Au château de Corinne - E-monsite

doute de la réalité de tout cela, je me demande si Katharine Winthrop vit bien sur le
rivage du lac Léman, s’il s’agit vraiment d’elle-même et non du produit de sa rêverie, ou
de l’effet de son grand désir.
C’était très bien dit, avec une pointe d’enthousiasme qui emportait tout et qui était en soi
un aveu.
– Oui, euh, en effet. Pourtant vous ne semblez pas susceptible de penser à ces sortes de
choses en de telles circonstances, répondit Ford, observant une barque, aux pittoresques
voiles latines, qui traversait d’est en ouest le tableau encadré de verdure.
Madame Winthrop laissa retomber la main avec laquelle elle avait fait un petit geste. Elle
le regarda. Mais il n’ajouta rien à sa remarque, ni ne détourna les yeux des voiles latines.
– À quelle sorte de personne est-ce que je ressemble alors ? demanda-t-elle.
Il se retourna. Elle souriait. Il lui sourit en retour.
– Je faisais une simple allusion au moment que vous avez indiqué. Il se trouve en effet,
que justement, par hasard, ma tante m’a indiqué votre horaire de petit-déjeuner.
– Ce n’est pas tout là ce que vous vouliez dire, je suppose.
– Vous êtes trop aimable de vous intéresser à cela.
– Je ne suis pas aimable, seulement curieuse. S’il vous plaît, répondez-moi.
– Je suis doté de si peu d’imagination, Madame Winthrop, que je suis incapable
d’inventer, ainsi que je le devrais, une plaisante explication. Quant à la vérité pure, vous
ne pouvez naturellement l’espérer de moi durant une première visite de cérémonie.
– Votre première visite sera longue, je l’espère. Vous devez rester avec nous. Quant à être
cérémonieux, est-ce votre manière de l’être ?
– En effet, vous devez vous demander comment je me comporte pour une visite sansfaçon,
répondit Ford en riant. Somme toute, il est préférable de ne pas me laisser essayer.
Le hibou est considéré comme un oiseau loyal à sa manière, mais ne le laissons pas tenter
de devenir un rossignol.
– Venez en hibou, en rossignol ou comme vous voudrez, du moment que vous venez.
Quand vous aurez accepté, je vous redemanderai ce que vous vouliez dire.
– Si vous avez l’intention d’y revenir plus tard, sans doute serait-il préférable que je vous
le dise dès maintenant ?
– Beaucoup mieux.
– Je voulais seulement dire que Madame Winthrop ne me donnait pas l’impression d’être
cette sorte de personne susceptible d’accepter que n’importe quoi de prosaïque interfère
avec ses élans de cœur.
Elle rit gaiement.
– Vous êtes délicieux. Vous mentez avec un tel aplomb que vous en imposez. Vous ne me
reconnaissez, en vérité, aucun enthousiasme, ajouta-t-elle.
Ses yeux étaient bleu foncé, avec de longs cils. Elle avait de très beaux yeux.
– Je croirai tout ce qu’il vous plaira, dit John Ford.
– Très bien. Vous croirez donc ce que je vais vous dire.
– Seulement ce que vous direz avec des mots ?
– Manifestement, vous n’êtes pas timide, dit la dame, à nouveau souriante.
– Au contraire, c’est l’excès de timidité qui me rend téméraire et grossier.
Ils avaient continué à marcher jusqu’à rejoindre les autres.
– Vous distrait-il ? demanda Sylvia, à voix basse, alors que Cousin Walpole poursuivait
son chemin aux côtés du nouveau venu. Je vous ai entendue rire.
– Oui, mais il n’est pas du tout comme vous me l’aviez décrit. Il est tellement timide et
mal à l’aise que c’en est presque pénible.
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