La danseuse du Gai-Moulin
La danseuse du Gai-Moulin
La danseuse du Gai-Moulin
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
lentement une pipe d’écume, se levait, faisait quelques pas de<br />
long en large, demandait à quelqu’un :<br />
— On s’est occupé <strong>du</strong> suicide <strong>du</strong> quai de Coronmeuse ?<br />
— Gerbert y est !<br />
— Bon ! À vous, jeune homme… Et, si vous voulez un bon<br />
conseil, n’essayez pas de faire le malin !… Vous étiez hier soir au<br />
<strong>Gai</strong>-<strong>Moulin</strong> en compagnie d’un certain Delfosse, dont nous nous<br />
occuperons plus tard… À vous deux, vous n’aviez pas de quoi<br />
payer vos consommations et vous en deviez des jours<br />
précédents… Est-ce exact ?<br />
Jean Chabot ouvrit la bouche, la referma sans avoir rien dit.<br />
— Vos parents ne sont pas riches. Vous ne gagnez pas grandchose.<br />
N’empêche que vous menez une vie de bâton de chaise…<br />
Vous devez de l’argent un peu partout… Est-ce vrai ?<br />
Le jeune homme baissa la tête et continua à sentir les<br />
regards des cinq hommes braqués sur lui. Le ton <strong>du</strong><br />
commissaire était condescendant, avec une pointe de mépris.<br />
— Même au marchand de tabac ! Car, hier, vous lui deviez<br />
encore de l’argent… On connaît ça ! Des petits jeunes gens qui<br />
veulent jouer au noceur et qui n’en ont pas les moyens…<br />
Combien de fois avez-vous chipé de l’argent dans le portefeuille<br />
de votre père ?…<br />
Jean devint cramoisi. Cette phrase, c’était pis qu’une gifle !<br />
Et, le plus terrible, c’est qu’elle était à la fois juste et injuste.<br />
Dans le fond, tout ce que disait le commissaire était vrai.<br />
Mais la vérité, présentée ainsi, sous un jour aussi cru, sans la<br />
moindre nuance, n’était presque plus la vérité.<br />
Chabot avait commencé par boire des demis avec des amis,<br />
au Pélican. Il s’était habitué à en boire tous les soirs, parce que<br />
c’était là qu’on se rencontrait et qu’on créait une chaude<br />
atmosphère de camaraderie.<br />
L’un payait sa tournée, l’autre la sienne. Des tournées qui<br />
revenaient de six à dix francs.<br />
L’heure était si agréable ! Après le bureau, après les<br />
semonces <strong>du</strong> premier clerc, être là, dans le café le plus luxueux<br />
de la ville, à regarder passer les gens rue <strong>du</strong> Pont-d’Avroy, à<br />
serrer des mains, à voir de jolies femmes qui parfois venaient<br />
s’asseoir à la même table.<br />
39