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Jacques Rousseau Lettres à Malesherbes - Le Livre de Poche

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13Une per son na lité para doxalePara doxal, Rous seau l’est par sa sin gu la rité qui le dis tingue <strong>de</strong>s autres et par sa capa cité <strong>à</strong> réunir<strong>de</strong>s contraires. Cela vaut pour l’homme comme pour l’écri vain.– L’homme se défi nit par un trait majeur <strong>de</strong> son tem pé rament (une « pas sion domi nante »,l. 115) : un « indomp table esprit <strong>de</strong> liberté » (l. 87), un amour <strong>de</strong> l’« indé pen dance » (l. 22, 314)qui prend la forme d’une « indo lence » (l. 124), d’une « paresse […] incroyable » (l. 91). C’estce refus <strong>de</strong>s contraintes (l. 98-104) qui explique son « amour natu rel pour la soli tu<strong>de</strong> » (l. 38)et le rend impropre <strong>à</strong> la vie active et <strong>à</strong> la vie sociale. Chez lui, l’amour <strong>de</strong> la liberté a en outreun aspect poli tique : Rous seau « hai[t] sou ve rai ne ment l’injus tice » (l. 32-33) et éprouve « unevio lente aver sion pour les états qui dominent les autres » (l. 649-650), « [il] hai[t] les grands »(l. 657). Une série <strong>de</strong> para doxes compose son por trait : s’il fuit les hommes (l. 34-35), ce n’estpas par misan thro pie (l. 30-31) mais parce qu’ils s’écartent trop <strong>de</strong> son idéal (« c’est parce que jeles aime que je les fuis » – l. 624) et qu’il leur pré fère <strong>de</strong>s « êtres selon [son] cœur » (l. 431) ; il ale goût du « plai sir » (l. 21), le dés ir <strong>de</strong> « jouir » (l. 119, 84) mais recherche <strong>de</strong>s plai sirs « purs »(l. 441) dans la soli tu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la nature et la rêve rie (3 e lettre) ; il a « un cœur très aimant, mais quipeut se suf fire <strong>à</strong> lui- même » (l. 620), « l’intime ami tié [lui] est […] chère » (l. 96-97) mais il s’estséparé <strong>de</strong> ses anciens amis les « phi lo sophes », notam ment Di<strong>de</strong>rot (« ils ne m’aimaient pas »,(l. 640) ; il « hai[t] les grands » mais goûte une « inti mité déli cieuse » (l. 694) auprès <strong>de</strong> M. <strong>de</strong>Luxembourg ; il se dit dénué <strong>de</strong> vanité (l. 22) mais « [a] pour [lui] une haute estime » (l. 541) ettient <strong>à</strong> démen tir la mau vaise opi nion que l’on a <strong>de</strong> lui (1 re lettre) ; il a « un tem pé rament ar<strong>de</strong>nt,bilieux facile <strong>à</strong> s’affec ter et sen sible <strong>à</strong> l’excès » (l. 161-162) mais ne connaît plus la « mélan co lie »(l. 45) <strong>de</strong>puis qu’il s’est retiré <strong>à</strong> la cam pagne.– L’écri vain est tout aussi para doxal. Il a connu le suc cès, il est <strong>de</strong>venu célèbre, il est pro tégépar M. <strong>de</strong> <strong>Malesherbes</strong>, direc teur <strong>de</strong> la Librai rie et ami <strong>de</strong>s « phi lo sophes », mais il méprise les« gens <strong>de</strong> lettres » (l. 542) que fré quente <strong>Malesherbes</strong>, les « bar bouilleurs » (l. 252), « ces tas<strong>de</strong> dés œu vrés payés <strong>de</strong> la graisse du peuple pour aller six fois la semaine bavar <strong>de</strong>r dans une aca -dé mie » (l. 546-548). Ils condamnent sa vie soli taire qui le rend « inutile <strong>à</strong> tout le mon<strong>de</strong> » ?Il leur retourne l’accu sa tion et les traite <strong>de</strong> para sites. Tou te fois, ce juge ment l’a tou ché : c’estun homme blessé qui cherche <strong>à</strong> se dis culper et mul ti plie les argu ments dans un mou ve mentexalté, ora toire (l. 542-606), qui culmine dans l’ana phore <strong>de</strong>s lignes 554-560. Est- il convain -cant ? Est- il lui- même convaincu ? On peut en dou ter dans la mesure où il ter mine en invo -quant comme ultime argu ment son propre sen ti ment (« je me crois tout <strong>à</strong> fait quitte avec [lasociété] ») et en réaf fi r mant <strong>de</strong> manière hyper bo lique son dés ir <strong>de</strong> vivre « pour [lui] seul » etnon en écri vain.Rous seau, en effet, dit n’être <strong>de</strong>venu écri vain que par acci <strong>de</strong>nt, « presque mal gré [lui] » et n’avoird’autre talent que celui que lui donne une forte convic tion (l. 250-261), il dépré cie d’ailleurs leslettres qu’il est en train d’écrire et qui ne seraient que « fatras » (l. 329, 722). Ce fai sant, il se valo -rise : contrai re ment <strong>à</strong> un « fai seur <strong>de</strong> livres » (l. 707) qui recher che rait le seul suc cès, il n’écritque pour faire connaître « la vérité », <strong>à</strong> laquelle il se dit « pas sion né ment atta ché » (l. 259). Sonécri ture est authen tique, c’est pour quoi, s’il se moque <strong>de</strong> sa célé brité (l. 604-606), il a le souci<strong>de</strong> la pos té rité (l. 669).L’accumulation <strong>de</strong>s paradoxes assure la singularité <strong>de</strong> <strong>Rousseau</strong>, son unicité, tout en la jus tifiantpuisque cet auto portrait le valorise en l’opposant <strong>à</strong> ses contem porains, constamment discrédités.Quelle est la part <strong>de</strong> l’auto justi fi cation ?La pre mière <strong>de</strong>s <strong><strong>Le</strong>ttres</strong> <strong>à</strong> <strong>Malesherbes</strong> per met d’ana ly ser ainsi le pro jet Rous seau :1. Il se connaît par fai te ment (« Per sonne au mon<strong>de</strong> ne me connaît que moi seul », l. 138) et ila une bonne opi nion <strong>de</strong> lui- même (« <strong>de</strong> tous les hommes que j’ai connus en ma vie, aucun nefut meilleur que moi », l. 152-153).2. Il souffre <strong>de</strong> se savoir mal jugé, « d’être connu <strong>à</strong> <strong>de</strong>mi » (l. 157).3. Il va donc se peindre tota le ment, « sans fard et sans mo<strong>de</strong>s tie » (« tel que je me vois, et telque je suis », l. 134), <strong>de</strong> façon <strong>à</strong> modi fier le juge ment d’autrui. D’où la struc ture d’oppo si tionqui sous- tend ces lettres : Rous seau rejette les images fausses <strong>de</strong> lui- même au pro fit <strong>de</strong> celles qu’il

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