JEAN-DANIEL LALLEMAND L'éthique cartésienne de la ... - Thèses
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Introduction Le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>cartésienne</strong> est <strong>la</strong> pensée<br />
fût bonne ; <strong>la</strong> sienne, en tout cas, et <strong>de</strong> ce<strong>la</strong> il en était entièrement convaincu, est<br />
bonne — puisqu'elle lui a permis <strong>de</strong> réaliser l'œuvre qu'il a réalisée. Donc, et nous<br />
sommes persuadés que Descartes l'entendait bien ainsi *, penser soi-même <strong>la</strong> pensée<br />
<strong>cartésienne</strong>, c'est <strong>la</strong> penser librement. Exactement comme l'a fait justement Descartes<br />
lui-même. Et c'est ce qui donne tant <strong>de</strong> valeur à son témoignage. C'est aussi ce qui<br />
autorise ce paradoxe : suivre <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> Descartes, ou être fidèle à <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong><br />
Descartes, consiste à penser librement ce qu'il a pensé lui-même, c'est-à-dire,<br />
éventuellement, à le penser autrement. Mais à une condition cependant, mais qui est<br />
essentielle : <strong>la</strong> fidélité à <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> Descartes exige le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale qui fut <strong>la</strong><br />
sienne, et qui est <strong>de</strong> penser avec intégrité.<br />
* Qu'on ne nous oppose pas le cas Regius. Regius (ou Le Roy) était philosophe et mé<strong>de</strong>cin et<br />
enseignait à l'université d'Utrecht. Il se déc<strong>la</strong>ra farouche défenseur <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie <strong>de</strong> Descartes.<br />
Mais très vite Descartes fut amené à corriger les "erreurs" que Regius commettait, à ses yeux, par<br />
rapport à ses propres idées (notamment sur <strong>la</strong> distinction entre l'âme et le corps, et <strong>la</strong> nature<br />
substantielle <strong>de</strong> l'âme), pour finir par le désavouer publiquement et en faire un <strong>de</strong> ses adversaires.<br />
Cette histoire prouve seulement que <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> Descartes est avant tout un ensemble cohérent<br />
d'idées, et qu'il n'est pas possible d'en modifier ainsi certaines (et en l'espèce il s'agissait tout <strong>de</strong><br />
même <strong>de</strong>s plus importantes) sans risquer <strong>de</strong> déséquilibrer et <strong>de</strong> dénaturer le tout. Descartes était on<br />
ne peut plus soucieux <strong>de</strong> préserver cette cohérence. C'est ainsi par exemple qu'il participa à certains<br />
travaux conduits sur <strong>la</strong> chute <strong>de</strong>s corps dans l'esprit du modèle <strong>de</strong> Galilée (c'est-à-dire en<br />
considérant que l'accélération <strong>de</strong>meure constante durant toute <strong>la</strong> chute) par son ami le Père<br />
Mersenne, mais en exigeant que sa contribution <strong>de</strong>meurât anonyme, car ces travaux n'étaient pas<br />
cohérents avec <strong>la</strong> théorie <strong>cartésienne</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravitation (qui implique que l'accélération diminue<br />
jusqu'à s'annuler lorsque <strong>la</strong> vitesse du corps finit par égaler celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière subtile). Ce<strong>la</strong><br />
démontre que son esprit n'était pas sectaire et qu'il ne rejetait pas tout ce qui n'était pas conforme à<br />
sa propre pensée. Mais cette pensée, en tant qu'œuvre, il <strong>la</strong> vou<strong>la</strong>it cohérente. Et donc, sur ce que<br />
dit <strong>la</strong> pensée <strong>cartésienne</strong>, il n'y a rien à changer à ce qu'en a dit Descartes. C'est comme si on<br />
prétendait améliorer, par quelques retouches, <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong> Cézanne, par exemple. Et le tort <strong>de</strong><br />
Regius fut <strong>de</strong> présenter ses propres idées comme faisant partie du système d'idées <strong>de</strong> Descartes,<br />
autrement dit <strong>de</strong> rechercher <strong>la</strong> caution officielle <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Le passage suivant montre<br />
c<strong>la</strong>irement le problème : « J'aurais tort <strong>de</strong> me p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong> votre honnêteté et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Raey<br />
<strong>de</strong> m'avoir fait l'honneur <strong>de</strong> mettre mon nom au commencement <strong>de</strong> vos thèses ; mais je ne sais<br />
comment m'y prendre pour vous en faire mon remerciement. Je vois seulement un surcroît <strong>de</strong><br />
travail pour moi, parce qu'on va croire dans <strong>la</strong> suite que mes opinions ne diffèrent plus <strong>de</strong>s vôtres,<br />
et que je n'ai plus d'excuse à l'avenir pour m'empêcher <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong> toutes mes forces vos<br />
propositions, ce qui me met par conséquent dans <strong>la</strong> nécessité d'examiner avec un soin extrême ce<br />
que vous m'avez envoyé à lire, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> passer quelque chose que je ne voulusse pas soutenir<br />
dans <strong>la</strong> suite. » Lettre à Regius <strong>de</strong> mai 1641. Ferdinand Alquié, Vol. 2 - page 332<br />
Il est d'ailleurs significatif que les philosophes qui se déc<strong>la</strong>reront "cartésiens" ne professent pas telle<br />
ou telle thèse défendue par Descartes (comme l'existence <strong>de</strong> Dieu, <strong>la</strong> distinction <strong>de</strong> l'âme et du corps<br />
ou encore l'i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière à l'étendue) — comme les p<strong>la</strong>toniciens, eux, défen<strong>de</strong>nt<br />
l'existence <strong>de</strong>s Idées, par exemple. En se référant à Descartes, ils en appellent essentiellement à son<br />
style <strong>de</strong> pensée, ainsi qu'à une certaine vision <strong>de</strong> l'homme comme « maître et possesseur »… <strong>de</strong> sa<br />
pensée, justement.<br />
<strong>L'éthique</strong> <strong>cartésienne</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée 25