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Jacques Rousseau Lettres à Malesherbes - Le Livre de Poche

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189095100Texte C. <strong>Le</strong>s Rêve ries du pro me neur soli taire[…] je réso lus d’employer <strong>à</strong> m’exa mi ner sur le men songe la pro me na<strong>de</strong> du len <strong>de</strong> main, et j’yvins bien confirmé dans l’opi nion déj<strong>à</strong> prise que le Connais- toi toi- même du temple <strong>de</strong> Delphes 1n’était pas une maxime si facile <strong>à</strong> suivre que je l’avais cru dans mes Confes sions.<strong>Le</strong> len <strong>de</strong> main, m’étant mis en marche pour exé cu ter cette réso lu tion, la pre mière idée quime vint en commen çant <strong>à</strong> me recueillir fut celle d’un men songe affreux fait dans ma pre mièrejeu nesse, dont le sou ve nir m’a trou blé toute ma vie et vient, jusque dans ma vieillesse, contris terencore mon cœur déj<strong>à</strong> navré <strong>de</strong> tant d’autres façons. Ce men songe, qui fut un grand crime enlui- même, en dut être un plus grand encore par ses effets que j’ai tou jours igno rés, mais que leremords m’a fait sup po ser aussi cruels qu’il était pos sible. Cepen dant, <strong>à</strong> ne consi dé rer que ladis po si tion où j’étais en le fai sant, ce men songe ne fut qu’un fruit <strong>de</strong> la mau vaise honte et bienloin qu’il par tît d’une inten tion <strong>de</strong> nuire <strong>à</strong> celle qui en fut la vic time, je puis jurer <strong>à</strong> la face duciel qu’<strong>à</strong> l’ins tant même où cette honte invin cible me l’arra chait j’aurais donné tout mon sangavec joie pour en détour ner l’effet sur moi seul. C’est un délire que je ne puis expli quer qu’endisant, comme je le crois sen tir, qu’en cet ins tant mon natu rel timi<strong>de</strong> sub ju gua tous les vœux<strong>de</strong> mon cœur.J.-J. Rous seau, <strong>Le</strong>s Rêve ries du pro me neur soli taire, « Qua trième pro me na<strong>de</strong> », 1782 (post hume,texte écrit en 1777).Cor rigéQues tionDans le pré am bule <strong>de</strong>s Confes sions, Rous seau s’engage <strong>à</strong> « di[re] le bien et le mal avec la mêmefran chise », <strong>à</strong> ne pas cacher « [ses] indi gni tés », assuré qu’il est qu’aucun homme ne pourra sedire « meilleur » (mora le ment) que lui. Il exprime donc une exi gence <strong>de</strong> vérité abso lue, conformeau titre <strong>de</strong> son auto bio gra phie et <strong>à</strong> la <strong>de</strong>vise qu’il a faite sienne : « Vitam impen<strong>de</strong>re vero ».<strong>Le</strong> livre II semble mettre en pra tique ce prin cipe puis qu’il pré sente d’abord le récit détaillé,favo rable <strong>à</strong> Marion, <strong>de</strong> la faute indigne commise par Rous seau, clai re ment dési gnée comme un« crime ». Il se décerne d’ailleurs ensuite un satis fe cit en fai sant obser ver au lec teur qu’il n’a enrien « pal lié la noir ceur <strong>de</strong> [son] for fait » : sa confes sion a été sin cère. Tou te fois, les <strong>de</strong>ux para -graphes sui vants décrivent lon gue ment le « remords » <strong>de</strong> Rous seau, <strong>de</strong>venu « dans l’adver sité »une souf france cruelle : après avoir plaidé cou pable <strong>de</strong>vant le lec teur, l’auteur sug gère qu’il s’estlui- même condamné (preuve <strong>de</strong> sa haute conscience morale) et qu’il a expié. Il opère ensuite unréexa men <strong>de</strong> la scène ini tiale en four nis sant <strong>de</strong>s expli ca tions sur « [ses] dis po si tions inté rieures »que le lec teur doit tenir pour vraies (elles sont par nature invé ri fiables) et qui consti tuent unejus ti fi cation, comme le mon trera le commen taire détaillé du <strong>de</strong>r nier para graphe. Parmi les nom -breux argu ments invo qués <strong>à</strong> sa décharge figure encore la conscience morale puisque c’est « lahonte » d’un aveu public qui l’a conduit <strong>à</strong> calom nier la jeune fille ; ainsi, par un ren ver se mentpara doxal, le « crime » <strong>de</strong>vient le signe, la preuve <strong>de</strong> l’inno cence fon cière <strong>de</strong> Rous seau, qui nes’est pas conduit comme un méchant trans gres sant cyni que ment la morale : « [sa] faute au fondn’était guère autre chose » qu’une « fai blesse ».<strong>Le</strong>s Rêve ries reviennent briè ve ment, et <strong>de</strong> manière très allu sive, sur cet épi so<strong>de</strong> mal heu reux <strong>de</strong> sajeu nesse et l’évoquent dans les mêmes termes, oppo sant <strong>à</strong> la gra vité du men songe en soi (« ungrand crime ») le sen ti ment (« la dis po si tion ») qui l’a sus cité, lequel ne compor tait nul le ment« une inten tion <strong>de</strong> nuire ». Plus net te ment encore que dans <strong>Le</strong>s Confes sions où il affirme qu’iln’était plus lui- même quand il s’obstinait <strong>à</strong> calom nier Marion, Rous seau affirme ici qu’il étaitvic time d’un « délire » et que son acte était ainsi direc te ment contraire aux « vœux <strong>de</strong> [son]cœur ».1. <strong>Le</strong> phi lo sophe grec Socrate avait fait sienne cette maxime gra vée sur le temple d’Apol lon <strong>à</strong> Delphes,dans laquelle il voyait un prin cipe <strong>de</strong> sagesse. Montaigne s’y réfère dans ses Essais pour jus ti fier le choixqu’il a fait <strong>de</strong> « se ser vir <strong>de</strong> soi pour sujet <strong>à</strong> écrire ».

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