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Au château de Corinne - E-monsite

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pique-nique. Quand Ford prit congé, Madame Winthrop et Monsieur Percival<br />

l’accompagnèrent jusqu’à l’escalier du ponton. Alors que sa yole s’éloignait sur l’eau<br />

calme du lac, il entendit la voix du gentleman suggérer <strong>de</strong> faire quelques pas au clair <strong>de</strong><br />

lune. Les dames répondirent « Oui, une dizaine <strong>de</strong> minutes. » Il se souvint que dix<br />

minutes pour Madame Winthrop étaient quelquefois une heure.<br />

Le len<strong>de</strong>main, ils se rendirent à Coppet. Madame Winthrop et Monsieur Percival dans le<br />

carrosse, Sylvia et Cousin Walpole dans le phaéton, et Ford à cheval.<br />

– Oh ! c’est presque trop délicieux ! s’exclama Ma<strong>de</strong>moiselle Pitcher quand ils<br />

atteignirent les grilles du vieux <strong>château</strong> <strong>de</strong> Necker. Comme Cousin Walpole était occupé<br />

à attacher son cheval, Monsieur Percival s’était poliment avancé pour l’ai<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>scendre<br />

du phaéton. Toutefois il est juste <strong>de</strong> supposer que l’exclamation <strong>de</strong> Sylvia faisait autant<br />

allusion à l’influence intellectuelle <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Madame <strong>de</strong> Staël qu’aux attentions<br />

du poète.<br />

– Je pourrais vivre ici et y mourir, poursuivit-elle, avec ferveur.<br />

Mais comme Monsieur Percival était retourné auprès <strong>de</strong> Madame Winthrop, elle fut<br />

contrainte <strong>de</strong> terminer sa phrase en interpellant son neveu, ce qui n’était pas exactement<br />

la même chose :<br />

– Ne le pourriez-vous pas, John ? dit-elle.<br />

– Je dirais qu’il est assez aisé <strong>de</strong> mourir, répondit Ford en <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> cheval.<br />

– Tout le mon<strong>de</strong> doit mourir, remarqua Cousin Walpole du poste qu’il occupait auprès<br />

du cheval. Il avait attaché cet animal paisible d’une manière si compliquée et si<br />

inhabituelle que plus tard, le cocher <strong>de</strong> Madame Winthrop mit vingt bonnes minutes à<br />

comprendre l’intrication <strong>de</strong>s bri<strong>de</strong>s et à les dénouer.<br />

La propriété <strong>de</strong> Necker est un <strong>château</strong> simple et démodé, dont les ailes enferment une<br />

cour intérieure, délimitée par les trois côtés d’un carré. Une autre aile, irrégulièrement<br />

bâtie <strong>de</strong> dépendances plus basses, s’avance vers la route <strong>de</strong>puis l’extrémité du côté sud.<br />

En bordure <strong>de</strong> cette route, un groupement <strong>de</strong> constructions très serrées a été érigé. C’est<br />

comme si la voie campagnar<strong>de</strong> avait repoussé leur empiétement aristocratique et avait<br />

refoulé leur invasion <strong>de</strong> ses mains déterminées. Sur les trois faça<strong>de</strong>s jaune pâle du<br />

bâtiment principal, les volets décolorés étaient étroitement clos. <strong>Au</strong>cun signe <strong>de</strong> vie ne se<br />

manifestait nulle part, sauf dans une petite maison carrée à l’extrémité <strong>de</strong>s dépendances,<br />

où dans la mesure du possible, étant donné la <strong>de</strong>meure historique qu’il gardait, vivait un<br />

vieux gardien, qui ressemblait fortement aux portraits <strong>de</strong> Benjamin Franklin.<br />

Benjamin Franklin connaissait Madame Winthrop (et sa bourse). Il se hâta pour venir<br />

ouvrir à l’entrée <strong>de</strong> la cour, traînant ses chaussons <strong>de</strong> laine pour traverser les<br />

dépendances.<br />

– Il va nous falloir à nouveau visiter toute la maison au bénéfice <strong>de</strong> John, dit Sylvia.<br />

– Ne vous sacrifiez pas, je l’ai déjà vue, répondit le neveu.<br />

– Mais pas récemment, mon cher John.<br />

– Je veux bien vous fournir le prétexte alors, dit-il en se dirigeant vers l’entrée.<br />

Ils traversèrent le vieux hall obscur du bas, où la statue blanche <strong>de</strong> Necker rayonne dans<br />

la solitu<strong>de</strong>, puis ils empruntèrent le large escalier. En tête, le vieux gardien ouvrait les<br />

volets <strong>de</strong>vant eux, pièce après pièce. Un soleil chaud entrait alors et éclairait le sol, les<br />

tapisseries décolorées, les meubles dorés aux pieds fuselés, et les horloges ornées <strong>de</strong><br />

cupidons. Sur les murs, les vieilles peintures semblaient s’éveiller lentement et les<br />

regar<strong>de</strong>r passer. Lorimer Percival s’assit dans un fauteuil jaune et il regarda autour <strong>de</strong> lui<br />

<strong>de</strong> l’air d’un homme qui respirait un délicat arôme.<br />

– C’est la pièce dans laquelle l’incomparable Juliette dansa sa célèbre gavotte,<br />

probablement au son <strong>de</strong> ce vieux clavecin, ici, dans le coin, remarqua-t-il, ou bien est-ce<br />

une épinette ?<br />

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