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Au château de Corinne - E-monsite

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Il marqua une pause. Madame Winthrop fixait, au fond <strong>de</strong> l’enfila<strong>de</strong>, le mur qui barrait<br />

la <strong>de</strong>rnière pièce. Son critique ne leva pas les yeux, mais à mesure qu’ils avançaient, il<br />

transférait son regard d’une section du vieux plancher sombre à une autre.<br />

– Cependant, tout cela pourrait être pardonné, résuma-t-il. Nous ne nous attendons pas<br />

davantage à ce que les femmes écrivent <strong>de</strong> grands poèmes que nous n’espérons d’elles <strong>de</strong><br />

grands tableaux ; nous n’attendons pas plus d’elles une logique parfaite que nous ne les<br />

supposons musclées. La poésie d’une femme est subjective. Mais ce qui ne peut être<br />

pardonné, à mon avis, est ce que j’ai appelé la particularité du volume, c’est-à-dire une<br />

certaine forme d’audace. C’est son péché essentiel et impardonnable. Non pas que le<br />

poème soit en soi dangereux, il n’a pas assez <strong>de</strong> force pour cela, mais parce qu’il vient et<br />

peut être reconnu comme émanant <strong>de</strong>s lèvres d’une femme. Et aucune femme ne <strong>de</strong>vrait<br />

se montrer aussi audacieuse. Pensant s’élever, invariablement elle tombe. Son champ<br />

intellectuel n’est pas i<strong>de</strong>ntique à celui <strong>de</strong> l’homme ; plus bas, au même niveau, ou plus<br />

haut, il est au minimum différent. Et la voir quitter son domaine, au risque <strong>de</strong> souiller sa<br />

pureté candi<strong>de</strong>, pour pénétrer dans l’arène où les hommes s’affrontent, où la poussière<br />

vole, où l’air est pollué et lourd, est vraiment un spectacle pénible. Tout honnête homme<br />

souhaite aller à la rencontre <strong>de</strong> cette pauvre sibylle qui s’est fourvoyée, pour lui clore la<br />

bouche <strong>de</strong> sa main légère et la conduire vers quelque coin éloigné d’une campagne<br />

tranquille, où elle pourrait connaître ses erreurs et commencer une nouvelle existence. Il<br />

convient encore d’ajouter une vérité à tout ce gâchis. Si la femme était prise au mot, si ses<br />

paroles s’incarnaient dans les dures réalités <strong>de</strong> la vie et se dressaient <strong>de</strong>vant elle, elles<br />

attaqueraient la pauvre créature qui les a chantées, et l’écraseraient. Heureusement, il n’y<br />

a pas <strong>de</strong> danger que cela arrive. C’est impossible. D’ailleurs, il arrive que leur propre<br />

cœur révèle leurs erreurs aux pauvres sibylles.<br />

Comme il terminait, il leva pour la première fois les yeux du sol pour la regar<strong>de</strong>r.<br />

Le visage <strong>de</strong> Katharine Winthrop était tout rouge. Du rouge foncé marbrait son front et<br />

colorait jusqu’à sa gorge. Elle semblait ne maîtriser le tremblement <strong>de</strong> ses lèvres que<br />

grâce à un grand effort. Sa bouche en semblait figée. Elle était si peu elle-même, envahie<br />

par cette rougeur pénible, qu’involontairement et sincèrement, Ford ajouta :<br />

– Ne soyez pas si troublée par ce que je vous ai dit.<br />

– Je souffre que vous ayez osé me dire <strong>de</strong> telles choses, répondit-elle, lentement, comme<br />

si parler lui <strong>de</strong>mandait un effort.<br />

– Souvenez-vous que vous m’avez contraint à parler.<br />

– Je ne m’attendais pas à cela.<br />

– Comment pouvais-je savoir à quoi vous vous attendiez ? Mais en un sens, je suis<br />

content que vous m’ayez forcé à parler. C’est une bonne chose que, pour une fois, vous<br />

ayez entendu l’avis d’un homme.<br />

– Tous les hommes ne pensent pas comme vous.<br />

– Mais si, tous ceux qui sont honnêtes.<br />

– Pas Monsieur Percival.<br />

– Oh ! Percival, il est tellement efféminé !<br />

– C’est ainsi que vous le jugez ! dit Madame Winthrop ; et exprimer sa colère ainsi lui<br />

avait rendu sa perspicacité.<br />

– Nous n’allons pas nous quereller à propos <strong>de</strong> Lorimer Percival, répondit Ford. Selon<br />

moi, il n’en vaut pas la peine.<br />

Puis comme ils entraient dans la <strong>de</strong>rnière pièce, il ajouta, le ton <strong>de</strong> voix altéré :<br />

– Comprenez bien ce que je vous ai dit, Katharine, acceptez-le comme l’accepterait une<br />

vraie femme. Montrez-moi le côté doux <strong>de</strong> votre nature, et je serai votre soupirant, et un<br />

soupirant bien plus réel et bien plus sincère que si j’étais <strong>de</strong>venu la victime que vous<br />

projetiez <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> moi. Vous pouvez ne pas m’aimer, peut-être que vous ne m’aimerez<br />

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