Au château de Corinne - E-monsite

femme, vous serez une femme tendrement aimée, vous serez, dans une certaine mesure
dépendante de votre époux, et ce sera très agréable pour un homme aussi opiniâtre que
moi. Peut-être que je parviendrai même un jour à rendre la situation agréable à vos yeux.
Une tache rouge lui brûlait chacune des joues.
– C’est très difficile, dit-elle, presque dans un murmure.
– Somme toute, l’existence est difficile, répondit John Ford.
Mais l’expression de ses yeux était plus tendre que ses paroles. En tout cas, elle sembla
satisfaite.
– Savez-vous ce que je vais faire ? lui demanda-t-il, quelques minutes plus tard. Je vais
demander à Benjamin Franklin d’allumer un feu dans l’une de ces vieilles cheminées
littéraires du château. Vos chaussures sècheront en présence de Corinne elle-même (qui
devait en porter de beaucoup plus grandes). Et pendant qu’elles sécheront, je vais vous
présenter des excuses dans les règles pour mon manque de respect passé, pas seulement
devant Corinne, mais devant tous les autres portraits, notamment celui de Madame
Necker aux yeux bleus, vêtue d’une robe de satin blanche très ajustée. Nous boirons à
leur santé quelque vin local. Et si vous insistez, je ferai même un effort pour admirer son
turban jaune.
Il mit son plan à exécution. Benjamin Franklin, tenté par le pourboire offert, et certain
que le mauvais temps empêcherait qu’ils soient découverts, fit un bon feu dans l’un des
âtres stupéfaits, il apporta une carafe d’un vin local, un peu de pain et de l’excellent
raisin. Ford disposa le tout sur une table aux pieds fuselés, et avança un vieux fauteuil
recouvert de tapisserie pour Katharine. Puis, pendant qu’elle buvait son vin, et qu’elle
faisait sécher ses chaussures devant le feu qui crépitait, il fit gravement le tour de la pièce,
et le verre à la main, il s’arrêta devant chaque portrait, s’inclina avec cérémonie et but à
la santé des modèles et à leur longue vie, probablement picturale. Quand il eut terminé
son circuit, il dit :
– À vous, charmantes dames du passé, j’espère que vous avez reçu tous les honneurs à
l’époque pittoresque, poudrée et sans orthographe à laquelle vous apparteniez, et que
vous n’aurez aucune possibilité de venir dans la nôtre.
– Vos derniers mots ont gâté l’ensemble, remarqua la dame assise dans le fauteuil de
style.
Mais Ford déclara que l’expression des yeux bleus de Madame Necker annonçait son
approbation. Il se rapprocha alors de la cheminée.
– Cela n’ira pas, remarqua-t-il, vos chaussures ne sécheront jamais. Vous devez les
enlever.
Il s’agenouilla et se mit à les déboutonner. Mais Katharine, d’accord pour obéir aux
ordres, finit elle-même de les déboutonner. Le vieux gardien, qui était resté dans
l’embrasure de la porte à rire de la pantomime de Ford devant les portraits, saisit
l’occasion de se rendre utile. Il s’avança, prit une chaussure, rentra sa main dedans, et
s’agenouilla pour la tenir près des flammes. Les chaussures étaient de petites bottines
d’un tissu sombre, assorties à la tenue de Katharine, légères, délicates, avec des semelles
fines : elles étaient conçues pour l’équitation et non pour la marche. Ford avança un
second fauteuil et s’assit.
– Cette pièce ancienne semble vraiment se réjouir, dit-il, les portraits commencent à se
dégeler. Bientôt, ils souriront.
Katharine souriait également. Elle rougissait aussi un peu. Sa rougeur et son léger
embarras la faisaient ressembler à une écolière.
– Où irons-nous passer l’hiver ? demanda Ford. Je peux vous offrir encore un hiver ici,
ensuite je devrai rentrer à la maison pour recommencer à travailler. Et comme il nous
reste peu de temps à passer à l’étranger, je suggère que nous n’en perdions rien, en
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