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Jacques Rousseau Lettres à Malesherbes - Le Livre de Poche

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20pour se dénon cer publi que ment. Cet argu ment, qui pro longe habi le ment le pré cé <strong>de</strong>nt, se fon<strong>de</strong>sur le lieu commun qui carac té rise l’enfant par sa fai blesse : il peut être faci le ment accepté parle lec teur.– À la fin <strong>de</strong> son plai doyer, Rous seau tend <strong>à</strong> effa cer complè te ment sa culpa bi lité en pro -dui sant trois nou veaux argu ments. Il commence par affir mer que ses remords lui sont ins pi rés« moins <strong>à</strong> cause du mal en lui- même qu’<strong>à</strong> cause <strong>de</strong> celui qu’il a dû cau ser ». Or, ce <strong>de</strong>r niermal n’est pas cer tain, même s’il a été pré senté comme pro bable dans le récit ini tial (et au pas -sage Rous seau s’attri bue ici une qua lité en se mon trant par ti cu liè re ment scru pu leux sur le planmoral). En outre, s’il s’est pro duit, c’est, d’une part, que Marion a cédé au « décou ra ge ment »(fai blesse liée <strong>à</strong> son âge), d’autre part, qu’elle a été trai tée indi gne ment par une société domi néepar les pré ju gés et la cor rup tion, prompte <strong>à</strong> refu ser un emploi hon nête <strong>à</strong> une jeune fille et <strong>à</strong>faire d’elle une pros ti tuée. De ce mal, Rous seau ne serait donc que par tiel le ment res pon sable.<strong>Le</strong> <strong>de</strong>uxième argu ment consiste <strong>à</strong> dire que cette calom nie, par son hor reur même, a eu un effetbéné fique sur le cou pable en lui ren dant odieux le crime et le men songe : cette faute a été uniqueet elle l’a boni fi é, le lec teur peut avoir <strong>de</strong> la sym pa thie pour l’homme qui a connu ensuite « qua -rante ans <strong>de</strong> droi ture et d’hon neur ». Il doit aussi éprou ver <strong>à</strong> son égard <strong>de</strong> la compas sion, pro -pice au par don, et c’est l<strong>à</strong> un troi sième argu ment : Rous seau a expié sa faute, sa vie mal heu reuses’est char gée <strong>de</strong> le punir, sa culpa bi lité est donc effa cée.2. La ques tion est main te nant <strong>de</strong> savoir si ce plai doyer est entiè re ment rece vable.L’ana lyse pré cé <strong>de</strong>nte conte nait déj<strong>à</strong> <strong>de</strong>s réserves ; elles doivent être déve lop pées et complé tées.– Dans le <strong>de</strong>r nier para graphe <strong>de</strong> son récit, Rous seau conti nue certes <strong>à</strong> s’accu ser. Il condamneson acte en par lant <strong>de</strong> « la noir ceur <strong>de</strong> [son] for fait », <strong>de</strong> son « crime », <strong>de</strong> son « impu <strong>de</strong>nce »,<strong>de</strong> son « men songe […] noir », <strong>de</strong> la « gran<strong>de</strong> […] offense » qu’il a faite <strong>à</strong> Marion. Il se pré sentecomme un calom nia teur qui a « charg[é] cette mal heu reuse fille », qui lui a fait vivre un « cruelmoment ». Mais il évoque aussi, et <strong>de</strong> plus en plus net te ment, sa propre souf france, qui équi -libre celle <strong>de</strong> Marion : c’est d’abord « [son] cœur […] déchiré » au moment même <strong>de</strong>s faits ;c’est ensuite le remords qui l’« afflige » constam ment <strong>de</strong>puis lors ; c’est enfin les nom breux « mal -heurs dont la fin <strong>de</strong> [sa] vie est acca blée » et qui valent comme une véri table expia tion. On apu noter aussi que sa « faute », insen si ble ment, a été soi gneu se ment dis tin guée <strong>de</strong>s « véri tablesnoir ceurs » et réduite <strong>à</strong> une « fai blesse ».– À trop vou loir prou ver, Rous seau sus cite le doute chez le lec teur qu’il presse <strong>de</strong> croire<strong>à</strong> son inno cence fon cière. Il accu mule déli bé ré ment les expli ca tions <strong>de</strong> tous ordres qui ontvaleur d’argu ments (sept se suc cè<strong>de</strong>nt dans ce para graphe, rigou reu se ment ordon nées), cetteaccu mu la tion étant d’ailleurs sou li gnée par l’adverbe « encore » qui sug gère que Rous seau n’enmanque pas et que sa cause est fina le ment facile <strong>à</strong> défendre. Parmi ces argu ments, <strong>de</strong>ux peuventêtre jugés par ti cu liè re ment peu convain cants. D’une part, l’invo ca tion <strong>de</strong> ses « dis po si tions inté -rieures » fait <strong>de</strong> lui le seul juge éclairé <strong>de</strong> lui- même puis qu’il est le seul <strong>à</strong> connaître les sen ti mentssecrets qui ont rendu pos sible sa faute ; <strong>à</strong> la fois juge et par tie, il peut ainsi affir mer n’avoir pascommis <strong>de</strong> « véri tables noir ceurs », celles- ci consis tant dans la volonté déli béré <strong>de</strong> faire le mal,comme il le dit dans <strong>Le</strong>s Rêve ries du pro me neur soli taire : « J’ai très peu fait <strong>de</strong> bien, je l’avoue,mais pour du mal, il n’en est entré dans ma volonté <strong>de</strong> ma vie, et je doute qu’il y ait aucunhomme au mon<strong>de</strong> qui en ait réel le ment fait moins que moi » (« Sixième Pro me na<strong>de</strong> »). Cetteappré cia tion <strong>de</strong> l’action en fonc tion <strong>de</strong> l’inten tion qui l’ins pire n’est pas sans rap pe ler la casuis -tique jésuite (avec cette dif fé rence, tou te fois, que le rai son ne ment inter vient après la faute, pourl’excu ser et non pour l’auto ri ser). Dou ble ment per suadé <strong>de</strong> sa totale sin cé rité et <strong>de</strong> sa capa cité <strong>à</strong>se connaître par fai te ment, Rous seau n’envi sage pas que le lec teur puisse mettre en doute ce qu’ildit <strong>de</strong>s sen ti ments qui l’ani maient alors, il réaf firme sans cesse cette illu sion <strong>de</strong> la trans pa rencedu sujet <strong>à</strong> lui- même : « je ne crains point d’être vu tel que je suis », écrivait- il <strong>à</strong> <strong>Malesherbes</strong> enlui adres sant un « tableau trop véri dique » <strong>de</strong> lui- même ; un peu plus tard, c’est au lec teur <strong>de</strong>sConfes sions qu’il déclare : « Je sens mon cœur […]. Je me suis mon tré tel que je fus », pre nant<strong>à</strong> témoin l’« Être éter nel » : « J’ai dévoilé mon inté rieur tel que tu l’as vu toi- même ». <strong>Le</strong> regardqu’il porte sur lui- même étant celui d’un dieu omnis cient, comment le lec teur pourrait- il mettre

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