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L'Envers vaut l'endr..

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quoi, John Taylor ?<br />

— En mon don. En mon boulot. Peut-être même en mon honneur. Que t’est-il arrivé, Jessica ?<br />

— Je ne me souviens plus. C’était le but. Mon passé est si affreux que je me suis forcée à l’oublier, à<br />

lui enlever toute substance, comme s’il n’était jamais arrivé. Mais, en faisant ça, j’ai perdu foi en la<br />

réalité, ou c’est elle qui a perdu foi en moi. Maintenant, je survis grâce à un effort de volonté permanent.<br />

Si j’arrête de me concentrer, c’est moi qui disparais. Ça fait tellement longtemps que je suis seule,<br />

entourée d’ombres et de murmures dépourvus de sens. Parfois, je fais semblant de parler avec quelqu’un,<br />

mais je sais que ce n’est pas vrai… Mais j’ai mon ours à présent. Un peu de réconfort. Un souvenir… de<br />

qui j’étais.<br />

Elle sourit à l’ours coincé entre ses bras osseux.<br />

— Ça m’a fait du bien de parler avec toi, John Taylor. C’est grâce à cet endroit, à ce moment précis.<br />

Ne recommence jamais. Je ne te reconnaîtrais pas. J’aurais oublié. Ça ne serait pas sage.<br />

— Souviens-toi de l’ours. Peut-être qu’il te ramènera à la maison.<br />

Mais elle était déjà partie. La nuit l’avait arrachée à l’église. Je soupirai longuement avant de<br />

m’effondrer sur le banc. Jessica Douleur était vraiment trop sinistre, même pour le Nightside. C’est<br />

toujours difficile de s’entretenir avec quelqu’un qui vous prend pour l’une des voix dans sa tête et qui<br />

peut vous désintégrer d’un battement de cils.<br />

Je me relevai pour récupérer les cierges sur l’autel quand j’entendis un bruit de course se dirigeant<br />

vers l’église. Ce n’était pas Jessica. Cette fois, ces pas étaient humains. Je me retirai au fond du transept,<br />

dans les ombres les plus profondes. Seule Jessica, et Walker bien entendu, était au courant de ma<br />

présence ici. Mais j’ai des ennemis. Leurs agents, les Équarrisseurs, essaient de me tuer depuis que je<br />

suis tout gosse. J’avais déjà eu mon compte de sensations fortes pour la nuit. Quelle que soit l’identité du<br />

nouvel arrivant, j’en avais rien à foutre.<br />

Un homme en noir dépassa en trombe l’espace naguère occupé par la porte de chêne. Ses vêtements<br />

sombres étaient déchirés et son visage luisait de sueur. Il devait courir depuis un bon bout de temps et<br />

flipper depuis aussi longtemps. Malgré la nuit, il portait des lunettes de soleil aussi épaisses que des yeux<br />

de scarabée. Il tituba jusqu’à l’autel en se raccrochant aux bancs d’une main. Il serrait un objet entouré<br />

dans un tissu noir contre lui. Il n’arrêtait pas de regarder derrière lui, comme s’il craignait que son<br />

poursuivant ne vienne jusqu’ici. Il finit par s’écrouler en sanglotant devant l’autel. Il arracha ses lunettes<br />

et les jeta. On lui avait cousu les paupières. Il brandit son fardeau en tremblant.<br />

— Asile ! hurla-t-il d’une voix rauque, qui semblait ne pas avoir servi depuis longtemps. Au nom du<br />

Seigneur, asile !<br />

Le silence régna un bon moment, puis je perçus un pas mesuré s’approcher du bâtiment. Une démarche<br />

tranquille et assurée. L’homme en noir l’entendit aussi et il se recroquevilla, sans toutefois oser se<br />

tourner vers l’entrée. Les pas cessèrent sur le porche de l’église. Une lente brise remonta la travée<br />

comme si la nuit respirait. Près de l’entrée, les bougies vacillèrent, puis s’éteignirent. Le vent vint me<br />

trouver dans les ombres et me gifla, chaud et humide comme une poussée de fièvre. Il sentait l’Attar, le<br />

parfum des roses écrasées. L’odeur était si forte qu’elle me tourna la tête. L’homme aux paupières<br />

mutilées glapit et tenta de crier « asile » une nouvelle fois, mais les mots refusèrent de quitter sa gorge.<br />

Une autre voix lui répondit depuis les ténèbres nimbant le seuil. À la fois dure, menaçante, mais aussi<br />

calme et onctueuse, comme de la mélasse. On avait l’impression que plusieurs voix se mêlaient pour<br />

murmurer une harmonie qui vous griffait l’âme, comme une craie griffe un tableau noir. Ce n’était pas un

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