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Cahiers Ramau 2 en totalité

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Jean-Pierre Martinon De Babel au fragm<strong>en</strong>t<br />

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(esthétique où économique) et que l’urbain soit étranger aux seules notions<br />

de beauté, d’utilité, de fonctionnalité. Antoine Picon décrit des « nappes<br />

d’infrastructures et d’équipem<strong>en</strong>t s’ét<strong>en</strong>dant à perte de vue » (Picon, 1998),<br />

d’autres plus crûm<strong>en</strong>t parl<strong>en</strong>t de « paquets de tripes » et de chaos bricolé<br />

<strong>en</strong> kit, avec des pièces de mécano sorti de boîtes qui ne sont jamais à la<br />

même échelle. Georges Duby explique avec inquiétude :<br />

« Au Moy<strong>en</strong>-Age, comme aujourd’hui, tous les investissem<strong>en</strong>ts, aussi bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t<br />

qu’<strong>en</strong> effort de conceptualisation, étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet consacrés aux édifices de fonctions<br />

collectives. C’est la raison pour laquelle il ne reste du bâtim<strong>en</strong>t médiéval à peu près que<br />

des édifices religieux, qui avai<strong>en</strong>t cette fonction ess<strong>en</strong>tielle de communication <strong>en</strong>tre la<br />

communauté et autre chose. Cette fonction est remplie aujourd’hui par les autoroutes<br />

et les aéroports. Ne croyez pas que la ville antique était si harmonieuse : cette<br />

impression provi<strong>en</strong>t du fait que nous avons l’image de ce qui reste : et, là <strong>en</strong>core, il ne<br />

s’agit que d’édifices collectifs, de temples, d’établissem<strong>en</strong>ts de bains, du forum, qui<br />

avai<strong>en</strong>t eux aussi, ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t des fonctions de communication. Or de notre temps,<br />

comme les techniques de communication sont tout à fait dissemblables, on constate un<br />

éclatem<strong>en</strong>t de l’espace construit : tout le réseau de circulation - qui ignore le tissu<br />

urbain intérieur - forme un <strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t de nervures, et ce qui se trouve dans les<br />

interstices ne reflète que la médiocrité. Les traces les plus profondes seront justem<strong>en</strong>t<br />

laissées par les infrastructures de ces dispositifs de circulation, et les histori<strong>en</strong>s futurs<br />

se trouveront devant ces nervures - semblables à celles de feuilles mortes - <strong>en</strong>tre<br />

lesquelles il ne restera vraisemblablem<strong>en</strong>t pas grand-chose ; je ne p<strong>en</strong>se pas que le tissu<br />

urbain des villes nouvelles résiste longtemps à l’usure du temps. Notre civilisation est<br />

vraim<strong>en</strong>t très fragile et laissera beaucoup moins de vestiges qu’il n’<strong>en</strong> reste aujourd’hui<br />

des civilisations qui nous paraiss<strong>en</strong>t « archaïques ». Notre culture est utilitaire et<br />

économe, et elle n’investit principalem<strong>en</strong>t que dans les bâtim<strong>en</strong>ts d’utilité ; <strong>en</strong>core n’y<br />

investit-elle que d’une façon parcimonieuse, même ses bâtim<strong>en</strong>ts collectifs sont<br />

fragiles. » (Duby, 1983).<br />

La production urbaine peut être lue et interprétée comme une fiction ou<br />

bi<strong>en</strong> comme une mémoire sociale, comme un reflet ou comme une représ<strong>en</strong>tation<br />

symbolique d’une culture ou bi<strong>en</strong> comme le véhicule de valeurs<br />

éthiques ou esthétiques. Les variations d’intérêt et de goût des décideurs et<br />

des utilisateurs font qu’une société ordonne ses mémoires et ses archives<br />

et ornem<strong>en</strong>te de discours et de catalogues, de plans et de photographies, de<br />

relevés et d’anastyloses, les traces matérielles lisibles et interprétables de<br />

son histoire organisée <strong>en</strong> cérémonial où bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> empire aléatoire de l’indéchiffrable<br />

et de l’ins<strong>en</strong>sé pour le chercheur limité par les instrum<strong>en</strong>ts<br />

techniques et m<strong>en</strong>taux à sa disposition à un mom<strong>en</strong>t historique donné. A<br />

perte de vue (c’est le cas de le dire) les conurbations ne sont que des

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