Au château de Corinne - E-monsite

– Ne croyez pas que j’aurais pu ne pas être, que je pourrais ne pas être, si je le souhaitais,
telle que vous m’avez décrite, lui dit-elle, en se retournant.
– Je suis certain que vous le pourriez. Ce sont toutes vos potentialités qui m’ont attiré
vers vous, et m’ont incité à vous dire tout ce que je vous ai dit.
– Voilà ce que je fais de vos potentialités ! répondit-elle en faisant le geste de jeter au loin
quelque chose de léger.
Il souleva son chapeau. Elle sourit, s’inclina légèrement et son cheval, qui poursuivit son
chemin, fut rapidement hors de vue. Il ramena sa propre monture à l’écurie, descendit les
escaliers du ponton, et largua les amarres de sa yole. Le lendemain, Sylvia reçut un mot
de lui avec ses salutations. Mais il se trouvait déjà en route pour l’Italie.
L’été suivant, Mademoiselle Pitcher passa à nouveau l’été à Miolans. Mais bien qu’on
pût encore apercevoir sa petite silhouette se diriger vers le point de vue pour y admirer le
coucher du soleil, bien qu’elle s’occupât toujours à ses pastels de fleurs, et lût Childe
Harold (toujours le marque-page à la main), il était évident qu’elle n’était plus comme
avant. Elle était faible et dolente. Et au mois d’août, même ces adjectifs ne permirent plus
de décrire son état. Elle était tombée sérieusement malade. Son neveu, qui passait l’été en
Écosse, en fut informé par une lettre de Cousin Walpole. Au lieu de répondre, il se mit en
route sans attendre vers le sud, jusqu’au lac Léman. Sylvia et lui-même étaient les seuls
membres de leur famille à se trouver du côté Ancien Monde de l’Atlantique, et si la
gentille petite tante devait quitter la terre pour une contrée étrange, il souhaitait se trouver
auprès d’elle.
Mais Sylvia ne mourut pas. Son neveu comprit si bien son cas, et il la soigna avec tant
d’adresse, avec l’aide des autres, que trois semaines après, elle était étendue sur un divan,
près de la fenêtre, avec Childe Harold à ses côtés. Mais si elle se sentait désormais assez
bien pour reprendre un peu sa lecture littéraire, elle se sentait également assez bien pour
un peu de conversation.
– Je suppose que vous avez été très surpris, John, de découvrir que Katharine portait
encore le nom de Madame Winthrop.
– Non, pas tellement.
– Mais elle m’avait dit vous avoir annoncé ses fiançailles.
– Certes.
– Vous parlez d’elle comme si elle était de ces femmes qui se fiancent puis cassent leurs
fiançailles à la légère.
– Elle a cassé celles-ci, semble-t-il.
– Qu’elles aient été brisées n’indique pas qu’elle en soit la responsable, répondit Sylvia,
qui pensait vaguement à des hirondelles et se sentait sur le point de prononcer le mot
« été ».
Elle marqua une pause et secoua la tête tristement.
– Je n’y ai rien compris, ajouta-t-elle avec un profond soupir.
– Je sais que leur histoire a duré jusqu’à la fin du mois de juin. Je peux dire sans
exagération, il me semble, que j’ai passé la totalité du mois de juillet, nuit et jour, à
m’imaginer son chagrin.
– Cela vous a pris plus de temps qu’à lui. Il était marié avant la fin du mois de juillet.
– Par désespoir.
– Son désespoir a pris une tournure réjouissante. D’autres que lui pourraient ne pas
objecter à une telle configuration !
Mais Mademoiselle Pitcher poursuivait son chant funèbre.
– Des circonstances si terribles pour un tel homme ! Presqu'une enfant, elle n’avait que
dix-sept ans.
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