong>de</strong>s airs <strong>Les</strong> esprits <strong>de</strong> la brousse <strong>Les</strong> esprits souterrains <strong>Les</strong> esprits <strong>de</strong>s eaux<br />

3 Dikidik di bôt BaJémba ou Bayon Bakuki bisima<br />

{ (Hommes courts) (Revenant, mauvais<br />

messager)<br />

(Messager bienveillant)<br />

Ce tableau tel qu'il est présenté n'est ni exhaustif, ni exclusif; il n'est<br />

que le reflet <strong>de</strong> notre classement au sta<strong>de</strong> actuel <strong>de</strong> nos recherches. <strong>Les</strong><br />

explications découlant <strong>de</strong> ce classement sont susceptibles d'additions<br />

supplémentaires, étant donné la difficulté, dans la société étudiée, d'obtenir<br />

toutes les explications souhaitées.<br />

Cette observation étant faite, examinons, rune après r autre, les<br />

diverses divinités <strong>de</strong> ce panthéon. Notre tableau présente trois <strong>de</strong>grés<br />

d'appréhension.<br />

On note au sommet la présence <strong>de</strong> Hilôlômbi ou Nyambé, Dieu<br />

créateur <strong>de</strong> tout]' univers, ensuite le premier ancêtre créé par ce Hilôlômbi<br />

ou Isôgôlsôgôl. C'est un ancêtre qu'on suppose avoir existé, quand bien<br />

même son nom ne serait pas connu: mais comme la création <strong>de</strong> l'homme a<br />

153


154<br />

pour finalité <strong>de</strong> peupler le mon<strong>de</strong>. <strong>Les</strong> fils <strong>de</strong> cet Isôgôlsôgôl. c'est-à-dire<br />

les Basôgôl (sing.isôgôl), nous permettent <strong>de</strong> nouer <strong>de</strong>s relations avec ce<br />

mon<strong>de</strong> mythique.<br />

L'existence <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> pour un Basaa ne pose pas l'ombre d'un<br />

doute. Pour entrer en contact avec lui, Hilôlômbi a révélé aux hommes un<br />

moyen <strong>de</strong> communication qui est son fils incarné dans l'araignée ou<br />

Ngambi, la plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes les divinités protectrices <strong>de</strong>s Basaa.<br />

Ngambi est un dieu omniprésent parce qu'il donne la clé <strong>de</strong> tous les<br />

problèmes passés, présents et à venir. Il est immanent parce qu'il<br />

s'i<strong>de</strong>ntifie à Hilôlômbi. Il est transcendant parce que supérieur aux<br />

hommes; il est omnipotent, parce qu'on se réfère à lui à tout moment<br />

quand disparaît l'espoir ou la force, et lorsque diminue la vitalité pour<br />

entreprendre telle ou telle action. Ngambi est omniforme, parce qu'il se<br />

présente tantôt sous une forme animale, tantôt sous une forme humaine. ou<br />

encore végétale, ou minérale.<br />

Ces différents attributs intrinsèques <strong>de</strong> Dieu Hilôlômbi incarnés en<br />

son fils Ngambi, messager et intermédiaire entre le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s hommes<br />

(visible) et celui <strong>de</strong>s dieux (invisible) nous mettent <strong>de</strong>vant d'autres attributs<br />

tant éternels (infinité, immuabilité, ubiquité, indéfini té, définité, transfinité)<br />

qu'actifs (diversité, unité, «ordination », mobilité, pluri-dimension et<br />

totalité <strong>de</strong> Dieu). Grâce à ces <strong>de</strong>rniers attributs, nous entrons dans un<br />

mon<strong>de</strong> qui paraît tantôt divers (pluralité <strong>de</strong>s divinités), tantôt unique (Dieu<br />

Hilôlômbi), qui par ses attributs moraux sera dispensateur <strong>de</strong>s biens pour la<br />

survie <strong>de</strong>s hommes, producteur <strong>de</strong>s savoirs, justicier ou distributeur <strong>de</strong>s<br />

héritages suivant l'angle sous lequel on l'adore. Nous entrons dans un<br />

mon<strong>de</strong> mobilisateur <strong>de</strong>s sociétés, investisseur <strong>de</strong> tout ce qui concourt à la<br />

vie pratique au sein <strong>de</strong> ces sociétés, investisseur <strong>de</strong> tout ce qui concourt à<br />

la vie pratique au sein <strong>de</strong> ces sociétés organisées (ici le Dieu éconimicus),<br />

et enfin régulateur <strong>de</strong>s forces qui doivent prési<strong>de</strong>r à la marche harmonieuse<br />

<strong>de</strong>s sociétés. C'est le Dieu « politicus ».<br />

La multiplicité <strong>de</strong> dieux du Panthéon ne s'explique que par les<br />

dimensions multiples d'un Créateur un et divers. Et le génie Ngambi se<br />

place comme intermédiaire idéal entre le dieu incarné dans l'ancêtre et<br />

l'homme sa <strong>de</strong>scendance.<br />

Chaque divinité du panthéon caractérisera dès lors la manifestation <strong>de</strong><br />

chaque aspect <strong>de</strong> ce dieu un et multiple. C'est ainsi qu'autour <strong>de</strong> Ngambi<br />

sera bâtie une confrérie pour perpétuer le culte au dieu du même nom. Le<br />

fait qu'on rencontrera le Ngambi si (araignée souterraine), le Ngambi


155<br />

nlatin (l'incarnation dans les cornes d'un animal), le ku Ngambi<br />

(incarnation dans la pierre), le Ndingil Ngambi (incarnation dans l'air)<br />

démontre assez éloquemment que le clergé basaa, en faisant adorer les<br />

éléments terre, air, nlétaL feu, bois et eau, n'ignorait pas que ces<br />

éléments portaient en quelque sorte une partie <strong>de</strong> Dieu, en tant que totalité<br />

dans la mobilité.<br />

A côté <strong>de</strong> Ngambi, viennent d'autres divinités. La première, dans cet<br />

ordre, est le Ngé. Le Ngé est le maître <strong>de</strong> la terre, du sous-sol, <strong>de</strong>s forêts et<br />

<strong>de</strong>s cultures. Il comman<strong>de</strong> aux âmes désincarnées que la mort envoie dans<br />

son royaume, dispose <strong>de</strong> la richesse et <strong>de</strong> r existence <strong>de</strong> tout ce qui vit sur<br />

terre. Ngé, qui est une émanation <strong>de</strong> Dieu, porte les caractéristiques <strong>de</strong> ce<br />

Dieu. On le confond quelquefois avec la déesse Terre. On ne s'étonnera<br />

pas d'entendre parler <strong>de</strong> Ngé Mpofi, <strong>de</strong> Ngé Mbel, autres attributs <strong>de</strong> cette<br />

divinité sur laquelle nous ne possédons pas ici d'éléments suffisants<br />

d'information. Cette divinité Ngé, après le Ngambi, était la plus redoutée<br />

<strong>de</strong>s Basaa, parce que, en tant que maîtresse <strong>de</strong> la terre, <strong>de</strong>s richesses et<br />

commandant <strong>de</strong>s âmes désincarnées, aucun être n'échappait à son emprise.<br />

C'est pourquoi sa confrérie faisait l'objet d'un secret jaloux. Son<br />

incarnation en un homme était entourée d'un mystère tel que son seul nom<br />

inspirait une crainte effroyable. Comment et quand il est parvenu à la<br />

connaissance <strong>de</strong>s hommes, nous ne le savons pas.<br />

La divinité la plus rapprochée était le Njék dont le rôle était <strong>de</strong> lutter<br />

contre les malfaiteurs et les mauvais esprits.<br />

La quatrième sera le Um, déesse <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine par excellence.<br />

Ensuite venaient:<br />

- le lép-Iiemb, dieu idéal pour le traitement <strong>de</strong>s maladies d'origine<br />

psychologique,<br />

- le Hijingo, dieu <strong>de</strong> la possession,<br />

- le Ngwee, dieu protecteur <strong>de</strong>s voyageurs nocturnes, c'est-à-dire ceux qui<br />

étaient capables <strong>de</strong> se transformer en animaux ou oiseaux, ou <strong>de</strong> voyager<br />

dans d'autres pays sans quitter leur domicile,<br />

- le Bobe : dieu <strong>de</strong> la paix et <strong>de</strong> l'accommo<strong>de</strong>ment. <strong>de</strong> la diplomatie en un<br />

mot, du charme,<br />

- le Kôn Iikafi, dieu <strong>de</strong> la richesse par la « vente» <strong>de</strong>s âmes prises par le<br />

jeu nocturne <strong>de</strong>s voyageurs signalés dans le Ngwe.<br />

Au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s dieux, r on trouvait <strong>de</strong>s esprits qui n'ont jamais eu <strong>de</strong><br />

corps. Ils sont censés vivre dans l'eau, dans l'air, dans la brousse ou sous<br />

terre. Ce sont les messagers <strong>de</strong> diverses divinités.


156<br />

<strong>Les</strong> esprits <strong>de</strong>s airs: les Dikidik dibôtt (sing. Hikitik himut),<br />

hommes courts avec beaucoup <strong>de</strong> cheveux, capables <strong>de</strong> nuisances<br />

multiples.<br />

<strong>Les</strong> esprits <strong>de</strong> la brousse: les Balémba (sing. Nlémba), esprits<br />

sylvestres, peuvent servir <strong>de</strong> médium quelquefois, Ol! habitent les<br />

cimetières ; annoncent la mort.<br />

<strong>Les</strong> esprits souterrains: les Bakuki (sing ; nkuki), esprits vivant au<br />

royaume <strong>de</strong>s Bawoga ou pays <strong>de</strong>s morts, mais voyageurs messagers entre<br />

ce royaume et le mon<strong>de</strong> visible. Habitent <strong>de</strong>s endroits connus <strong>de</strong>s sorciers,<br />

tels que rochers, cavernes ou arbres.<br />

Enfin les esprits <strong>de</strong>s eaux ou Bisima (sing. Sima), mot qui signifie<br />

habitant <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssous les rochers <strong>de</strong>s fleuves ou rivières. Le chef <strong>de</strong> ces<br />

esprits est Ituk Yambén, mot qui signifie: «celui qui est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s<br />

lois », parce que tout noyé tombe sous sa dépendance. Lui aussi dispose<br />

<strong>de</strong>s richesses, <strong>de</strong> la chance et du bonheur. La légen<strong>de</strong> basaa le représente<br />

en une femme blon<strong>de</strong> qu'on rencontre près <strong>de</strong>s chutes <strong>de</strong>s fleuves ou sur<br />

les bancs <strong>de</strong> sable. On dit que lorsqu'il choisit un homme, celui-ci ne peut<br />

plus se marier; c'est lui qui <strong>de</strong>vient son épouse, mais une épouse qui<br />

comble <strong>de</strong> richesses son mari qu'elle ne visite que la nuit, dans une<br />

chambre sans lumière, ni papier blanc, parce qu'elle-même répand la<br />

lumière par sa simple présence. On l'appelle quelquefois Mamiwata =<br />

mère <strong>de</strong>s eaux. Il a droit à <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s à certains endroits du fleuve<br />

Sanaga. Souvent j'ai assisté à ces offran<strong>de</strong>s la nuit, lorsque nous revenions<br />

<strong>de</strong> r océan Atlantique jusqu'à Edéa, en pirogue sur ce fleuve.<br />

<strong>Les</strong> messagers <strong>de</strong> cet esprit sont les Bisima, qui peuplent les rivières.<br />

Toute noya<strong>de</strong> est attribuée à leur colère, ou toute méchanceté <strong>de</strong>s caïmans.<br />

En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toutes les croyances rapportées dans les pages<br />

précé<strong>de</strong>ntes, il y a une autre pratique d'ordre culturel susceptible <strong>de</strong><br />

s'attirer la bienveillance <strong>de</strong> ces puissances. Le but que se proposent ces<br />

pratiques et ces diverses croyances fait à lui seul l'objet <strong>de</strong> multiples<br />

interdits et tabous.<br />

Bien que croyant à la survie <strong>de</strong> l'âme, le Basaa n'attend pas la<br />

récompense ou le châtiment <strong>de</strong> ses actions un jour, après avoir quitté cette<br />

terre. La vie au-<strong>de</strong>là sera toujours la même, sinon les morts qui s'y ren<strong>de</strong>nt<br />

seraient revenus <strong>de</strong>puis, pense-t-il ; c'est pourquoi, les ancêtres ayant vécu<br />

longtemps et eu beaucoup <strong>de</strong> richesses parce qu'ils observaient tout ce<br />

qu'il fait lui-même, et il lui revient à lui aussi <strong>de</strong> faire autant s'il veut


157<br />

profiter <strong>de</strong>s mêmes dispositions, d'où le sens <strong>de</strong>s interdictions, <strong>de</strong>s tabous,<br />

du tableau ci-après.<br />

On notera par ailleurs que, tous les interdits ne relèvent pas <strong>de</strong> la vraie<br />

religion, mais sont cependant observés sans défaillance. Le Basaa y croit<br />

quand même parce que l'ancêtre les a observés et a vécu longtemps:<br />

pourquoi pas lui?<br />

Selon le Dr. BA YIGA 42, «le Basaa connaît un certain nombre <strong>de</strong><br />

présages », dont voici quelques-uns:<br />

1) Si. chez vous. vous enten<strong>de</strong>z passer r oiseau appelé éga (défrichez),<br />

sachez que le temps du défrichement <strong>de</strong>s champs est désormais arrivé.<br />

2) Si. lors d'une promena<strong>de</strong> à travers le champ ou dans la forêt<br />

vierge, vous enten<strong>de</strong>z le chant d' un coucou, hilo en basaa, sachez que c'est<br />

un heureux présage si l'oiseau chante à votre gauche: dans le cas contraire,<br />

sachez que c'est un mauvais présage, un malheur imminent.<br />

3) Tout individu masculin peut <strong>de</strong>venir impuissant après la piqûre<br />

d'un certain insecte connu seulement <strong>de</strong>s vieux. De même, si un garçon<br />

expose ses organes génitaux nus <strong>de</strong>vant un lézard n'sobongo (sorte <strong>de</strong><br />

saurien qui reste à proximité <strong>de</strong>s cases et aime se chauffer au soleil), il<br />

risque <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir impuissant.<br />

4) Le song-kum ou halo, sorte <strong>de</strong> cercIe lumineux qui entoure le<br />

soleil, ou la lune, annonce la mort imminente d'un grand personnage <strong>de</strong> la<br />

collectivité. Chaque fois qu'un chef apercevait ce halo, il se croyait en<br />

danger <strong>de</strong> mort.<br />

5) Il est interdit <strong>de</strong> se promener la nuit et surtout aux environs <strong>de</strong>s<br />

cimetières. <strong>de</strong> peur d'y rencontrer <strong>de</strong>s fantômes ou <strong>de</strong>s esprits malfaisants<br />

réunis en conseil nocturne.<br />

6) Le fait <strong>de</strong> porter au doigt un anneau <strong>de</strong> cuivre préserve <strong>de</strong> la<br />

foudre.<br />

7) Il faut éviter <strong>de</strong> donner une taloche au sommet <strong>de</strong> la tête d'un<br />

enfant ou <strong>de</strong> lui faire porter une pierre sur la tête, cela risque <strong>de</strong> ralentir sa<br />

croissance. De même il est d'usage <strong>de</strong> verser sur la tête d'un enfant du lait<br />

<strong>de</strong> coco afin qu'il grandisse.<br />

8) Si une panthère fréquente les abords <strong>de</strong> votre maison, gar<strong>de</strong>z-vous<br />

<strong>de</strong> prononcer le nom 'panthère' <strong>de</strong> peur qu'elle ne <strong>de</strong>meure longtemps près<br />

<strong>de</strong> votre maison et ne finisse par vous attaquer.<br />

9) Si le hibou se pose la nuit sur le toit <strong>de</strong> votre maison, en poussant<br />

<strong>de</strong>s cris «hou, hougou, hou. hougou. houou », chassez-le car c'est un<br />

42 Dr. BA YIGA : Thèse <strong>de</strong> Doctoral en Sciences Religieuses: L'Homme qui voit la nuit


158<br />

mauvais esprit envoyé par un <strong>de</strong> vos ennemis pour vous importuner. Si,<br />

ensuite. il s'agit d'un concert <strong>de</strong> hibous, sachez qu'un jeu nocturne (liemb)<br />

se prépare ou est en train <strong>de</strong> se dérouler dans votre village.<br />

10) Si vous enten<strong>de</strong>z le cri d'un corbeau nocturne appelé mboge mim<br />

(le transporteur <strong>de</strong> cadavres) et si l'oiseau vient jusqu'à passer au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> votre toit, levez-vous, faites réveiller tous ceux qui donnent dans votre<br />

maison, car le mbege mim annonce l'arrivée d'un esprit qui prend le<br />

double <strong>de</strong>s vivants. Une fois le réveil forcé opéré, sortez et adjurez l'oiseau<br />

<strong>de</strong> malheur en ces termes: tagbe tagbe, yag we waw 0 (éloigne-toi.<br />

éloigne-toi d'ici, toi aussi tu mourras).<br />

11) Il faut éviter <strong>de</strong> frotter le balai sur quelqu'un, cela porte malheur.<br />

12) Surprendre à l'aube une femme en train d'uriner est <strong>de</strong> mauvaise<br />

augure. Il en est <strong>de</strong> même pour une femme qui rencontre un homme dans<br />

les mêmes conditions. Le Basaa dira dans ce cas: i kel ini imbe me<br />

bisimba (ce jour est néfaste).<br />

13) <strong>Rencontre</strong>r un beau mille-pattes <strong>de</strong> couleur marron (néngét<br />

ngongo) est un signe <strong>de</strong> joie, mais en rencontrer un noir (nlanga ngongo)<br />

est un signe <strong>de</strong> malheur.<br />

14) Le fait <strong>de</strong> se cogner le pied en sortant <strong>de</strong> sa case est mauvais<br />

signe. Le Basaa, dans ce cas, dit sans hésiter: hibagi hi nség me njel (il n'y<br />

a pas moyen <strong>de</strong> continuer) ; après cette constatation, s'il allait en voyage, il<br />

y renonce, du moins ce jour-là, quelque important qu'il soit.


CHAPITRE VII<br />

LA VIE INTELLECTUELLE ET<br />

ARTISTIQUE 1


162<br />

L'on notera qu'en Afrique, le chant ne va pas sans la danse. C'est<br />

pourquoi les différents poèmes accompagnant divers instruments: à vent. à<br />

cor<strong>de</strong>s ou à rythmes, épousaient les danses afférentes.<br />

<strong>Les</strong> chants religieux étaient ceux qu'on utilisait au moment <strong>de</strong><br />

certains rites <strong>de</strong> passage (naissance, exorcisme, bénédiction, mariage,<br />

enterrement).<br />

<strong>Les</strong> chants magiques accompagnaient les séances <strong>de</strong> guérison; c'est<br />

le cas <strong>de</strong>s chants d' Ifon (l).<br />

<strong>Les</strong> chants populaires étaient ceux chantés surtout par les femmes à<br />

l'occasion d'une victoire sur une tribu ennemie. C'est le cas du poème<br />

«BILON BI NLEP », l'homme qui avait chassé les Fang <strong>de</strong> la région<br />

actuelle du pays basaa et donné le patrimoine à l'ethnie.<br />

<strong>Les</strong> différents instruments étaient:<br />

a- à rythmes: m 'be (sorte <strong>de</strong> bambou strié sur lequel on frottait un<br />

anneau);<br />

b- à cor<strong>de</strong>s: hilufi (la cithare), mpôh, ndinga (guitare) ;<br />

c- à vent: sép, hikos, hiofi.<br />

Ces trois instruments épousent la forme <strong>de</strong>s fifres et flûtes et<br />

sont employés quelquefois pour transmettre aussi <strong>de</strong>s nouvelles.<br />

A côté <strong>de</strong> ceux-ci, il y a <strong>de</strong>s instruments à percussion:<br />

a- Mandjafi : sorte <strong>de</strong> xylophone,<br />

b- Ngom : le tambour,<br />

c- Nku : le tam-tam téléphone,<br />

d- Minkéfi : les gongs.<br />

<strong>Les</strong> minkéfi se présentent sous <strong>de</strong>ux formes:<br />

a) les minkéfi pour la danse religieuse <strong>de</strong> « Sô» sont constitués <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux lamelles symétriques <strong>de</strong> fer battu soudées en saillie avec arêtes<br />

latérales et manche en bois fixé à la résine. Ils se présentent quelquefois<br />

sous la forme double.<br />

b) les minkéfi <strong>de</strong> « kon », danse religieuse <strong>de</strong>s femmes, ressemblent à<br />

<strong>de</strong>s xylophones dont les lamelles <strong>de</strong> bois sont supportées par <strong>de</strong>ux troncs<br />

<strong>de</strong> bananier parallèles sur lesquels on tape avec <strong>de</strong>ux morceaux <strong>de</strong> bois<br />

appelés « tôm » ou la moelle <strong>de</strong> bambou <strong>de</strong> chine dur, et posés à même le<br />

sol.<br />

En plus <strong>de</strong> ces instruments, le Basaa emploie, outre sa voix, qui est<br />

l'une <strong>de</strong>s plus mélodieuses d'Afrique (à en juger actuellement par les<br />

chorales religieuses), ses mains et ses pieds.


163<br />

Pour certaines danses comme le "Mban' (la danse combinatoire), seul<br />

l'emploi <strong>de</strong> ces éléments: voix, mains et pieds donne le rythme.<br />

1.2 LA DANSE<br />

La danse était le grand divertissement <strong>de</strong>s Basaa, et r est encore <strong>de</strong><br />

nos jours, dans les villages les plus reculés. On peut classer les danses<br />

Basaa en cinq catégories:<br />

a- <strong>Les</strong> danses religieuses <strong>de</strong>s homnles : bisôô, njé nku, Iihôngô<br />

Le Bisôô était une danse d'expiation au retour <strong>de</strong>s expéditions<br />

guerrières. Ne pouvait y prendre part que celui qui a tué <strong>de</strong> sa main un<br />

homme et qui le justifie par le port <strong>de</strong> lanières <strong>de</strong> peau <strong>de</strong> panthère. Ces<br />

lanières, <strong>de</strong> nos jours, sont remplacées par les galons <strong>de</strong> généraux <strong>de</strong>s<br />

armées mo<strong>de</strong>rnes. Comme son nom l'indique -« sôô» vient <strong>de</strong> « so »<br />

(laver)-. on <strong>de</strong>vait expier et implorer l'assistance <strong>de</strong>s ancêtres pour justifier<br />

que s'il y a eu meurtre, c'est par légitime défense. On employait six gongs,<br />

<strong>de</strong>ux grands et <strong>de</strong>ux petits soudés <strong>de</strong>ux à <strong>de</strong>ux, plus un grand et un petit.<br />

On dansait en rond, surtout la nuit. Le maître <strong>de</strong> bal1et donnait le ton, les<br />

autres hommes reprenaient en chœur, et quelquefois sortait <strong>de</strong>s rangs un<br />

grand guerrier. paré <strong>de</strong> plusieurs lanières. qui, en dansant. <strong>de</strong>vait toucher<br />

un homme <strong>de</strong> son rang pour prendre sa place.<br />

Il est dit que le non-initié ne <strong>de</strong>vait pas toucher la poitrine d'un tel<br />

homme. en cas <strong>de</strong> quoi il mourait subitement.<br />

b- Le njé nku, ou danse <strong>de</strong> la panthère, est une danse réservée à la<br />

société <strong>de</strong>s hommes léopards comme son nom l'indique (Njé : penthère ;<br />

Nkn : tam-tam).<br />

Le lihôngô était un ballet accompagné <strong>de</strong>s tam-tams et <strong>de</strong>s<br />

battements <strong>de</strong> mains, dansé invariablement par hommes et femmes.<br />

c- <strong>Les</strong> danses magiques ou rituelles: la plus typique est l'Ifon.<br />

Un seul homme affublé <strong>de</strong> touffes <strong>de</strong> raphia roui, portant sur la tête<br />

une couronne en tissu rouge, les chevilles et les bras ceints <strong>de</strong> gris-gris,<br />

sautille au milieu d'une foule qui bat <strong>de</strong>s mains. mimant un chant en<br />

sourdine dont lui seul a le secret <strong>de</strong>s couplets, le tout arrosé d'un tam-tam<br />

assourdissant et vigoureux.<br />

Il est dit que cette danse était pour assurer la guérison <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s en<br />

chassant les mauvais esprits. Elle est <strong>de</strong> plus en plus remplacée <strong>de</strong> nos


164<br />

jours par le « hijingô » ou Jengu en <strong>Du</strong>ala (génie <strong>de</strong>s eaux). qui donne les<br />

crevettes dont on a tiré le nom <strong>Ca</strong>meroun.<br />

d- <strong>Les</strong> danses <strong>de</strong>s femmes: le Koo et le Bikékeii ou minkéii,<br />

appartiennent toutes <strong>de</strong>ux à la société <strong>de</strong>s femmes du génie koo. Elles ont<br />

aussi pour rôle d'ai<strong>de</strong>r à la guérison <strong>de</strong>s maladies et <strong>de</strong> chasser les esprits<br />

mauvais.<br />

e- <strong>Les</strong> danses <strong>de</strong>s jeunes: nous n'en retiendrons que trois:<br />

Mbaii; Makune ; Hikwé.<br />

La première, le «Mban», qui vient <strong>de</strong> « ban» (combiner, construire),<br />

est une véritable école <strong>de</strong> mathématiques. Un <strong>de</strong>s chants qui<br />

l'accompagnent dit même que « si tu n'es pas rusé, tu ne peux gagner au<br />

Mban», ce qui démontre que les danses ne sont pas toutes <strong>de</strong> simples<br />

divertissements.<br />

<strong>Les</strong> enfants forment, au milieu <strong>de</strong> la cour, un cercle. L'un sort et doit<br />

faire le tour <strong>de</strong> ce cercle sans avoir rencontré le même entrechat que son<br />

antagoniste. S'il réussit toujours à placer le pas contraire, on le proclame<br />

héros <strong>de</strong> la combine. Il faut avouer qu'un tel enfant une fois <strong>de</strong>venu grand<br />

montrera toujours l'aspect mathématique dans ses actions. C'est un homme<br />

réfléchi, concentré et calme.<br />

Au moment <strong>de</strong> l'occi<strong>de</strong>ntalisation à outrance <strong>de</strong> la société basaa,<br />

cette danse a perdu <strong>de</strong> sa vraie signification pour donner lieu à une autre, le<br />

MAKUNE, dont l'inventeur, TJEK TJEK Moïs, un jeune Babimbi <strong>de</strong> ndog<br />

Njé, était passé maître dans l'art <strong>de</strong> composer les morceaux et <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s<br />

mélodies.<br />

On se souvient encore au <strong>Ca</strong>meroun <strong>de</strong> cette époque <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> la<br />

nème guerre mondiale où cette danse faisait fureur dans les pays Basaa. Ne<br />

pouvaient y prendre part que <strong>de</strong> jeunes filles et garçons. Pour mieux la<br />

décrire, il faut la voir danser. Dès que le cercle se formait, l'on commençait<br />

par un mouvement synchronisé <strong>de</strong> voix en sourdine, <strong>de</strong> pieds qui tapent<br />

rythmiquement le sol, <strong>de</strong> battements à quatre, six et quelquefois huit temps<br />

<strong>de</strong> mains. Et le maître du ballet entonnait un chant, quelquefois connu,<br />

parfois improvisé, que ses coreligionnaires reprenaient en chœur.<br />

Et en un instant, on avait l'impression que tout participant était saisi<br />

d'un je ne sais quel génie pour se tordre en balançant le corps d'avant en<br />

arrière, <strong>de</strong> gauche à droite, les pieds sautant et retombant sur le sol. Et les<br />

séances <strong>de</strong> Makune n'atteignaient leur paroxysme que lorsqu' il Y avait<br />

filles et garçons, si bien que les missionnaires <strong>de</strong> l'époque avaient proscrit<br />

cette danse comme étant anti-chrétienne et, partant, vouée à l'enfer.


168<br />

II. LA LANGUE<br />

Nous la présenterons ici sur le double plan <strong>de</strong> sa dynamique et <strong>de</strong> ses<br />

différents mo<strong>de</strong>s d'expression.<br />

II.1. LA DYNAMIQUE DE LA LANGUE CHEZ LES BASAA<br />

Albert WEBER écrivait au 19è siècle à propos <strong>de</strong> la culture, qu'elle<br />

était le reflet <strong>de</strong> l'âme d'un peuple spécifique et incommunicable et que la<br />

civilisation reposerait sur la technologie, le savoir positif, c'est - à - dire la<br />

science qui serait universalisable. En est-il du cas Basaa ici étudié?<br />

L'on peut constater que par approche historique, toute civilisation<br />

suppose une individualité propre, un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> développement propre et une<br />

apogée et non un déclin.<br />

Une saisie compréhensive <strong>de</strong> l'histoire basaa et son explication" par<br />

en haut", mythes et symboles, et " par en bas", structures ( démographie,<br />

économie, religion, organisation sociale autour du MBOK, une institution<br />

en prise aujourd'hui avec d'autres idéologies: christianisme,<br />

développement économique, étatisme), ne pouvait satisfaire l'exigence<br />

d'une monographie, sans parler, sans montrer aussi la base <strong>de</strong> son<br />

authenticité, la profon<strong>de</strong>ur et l'originalité <strong>de</strong> cette culture à base <strong>de</strong><br />

spiritualité; sans faire appel à la fois à la riche moisson <strong>de</strong> ses fables et<br />

proverbes, à la langue, à l'art, à la philosophie et à la littérature.<br />

L'on retiendra cette cinquième partie, qui traitera <strong>de</strong> la vie<br />

intellectuelle, fera appel pour certains aspects à <strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong> tel ou<br />

tel domaine. <strong>Ca</strong>r, comme nous l'avions souligné plus haut, la matière<br />

traitée est vaste et complexe. Aussi, afin <strong>de</strong> tracer la piste qui mènera plus<br />

tard à la gran<strong>de</strong> place, c'est- à - dire à une connaissance large du<br />

phénomène basaa total sur le plan africain, force nous est <strong>de</strong> rapporter ici<br />

ce que la souche camerounaise, par ses différents éléments, a déjà tenté.<br />

Pour mieux pénétrer les divers facteurs ayant façonné l'univers<br />

intellectuel basaa, la langue et le langage seront les premiers éléments <strong>de</strong><br />

cette approche.<br />

Que sont-ce le langage et la langue chez les Basaa ?<br />

Ecoutons ce que dit un jeune philosophe docteur issu <strong>de</strong> la Sorbonne,<br />

et rejeton <strong>de</strong> l'ethnie étudiée:<br />

" Dans le concept basaa, le temps s'applique à toute réalité, <strong>de</strong>puis<br />

les êtres que l'on peut qualifier <strong>de</strong> "Ngé" ou êtres vibrants. Il est donc <strong>de</strong>s


169<br />

manières différentes d'être temporel, celle <strong>de</strong> l'origine la plus parfaite ou<br />

"ngéngé" être qui exprime toutes les origines ou qui est capable d'en<br />

exprimer. Cette possibilité est donnée à l'homme grâce au langage articulé,<br />

qui est fait d'une combinaison <strong>de</strong>s sons (le mot est dit "Banga",<br />

combinaison <strong>de</strong> sons), et l'action qui consistait à combiner les sons, à<br />

articuler les parties d'un récit ou "mban", était la gran<strong>de</strong> préoccupation<br />

<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s ·'bangéngé". Ces hommes pensaient détenir<br />

dans le secret <strong>de</strong> leur organisation, l'origine <strong>de</strong>s langues, qu'ils n'ont<br />

jamais livrée aux personnes n'en faisant pas partie, sauf sous forme<br />

d'étiquettes trompeuses d'hommes - léopards, d'hommes - animaux, en<br />

général muettes mais qui vont être aussi la cause <strong>de</strong> leur disparition.<br />

Pour comprendre <strong>de</strong> quelle manière s'exprime la réalité au moyen <strong>de</strong><br />

la combinaison "mban" en l'homme, il faudrait "revenir à l'origine du<br />

langage humain,,43.<br />

Cette longue citation <strong>de</strong> ce jeune philosophe africain d'origine basaa,<br />

nous pem1ettra <strong>de</strong> suivre le développement du professeur BOT ba NJOK<br />

<strong>Marcel</strong>, un autre Basaa linguiste, au 8è congrès <strong>de</strong> la Société linguistique<br />

<strong>de</strong> l'Afrique Occi<strong>de</strong>ntale (SLAO), à Abidjan en ] 969. Nous livrons tout<br />

son texte ici pour mieux permettre aux étrangers à la culture basaa <strong>de</strong> saisir<br />

ce que les ., Bangengé", comme dit le philosophe, avaient fait <strong>de</strong> la langue<br />

Me'a ou Basaa.<br />

L'on retiendra que cette langue est une langue Bantoue et à classes.<br />

Elle est caractérisée par l'invariabilité du radical <strong>de</strong>s mots, la formation du<br />

pluriel par modification du préfixe et la division en 6 classes <strong>de</strong> différents<br />

mots du vocabulaire suivant les objets auxquels ils se rapportent. Mais<br />

pour ne pas tenir cette réalité, écoutons le professeur BOT <strong>Marcel</strong>:<br />

«On a l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire que les Africains sont polyglottes. Cette<br />

affirmation, sans être fausse, doit cependant être nuancée. En effet, les<br />

peuples noma<strong>de</strong>s ou commerçants, lorsque les langues qu'ils parIent<br />

n'arrivent pas à s'imposer, doivent utiliser celles parlées par les peuples<br />

avec lesquels ils sont en contact. Par contre, les peuples sé<strong>de</strong>ntaires et<br />

propriétaires terriens n'ont pas toujours envie <strong>de</strong> pratiquer d'autres langues<br />

<strong>de</strong> façon intensive. C'est dans cette <strong>de</strong>rnière catégorie qu'il faut ranger les<br />

Basaa puisque pour eux, c'est l'élite seule qui <strong>de</strong>vait et pouvait possé<strong>de</strong>r<br />

une autre langue en <strong>de</strong>hors du Basaa. Cela se comprend assez facilement<br />

car si l'on songe aux exigences et aux contraintes grammaticales du Basaa,<br />

43 P.Banom, Thèse Doctorat philosophie: Etu<strong>de</strong> d'un consept négro-africain <strong>de</strong> temps:<br />

Ngéda F L S H, Sorhonne, Paris 1971


170<br />

l'apprentissage d'une autre langue <strong>de</strong>vait être un véritable supplice<br />

physique et intellectuel pour le commun <strong>de</strong>s mortels. C'est en quelques<br />

sorte ce qui justifie notre sous - titre" La notion <strong>de</strong> langue <strong>de</strong> prestige chez<br />

les Basaa du <strong>Ca</strong>meroun" .<br />

<strong>Les</strong> trois générations dont nous allons parler représentent d'une part<br />

la société traditionnelle qui s'achève en gros vers 1890, époque à partir <strong>de</strong><br />

laquelle s'établissent en pays basaa <strong>de</strong>s contacts prolongés avec le mon<strong>de</strong><br />

occi<strong>de</strong>ntal (1). D'autre part, la <strong>de</strong>uxième génération est celle née sous<br />

l'administration alleman<strong>de</strong> et jusque vers 1919. Quant à la troisième et<br />

<strong>de</strong>rnière génération, nous la situons parmi les natifs <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> comprise<br />

entre 1920 et 1945. La " nouvelle vague", celle actuelle, ne constitue au<br />

fond que le prolongement <strong>de</strong> la troisième sur le plan qui nous intéresse ici.<br />

Cet article comporte par conséquent <strong>de</strong>ux parties consacrées, d'une<br />

part, aux emprunts lexicaux et, d'autre part, à la notion <strong>de</strong> langue <strong>de</strong><br />

prestige.<br />

<strong>Les</strong> emprunts lexicaux que nous abor<strong>de</strong>rons sont surtout ceux faits<br />

aux les langues occi<strong>de</strong>ntales par chacune <strong>de</strong>s trois générations. C'est<br />

également par rapport à ces mêmes langues occi<strong>de</strong>ntales que se posera la<br />

question <strong>de</strong> leur prestige. Ces langues sont l'anglais, l'allemand et le<br />

français. Si le <strong>Ca</strong>meroun été successivement protectorat allemand placé<br />

ensuite sous le mandat et sous la tutelle <strong>de</strong> la France, le secteur basaa n'a<br />

jamais été administré par l'Angleterre. Cependant, sur plus <strong>de</strong> 200<br />

nominaux empruntés à diverses langues, plus <strong>de</strong> 65% viennent <strong>de</strong> l'anglais,<br />

langue commerciale par excellence et aussi celle <strong>de</strong>s missionnaires<br />

américains, qui ont profondément marqué la vie religieuse et socio -<br />

culturelle <strong>de</strong>s Basaa. L'Allemand et le Français atteignent respectivement<br />

10 et 7%. D'autres langues (espagnol, peul, arabe, groupe fan, yakalak et<br />

surtout duala) représentent environ 18%<br />

Le mpoo, langue apparentée au Basaa, aura une place spéciale dans la<br />

génération traditionnelle et c'est la raison pour laquelle il sera question du<br />

mpoo même s'il ne s'agit pas là d'une langue occi<strong>de</strong>ntale.<br />

II.2. LES EMPRUNTS LEXICAUX<br />

Nous limiterons volontairement le sujet aux seuls emprunts relatifs à<br />

la religion, à la vie économique et à la vie culturelle, ces domaines étant en<br />

quelque sorte ceux qui permettent <strong>de</strong> mieux caractériser une société.<br />

Observons que si l'occi<strong>de</strong>nt ne nous a pas donné les idées religieuse,


171<br />

économique ou culture)]e, il nous a cependant apporté une autre pratique<br />

religieuse, une autre forme économique (en particulier <strong>de</strong>s signes<br />

monétaires) et une structure scolaire nouvelle. A l'occasion <strong>de</strong>s emprunts<br />

dans ses différents domaines, nous signalerons (assez rapi<strong>de</strong>ment) ce qui<br />

est nouveau par rapport à la société traditionnelle basaa.<br />

Chronologiquement, nous parlerons du mpoo, <strong>de</strong> l'anglais, <strong>de</strong><br />

l'allemand et enfin du français.<br />

3- Le mpoo44 (A 43b <strong>de</strong> Guthrie qui l'appelle bakogo ou koko)<br />

Le terme mpoo désigne à la fois la langue et le groupe ethnique qui,<br />

<strong>de</strong>puis fort longtemps, coexistent avec la langue et le groupe ethnique<br />

basaa. Par simplification, <strong>de</strong>s auteurs ont utilisé le terme bakoko, soit pour<br />

désigner la seule branche basoo du groupe mpoo, soit pour désigner ce que<br />

d'aucuns nomment <strong>de</strong>puis l'indépendance du <strong>Ca</strong>meroun le groupe mpoo -<br />

basaa.<br />

Dans la société traditionnelle, le mpoo, chez les Basaa, était la langue<br />

liturgique et secrète <strong>de</strong>s initiés supérieurs. Il n'y a pas eu d'emprunt lexical<br />

fait à cette langue par le Basaa. L'élite basaa <strong>de</strong>vait donc, en plus <strong>de</strong> sa<br />

propre langue, parler parfaitement le mpoo. Il s'agissait donc d'un<br />

bilinguisme intégral. Cette situation est comparable à celle <strong>de</strong>s prêtres<br />

catholiques tenus <strong>de</strong> connaître le latin, langue <strong>de</strong> la liturgie. On a<br />

l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire <strong>de</strong> nos jours encore que le mpoo <strong>de</strong>vait jouer<br />

exclusivement le rôle <strong>de</strong> langue liturgique et que c'est à cause <strong>de</strong>s Basoo,<br />

rameau mpoo (à la faveur <strong>de</strong> l'étymologie péjorative qui s'attache au<br />

radical soo, .' exagérer"), que le mpoo s'est répandu parmi les populations<br />

septentrionales et occi<strong>de</strong>ntales du secteur basaa actuel.<br />

C'est pourquoi, selon cette version, le mpoo45 et le basaa subsistent<br />

<strong>de</strong> nos jours comme langues vivantes, même si aux yeux <strong>de</strong>s conservateurs<br />

basaa le mpoo continue à être traité comme langue liturgique.<br />

44 <strong>Les</strong> premiers contacts entre les Basaa et les Occi<strong>de</strong>ntaux remontent sans doute au 16è<br />

siècle au moins.<br />

45 Le voisinage <strong>de</strong>s populations basaa et mpoo a contribué à atténuer les différences<br />

lexicales et morphologiques entre leurs langues. En effet, M. GUTHRIE a pu, dans la<br />

classification <strong>de</strong>s langues <strong>de</strong> l'Afrique équatoriale désigner le basaa (ou mbene) par 43 a<br />

et le bakogo, c'est-à-dire le mpoo par 43 b. Cette notation traduit l'affinité entre les <strong>de</strong>ux<br />

langues. Anthropologiquement, les mpoo, dont le parler, à l'origine, est un véritable<br />

cocktail linguistique à prédominance fan, se rapprochent, clans leur majorité, beaucoup<br />

plus <strong>de</strong>s Fan que <strong>de</strong>s Basaa.


172<br />

Si le mpoo comme langue a pu marquer la vie religieuse <strong>de</strong>s Basaa<br />

en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> tout emprunt lexical, puisque les <strong>de</strong>ux langues se trouvaient à<br />

égalité dans un même contexte technique et culturel, son action ne se fera<br />

plus sentir à aucun autre niveau. C'est pourquoi, sans plus tar<strong>de</strong>r, nous<br />

allons abor<strong>de</strong>r les emprunts faits à l'anglais.<br />

b.- L'anglais<br />

L'influence <strong>de</strong> l'anglais s'est fait sentir en pays basaa d'abord par les<br />

Africains et ensuite par les missionnaires américains. <strong>Les</strong> Africains,<br />

anglophones Nigérians pour la plupart, ont surtout introduit <strong>de</strong>s termes<br />

commerciaux, car ils étaient <strong>de</strong>s employés <strong>de</strong>s comptoirs britanniques<br />

installés notamment à Douala. <strong>Les</strong> missionnaires américains ont introduit<br />

<strong>de</strong>s termes qui embrassent tous les aspects <strong>de</strong> la vie individuelle ou en<br />

société.<br />

Nous envisagerons successivement les emprunts lexicaux relatifs à la<br />

religion, à la monnaie et à l'école.<br />

La nouvelle religion nous a valu les apports suivants:<br />

- Misiôn ou misiôn provient <strong>de</strong> " mission". La première syllabe mi<br />

du terme initial fait <strong>de</strong> misiôn un nominal <strong>de</strong> la classe 4. En basaa, ce terme<br />

a le sens <strong>de</strong> "mission religieuse, institution missionnaire, station<br />

missionnaire, religion chrétienne" .<br />

- Mitin, <strong>de</strong> l'anglais .' meeting", appartient aussi à la classe 4 en<br />

basaa où il signifie" culte, office religieux, sermon".<br />

Si l'on emploie quelquefois nsiôn (classe 3) comme singulier<br />

(purement formel) <strong>de</strong> misiôn, il n'y a pas <strong>de</strong> singulier pour mitin.<br />

Pastô <strong>de</strong> l' anglai s «pastor» est mis dans la classe 9 (préfi xe -) au<br />

singulier et <strong>de</strong>vient bipastô (préfixe-bi -) au pluriel. Le sens <strong>de</strong> pastô est<br />

celui <strong>de</strong> « pasteur» (protestant).<br />

Têblè ou téblè, <strong>de</strong> l'anglais « table », appartient lui aussi à la classe 9<br />

au singulier et à la classe 8 au pluriel. <strong>Les</strong> préfixes sont les mêmes que<br />

pour le terme précé<strong>de</strong>nt. Le sens <strong>de</strong> têble est naturellement celui <strong>de</strong><br />

« table », mais aussi et surtout pour les chrétiens celui <strong>de</strong> « table <strong>de</strong> sainte<br />

Gène ».<br />

Comme on peut le constater par les quelques termes donnés ci<strong>de</strong>ssus,<br />

la forme <strong>de</strong>s institutions (religieuses), celles <strong>de</strong>s cérémonies, les<br />

prêtres et le matériel liturgique (en particulier la table où est servi le repas<br />

« rituel» (communion), traduisent <strong>de</strong>s manifestations d'une religion qui,


173<br />

en <strong>de</strong>hors du caractère universaliste qu'elle se donne, se n'opposent poin,<br />

par essence, aux manifestations <strong>de</strong> la religion traditionnelle basaa. <strong>Les</strong><br />

termes empruntés ont seulement pennis aux Basaa christianisés d'avoir un<br />

outil linguistique adapté à la nouvelle situation.<br />

La société traditionnelle basaa a rencontré le protestantisme avant le<br />

catholicisme. Comme les premiers missionnaires furent Allemands ou<br />

Américains, on comprend pourquoi les termes empruntés à l'anglais<br />

apparaissent rarement dans la langue <strong>de</strong>s Basaa catholiques où c'est<br />

l'emprunt au français qui prédomine. Nous citerons néanmoins bisop et<br />

pada retenus par les catholiques et empruntés à l'anglais.<br />

Le premier vient <strong>de</strong> l'anglais «bishop ». Comme en anglais, il a le<br />

sens d'évêque» en basaa olt il est rangé facultativement au singulier à la<br />

classe 1 (préfixe 0 -) où à la classe 7 (préfixe 0 -). Au plurieL c'est<br />

exclusivement la classe 8 (préfixe bi -) qui précè<strong>de</strong> la syllabe initiale bi -<br />

<strong>de</strong> bishop, ce qui donne bibisop.<br />

Le <strong>de</strong>uxième tenne, pada, vient <strong>de</strong> l'anglais « father » olt le f initiale<br />

anglais est <strong>de</strong>venu p en basaa. Le sens <strong>de</strong> pada est « prêtre catholique ».<br />

Dans le syntagme lôk pada olt lôk (nominal <strong>de</strong> la classe 7) désigne<br />

« communauté », nous avons la dénomination qui correspond à « l'église<br />

catholique» tandis que lôk sango désigne «église protestante ». Il faut<br />

donner à « église» ici le sens <strong>de</strong> communauté ». Sango, terme duala pour<br />

père (masculin <strong>de</strong> « mère») , a pour équivalent basaa es nsan, qui signifie<br />

«Monsieur ». Comme c'est par sango, «Monsieur », qu'on désignait le<br />

premier pasteur qui a mis pied au <strong>Ca</strong>meroun (le Britannique Alfred<br />

SAKER), ce terme a pu ainsi avoir chez les Basaa non pas le sens <strong>de</strong><br />

« père », mais celui <strong>de</strong> pasteur », évangéliste» et <strong>de</strong> nos jours, en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong> ce sens. il signifie également « Monsieur ». Quant au syntagme nominal<br />

lôk sango, il signifie exclusivement « religion », communauté<br />

protestante », jusqu'à présent.<br />

Dans le vocabulaire monétaire, nous retrouvons <strong>de</strong>s tennes anglosaxons<br />

pour désigner la monnaie <strong>de</strong> zone franc.<br />

Notons d'abord que la forme (sans doute évolué) qu'a eu l'unité <strong>de</strong>s<br />

échanges chez les Basaa est ceIIe du lem/biIem, «bétail ». Le noyau lem<br />

connote la notion« éd'éteindre ». Le bétail, lem, est donc l'objet qui<br />

permet d'éteindre une obligation vis- à- vis d'un tiers. C'était donc la<br />

« monnaie» basaa <strong>de</strong> la société traditionnelle.<br />

Sous l'administration alleman<strong>de</strong>, la monnaie alleman<strong>de</strong> circulait bien<br />

entendu au <strong>Ca</strong>meroun, <strong>de</strong> même que c'est la monnaie française qui y


174<br />

circulait sous l'administration française. Mais pour ces <strong>de</strong>ux époques. le<br />

souvenir <strong>de</strong> la monnaie britannique est resté prédominant et c'est la raison<br />

pour laquelle sous l'administration française, on se réfère à la fois à la<br />

monnaie britannique et au dollar américain pour compter la monnaie<br />

française.<br />

« Argent» en Basaa se dit moni (classe 1 ou 3 selon les locuteurs), <strong>de</strong><br />

l'anglais «money », qu'il s'agisse <strong>de</strong> monnaie métallique ou <strong>de</strong> billets <strong>de</strong><br />

banque.<br />

« Copper », pièce anglaise <strong>de</strong> bronze valant un «penny», soit<br />

environ cinq centimes <strong>de</strong> la troisième République Française. a donné kala<br />

ou kabâ en basaa pour désigner la pièce française <strong>de</strong> «dix centimes»<br />

qu' on utilisait dans toute la zone franc.<br />

La pièce française <strong>de</strong> « cinq centimes» (un sou) est appelée pes kaba,<br />

« <strong>de</strong>mi-kaba ». Le basaa a rangé les nominaux <strong>de</strong> la classe 9 au singulier<br />

(avec préfixe 0 -) et au plurie1. parmi ceux <strong>de</strong> la classe 2 (avec préfixe ba.<br />

Pour <strong>de</strong>s raisons d'euphonie (sans doute), on n'a pas voulu employer la<br />

modalité bi <strong>de</strong> la classe 8.<br />

«Three pence », qui a donné tropen ou tolopen, désignait la pièce<br />

française <strong>de</strong> «vingt-cinq centimes ». Tropen ou tolopen appartient à la<br />

classe 9 au singulier et à la classe 2 au pluriel avec les mêmes modalités <strong>de</strong><br />

classe que kaba.<br />

«Six pence» a donné siipen, classe 9 au singulier et classe 2 au<br />

pluriel comme tropen. Siipen désignait la pièce française <strong>de</strong> 'cinquante<br />

centimes' .<br />

On remarquera que pour nommer «dix centimes» ou «cinq<br />

centimes» d'une part, et « cinquante centimes» ou « vingt-cinq centimes»<br />

d'autre part, la terminologie retenue a conservé le rapport <strong>de</strong> valeur entre<br />

les pièces désignées.<br />

Enfin, «shilling» a donné silin ou silin, nominal <strong>de</strong> la classe 9 au<br />

singulier et 10 au pluriel avec modalit é 0 - partout. Silin désigne<br />

l'équivalent <strong>de</strong> quatre tolopen ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siipen, c'est-à-dire un « franc ».<br />

<strong>Les</strong> Basaa nés sous la Quatrième République française n'ont pas<br />

trouvé les pièces signalées précé<strong>de</strong>mment en circulation. Ils doivent les<br />

considérer aujourd'hui comme <strong>de</strong>s articles <strong>de</strong> musée. Dans la langue, on<br />

n'emploie plus les termes qui s'y réfèrent que dans les formules <strong>de</strong><br />

négation (to pes, kaba, to tolopen)46, to siipen, to silin) pour souligner<br />

l'absence d'argent, le dénûment total.<br />

46 Tolopen est souvent amputé <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière syllabe pen, ce qui donne tolo.


176<br />

thème, la modalité est ma. - Lorsqu'on dit dola sans aucune précision, cela<br />

signifie « valeur <strong>de</strong> cinq francs» ou «billet <strong>de</strong> cinq francs », car il y avait<br />

autrefois <strong>de</strong>s billets <strong>de</strong> cinq francs en circulation. Actuellement. dola est un<br />

terme générique pour «billet et banque» comme l'est peda. C'est ainsi<br />

qu'on dira:<br />

Moni madola: «monnaielbi11ets <strong>de</strong> banque », c'est l'équivalent<br />

<strong>de</strong> Moni peda : « monnaie/papier.<br />

On peut même se contenter <strong>de</strong> madola ou peba pour désigner la<br />

monnaie sous forme <strong>de</strong> billets <strong>de</strong> banque.<br />

Le vocabulaire culturel basaa a également bénéficié <strong>de</strong> l'apport<br />

anglo-saxon. Comme nous r avons dit plus haut, cet apport n'a pas porté<br />

sur l'essence même <strong>de</strong> la culture mais plutôt sur sa forme. En effet, les<br />

Basaa ont toujours réservé à l'élite <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes une formation soli<strong>de</strong> et<br />

donné à la masse une formation beaucoup pl us générale et non spécialisée.<br />

L'Occi<strong>de</strong>nt (protestant notamment) imposera progressivement régal accès<br />

à la culture pour tous. Il n'y aura à cela que peu d'opposition <strong>de</strong> principe<br />

car les Basaa finiront par assimiler la nouvelle culture à r initiation<br />

traditionnelle et accepteront cette nouvelle pédagogie. Des réserves<br />

sérieuses concernent en particulier la nature mixte <strong>de</strong>s classes où,<br />

contrairement à ce qui se faisait dans la société traditionnelle, les garçons<br />

et les filles suivent un même enseignement.<br />

Nous ne retiendrons <strong>de</strong> tous les termes empruntés à l'anglais qu'un<br />

seul :<br />

Sukulu ou sugulu (classe 9 au singulier, préfixe 0 - et classe 8 au<br />

pluriel, préfixe bi-) : <strong>de</strong> l'anglais « school », il est utilisé en basaa à la fois<br />

comme « institution, organisation, groupe» et comme « apprentissage. fait<br />

d'apprendre ». Le terme traditionnel yigil, «étu<strong>de</strong>, apprentissage », a un<br />

champ sémantique bien restreint.<br />

Mange sukulu ou udu sukulu,_lit, «enfant/école» ou «apprentiécole<br />

», désigne celui qui est écolier ou élève. <strong>Les</strong> nominaux mange et udu<br />

soulignent les rapports <strong>de</strong> sujétion <strong>de</strong>vant exister entre l'enseigné et<br />

r enseignant. En effet. mange veut dire « enfant », c'est-à-dire une personne<br />

qui, à raison <strong>de</strong> son âge ou <strong>de</strong> son inexpérience dans un domaine<br />

déterminé, doit dépendre <strong>de</strong> quelqu'un d'autre chargé <strong>de</strong> l'élever comme le<br />

fait un père. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on considérait que le<br />

maître était le père (nsan en basaa) <strong>de</strong> son élève (udu). Le nominal udu,<br />

emprunté au duala, est surtout employé en basaa avec le sens <strong>de</strong><br />

«domestique, valet », c'est-à-dire une personne soumise à un patron. Ce


178<br />

A la vérité, au niveau <strong>de</strong> la spécialisation, r organisation <strong>de</strong><br />

l'enseignement occi<strong>de</strong>ntal n'est pas différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la société<br />

traditionnelle <strong>Bassa</strong>. Partout où la structure est entièrement nouvelle par<br />

rapport à la situation ancienne, aux yeux du Basaa le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

l'autorité <strong>de</strong> l'enseignant n'a subi aucune modification.<br />

Pendant plus d'un <strong>de</strong>mi-siècle, les termes empruntés aux<br />

Anglosaxons ont permis aux Basaa <strong>de</strong> s'adapter à la nouvelle situation.<br />

Nous verrons que peu <strong>de</strong> nouveaux termes, empruntés à d'autres aires<br />

linguistiques, vont se fixer. Une incursion rapi<strong>de</strong> dans les zones<br />

germanique et française nous permettra en effet <strong>de</strong> le vérifier.<br />

c- L'allemand<br />

Dans le domaine religieux. <strong>de</strong>ux termes vont retenir notre attention. Il<br />

s'agit <strong>de</strong> base (classe 7 au singulier et bibase, classe 8 au pluriel) et angel<br />

(classe 9 au singulier et biangel, classe 8 au pluriel).<br />

Le premier terme signifie «religion », il vient <strong>de</strong> basel (appellation<br />

alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> la ville suisse Bâle). <strong>Les</strong> premiers missionnaires protestants<br />

qui ont évangélisé les Basaa apprtenaient à la Mission <strong>de</strong> Bâle (Basel<br />

mission). Si basel servait à désigner en basaa les chrétiens protestants, il a,<br />

par la suite, et jusqu'à nos jours, permis d'i<strong>de</strong>ntifier la religion protestante<br />

en tant que telle.<br />

En supprimant la consonne finale 1, on a obtenu un nouveau nom qui<br />

est également resté jusqu'à présent synonyme <strong>de</strong> «religion» comme nous<br />

l'avons vu précé<strong>de</strong>ment. Ainsi on dira par exemple: base lôk sango<br />

« religion protestante », base lôk pada « religion musulmane (religion <strong>de</strong>s<br />

hausa) », etc.<br />

La langue a préféré le nouveau terme base à celui qui lui est propre,<br />

hémle, qui signifie « foi» ou « croyance ». Le champ sémantique <strong>de</strong> hémle<br />

s'est considérablement rétréci et chez les protestants il n'a plus que le sens<br />

<strong>de</strong> « crédo ».<br />

Quant au <strong>de</strong>uxième terme angel, <strong>de</strong> l'allemand « engel », il a le sens<br />

<strong>de</strong> «ange ». La notion d'ange semble absente dans le système religieux<br />

<strong>Bassa</strong>.<br />

Base et angel se conservent et sont intégrés dans la langue. Si angel<br />

se rapproche assez du français pour être à peu près senti par les jeunes<br />

générations comme nom d'emprunt, base par contre, ne laisse pas cette<br />

impression.


179<br />

Sous l'administration alleman<strong>de</strong>, les populations se procuraient <strong>de</strong><br />

l'argent soit en organisant <strong>de</strong>s caravanes, kinda (classe 9), <strong>de</strong> r allemand<br />

« kin<strong>de</strong>r », soit en se rendant au Nigéria.<br />

Des hommes se rendaient en effet en cohortes à kridi (port maritine<br />

du <strong>Ca</strong>meroun) où ils vendaient <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> la forêts: latex, pointes<br />

d'éléphant, produits vivriers, etc. Le chef <strong>de</strong> caravane recevait, au nom et<br />

pour le compte du groupe (en réalité au nom et pour le compte du chef <strong>de</strong><br />

clan resté en pays basaa), du sel, du tissu, <strong>de</strong>s liqueurs et <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong><br />

monnaie, généralement <strong>de</strong>s marks al1emands. Nous constatons que kinda,<br />

qui provient d'un terme allemand dont le sens est «enfant », n'a pas<br />

conservé cette valeur en basaa, mais il est <strong>de</strong>venu synonyme <strong>de</strong><br />

« porteur », et exclusivement porteur <strong>de</strong> caravane dans le cadre <strong>de</strong> ce type<br />

<strong>de</strong> commerce organisé entre les populations <strong>de</strong> l'intérieur du pays et celles<br />

<strong>de</strong> la côte.<br />

Si r on met à part ce tenne kinda avec ses implications plus ou moins<br />

monétaires, nous nous apercevons que le basaa n'a emprunté à l'al1emand<br />

que <strong>de</strong>ux termes proprement monétaires: «pfennig» et mark ».<br />

De l'allemand «pfennig », Je Basaa a fait fenik (classe 9 au singulier<br />

et classe] 0 au pluriel avec préfixe (f) - partout). Cette unité a pu avoir une<br />

certaine valeur pendant l'administration al1eman<strong>de</strong>. Mais <strong>de</strong>puis<br />

l'avènement <strong>de</strong> la France au <strong>Ca</strong>meroun et jusqu'à présent, tenik désigne la<br />

plus petite somme d'argent possible. Actuel1ement, ce temle n'apparaît que<br />

dans la formule négative to fenik , «aucun fenik, pas la moindre somme<br />

d'argent », chez les locuteurs qui ont connu ou dont les parents ont connu<br />

l'administration alleman<strong>de</strong>.<br />

De l'allemand «mark », Je Basaa a formé magê (classe 3, 4 ou 6<br />

selon les locuteurs). Le terme magê désignait initialement une pièce d'un<br />

mark al1emand. Mais déjà sous]' administration alleman<strong>de</strong> et <strong>de</strong>puis cette<br />

époque jusqu'à présent, magê est synonyme <strong>de</strong> «pièce <strong>de</strong> monnaie,<br />

monnaie métal1ique ». On dira par exemple:<br />

«Magê ma silin itan ou magê ma frang itan pour «pièce <strong>de</strong> cinq<br />

francs» (lit. Mark/celui/shillings/cinq » ou mark/celui/francs/cinq).<br />

Ces <strong>de</strong>ux syntagmes montrent comment <strong>de</strong>s termes issus <strong>de</strong> trois<br />

zones monétaires différentes ont pu se rencontrer, coexister<br />

linguistiquement et pacifiquement dans le secteur où, par la force <strong>de</strong>s<br />

armes, les zones sterling et franc ont évincé la zone mark. La zone dollar<br />

nous a permis d'avoir un terme générique pour «monnaie billet <strong>de</strong><br />

banque» <strong>de</strong> même que nous en avons un pour «monnaie métal1ique ou


180<br />

divisionnaire» qui nous vient <strong>de</strong> la zone mark. Nous rappelons ces termes<br />

qui sont respectivement dolâ et magê.<br />

Jusque dans les <strong>de</strong>ux premières années suivant l'installation <strong>de</strong>s<br />

Français au <strong>Ca</strong>meroun, les transactions entre particuliers (chez les Basaa)<br />

et surtout dans le cadre <strong>de</strong>s mariages, continueront à se faire soit dans la<br />

monnaie alleman<strong>de</strong>, soit dans la monnaie anglaise. C'est pourquoi la<br />

compensation matrimoniale <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s femmes jusque vers 1920 est<br />

évaluée soit en shillings soit en marks. Cette référence confère du reste un<br />

certain prestige à ces femmes qu'on a acquises en utilisant ces monnaies <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong> valeur et rares.<br />

Dans le domaine scolaire, si nous mettons à part les outils <strong>de</strong>s<br />

écoliers (ardoise, crayon, plume, encrier, etc.), outils nécessaires au sta<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> l'acquisition <strong>de</strong> l'alphabet et <strong>de</strong> l'écriture, nous allons nous contenter <strong>de</strong><br />

noter trois termes empruntés à l'allemand dont <strong>de</strong>ux sont profondément<br />

enracinés en Basaa. Le premier, malêt ou «enseignant» (classe 1). balêt<br />

ou «enseignants» (classe 2) et le <strong>de</strong>uxième, dûm, sot, bête. sottise,<br />

bêtise» (classe 5 comme nominal abstrait sans pluriel, mais classe 7 et 8<br />

comme nominal avec un sens qualificatif), ne sont plus sentis comme<br />

empruntés. Le <strong>de</strong>rnier, bengil bibengî, «banc/bancs» à cause <strong>de</strong> sa<br />

ressemblance avec le français « banc », donne l'impression d'être un terme<br />

non autochtone.<br />

Malêt vient <strong>de</strong> l'allemand « leherr » et a conservé en Basaa le même<br />

sens qu'en allemand. En Basaa on a supprimé la fin finale -er <strong>de</strong><br />

l'allemand et le terme ainsi amputé a donné le thème nominal lêt. En<br />

Bamun (langue du <strong>Ca</strong>meroun), on a conservé le terme allemand en entier<br />

avec le sens <strong>de</strong> « enseignant» et cela a donné lieu à <strong>de</strong>s dérivés adaptés à<br />

la langue.<br />

Dûm, <strong>de</strong> l'allemand «dum» avec le même sens en Basaa y a<br />

cependant permis d'aboutir à un nominal comportant trois classes pour un<br />

genre unique (genre III à V : 517/8).<br />

L'allemand a donc donné un nom pour «enseignant» et un terme<br />

pour juger et apprécier les enseignés. Comme les enseignés <strong>de</strong>vaient<br />

s'asseoir sur <strong>de</strong>s «bancs» cette langue a également founi le terme<br />

« banke» que nous avons rencontré plus haut <strong>de</strong>venu bengi/bibengî en<br />

basaa. On peut même se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les Allemands n'ont pas fait exprès<br />

d'omettre <strong>de</strong> prévoir un siège pour l'enseignant qui <strong>de</strong>vait certainement<br />

rester <strong>de</strong>bout puisque le terme qui désigne «fauteuil» ou «chaise »,


181<br />

postérieur à bengi, est emprunté à l'anglais « chair» qui a donné sia ou cia<br />

en basaa.<br />

d- Le français<br />

Quand la France s'installe au <strong>Ca</strong>meroun, les Basaa n'éprouvent<br />

presque plus le besoin d'emprunter <strong>de</strong> nouveaux termes dans les domaines<br />

religieux, monétaire ou scolaire. Ils préfèrent utiliser ceux qu'ils tiennent<br />

déjà <strong>de</strong> l'anglais ou <strong>de</strong> l'allemand.<br />

Cependant, même dans les domaines où ils estiment être pourvus, les<br />

Basaa ont eu recours à quelques emprunts au français, comme nous allons<br />

le voir.<br />

<strong>Les</strong> missionnaires français ont introduit le catholicisme en pays<br />

basaa. C'est ce qui explique l'apparition du terme mesa ou misa (classe 3<br />

ou 4), du français « messe ». Quant à pada, «père », prêtre catholique et<br />

bishop, «évêque », déjà vus et empruntés à l'anglais, ils sont antérieurs à<br />

l'introduction <strong>de</strong> la religion catholique en pays basaa.<br />

Dans le domaine du vocabulaire monétaire, nous avons déjà fait<br />

allusion au temle frang ou flang, du français « franc ». Comme il n'est pas<br />

très facile <strong>de</strong> prononcer où d'imiter «franc », les analphabètes remplacent<br />

ce terme par silin, plus facile à réaliser et qu'ils ont <strong>de</strong>puis longtemps à<br />

leur disposition. Frang est un nominal <strong>de</strong> la classe 9 au singulier et 10 au<br />

pluriel. C'est le seul emprunt fait au français et relatif à la monnaie.<br />

Dans le domaine scolaire, si l'anglais et ]' allemand ont fourni le<br />

cadre institutionnel, le français a donné le contenu. A cet égard, il suffit <strong>de</strong><br />

dire que le système métrique décimal français a, <strong>de</strong> nos jours, remplacé le<br />

système anglo-saxon. En effet, meta (classes 3 et 4), lita (classes 5 et 6<br />

comme contenant, mais classes 7 et 8 comme contenu) et kilo (classes 9 et<br />

8 pour désigner, selon le contexte, «kilomètre» ou kilogramme»<br />

correspon<strong>de</strong>nt respectivement au français « mètre », « litre» et<br />

« kilomètre» (ou kilogramme»). Ces termes sont intégrés dans la langue<br />

comme le serait n'importe quel autre terme autochtone. <strong>Les</strong> termes<br />

empruntés à l'anglais, réalisés yât, kôp, galôn, correspondant<br />

respectivement aux mots anglais « yard », « cup » et « gallon» ten<strong>de</strong>nt à se<br />

perdre à l'exception toutefois <strong>de</strong> kôp que l'on continue à utiliser<br />

fréquemment en <strong>Bassa</strong> comme synonyme <strong>de</strong> «tasse ».


183<br />

Quant à l'ascension sociale <strong>de</strong>s individus, liée au départ à leur<br />

appartenance à une lignée d'initiés supérieurs, elle était assurée par <strong>de</strong>s<br />

conservateurs (les contestataires actuels parleraient volontiers <strong>de</strong><br />

mandarinat) qui transmettaient simultanément à leurs disciples et les rites<br />

et la langue mpoo.<br />

L'emploi du mpoo, limité non seulement par le nombre <strong>de</strong> ses<br />

locuteurs (initiés supérieurs), mais aussi par son domaine d'application<br />

(politique, religieuse et administrative). a permis ainsi <strong>de</strong> conférer prestige<br />

et dignité à ceux qui le pratiquaient. <strong>de</strong>puis l'époque archaïque jusqu'à<br />

l'avènement <strong>de</strong> l'administration française. La mobilité sociale très<br />

restreinte non seulement à cause du manque <strong>de</strong> sécurité dans les rapports<br />

inter claniques mais aussi à cause <strong>de</strong> l'inexistence <strong>de</strong> routes, est un facteur<br />

qui a fortement contribué au maintien du prestige attaché à la langue mpoo.<br />

Il faut noter que malgré le prestige du mpoo. le Basaa n'a pas été<br />

chassé par lui, ils ont au contraire coexisté car la connaissance du Basaa<br />

par tous était un impératif auquel nul ne pouvait se soustraire. Le mpoo<br />

constituait pour celui qui le pratiquait une sorte <strong>de</strong> label <strong>de</strong> culture.<br />

b- L'anglais<br />

Si les Basaa utilisaient le mpoo pour écarter la participation <strong>de</strong>s noninitiés,<br />

il faut retenir que dans tous les cas où l'intercommunication était<br />

nécessaire entre les <strong>de</strong>ux groupes, la langue commune, le Basaa, reprenait<br />

tous ses droi ts.<br />

On a cru <strong>de</strong>voir comparer cette situation à celle que l'on trouve entre<br />

r anglais dit pio en <strong>Bassa</strong> (<strong>de</strong> r anglais « pure») et l'anglais dit bluk ou bus<br />

(<strong>de</strong> l'anglais «broken» et «bush» pour «cassé» et «sauvage,<br />

broussard»). En effet. ceux <strong>de</strong>s <strong>Bassa</strong> qui, avant l'administration<br />

alleman<strong>de</strong>, sont allés au Nigéria, ont pu constater dès cette époque, l'usage<br />

d'une forme dégradée d'anglais pour l'usage populaire et commercial,<br />

c'est le pidgin. A cette forme populaire s'opposait une forme élaborée,<br />

pour r usage noble, c'est-à-dire religieux, administratif ou politique. C'est<br />

cette forme « pure» que parlent les « initiés»<br />

<strong>Les</strong> Basaa ont établi un certain parallélisme entre r anglais « pur », le<br />

pio et le mpoo d'une part, le pidgin anglais. bluk ou bûs et le Basaa d'autre<br />

part. Mais si une dignité était conférée à l'anglais «pur» en raison <strong>de</strong> sa<br />

spécialisation comme langue religieuse et politique, ce prestige était<br />

quelque peu compromis par l'existence, pour cette même langue, d'une


184<br />

forme dépréciée. Dans leur propre langue, les Basaa ne retrouvaient pas<br />

une situation i<strong>de</strong>ntique puisqu'il est impossible d'avoir une forme<br />

pidginisée, c'est-à-dire dépréciée du Basaa. On comprend ainsi pourquoi<br />

finalement les <strong>Bassa</strong> n'ont eu vis-à-vis <strong>de</strong> l'anglais qu'une révérence<br />

mitigée.<br />

c- L'allemand<br />

<strong>Les</strong> Allemands s'installent au <strong>Ca</strong>meroun lorsque le pidgin anglais est<br />

déjà assez répandu, et notamment sur la côte. La complexité <strong>de</strong> la syntaxe<br />

et la structure même <strong>de</strong> l'allemand semblent exclure toute pidginisation.<br />

Le rythme quasi martial <strong>de</strong> l'allemand parlé, la rigueur <strong>de</strong>s<br />

fonctionnaires et cadres <strong>de</strong> l'administration alleman<strong>de</strong>, le système<br />

impitoyable <strong>de</strong>s sanctions (châtiments corporels, exécutions publiques <strong>de</strong>s<br />

criminels, etc.), voilà un ensemble <strong>de</strong> données qui, pour les Basaa <strong>de</strong><br />

l'époque, n'étaient qu'une sorte <strong>de</strong> prolongement <strong>de</strong> la société<br />

traditionnelle.<br />

En effet, personne ne pouvait parler allemand sans r avoir appris et<br />

cela rappelait le mpoo <strong>de</strong> l'époque archaïque dont le rythme <strong>de</strong>s mélopées<br />

initiatiques est comparable au rythme <strong>de</strong> l'allemand parlé.<br />

La rigueur <strong>de</strong> l'époque traditionnelle basaa n'est plus à démontrer.<br />

C'est dire que les Allemands et les Basaa <strong>de</strong> cette époque coloniale<br />

semblaient faits pour vivre ensemble. On comprend dès lors pourquoi les<br />

vieux Basaa évoquent encore aujourd'hui avec nostalgie le caractère bien<br />

«frappé» <strong>de</strong> l'Allemand et « l'homme <strong>de</strong> parole », ainsi que «l'amateur<br />

d'ordre et <strong>de</strong> discipline» qu'était «l'homme <strong>de</strong> l'Allemagne ».<br />

Il faut d'ailleurs dire que ce qui vient d'être dit n'est pas propre aux<br />

seuls Basaa et que tous les <strong>Ca</strong>merounais nés avant ou pendant l'occupation<br />

alleman<strong>de</strong> conservent un souvenir très profond d'admiration et <strong>de</strong> respect<br />

presque religieux pour l'Allemagne. Cela ne concerne naturellement que<br />

ceux <strong>de</strong>s <strong>Ca</strong>merounais qui ont bien connu cette administration alleman<strong>de</strong>.<br />

Le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République Fédérale du <strong>Ca</strong>meroun, M. Ahmadou<br />

AffiDJO, qui est né sous l'administration française, a pu mesurer cet<br />

attachement <strong>de</strong>s anciens à l'Allemagne lors <strong>de</strong> la visite officielle que le<br />

Prési<strong>de</strong>nt LUEBKE a effectuée au <strong>Ca</strong>meroun. A la suite d'une délégation<br />

d'anciens élèves <strong>de</strong>s écoles alleman<strong>de</strong>s du <strong>Ca</strong>meroun reçus en audience par<br />

le Prési<strong>de</strong>nt LUEBKE à Douala, <strong>de</strong> vieux <strong>Ca</strong>merounais ont déclaré que le<br />

prési<strong>de</strong>nt AHIDJO a été cette fois-ci applaudi même par les revenants<br />

(entendre: par les <strong>Ca</strong>merounais qui ont connu l'administration alleman<strong>de</strong>


185<br />

et qui sont aujourd'hui morts). <strong>Les</strong> jeunes générations ont considéré cette<br />

visite du Prési<strong>de</strong>nt allemand au <strong>Ca</strong>meroun comme un ca<strong>de</strong>au du Prési<strong>de</strong>nt<br />

AHIDJO aux Anciens <strong>de</strong> son pays.<br />

II va sans dire que les Allemands, qui ne sont restés que trente années<br />

au <strong>Ca</strong>meroun, n'ont pas eu la possibilité <strong>de</strong> former suffisamment <strong>de</strong> cadres<br />

et l'on peut dire que le prestige qu'ils conservent encore aujourd'hui dans<br />

ce pays est davantage lié à <strong>de</strong>s critères plus subjectifs qu'objectifs.<br />

d- Le français<br />

Si les <strong>Bassa</strong>, à tort ou à raison, n'ont pas voulu emprunter beaucoup<br />

<strong>de</strong> termes à l'allemand pour éviter <strong>de</strong> pidginiser cette langue rehaussée au<br />

rang <strong>de</strong> langue liturgique ou secrète. c'est pour <strong>de</strong>s raisons d'un autre ordre<br />

que le français sera peu introduit dans le <strong>Bassa</strong>.<br />

En effet, la <strong>de</strong>vise française «Liberté, Egalité, Fraternité» est<br />

considérée comme la source <strong>de</strong> désordres, d'insoumission ou <strong>de</strong><br />

contestations <strong>de</strong> l'ordre établi par la société archaïque et maintenu par les<br />

Allemands. C'est en particulier les notions <strong>de</strong> «liberté» et d'« égalité»<br />

qui sont les plus visées puisque la société traditionnelle était fondée sur la<br />

fraternité <strong>de</strong> tous ses membres.<br />

<strong>Les</strong> membres <strong>de</strong>s clans sujets ou esclaves <strong>de</strong>s Basaa, les femmes et<br />

les jeunes sont naturellement les seuls à saluer l'avènement <strong>de</strong> la France<br />

libératrice.<br />

Le recrutement <strong>de</strong>s premiers auxiliaires <strong>de</strong> l'administration, comme<br />

celui <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong>s écoles. pose un problème parmi les aristocrates terriens<br />

<strong>Bassa</strong> méprisant le commerce et les carrières <strong>de</strong> subordination. C'est pour<br />

cette raison que les esclaves et les ca<strong>de</strong>ts sont délégués auprès <strong>de</strong>s<br />

étrangers blancs comme désignés par les maîtres et les aînés. C'est encore<br />

parmi ceux-là qu'on recrutera les premiers élèves. On retrouve d'ailleurs<br />

cette mentalité parmi quelques Basaa bien âgés et qui. lorsqu'ils sont<br />

d'humeur à discuter politique, n'hésiteront pas à déclarer que les divers<br />

traités signés entre les Anglais et les Allemands avec les chefs <strong>Du</strong>ala<br />

doivent être réputés signés par les Basaa. En effet, les Basaa ont accueilli<br />

et hébergé les <strong>Du</strong>ala sur la rive gauche du Wouri. Le fait pour les <strong>Du</strong>ala<br />

d'être très bons pêcheurs et <strong>de</strong>s hommes très courtois ainsi que le site qui<br />

leur a été offert, les prédisposaient à se trouver les premiers en contact avec<br />

<strong>de</strong>s étrangers qui entraient au <strong>Ca</strong>meroun, par voie <strong>de</strong> mer notamment. En<br />

vertu <strong>de</strong> leur conception <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> propriétaire ayant hébergé <strong>de</strong>s hôtes.


186<br />

ils n'attachent au rôle <strong>de</strong>s <strong>Du</strong>ala que celui d'ambassa<strong>de</strong>ur ». Ce problème<br />

<strong>de</strong> souveraineté ou <strong>de</strong> compétence qui relève aussi bien du droit que <strong>de</strong><br />

l'histoire ne nous préoccupe pas ici. Il n'est évoqué que pour souligner la<br />

mentalité rigoriste <strong>de</strong>s Basaa.<br />

Sous l'administration alleman<strong>de</strong> on n'hésitera pas à minimiser le rôle<br />

<strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>ts lettrés dont le poids ne s'est pas fait sentir en pays basaa car à la<br />

vérité, ils n'ont pas eu le temps <strong>de</strong> s'affirmer. Mais peu <strong>de</strong> temps après<br />

l'avènement <strong>de</strong> la France, les «jeunes» et les «esclaves» se mettent à<br />

parler «le blanc », c'est-à-dire la langue <strong>de</strong>s Blancs (français).<br />

L'administrateur a donc tendance à traiter directement avec son<br />

interlocuteur qui sera son interprète auprès <strong>de</strong>s initiés qui apparaissent ainsi<br />

les « non-initiés» <strong>de</strong>s temps actuels. Ces interprètes, qu'on appelle même<br />

écrivains-interprètes, sont <strong>de</strong>s auxiliaires précieux dans la fonction<br />

publique patiemment formée par la France. C'est dans le cadre <strong>de</strong> cette<br />

politique administrative que seront institués <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> village, <strong>de</strong>s chefs<br />

<strong>de</strong> groupement, <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> canton et <strong>de</strong>s chefs supérieurs.<br />

Ceux qui avaient la nostalgie <strong>de</strong> l'époque archaïque, dépassés par les<br />

événements, se mettent à raisonner <strong>de</strong> la manière suivante: «Nous vivons<br />

une drôle d'époque. On nous a apporté une langue que parlent même les<br />

femmes et les enfants. Ceux qui sont considérés comme grands parce qu'ils<br />

parlent «le blanc» seraient indignes à accé<strong>de</strong>r à l'initiation supérieure<br />

traditionnelle. Puisque les Français ont brisé l'ordre social qu'ils ont trouvé<br />

chez nous, nous ne considérons pas la langue qu'ils parlent comme digne<br />

d'intérêt.<br />

Lorsque la <strong>de</strong>uxième guerre mondiale est annoncée, ces Anciens<br />

jubilent. Ils comptent sur le retour <strong>de</strong>s Allemands, tandis que les jeunes,<br />

auxquels sont promis <strong>de</strong>s châtiments corporels dans les prochaines écoles<br />

alleman<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vant être ouvertes après la défaite française, sont<br />

désemparés.<br />

Quand l'Allemagne hitlérienne est vaincue, les jeunes générations<br />

considèrent cette victoire comme la leur puisque <strong>de</strong>s volontaires<br />

camerounais sont tombés dans les rangs <strong>de</strong> la France combattante au cours<br />

<strong>de</strong> cette guerre.<br />

Le Français comme langue va donc connaître une autre fortune. En<br />

effets, tandis que les générations précé<strong>de</strong>ntes ont emprunté <strong>de</strong>s termes à<br />

l'anglais, à l'allemand et au français, la nouvelle génération parle, soit le<br />

français, soit le Basaa, dans <strong>de</strong>s conditions plus ou moins comparables à


187<br />

celles que nous avons évoquées pour le mpoo et le Basaa <strong>de</strong> la société<br />

traditionnelle.<br />

De même que le rang social <strong>de</strong>s individus <strong>de</strong> l'époque archaïque était<br />

fonction <strong>de</strong> la connaissance qu'ils avaient du mpoo, <strong>de</strong> même aujourd'hui.<br />

le rang social <strong>de</strong>s individus est fonction <strong>de</strong> leur connaissance du français.<br />

Mais si dans la société traditionnelle nul ne pouvait abor<strong>de</strong>r<br />

l'apprentissage du mpoo avant la connaissance parfaite et totale du Basaa,<br />

<strong>de</strong> nos jours, la plupart <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes en vue ne savent ni<br />

écrire ni s'exprimer correctement dans ce qu'on accepte encore d'appeler<br />

« langue maternelle ».<br />

Nous pensons néanmoins qu'ils peuvent exprimer leurs sentiments<br />

les plus intimes en Basaa. Nous rappelons que l'élite Basaa <strong>de</strong> la société<br />

traditionnelle parlait correctement et le Basaa et le mpoo. Comme l'élite<br />

actuelle n'apprend pas le Basaa avant le français, il n'est pas surprenant<br />

que leur Basaa (langue savante codifiée, maintenue et transmise par l'élite<br />

d'antan) ne se présente plus que sous la forme d'un jargon indigeste<br />

ponctue -- d e termes f' rançaIs. 48<br />

Grâce au Basaa qu'elle parlait parfaitement, cette élite s'adressait<br />

directement à la société, agissait sur elle et traduisait la volonté <strong>de</strong>s<br />

divinités aux humains. Par la connaissance <strong>de</strong> la langue liturgique, l'initié<br />

parlait aux puissances extraterrestres et intercédait en faveur <strong>de</strong> la<br />

collectivité. C'est dire que l'élite actuelle, ignorant la langue du peuple, lui<br />

reste étrangère et ne peut agir efficacement sur ce peuple qu'elle ne connaît<br />

pas.<br />

La désaffection croissante <strong>de</strong>s jeunes face aux carrières enseignantes<br />

permet <strong>de</strong> penser que si l'on n' y prend gar<strong>de</strong>, même le français, langue <strong>de</strong><br />

prestige, ne <strong>de</strong>viendra plus qu'une sorte <strong>de</strong> pidgin malgré la volonté <strong>de</strong>s<br />

chefs d'Etats africains <strong>de</strong> maintenir du bon français.<br />

Pour nous en tenir au seul contexte Basaa, nous sommes obligés <strong>de</strong><br />

constater que ceux qui ont profondément la société traditionnelle ou<br />

mo<strong>de</strong>rne Basaa étaient d'abord <strong>de</strong>s connaisseurs <strong>de</strong> leur propre langue et<br />

ensuite <strong>de</strong>s gens qui, <strong>de</strong> par leur initiation, parlaient parfaitement ou le<br />

mpoo ou le français.<br />

48 Le linguiste qui abor<strong>de</strong> une langue africaine qui n'a jamais été consignée correstement<br />

dans une grammaire ne <strong>de</strong>vrait pas se contenter d'être simplement celui qui décrit, mais<br />

<strong>de</strong>vrait frachir les frontières <strong>de</strong> sa spécialité pour participer à l'œuvre <strong>de</strong> fixation<br />

normative <strong>de</strong> la langue étudiée.


188<br />

C'est pourquoi l'avenir <strong>de</strong>s langues africaines, comme celui du<br />

français (ou <strong>de</strong> tout autre langue internationale en Afrique), ne passe pas<br />

par l'interdiction d'enseigner les langues africaines au profit <strong>de</strong>s seules<br />

langues internationales, mais plutôt par leur coexistence fructueuse dans<br />

l'intérêt même <strong>de</strong>s peuples concernés.


CHAPITRE VIII<br />

LA VIE INTELLECTUELLE ET<br />

ARTISTIQUE 2 : LES MODES<br />

D'EXPRESSION LITTERAIRE


Nous en présentons principalement <strong>de</strong>ux, à savoir: les minnang et les<br />

proverbes.<br />

1- LES MINNANG<br />

191<br />

Dans le chapitre précé<strong>de</strong>nt. nous avons rencontré 3 mots <strong>de</strong> la même<br />

famille que «Minan», qui sont:<br />

An : compter,<br />

Banga : la parole,<br />

Ban: construire.<br />

L'extensif <strong>de</strong> an donne en Basaa : anal, conter ou raconter une scène<br />

ou histoire: nan ou ngana. Comme le livre écrit n'existait pas dans cette<br />

société, c'est la mémoire du vieux qui servira <strong>de</strong> référence pour<br />

comprendre r histoire <strong>de</strong> la tribu, du clan ou <strong>de</strong> l'ethnie. Et cette histoire <strong>de</strong><br />

la tribu sera contenue dans les morceaux <strong>de</strong> poésie surtout épique, car cette<br />

société aimait trop l'épopée, dans les récits <strong>de</strong>s expéditions guerrières, dans<br />

les généalogies.<br />

C'est le soir, au clair <strong>de</strong> lune, que les vieux « Bayiman », <strong>de</strong>vant les<br />

gens du village rassemblés dans le «kumba », récitaient ces contes qui<br />

constituent la trame vivante <strong>de</strong> toute l'histoire <strong>de</strong> la tribu.<br />

C'est dans ces conditions qu'ils transmettaient les fables (di ngana)<br />

qu'ils avaient reçues <strong>de</strong> leurs aïeux et lesquelles constituaient une gran<strong>de</strong><br />

partie <strong>de</strong> la littérature.<br />

Ces fables mettent souvent en scène, non seulement les hommes,<br />

mais encore les animaux <strong>de</strong> brousse et les animaux domestiques auxquels<br />

on prête <strong>de</strong>s sentiments et <strong>de</strong>s raisonnements humains avec <strong>de</strong>s caractères<br />

bien déterminés: par exemple, l'on remarquera que la tortue est rusée, la<br />

panthère cruelle. crédule et sotte, l'éléphant et l'hippopotame forts, mais<br />

bornés. Le plus souvent, on rencontre à la fin du récit une morale qui<br />

précise l'exemple.<br />

Voici quelques spécimens <strong>de</strong> ces morceaux <strong>de</strong> littérature didactique:<br />

- De la nécessité d'être <strong>de</strong> même avis.<br />

Un Corbeau et sa Femme<br />

Un jour, un corbeau était occupé à fouiller le sol avec ses griffes pour<br />

y chercher <strong>de</strong>s vers. Survint la panthère qui lui dit: «Oh homme, comme<br />

tu as <strong>de</strong> longues griffes! Que fais-tu avec elles? » « Je pourrais facilement<br />

te tuer », répondit le corbeau.


200<br />

d'IKOUMI. Puis il prit un fusil, <strong>de</strong>s sagaies et sa machette et se mit avec<br />

les siens à la poursuite <strong>de</strong> NYOBE. Ils arrivèrent au village <strong>de</strong> NKOYO<br />

MBANG et <strong>de</strong>mandèrent si l'on avait vu NYOBE. On leur répondit qu'il<br />

était passé <strong>de</strong>puis longtemps. Ils eurent la même réponse chez mOTA<br />

BASONG, chez NKOT BISE; ils apprirent que NYOBE les précédait <strong>de</strong><br />

peu. « Cela va bien, s'écrièrent-ils, nous le rattraperons ce soir. Nous irons<br />

au besoin le chercher jusque dans la case <strong>de</strong> son père ».<br />

Lorsqu'ils atteignirent le village <strong>de</strong> HAMGA PUGE, ils<br />

s'inquiétèrent <strong>de</strong> savoir si NYOBE était encore loin d'eux. «Me voici »,<br />

leur dit NYOBE qui s'était installé dans le Kumba <strong>de</strong> HAMBA PUGE, ses<br />

poules et ses <strong>de</strong>ux chèvres à côté <strong>de</strong> lui.<br />

« Que me voulez-vous? Je vois que vous êtes venus pour vous battre<br />

avec moi, moi, mais qui sera témoin <strong>de</strong> notre lutte? »<br />

«Battons-nous d'abord, dit NLEP IKENG, nous chercherons les<br />

témoins après. » «Tiens, reprit NYOBE, j'avais bien entendu dire que<br />

NLEP IKENG était un homme, mais je ne savais pas qu'il voulait porter la<br />

lanière <strong>de</strong> peau <strong>de</strong> panthère ! Ne bouge donc pas, que je te tue ».<br />

Et il frappait NLEP qui se sauvait. « Mais voici MANDUT l'esclave<br />

d'IKENG MBOM ... c'est aussi un brave homme! ricanait NYOBE»<br />

«Toi qui es si habile à lancer les sagaies, frappe donc NYOBE », criait<br />

YON IKENG. Et MANDUT brandissait une sagaie dans la direction <strong>de</strong><br />

NYOBE qui. d'un revers <strong>de</strong> la machette, en coupait le bois ... Une secon<strong>de</strong><br />

sagaie jetée par MANDUT fut encore parée par NYOBE... et en même<br />

temps le fils <strong>de</strong> YEBEL se jetait sur l'esclave et lui fendait la poitrine d'un<br />

terrible coup <strong>de</strong> machette. Puis, marchant sur YON IKENG armé <strong>de</strong> cinq<br />

sagaies, une machette et un fusil, NYOBE lui criait: «Ne bouge pas, c'est<br />

maintenant pour toi le moment <strong>de</strong> mourir! » «J'attends », répliqua YON.<br />

qui. en même temps, fit feu sur NYOBE, mais d'un coup <strong>de</strong> machette.<br />

celui-ci avait détourné l'arme et la charge passa au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête. YON<br />

lança alors précipitamment sur NYOBE les sagaies qu'il avait. mais Nyobe<br />

les écarta toutes.<br />

Lorsqu'il ne lui resta en main qu'une seule sagaie, YON prit la fuite<br />

dans la brousse, poursuivi par NYOBE qui lui criait: « Voici le moment <strong>de</strong><br />

ta mort.» YON se sauvait en appelant: «Au secours! Au secours!<br />

NYOBE me tue! »<br />

Sur le chemin qu'il suivait, il rencontra le tronc d'un « totom » (arbre<br />

abattu qui lui barra la route). Il redoublait ses appels pendant que NYOBE<br />

ricanait: «C'est le moment <strong>de</strong> ta mort!» YON se retourna alors


201<br />

brusquement et, brandissant sa <strong>de</strong>rnière sagaie, il la lança sur NYOBE qui<br />

arrivait sur lui. Atteint en pleine poitrine, NYOBE s'effondra sur le sol.<br />

YON bondit sur lui et, avec son coupe-coupe, lui trancha la jambe.<br />

Quand le notable IKENG MBOM vit que YON lui rapportait la<br />

jambe <strong>de</strong> NYOBE, il appela ses fils et leur conseilla d'aller se réfugier<br />

chez leurs oncles.<br />

Le len<strong>de</strong>main matin, NEMBE NANG, r ami <strong>de</strong> NYOBE YEBEL,<br />

rassemblait tous les hommes <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> YEBEL IKOUMI. Ils étaient<br />

environ <strong>de</strong>ux cents. Tous se dirigèrent vers le groupement d' IKENG<br />

MBOM pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> leur livrer son fils YON pour qu'ils le tuent.<br />

«Nous voulons votre fils YON, il a tué un <strong>de</strong>s nôtres, notre frère NYOBE,<br />

il doit aussi être tué ».<br />

IKENG MBOM les écoutait, assis sur un lit dans son kumba, fumant<br />

sa gran<strong>de</strong> pipe. Toute la matinée, les hommes d'IKOUMI firent entendre<br />

leurs réclamations. IKENG fumait toujours sa pipe et ne répondait rien.<br />

Vers midi, son frère YETNA MBOM lui dit: «N'entends-tu pas ce<br />

que les gens d'IKUMI te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis ce matin? Ne peux-tu pas<br />

choisir un autre moment pour fumer ta pipe? » A la parole <strong>de</strong> son frère,<br />

IKENG MBOM retira sa pipe <strong>de</strong> sa bouche, la brisa par terre et s'écria en<br />

colère: «Que me dis-tu? Répète donc ce que tu viens <strong>de</strong> dire! Ne te<br />

souviens-tu pas que l'année <strong>de</strong>rnière, les éléphants dévastaient les cultures<br />

<strong>de</strong>s gens d'IKUMl, et que leurs notables sont venus me prier <strong>de</strong> leur prêter<br />

<strong>de</strong>s fusils pour protéger leurs plantations? Ne te souviens-tu pas que, en<br />

chassant ces éléphants, <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> mes hommes ont été tués? M'a-t-on parlé<br />

<strong>de</strong> me dédommager pour ces <strong>de</strong>ux morts? Nlamp Kilep et Njéfi Mahop ont<br />

tué <strong>de</strong>ux éléphants avec les fusils que je leur avais prêtés: est-ce qu'ils<br />

m'ont envoyé même un petit morceau <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>? Ces gens d'IKUMI<br />

avaient une contestation <strong>de</strong> terrain avec les lôg Mangan, je leur ai donné<br />

raison. Avec les palmiers qui se trouvent sur ces terrains, ils font du vin <strong>de</strong><br />

palme, <strong>de</strong>s palmistes et <strong>de</strong> l'huile <strong>de</strong> palme. Ont-ils jamais pensé à<br />

m'envoyer une simple « tête» <strong>de</strong> tabac? Aussi ne leur livrerai-je pas mon<br />

fils YON. Je ne veux même pas leur donner le prix du sang pour<br />

NYOBE ».<br />

YON, le fils d'IKENG, ne fut pas livré, le cadavre <strong>de</strong> NYOBE ne fut<br />

pas payé à sa famille, parce que le notable lKENG MBOM était un chef<br />

puissant qui commandait tout le pays Ndôgmakumak


202<br />

Telle est l'une <strong>de</strong>s pièces littéraires à caractère tragique parmi <strong>de</strong>s<br />

milliers que recèle le folklore. En la lisant attentivement, l'on voit qu'il y a<br />

un peu du Cid et un peu d'Horace, mais ceci ne fait pas aujourd'hui l'objet<br />

<strong>de</strong> notre préoccupation: r analyse littéraire.<br />

11- LES PROVERBES<br />

La colonisation avait, dans certains cas volontairement, dans d'autres<br />

involontairement, exercé un effet <strong>de</strong> domination qui avait laminé les<br />

cultures indigènes, donnant naissance au phénomène d'acculturation, <strong>de</strong><br />

double culture. Cette situation est plus sentie et durement supportée dans<br />

les ex-possessions françaises à vocation assimilationniste.<br />

« Retrouver notre personnalité », comme disent les Algériens, c'est<br />

reconnaître la racine culturelle traditionnelle d'un peuple et vouloir<br />

construire son avenir à partir <strong>de</strong> cette sève pure.<br />

Ce retour aux sources peut prendre parfois, sur certains points. une<br />

allure réactionnaire. De façon différente, les frères musulmans d'Egypte et<br />

GANDHI en offrent <strong>de</strong>s exemples. Mais ce risque n' est pas fatal.<br />

L'Algérie, pour ne prendre que cet exemple, tout en recherchant les<br />

sources <strong>de</strong> sa personnalité et <strong>de</strong> sa culture, s'adapte au mon<strong>de</strong> du XXè<br />

siècle, essaie <strong>de</strong> faire évoluer la situation traditionnelle. Cette étu<strong>de</strong> sur les<br />

Basaa n'a pas d'autre finalité. Nous savons que la culture. qu'elle soit<br />

algérienne ou basaa, n'est pas une racine fossile vers laquelle on se penche<br />

pour la conserver, mais une racine vivante <strong>de</strong> laquelle naît un bourgeon et<br />

grandit une tige: une racine qui crée. Or un proverbe basaa dit ceci :<br />

« Mbôki inyofi hinuni i nlôl tén » (pour parvenir au sommet d'un arbre, on<br />

y monte à partir <strong>de</strong> la tige). Cette tige, pour nous Africains, est dans notre<br />

culture, dans la connaissance objective <strong>de</strong> celle-ci. dans laquelle, une<br />

nécessaire sélection <strong>de</strong>s éléments est requise afin <strong>de</strong> déboucher sur du<br />

positif, c'est-à-dire au changement. Ne faut-il pas, pour qu'un arbre donne<br />

<strong>de</strong>s fruits, le tailler? Seulement, il faut encore que l'arbre continue à vivre.<br />

Par contre. cet arbre élagué et vigoureux peut recevoir <strong>de</strong>s greffons qui<br />

permettent d'obtenir avec le maximum <strong>de</strong> rentabilité <strong>de</strong>s fruits originaux et<br />

savoureux.<br />

Telle est l'option humaine qui sous-tend notre recherche sur cette<br />

partie <strong>de</strong> la vie du Basaa: son savoir millénaire conservé à travers les<br />

proverbes.


203<br />

Nous avons déploré plus haut les méfaits <strong>de</strong> l'éducation occi<strong>de</strong>ntale<br />

au sein <strong>de</strong> nos sociétés. Il faut souligner encore que l'éducation<br />

traditionnelle, qui n'était pas à la portée <strong>de</strong> tous, a aussi ses effets néfastes.<br />

La synthèse entre les <strong>de</strong>ux systèmes <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'on les possè<strong>de</strong><br />

correctement pour mieux bâtir une personnalité intégrée et équilibrée.<br />

<strong>Les</strong> Basaa ayant été peu étudiés par les ethnologies classiques, il<br />

serait téméraire <strong>de</strong> notre part <strong>de</strong> prétendre combler, en 200 pages, tout le<br />

vi<strong>de</strong> sur tous les éléments fondamentaux <strong>de</strong> leur vaste culture.<br />

On sait que toute activité humaine est fondée sur <strong>de</strong>s valeurs<br />

exprimant la culture d'une société, valeurs qui vivent d'une façon<br />

singulière chez chaque membre <strong>de</strong> la collectivité.<br />

La société Basaa, qui était construite autour <strong>de</strong> MBOK, animé par les<br />

Bangéngé, exprimait les valeurs <strong>de</strong> sa culture dans ce qu'on appelait:<br />

Mbafi la combinaison.<br />

Ainsi, les concepts fondamentaux <strong>de</strong> la philosophie Basaa se<br />

retrouvent sous les 3 vocables:<br />

Ngé. MBOK. MBAN<br />

Le Ngé, dans cette trilogie, exprime l'origine, l'explosion, la<br />

substance vibrante. Autour <strong>de</strong> cette idée d'origine s'est bâtie une société, la<br />

société <strong>de</strong>s hommes-animaux ou « mintomba », ceux qui se transforment<br />

se métamorphosent par l'initiation.<br />

Le MBOK est le principe <strong>de</strong> l'unité et <strong>de</strong> la totalité. Il est même<br />

l'unité <strong>de</strong> la totalité. Il ne s'agit pas <strong>de</strong> n'importe quelle totalité, mais d'une<br />

totalité réalisée sur le modèle <strong>de</strong> Mbafi ou combinaison.<br />

Pour mieux pénétrer le sens <strong>de</strong> cette philosophie, prenons ce conte<br />

philosophique qui servait <strong>de</strong> support pédagogique au moment <strong>de</strong><br />

l'initiation.<br />

« Un père qui s'apprêtait à aller en voyage invita ses enfants à lui<br />

apporter chacun une brindille <strong>de</strong> bois, ce qui fut fait. Il <strong>de</strong>manda à l'un<br />

d'eux d'en faire un fagot <strong>de</strong> bois. Aussitôt le fagot lié, il lui <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> le<br />

rompre. Il ne put le faire et il en fit autant à chacun d'eux; personne<br />

n'arriva à rompre le fagot.<br />

e' est alors qu'il leur <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> rompre tous ensemble le fagot; ils<br />

essayèrent sans succès. Alors il leur dit <strong>de</strong> défaire le fagot et à chacun <strong>de</strong><br />

reprendre sa brindille ou plutôt une brindille et <strong>de</strong> la rompre: aussitôt dit,<br />

aussitôt fait. Il en tira la leçon <strong>de</strong> l'unité ».<br />

Quand on essaye <strong>de</strong> traduire ce mythe en réalités vécues, l'on voit le<br />

chemin <strong>de</strong> la pensée logique du Basaa primitif, une pensée qui ne peut être


204<br />

taxée <strong>de</strong> sauvage parce que non construite à l'occi<strong>de</strong>ntale. N'oublions pas<br />

que du mot Mbafi : combinaison- construction, on a aussi vu on:<br />

construire, qui donne «mahofiol », la conscience. Or un homme sans<br />

logique ne peut imaginer les trois combinaisons suivantes:<br />

1 er cas: chacun <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong>vait rompre le fagot seul:<br />

2 ème cas: tous les enfants <strong>de</strong>vaient rompre ensemble le fagot:<br />

3 ème cas: chacun <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong>vait rompre une brindille.<br />

La leçon qui se dégage <strong>de</strong> cette construction est celle <strong>de</strong> l'unité du<br />

groupe, bâtie autour du MBOK où seuls les originaires <strong>de</strong> l'ethnie<br />

Bangéngé <strong>de</strong>vaient se livrer à <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> l'interprétation <strong>de</strong>s phénomènes<br />

du cosmos par r entremise du langage construit: le Mbafi. Nous sommes<br />

déjà dans le domaine <strong>de</strong> la métaphysique. <strong>Les</strong> Bayiman ou philosophes<br />

Basaa seuls savaient que les mots Mbafi, Ngé et Mbok avaient une<br />

pluralité <strong>de</strong> sens et bien que désignant <strong>de</strong>s objets différents, tous ces sens<br />

se ramènent au sens notionnel <strong>de</strong> la combinaison pour le Mbafi, la<br />

substance vibrante pour le Ngé et l'univers pour le Mbok. Ces mots sont à<br />

la fois <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s réalités presque au sens platonicien.<br />

Ainsi, Mbafi en basaa signifie en même temps combinaison et mythe.<br />

Ngéd» désigne la substance vibrante ainsi qu'une organisation qui détient<br />

le secret <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> la langue et <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> métamorphose<br />

« tonba » comme toute réalité qui est origine et qui vibre. Le Mbok désigne<br />

l'univers, la société <strong>de</strong>s hommes, mais aussi l'union, d'où le sens premier<br />

<strong>de</strong> sa racine: nok (unir, arranger).<br />

Pour entrer dans le domaine <strong>de</strong>s proverbes, en tant que forme<br />

littéraire orale par excellence, il fallait faire cette petite incursion dans cette<br />

pensée négro-africaine traditionnelle à laquelle les philosophes<br />

occi<strong>de</strong>ntaux ont refusé d'accor<strong>de</strong>r une démarche rationnel1e qui permet<br />

d'accé<strong>de</strong>r au plan <strong>de</strong>s idées générales et donc à l'abstraction.<br />

De prime abord, on ne peut y accé<strong>de</strong>r facilement, surtout lorsqu'on<br />

ignore la valeur <strong>de</strong> « banga », la parole, le langage, chez ces peuples. Parler<br />

seulement d'intuition, d'émotion et d'affectivité, en étudiant la pensée<br />

Basaa par exemple, c'est fausser, au départ, les mécanismes qui peuvent<br />

conduire à sa connaissance objective.<br />

<strong>Ca</strong>r, comme nous l'avions signalé dans le chapitre sur la pensée<br />

religieuse, la symbolique et le proverbe sont <strong>de</strong>ux fils qui conduisent tout<br />

droit à la source vraie <strong>de</strong> cette culture.


205<br />

On notera que le proverbe, souvent dans notre société, remplace le<br />

livre <strong>de</strong> vulgarisation <strong>de</strong>s certaines sciences.<br />

<strong>Les</strong> thèmes <strong>de</strong> ]' amour, <strong>de</strong> l'amitié, <strong>de</strong> la liberté, <strong>de</strong> la fraternité, du<br />

travail, <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce, <strong>de</strong> la mort, <strong>de</strong> la solidarité, abon<strong>de</strong>nt dans différents<br />

contes didactiques ou philosophiques.<br />

Retenons quelques exemples avec leurs interprétations. <strong>Les</strong> exemples<br />

suivants, qui ne sont pas le millionième <strong>de</strong> la panoplie, peuvent être classés<br />

en 3 domaines:<br />

- l'homme, ses qualités, ses défauts et la morale qu'il <strong>de</strong>vrait avoir:<br />

- la famille, la société et l'éducation aux relations sociales:<br />

- la vie économique, le travail et leur rapport avec l'existence.<br />

On notera par ailleurs que pour instruire les hommes, l'on a ici<br />

souvent utilisé les animaux.<br />

Voici 10 proverbes mettant en scène les animaux, alors que leur<br />

vérité intéresse l'homme.<br />

A- LE CYCLE DES ANIMAUX<br />

1°) «Man ka, dibaba ki nyafi» (les écailles d'un petit pangolin sont<br />

les mêmes que celles <strong>de</strong> la mère). Ici on sous-entend le proverbe français<br />

« tel père, tel fils ».<br />

2°) « Bép kembe i kal nkôo, nye jam li nkidna bé nyu mut» (un jeune<br />

cabri avait dit à la cor<strong>de</strong> qui l'attachait à un arbre qu'aucune situation n'est<br />

éternelle). C'est un proverbe qui prête à plusieurs significations sur pas mal<br />

<strong>de</strong> domaines <strong>de</strong> l'existence où l'on sent la gêne, le manque <strong>de</strong> liberté,<br />

l'incommodité, mais dont on espère un jour sortir pour narguer l'obstacle<br />

qui était la cause <strong>de</strong> cette gêne.<br />

3°) «Nyoo i yé kogoo we, u tehe nson u nke ngwé» (si tu as été<br />

mordu par un serpent, la vue d'un ver <strong>de</strong> terre te fait fuir). C'est le<br />

proverbe français « chat échaudé craint l'eau froi<strong>de</strong> ».<br />

4°) «Ngwo ndok, bijep nyôl» (un chien insoumis a ses pattes<br />

suspendues au toit). Il s'agit ici <strong>de</strong>s conséquences découlant <strong>de</strong> la<br />

désobéissance: le chien insoumis qui erre partout pour voler n'a d'autre fin<br />

que d'être tué et mangé après avoir été fumé.<br />

5°) «Li Iiba ndap kôp, jon liba ndap bilolo » (Ce qui était dans un<br />

poulailler, était également dans la cage aux canards). Ici on peut appliquer<br />

soit: dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es, ou bien, qui se


206<br />

ressemble s'assemble. <strong>Ca</strong>r la poule et le canard sont <strong>de</strong>ux oiseaux et qui<br />

habitent la même basse-cour.<br />

6°) «Ngwo le i nkil bé we gwém, i mal we bot mat je ma kôp (si un<br />

chien refuse <strong>de</strong> t'accompagner à la chasse, même si tu lui donnes tout un<br />

panier d'œufs, il n'y a rien à faire). Ce proverbe peut s'appliquer à la vie<br />

politique ou à la vie professionnelle. Il s'agit d'un refus volontaire ou<br />

motivé, dans ce cas cherche le mal à la racine, mais si tu forces, le résultat<br />

sera toujours négatif.<br />

7°) «Ba yé ba tifiil pô, dison di sand a (quand on détache le rat, les<br />

founnis se dispersent). Ceci, dans la vie sociale et famil iale, intéresse la<br />

désagrégation d'une cellule à la mort du chef <strong>de</strong> famille, ou la guerre, à la<br />

mort ou après la fuite du chef <strong>de</strong> guerre.<br />

8°) « Kôp bon libum hôghô (une poule qui a <strong>de</strong>s poussins n'a pas le<br />

ventre plein). Ceux qui ont mission <strong>de</strong> veiller sur le groupe doivent d'abord<br />

penser à la survie <strong>de</strong> celui-ci qu'à leur jouissance personnelle.<br />

9°) «Njok mal. malép ma nsôg ma yègle (après avoir mangé tout<br />

l'éléphant, il reste toujours le brouet <strong>de</strong>s légumes). Méfiez-vous <strong>de</strong>s choses<br />

<strong>de</strong> grand tapage, car après ce tapage, il reste toujours ce qui constitue la<br />

force du groupe. On sait que l'éléphant est un gros animal dont on n'a pas<br />

tous les jours la vian<strong>de</strong>, tandis que les légumineuses forment la base <strong>de</strong><br />

l'alimentation basaa.<br />

10°) «Kôp hiôg, hiôg ipam mbai ndon ( la poule tourna. tourna et<br />

finit par échouer au domicile du renard). On emploie souvent ce proverbe<br />

pour prévenir la désobéissance <strong>de</strong>s enfants, car le jour <strong>de</strong> l'initiation est<br />

pour les désobéissants un jour <strong>de</strong> grands supplices corporels.<br />

B- L'HoMME (MUT)<br />

1°) U gwéhég mut. a ngwés bé we (ce n'est pas celui qu'on aime qui<br />

vous aime).<br />

2°) Kitik bee kal mut: nyee u log, u tehge me (le fond d'un trou dit<br />

un jour à un chasseur: ne cesse jamais <strong>de</strong> me fréquenter). Pourquoi? Parce<br />

que, dit le conte, après tant <strong>de</strong> peine, il y trouva un matin, neuf<br />

phacochères, ce qui fit la joie <strong>de</strong>s siens, grâce à sa patience et à sa fidélité<br />

au ren<strong>de</strong>z-vous. Ceci explique que pour être bien payé <strong>de</strong> quelque peine<br />

que ce soit, il faut persévérer.


207<br />

3°) Mut a yég bé liwo li nIaI isan a ke li nIai nvan (l'on n'a jamais<br />

négligé l'enterrement <strong>de</strong> son propre fils, pour aller pleurer la mort du fils<br />

<strong>de</strong> son beau-frère). Ici. le sang doit primer sur tout autre rapport.<br />

4°) U tégne mut bijek, u niga n ye ki ba nyambaa (si tu donnes à<br />

manger à un homme, tu ne lui apprends plus comment mâcher). Cela<br />

signifie que l'effort personnel est nécessaire à toute satisfaction quelle<br />

qu'elle soit.<br />

5°) Môngô ma mi nôlha mpih Ndon : (MPIH NDON, un patriarche,<br />

se noya parce qu'il mit les pieds dans <strong>de</strong>ux pirogues). C'est une leçon pour<br />

les délateurs. les serviteurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux maîtres, ceux qui 'mangent à <strong>de</strong>ux<br />

râteliers' comme dit le français.<br />

6°) Nyégle bum. diyes di tjuen (on reconnaît l'héritier à son gros<br />

ventre). C'est-à-dire que tout ouvrier mérite son salaire.<br />

7°) Nlegel nwin a nkwo bé nkaa (le messager ne peut pas être<br />

condamné). Plutôt chercher l'auteur que <strong>de</strong> punir l'innocent.<br />

c- LE TEMPS (NGEDA)<br />

1°) Len juem a koba nkagaa Bihiya a nigi mbenda et<br />

2°) Bembak, bembek a nteg bé yila mbom itjo<br />

Ce sont ici <strong>de</strong>ux proverbes à sens opposés, comme l'on en rencontre<br />

plusieurs dans cette culture.<br />

Le premier apprend à l'enfant à ne pas brûler les étapes, son temps<br />

arrivera. et le second précise que celui qui piétine n'avance jamais. Le mot<br />

à mot du 2 ème dit: à attendre, toujours attendre, on finit par <strong>de</strong>venir un<br />

paquet <strong>de</strong> résine déshydratée.<br />

Dans le premier cas, on insiste sur la réflexion, la pru<strong>de</strong>nce et la non<br />

précipitation dans les décisions, dans l'autre il est enseigné <strong>de</strong> ne pas trop<br />

abuser <strong>de</strong> cette pru<strong>de</strong>nce, car l'on risque <strong>de</strong> ne plus rien faire.<br />

De ces exemples pris parmi <strong>de</strong>s milliers, passons maintenant aux<br />

énigmes et proverbes à énigmes.<br />

D- LES PROVERBES À f:NIGMES<br />

a) Ba bak e ban, boo to homa. Ba ba huu ban. boo to wada (quand ils<br />

s'en allaient, ils dirent: nulle part. Au retour, ils se plaignirent qu'il n'y<br />

avait personne).


208<br />

La signification profane <strong>de</strong> cette énigme qui fait partie du langage<br />

caché et ésotérique pour les initiés fait allusion aux manifestations <strong>de</strong>s<br />

hommes léopards. Quand ils entreprennent leurs actions maléfiques,<br />

personne n'est au courant; dès que la résistance <strong>de</strong>vient meurtrière, on<br />

déplore <strong>de</strong>s pertes humaines.<br />

b) Ba hi kal we? (si on ne te dit pas, comment le sauras-tu? Ou bien<br />

veux-tu en savoir long?<br />

c) Me we in, we me begi? (quand je te dis prends, pourquoi le<br />

<strong>de</strong>Jnan<strong>de</strong>r encore ?)<br />

d) Bambaa ngok, nem ang (grosse pierre au milieu <strong>de</strong> la forêt).<br />

Explication: personne d'autre ne connaît le secret que cache le cœur<br />

d'autrui.<br />

e) U tann' u tôôda (tu nies, tu embrouilles). Nye jada, wee maa (lui<br />

un (mot), toi <strong>de</strong>ux).<br />

<strong>Les</strong> quatre premières énigmes étaient l'apanage <strong>de</strong>s hommes léopards<br />

tandis que la cinquième est un précepte <strong>de</strong> morale féminin, que les vieilles<br />

femmes <strong>de</strong> l'organisation <strong>de</strong> «koo », «escargot », organisation<br />

essentiellement féminine, inculquaient au nouveau-né fille au moment <strong>de</strong><br />

lui conférer le nom.<br />

Ces <strong>de</strong>ux phrases sont extraites d'une longue litanie où il est enseigné<br />

aux filles dès la mamelle <strong>de</strong> leur mère, « que jamais, au grand jamais, il ne<br />

faut avouer ses faiblesses masculines à son mari », car c'est la fin du<br />

mariage. Non seulement on leur apprend à mentir ainsi (tu nies, tu<br />

embrouilles), mais en plus on leur assigne le rôle <strong>de</strong> bavar<strong>de</strong>, ce qui<br />

exaspère l'homme, <strong>de</strong> manière à le pousser à la bastonna<strong>de</strong> afin d'oublier<br />

le vrai motif <strong>de</strong> sa colère (lui un mot, toi <strong>de</strong>ux mots).<br />

d) Pêle-mêle ou Mban.<br />

Sur le plan <strong>de</strong> la construction philosophique, on rencontre <strong>de</strong>s<br />

proverbes qui sont <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> vérités universelles, exprimant une<br />

situation, ou une fatalité, dont l'homme n'à que faire.<br />

Tels sont:<br />

Nkônô biyik u, u je wo u n wél nlôm, u je bé u nwél ndig nlôm (ç' est<br />

le repas <strong>de</strong>s veuves: qu'on y goûte ou qu'on n' y goûte pas, après la mort<br />

du mari, toute femme <strong>de</strong>vient veuve).<br />

Nyemb i ngwel bé nje? (quel est l'homme que la mort épargne ?). On<br />

n'évite pas la mort (ba nkéngle bé nyemb).<br />

Nom i komol bilol (à vivre longtemps, on peut vaincre la misère).


209<br />

Sas jû, i nkafi bé jomb (à être toujours à côté du feu, l'on n'attache<br />

pas le paquet). C'est-à-dire que si tu veux gagner une faveur. obtenir un<br />

ca<strong>de</strong>au, il faut aller le chercher olt il faut le mériter. C'est le correspondant<br />

français <strong>de</strong>s « hiron<strong>de</strong>lles toutes rôties du ciel ».<br />

Dibaa i bum nganga (si tu manges et ta part et la mienne,<br />

automatiquement tu attrapes une colique). Eviter l'égoïsme et penser que<br />

les autres vivent. voilà qui établit <strong>de</strong>s bonnes relations.<br />

Au lieu <strong>de</strong>s disputes, «nganga », cultivons l'entente qui donne la<br />

paix. Diplomatiquement, cette vérité vaut un grand enseignement. car la<br />

vie en société est basée sur l'échange.<br />

111- LE LANGAGE DES CHIFFRES ( An)<br />

La numération est à base 10. A partir <strong>de</strong> 1 L ]' on ajoute un «et»<br />

entre la dizaine et l'unité, et l'on compte: 10 et 1.<br />

Français Basaa<br />

Il onze jôm ni yada<br />

10 et un<br />

De Il à 19, aucun changement. Cependant lorsqu'on arrive à 20, on<br />

dit 2 fois 10,3 fois 10 pour 30, ainsi <strong>de</strong> suite jusqu'à 100 qui se dit Mbogol<br />

ou chose embrouillée.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux façons <strong>de</strong> compter <strong>de</strong> 1 à 10. Ainsi l'on peut dire:<br />

a) yada, biba, biaa, bina, bitan, bisamal, bisambok,<br />

juem, boô, jôm;<br />

1 2 3 4 5 6 7 8<br />

9 10<br />

b) pok, ba. aa, na, tan, samal, sambok,<br />

juem, boô, jôm.<br />

1 2 3 4 5 6 7 8<br />

9 10<br />

L'on notera que dans la première façon <strong>de</strong> compter <strong>de</strong> 1 à 10,<br />

l'irrégularité se remarque au niveau <strong>de</strong> L 8, 9, 10, tandis que 2, 3, 4, 5, 6, 7<br />

sont ou précédés <strong>de</strong> bi indiquant la quantité qui se rapporte aux choses<br />

palpables, ou simplement les radicaux, qui expriment plutôt <strong>de</strong>s réalités<br />

abstraites.


210<br />

Le premier tableau <strong>de</strong> notre exemple exprime les cardinaux, le<br />

second, les ordinaux. Pour exprimer Je temps ou l'époque, le Basaa dit:<br />

Len<br />

len-mana<br />

Aujourd'hui<br />

4 jours avant<br />

4 j ours après<br />

ngwalen ou len-matan<br />

masambok<br />

5 jours avant ou après<br />

après<br />

Len-juem<br />

8 jours avant ou après<br />

ou après<br />

hier après-<strong>de</strong>mai n<br />

ou <strong>de</strong>main ou avant-hier<br />

len-masamal<br />

6 jours avant ou après<br />

len-boô<br />

9jours avant ou après<br />

maôma<br />

3 jours après<br />

3 jours avant<br />

7 jours avant ou<br />

len-jôm<br />

la jours avant<br />

Arrêtons-nous sur cette science <strong>de</strong>s chiffres.<br />

Nous voyons la particule «len » réapparaître après 1 <strong>de</strong> 4 jusqu'à la.<br />

n en est ainsi jusqu'à l'infini.<br />

Ainsi l'on peut dire dans 100 ans ou il y a cent ans: len mbôgôl<br />

nwii : mot à mot.<br />

Lenmbôgôl nwii tan: aujourd'hui cent an Cinq<br />

Par contre, l'on remarquera qu'il y a <strong>de</strong>ux façons d'exprimer il y a ou<br />

dans cinq jours.<br />

Nawa-Ien ou Len - matan<br />

Le terme Ngwa signifie en Basaa l'époque, fête. Ainsi r on dira:<br />

Ngwa nkefii : la gran<strong>de</strong> époque, fête<br />

Ngwa ntitigi : la petite époque, fête<br />

<strong>Les</strong> cas intraduisibles <strong>de</strong> datation sont hier ou <strong>de</strong>main, avant-hier ou<br />

après-<strong>de</strong>mai n,<br />

Yani et N orna.<br />

Quant à 3 jours après, maôma, il <strong>de</strong>vrait s'écrire ma/u/ma, les nuits<br />

trois, donc après trois nuits ou trois nuits avant.<br />

Le Basaa ne sait pas dire une semaine. Le mot sondi qu'il emploie<br />

actuellement lui vient <strong>de</strong> l'anglais «sunday » qui. dans son acceptation,<br />

connote contenant et contenu. Ses véritables époques se comptaient en 5 à<br />

10 jours, ou 1 mois qu'il sait exprimer; ainsi il dira, mon fils est né il y a 5


211<br />

jours, il Y a une neuvaine, il y a 1 mois, il y a un an, il y a 10 printemps, il<br />

y a 100 ans. Il peut aller, ainsi. jusqu'à 1 million qu'il appelle « hidum »,<br />

nlot <strong>de</strong> la même famille que « ndune », l'usage, le vétuste.<br />

Pour s'adapter à la nouvelle datation <strong>de</strong>s évènements ou à la nouvelle<br />

métho<strong>de</strong> d'expression <strong>de</strong>s chiffres et <strong>de</strong>s nombres, le Basaa a inventé un<br />

système symbolique, du moins jusqu'à 10.<br />

Ainsi, <strong>de</strong> 1 à 10, chaque chiffre symboliste un objet auquel il<br />

ressemble. On dit en ce cas:<br />

Yada : a mpôna hikoba kédél bitôtô<br />

1 : ressemble à un crochet<br />

Biba: nlop nkana<br />

2 : ressemble à un hameçon<br />

Bina: méé ma nkom<br />

3 : ressemble aux seins d'une femme stérile<br />

Bina: kop i soo<br />

4 : ressemble au manche d'une houe<br />

Bitan : mambénd ma nbénda<br />

5 : ressemble aux pisds du Mbenda (fauteuil <strong>de</strong> nkaambok)<br />

Samal : ikôda nyo<br />

6 : queue d'un serpent<br />

Sambok : bayôdô<br />

7 : ressemble à l'insecte Bayôyô (menthe religieuse)<br />

Juem : libag li nkôô<br />

8 : ressemble à un noeud<br />

Bôô: lingôdô<br />

9 : à un tétard<br />

Jôm : hikoda ni lit je li kôp<br />

10 : à un crochet et à un œuf.<br />

Passant <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong>s chiffres, nous parvenons ainsi à celle du<br />

temps- époque. Un esprit pressé, après avoir lu ce qui précè<strong>de</strong>, pourra<br />

conclure que la société Basaa ne connaissait pas la notion du temps, avant<br />

les colonisateurs, parce qu'il ne disait pas « semaine» comme les français<br />

ou « week » comme les Anglais. Si oui celui-ci serait loin <strong>de</strong> la réalité, car<br />

pour un Basaa, surtout membre <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s «Bangengé », le temps<br />

était un problème d'origine.<br />

Le temps en Basaa se dit «Ngéda ». Qu'entend-on par ce mot<br />

« Ngéda » ?


212<br />

D'abord «da» suffixe est une transformation <strong>de</strong> «ba ». être; ainsi<br />

l'on dit « hégba », se mesurer (mot à mot: être mesuré). et tugda. s'agiter<br />

(être agité). Ba sert à former les verbes passifs et pronominaux. Par ailleurs<br />

« ba ». avec légère transformation vocale. veut dire partager, séparer. C'est<br />

ainsi qu'on le trouve, marquant le pluriel <strong>de</strong> certains mots: être séparé en<br />

effet c' est être plusieurs: «mut », pluriel bôt (les hommes), «nkuki ».<br />

«bakuki » (les esprits). En ce sens, un n'est pas unique, il est plusieurs à sa<br />

façon. un se disant en Basaa «yada ou yaba », c'est-à-dire être seul après le<br />

partage. Biba (<strong>de</strong>ux), être plusieurs ou être partagé avec bi comme préfixe<br />

<strong>de</strong> substantivation; baa ou biaa vient <strong>de</strong> «ba », partager, et « ad » (unir)<br />

trois veut dire donc partager et unir ou <strong>de</strong>ux et l'unité à la fois. D'où le<br />

sens sacré du chiffre trois que nous avions souligné plus haut; car il est<br />

« pok » ou « yada » un et plusieurs « ba ». Voilà pour « da ».<br />

Voyons le préfixe « Ngé ». Ngé exprime l'origine. Pour comprendre<br />

« Ngé », on démonte « mba"n » la combinaison ou la combinatoire.<br />

Cette racine Ngé donne «Nga» exprimant le bruit; ngôn désir;<br />

ngond ou ngonda: la fille objet <strong>de</strong> désirs. Ngom: le tam-tam: ngn : la<br />

cloche; ngi : le ciel: ngui : la force; ngan : la nouvelle: Ngand : la fête:<br />

Ngan : la para<strong>de</strong>; et an : compter.<br />

Tous ces mots désignent <strong>de</strong>s objets ou concepts figurant <strong>de</strong>s<br />

vibrations sonores, visuelles ou ressenties.<br />

Sans trop entrer dans les détails, on pourrait dire que «Ngéda ». le<br />

temps chez le Basaa, désigne être dans le mouvement et vibrations, et être<br />

vibrant. Le temps chez lui c'est tout ce qui existe, qui envoie et diffuse en<br />

recevant. C'est pourquoi pour lui le temps est le langage. C'est par lui que<br />

nous percevons, que nous recevons <strong>de</strong>s infomlations <strong>de</strong> l'environnement et<br />

que nous les diffusons.<br />

Le langage est une combinaison <strong>de</strong>s sons construits «bân », qui<br />

<strong>de</strong>viennent «banga », la parole. Et l'homme n'est pas un simple Ngé»<br />

mais un Ngéngé, c'est-à-dire origine <strong>de</strong>s origines ou origine originelle, non<br />

pas qu'il crée les «Ngé » mais en ce qu'il exprime ou qu'il est capable<br />

d'exprimer toutes les origines dans le «Mban (philosophie). Le temps ou<br />

« Ngéda » n'est pas un Ngé, mais une manière d'être «Ngé », ce qui veut<br />

dire «Ngéda » (être dans l'origine).<br />

Pour partager ou séparer les époques (jour, semaine, mois, année), il<br />

fallait les mettre au niveau du mouvement. Etre une origine <strong>de</strong> quelque<br />

manière «Ngéda ». c'est être un être temporel; l'homme aussi est un être<br />

temporel (mut qui vient <strong>de</strong> ôt : titrer). Pour comprendre donc la notion du


213<br />

temps chez les Basaa dont tous les mots expriment une réalité. il fallait<br />

faire partie <strong>de</strong> la société « Bangéngé » afin <strong>de</strong> mieux pénétrer le « Mbafi -<br />

Ngé » qui n'était autre chose que r activité que nous nommons <strong>de</strong> nos jours<br />

philosophie. Or celle-ci porte principalement sur le langage, parce que<br />

c'est dans le langage qu'est enfermé le savoir « yi ». Il appartenait à cette<br />

société seule <strong>de</strong> varier l'expérience, donc <strong>de</strong> la créer pour l'introduire dans<br />

le langage.<br />

En conclusion, les problèmes <strong>de</strong> numération. <strong>de</strong> temps qui sont tous<br />

les <strong>de</strong>ux liés aux Inots « A"n » (compter). « Ngé » (origine ou vibration) et<br />

« Ngéda » (vibration <strong>de</strong> l'être), sont <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> langage. c'est-à-dire<br />

<strong>de</strong> construction et <strong>de</strong> combinaisons, ces combinaisons et ces constructions<br />

s'exprimant par les symboles présentés plus haut à propos <strong>de</strong>s 10 premiers<br />

chiffres. en ce que chacun exprime un message.<br />

Quant aux supports pédagogiques servant à exprimer ces réalités, le<br />

Basaa employait les lignes, les gestes, les branchettes et les nœuds.


CONCLUSION


218<br />

Si nous avons présenté une ébauche historique, quelques traits<br />

caractéristiques sur l'origine, l 'habitat, quelques caractères<br />

anthropologiques, les vies religieuse, familiale, sociale, matérielle et<br />

intellectuelle, nous n'avons pas étudié par exemple les différentes manières<br />

dont on acquiert la propriété, ni les successions, les donations, les contrats<br />

et le système <strong>de</strong>s obligations. Même si cela n'a pas eu <strong>de</strong> chapitre spécial,<br />

l'on a senti, à travers les pages précé<strong>de</strong>ntes, l'indication <strong>de</strong> leur impact.<br />

Ayant annoncé d'entrée <strong>de</strong> jeu que l'appréhension profon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

1 'histoire africaine <strong>de</strong>s peuples ne pouvait se concevoir que sous les<br />

dimensions verticale, horizontale et oblique, il nous reste à compléter, si<br />

telle sera la volonté <strong>de</strong> l'UNESCO, sur le plan africain, les diverses saisies<br />

<strong>de</strong> cette immense tâche: l'histoire <strong>de</strong>s Basaa d'Afrique, un peuple à<br />

ramifications multiples dans l'espace africain, peuple ni totalement<br />

soudanais, ni totalement bantou. Et, grâce à cet organisme, ce sera une<br />

contribution efficace d'un authentique Africain, à la manière africaine,<br />

dédiée au grand monument qu'est 1 'histoire générale <strong>de</strong> l'Afrique rédigée<br />

par les Africains.


NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE DES<br />

OUVRAGES CITES DANS LE TEXTE


221<br />

Avant-propos<br />

*Th. Monod: Préface dans les Peuples et civilisations <strong>de</strong> l'Afrique <strong>de</strong> H.<br />

Baumann et D. Westermann, Paris, Payot, 1940<br />

R. Cornevin : Histoire <strong>de</strong> l'Afrique <strong>de</strong>s origines à nos jours. Paris, Payot,<br />

1966<br />

Introduction<br />

*IRCAM: Institut <strong>de</strong>s Recherches <strong>Ca</strong>merounaises série «populations»<br />

Yaoundé<br />

*R. Père MVENG : Histoire du <strong>Ca</strong>meron. Paris. Présence Africaine<br />

*Mme DUGAST : Peuplement du Sud <strong>Ca</strong>meroun, cité par R. MVENG<br />

*E. WOGNOU : Essai sur l'organisation et la Religion <strong>de</strong>s Basaa - Paris,<br />

Sorbonne. EPHE, 1 971<br />

*Hubert DESCHAMPS: L'Afrique noire précoloniale. Paris, PUP. 1962<br />

Histoire<br />

*E. WOGNOU : op. Cité<br />

Auteur anglophone: Faculté <strong>de</strong> Droit et <strong>de</strong> Sciences économiques <strong>de</strong> Paris,<br />

Lab. d'anthropologie juridique<br />

*Mgr. Thomas MONGO : Ngok Lituba, Lieux <strong>de</strong> pélérinage. P.26<br />

*Rév. Pasteur Samuel Massing : <strong>Les</strong> Basaa, manuscrit inédit<br />

*Feu WONYU NKOL : texte enregistré par l'auteur<br />

*Rév. Père MVENG: op. Cité<br />

*Prince DICKA AKW A : Terre et parenté. cours à l'Université Paris VII<br />

*Y. NICOL: les Bakoko, Larouse, Paris 1929<br />

*R. CORNEVIN : Histoire <strong>de</strong> la colonisation alleman<strong>de</strong>, p. 52 - 53, PUF,<br />

Paris<br />

J.C. FROELICH : <strong>Ca</strong>rte n047, Documentation Française - Paris<br />

Organisation sociale et politique<br />

*Y. NICOL: op. Cité<br />

*M. DELAFOSSE: <strong>Les</strong> Civilisation négro-africaines, cité par H.<br />

Deschamps dans Religion d'Afrique noire. p. 5<br />

La Religion<br />

*Y. NICOL: <strong>Les</strong> Bakoko op. Cité<br />

*L. Damman : <strong>Les</strong> Religions <strong>de</strong> l'Afrique noire. Payet, Paris 1964<br />

*R.P MVENG : Dossier culturel africain, Présence africaine Paris


222<br />

*E. WOGNOU : op. Cité<br />

DICKA AKWA : Cours sur le Nyambéisme à la Sorbonne 1971<br />

Rév. Père B. NYOM : Le Sacré dans le mon<strong>de</strong> traditionnel selon les Basaa.<br />

thèse <strong>de</strong> doctorat <strong>de</strong> philosophie à la Faculté <strong>Ca</strong>tholique <strong>de</strong> Lille<br />

Vie intellectuelle et artistique<br />

*P. BANOM : Etu<strong>de</strong> d'un concept négro-africain du temps: Ngéda, thèse<br />

<strong>de</strong> doctorat en philosophie à la Sorbonne 1971.<br />

*Henri M. BOT BA NJOCK: texte <strong>de</strong> conférence à l'Institut <strong>de</strong><br />

Linguistique Paris - Sorbonne, Mars 1969<br />

*Y. NICOL: <strong>Les</strong> Bakoko op. Cité<br />

Et plusieurs informateurs dont NJEPEL NDUNG Alexandre,<br />

NSANG BUM André, Jacob NKAMI BOGA, KWEDI DIPUME et YEM<br />

NKONO Joseph.


TABLE DES MATIERES<br />

AVANT-PROPOS ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 7<br />

INTRODUCTION .... ....... ...... ........ .... ... ............ ...... ... .... Il<br />

CHAPITRE 1<br />

223<br />

LE MILIEU: APPROCHE METHODOLOGIQUE<br />

DU CONCEYr « ETHNIE ».. •.•. .••... .••.. .•••.• ••.•..•.. .•• •••• •••••• 23<br />

1 - Le pays et ses contours géographiques........ ............. ........ .... 27<br />

II - Le cadre physique...................................................... 30<br />

III - Le cadre humain...................................... ................. 32<br />

CHAPITRE II<br />

LA DYNAMIQUE DE L'ORALITE.................................... 41<br />

1 - Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Mbok koba ni............................................ 43<br />

11- <strong>Les</strong> cycles historiques.................................................. 46<br />

III - Le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie et les occupations.................................. 64<br />

CHAPITRE III<br />

L'ORGANISATION SOCIO-POLITIQUE 71<br />

1 - La société basaa : le Mbok ............................................. 73<br />

II - Le fonctionnement: les statuts socio-politiques.................... 78


224<br />

CHAPITRE IV<br />

LA VIE FAMILIALE.................................................. .... 89<br />

1 - : L'échange matrimonial. . . . .. . . . . . . .. . . . .. . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 91<br />

II - <strong>Les</strong> divers moments <strong>de</strong> la vie... . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97<br />

III - <strong>Les</strong> décès et les funérailles......................................... ... ] 01<br />

CHAPITRE V<br />

LA VIE RELIGIEUSE 1.. ......... ..•...... ..... ...•... ...... ........... 105<br />

1 - L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pensée religieuse... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 107<br />

II - <strong>Les</strong> fon<strong>de</strong>ments et les croyances..................................... 117<br />

CHAPITRE VI<br />

LA VIE RELIGIEUSE 2 :<br />

LE BASAA D'AUJOURD'HUI ET SA RELIGION............... 131<br />

1 - La notion <strong>de</strong> personne................................................... 137<br />

II - <strong>Les</strong> ancêtres. la vie <strong>de</strong>s morts et les funérailles. .. .. . . . .. .. .. .. ...... 140<br />

III - <strong>Les</strong> croyances relatives à la nature: les animaux,<br />

les végétaux, les minéraux........................................... 143<br />

IV - <strong>Les</strong> croyances relatives à la notion <strong>de</strong> Dieu suprême,<br />

<strong>de</strong>s dieux secondaires et le panthéon............................... 146


CHAPITRE VII<br />

225<br />

LA VIE INTELLECTUELLE ET ARTISTIQUE 1..... ...... .... 159<br />

1 - L'art.................................................................... ... 161<br />

II - La langue .............................................................. '" 168<br />

CHAPITRE VIII<br />

LA VIE INTELLECTUELLE ET ARTISTIQUE 2 : LES<br />

MODES D'EXPRESSION LITTERAIRES... ........... .... ... ..... 189<br />

I-<strong>Les</strong>Minang............................................................... 191<br />

II - <strong>Les</strong> proverbes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... 202<br />

III - Le langage <strong>de</strong>s chiffres.................. ...... .............. ...... 209<br />

CONCLUSION..... ...... ...... ... ...... ......... ... ... ............ .... 215<br />

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE DES OUVRAGES CITES<br />

DANS LE TEXTE..... ... ... ......... ... ... ... ...... ... ... ...... ... .... 219<br />

TABLE DES MA TIERES.. ......... ......... ... ............ ....•. .... 223


L.HARMATTAN<br />

5-7, rue <strong>de</strong> l'Ecole-Polytechnique; 75005 Paris<br />

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