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Au château de Corinne - E-monsite

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– S’il vous plaît, racontez-nous cela, l’implora Sylvia, qui s’était elle-même délicatement<br />

assise sur le bord d’une petite ottomane brodée <strong>de</strong> bergères en rose sur <strong>de</strong>s prairies bleues,<br />

qui portaient <strong>de</strong>s agneaux teintés. Pendant ce temps, Madame Winthrop s’était approprié<br />

un sofa aux pieds fuselés, et s’adossait à une tapisserie d’Endymion.<br />

Percival sourit mais ne s’opposa pas à la requête <strong>de</strong> Sylvia. À l’encontre <strong>de</strong> certains<br />

hommes, il ne voyait pas d’inconvénients à monologuer. Il convient d’ajouter cependant<br />

que, dans ce cas, il choisissait son public. En cette occurrence, John Ford, qui était<br />

<strong>de</strong>meuré à l’extérieur et qui déambulait près <strong>de</strong>s fenêtres, le perturbait, mais pas assez<br />

pour affecter l’admiration du petit groupe rassemblé autour <strong>de</strong> son siège.<br />

– Madame <strong>de</strong> Staël, commença-t-il, les yeux tournés vers la corniche, était une femme<br />

aux généreux enthousiasmes. Elle avait longtemps souhaité voir son amie, la gracieuse<br />

Madame Récamier, danser sa célèbre gavotte. Ce spectacle était bien connu <strong>de</strong>s salons<br />

parisiens mais ignoré <strong>de</strong>s exilés <strong>de</strong> Coppet. Par chance, au moment d’une visite <strong>de</strong><br />

Madame Récamier un maître <strong>de</strong> danse français séjournait au village. Madame <strong>de</strong> Staël<br />

l’envoya quérir, et le petit homme enchanté eut l’insigne honneur <strong>de</strong> danser avec la belle<br />

Juliette, dans cette pièce-même, en présence <strong>de</strong> toute la société distinguée <strong>de</strong> Coppet. Ce<br />

fut sans aucun doute la fierté <strong>de</strong> sa vie. Quand la danse fut achevée, <strong>Corinne</strong>, transportée<br />

d’admiration, embrassa avec effusion…<br />

– Le maître <strong>de</strong> danse ? <strong>de</strong>manda Cousin Walpole, très intéressé.<br />

– Non ! sa ravissante amie 2 .<br />

Cousin Walpole, conscient d’avoir commis une bévue, s’était pris d’intérêt soudain pour<br />

un portrait, non loin <strong>de</strong> lui.<br />

– Superbe femme, murmura-t-il tout en le contemplant. Superbe !<br />

Le portrait représentait l’auteur <strong>de</strong> <strong>Corinne</strong> <strong>de</strong>bout, son visage d’écrivain talentueux<br />

auréolé d’un turban <strong>de</strong> satin jaune, dont les plis volumineux justifiaient probablement la<br />

rareté du tissu laissé pour les épaules et les bras.<br />

– Si j’avais eu le choix, j’aurais préféré être cette noble créature plutôt que n’importe<br />

quelle autre dans l’histoire, dit Ma<strong>de</strong>moiselle Pitcher, observant, pensive, le portrait.<br />

Plus tard, ils <strong>de</strong>scendirent dans le vieux jardin, qui s’étendait <strong>de</strong>rrière la maison, à<br />

quelque distance, caché <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> pierre. Une longue allée droite, ombragée<br />

par <strong>de</strong>s rangées régulières d’arbres, s’enfonçait d’un côté comme une ligne géométrique.<br />

De l’autre côté, se nichait un jardin paysager bien ordonné, datant du siècle précé<strong>de</strong>nt.<br />

Dans l’espace central, ouvert, se trouvait un étang couvert <strong>de</strong> mousse, et près <strong>de</strong> la<br />

maison une petite compagnie d’arbres taillés, tout emprunts <strong>de</strong> dignité. Ils suivirent<br />

l’allée rectiligne : cette fois Ford était avec Madame Winthrop, pendant que Sylvia,<br />

Monsieur Percival et Cousin Walpole marchaient <strong>de</strong>vant.<br />

– Je suppose qu’elle avait l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> déambuler à cet endroit, observa Madame<br />

Winthrop.<br />

– Avec son turban, suggéra Ford.<br />

– Peut-être même qu’elle s’asseyait sur ce banc pour méditer, qui sait ? dit Sylvia, pleine<br />

d’imagination.<br />

– À voix haute naturellement, commenta son neveu.<br />

Mais ces remarques irrévérencieuses étaient prononcées à voix basse, et seule Madame<br />

Winthrop put les entendre.<br />

– Il se promenaient assurément ici, fit observer le poète. C’était l’usage, à l’époque, <strong>de</strong><br />

faire lentement un peu d’exercice quotidien dans l’une <strong>de</strong> ces dignes allées. Toute la<br />

société <strong>de</strong> Coppet venait là souvent, sans aucun doute ; Madame <strong>de</strong> Staël et ses différents<br />

2 L’expression « ravissante amie » est en français dans le texte.<br />

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