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Au château de Corinne - E-monsite

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– Pas du tout. Je réclame seulement que les femmes manifestent leur grâce avec<br />

discrétion et réserve. Mais la réserve était difficile à trouver au XVIII ème siècle.<br />

– Vous détestez les femmes <strong>de</strong> lettres, dit Madame Winthrop. Elle avait traversé la pièce<br />

pour examiner un miroir ancien, constitué <strong>de</strong> petites glaces carrées, assemblées par <strong>de</strong>s<br />

moulures grises, autrefois dorées.<br />

– Pas du tout. J’éprouve pour elles <strong>de</strong> la compassion.<br />

– Vous ne saviez pas alors que j’en suis une ?<br />

Il avait également traversé la pièce et se trouvait désormais placé <strong>de</strong>rrière elle. <strong>Au</strong><br />

moment où elle posait la question, elle observa son reflet dans le miroir.<br />

– Je l’ignorais, répondit-il, en la regardant.<br />

– Je publie anonymement.<br />

– L’anonymat est préférable à l’ostentation.<br />

– Liriez-vous un écrit <strong>de</strong> moi ?<br />

– Merci. Je ne me prends pas le moins du mon<strong>de</strong> pour un critique.<br />

– Je le sais bien. Vous avez trop <strong>de</strong> préjugés et un esprit trop étriqué pour en être un.<br />

Mais peu importe, lirez-vous ?<br />

– Si vous insistez.<br />

– J’insiste. Qui plus est, j’ai ce qu’il faut avec moi. Je transporte cet objet <strong>de</strong>puis plusieurs<br />

jours, dans l’espoir <strong>de</strong> pouvoir trouver l’occasion <strong>de</strong> vous le remettre.<br />

Elle sortit <strong>de</strong> sa bourse un petit paquet plat, et le lui tendit.<br />

– Dois-je lire maintenant ?<br />

– Ici et maintenant. Où pourrions-nous trouver une atmosphère plus propice ?<br />

Il s’assit et ouvrit le paquet. À l’intérieur se trouvait un petit livre carré, à la couverture<br />

souple, imprimé sur du papier décoré : une délicate petite édition <strong>de</strong> luxe.<br />

– Ah ! je connais ce livre, dit-il. Je l’ai lu à sa parution.<br />

– Parfait. Vous allez pouvoir me donner votre avis sans avoir l’ennui <strong>de</strong> le lire.<br />

– Je me souviens qu’il a été très apprécié, dit-il, en tournant les pages.<br />

Elle garda le silence.<br />

– Il y avait <strong>de</strong>dans la charmante <strong>de</strong>scription d’une sortie à la campagne pour y cueillir <strong>de</strong>s<br />

narcisses sauvages, poursuivit-il, après une pause.<br />

Et il y eut encore un silence.<br />

– Mais… dit Madame Winthrop.<br />

– Mais, ainsi que vous le suggérez aimablement, je ne suis pas un spécialiste <strong>de</strong> poésie. Je<br />

ne peux rien en dire d’intéressant.<br />

– Parlez, que ce soit intéressant ou non. Avez-vous conscience, Monsieur Ford, <strong>de</strong><br />

m’avoir à peine dit une parole sincère <strong>de</strong>puis que nous nous sommes rencontrés pour la<br />

première fois ? Certes, je suis assurée qu’elles ne vous viennent pas naturellement à la<br />

bouche, et cela vous a coûté <strong>de</strong>… <strong>de</strong>…<br />

– D’embellir, comme je l’ai fait <strong>de</strong>s propos trop simples ? Mais si c’est exact, n’est-ce pas<br />

un compliment ?<br />

– Et pensez-vous que je me soucie <strong>de</strong> vos compliments ? Je reçois <strong>de</strong>s compliments en<br />

abondance, et mieux tournés que les vôtres. Ce que j’attends <strong>de</strong> vous, c’est la vérité, que<br />

vous me donniez votre véritable opinion sur le petit volume que vous tenez à la main.<br />

Vous êtes le seul homme que j’aie rencontré <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années, dénué du désir <strong>de</strong> me<br />

flatter, <strong>de</strong> me donner une bonne opinion <strong>de</strong> moi-même. Du reste, je ne vois pas pourquoi<br />

j’aurais mauvaise opinion <strong>de</strong> moi. Mais je suis curieuse. Et je sais que vous me jugez<br />

impartialement et même sévèrement.<br />

Elle s’arrêta. Il ne leva pas les yeux, ni ne la contredit. Il continua à tourner les pages du<br />

petit livre. Elle ne s’était pas assise. Elle se tenait <strong>de</strong>bout, près d’une table, face à lui.<br />

– Je vois que vous ne m’aimez pas du tout, ajouta-t-elle, à voix plus basse.<br />

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