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Jacques Rousseau Lettres à Malesherbes - Le Livre de Poche

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16510152025303540Texte A. <strong>Le</strong>s Confes sions, Pré am bule (voir texte 16, p. 80-81).Texte B. <strong>Le</strong>s Confes sions, livre IIEn 1728, Rous seau, âgé <strong>de</strong> seize ans, trouva une place <strong>de</strong> laquais chez une aris to crate <strong>de</strong> Turin,Mme <strong>de</strong> Vercellis, veuve et sans enfants. Parmi les nom breux domes tiques, diri gés par un inten dant etsa femme, M. et Mme Lorenzi, figu raient Mlle Pontal, sa femme <strong>de</strong> chambre, et Marion, une jeunecui si nière. Peu après l’arri vée <strong>de</strong> Rous seau, Mme <strong>de</strong> Vercellis mou rut, lais sant comme unique héri tierson neveu, le comte <strong>de</strong> La Roque. L’auteur <strong>de</strong>s Confes sions évoque cet épi so<strong>de</strong> en 1766.Que n’ai- je achevé tout ce que j’avais <strong>à</strong> dire <strong>de</strong> mon séjour chez Mme <strong>de</strong> Vercellis ! Mais, bienque mon appa rente situa tion <strong>de</strong>meu rât la même, je ne sor tis pas <strong>de</strong> sa mai son comme j’y étaisentré. J’en empor tai les longs sou ve nirs du crime et l’insup por table poids <strong>de</strong>s remords dont aubout <strong>de</strong> qua rante ans ma conscience est encore char gée, et dont l’amer sen ti ment, loin <strong>de</strong> s’affai -blir, s’irrite <strong>à</strong> mesure que je vieillis. Qui croi rait que la faute d’un enfant pût avoir <strong>de</strong>s suitesaussi cruelles ? C’est <strong>de</strong> ces suites plus que pro bables que mon cœur ne sau rait se conso ler. J’aipeut- être fait périr dans l’opprobre et dans la misère une fille aimable, hon nête, esti mable, et quisûre ment valait beau coup mieux que moi.Il est bien dif fi cile que la dis so lu tion d’un ménage n’entraîne un peu <strong>de</strong> confu sion dans lamai son, et qu’il ne s’égare bien <strong>de</strong>s choses. Cepen dant, telle était la fidé lité <strong>de</strong>s domes tiques etla vigi lance <strong>de</strong> M. et Mme Lorenzi, que rien ne se trouva <strong>de</strong> manque sur l’inven taire. La seuleMlle Pontal per dit un petit ruban cou leur <strong>de</strong> rose et argent, déj<strong>à</strong> vieux. Beau coup d’autresmeilleures choses étaient <strong>à</strong> ma por tée ; ce ruban seul me tenta, je le volai, et comme je ne lecachais guère, on me le trouva bien tôt. On vou lut savoir où je l’avais pris. Je me trouble, je bal -bu tie, et enfin je dis en rou gis sant que c’est Marion qui me l’a donné. Marion était une jeuneMauriennoise dont Mme <strong>de</strong> Vercellis avait fait sa cui si nière, quand, ces sant <strong>de</strong> don ner <strong>à</strong> man -ger 1 , elle avait ren voyé la sienne, ayant plus besoin <strong>de</strong> bons bouillons que <strong>de</strong> ragoûts fins. Nonseule ment Marion était jolie, mais elle avait une fraî cheur <strong>de</strong> colo ris qu’on ne trouve que dansles mon tagnes, et sur tout un air <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s tie et <strong>de</strong> dou ceur qui fai sait qu’on ne pou vait la voirsans l’aimer ; d’ailleurs bonne fille, sage et d’une fidé lité <strong>à</strong> toute épreuve. C’est ce qui sur pritquand je la nom mai. L’on n’avait guère moins <strong>de</strong> confiance en moi qu’en elle, et l’on jugea qu’ilimpor tait <strong>de</strong> véri fier lequel était le fri pon <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. On la fit venir ; l’assem blée était nom breuse,le comte <strong>de</strong> La Roque y était. Elle arrive, on lui montre le ruban, je la charge effron té ment ; ellereste inter dite, se tait, me jette un regard qui aurait désarmé les démons, et auquel mon barbarecœur résiste. Elle nie enfin avec assu rance, mais sans empor te ment, m’apo strophe, m’exhorte <strong>à</strong>ren trer en moi- même, <strong>à</strong> ne pas désho no rer une fille inno cente qui ne m’a jamais fait <strong>de</strong> mal ; etmoi, avec une impu <strong>de</strong>nce infer nale, je confirme ma décla ra tion, et lui sou tiens en face qu’ellem’a donné le ruban. La pauvre fille se mit <strong>à</strong> pleu rer, et ne me dit que ces mots : « Ah ! Rous seau,je vous croyais un bon carac tère. Vous me ren <strong>de</strong>z bien mal heu reuse ; mais je ne vou drais pas être<strong>à</strong> votre place. » Voil<strong>à</strong> tout. Elle conti nua <strong>de</strong> se défendre avec autant <strong>de</strong> sim pli cité que <strong>de</strong> fer meté,mais sans se per mettre jamais contre moi la moindre invec tive. Cette modé ra tion, compa rée <strong>à</strong>mon ton décidé, lui fit tort. Il ne sem blait pas natu rel <strong>de</strong> sup po ser d’un côté une audace aussidia bo lique, et <strong>de</strong> l’autre une aussi angé lique dou ceur. On ne parut pas se déci <strong>de</strong>r abso lu ment,mais les pré ju gés étaient pour moi. Dans le tra cas où l’on était, on ne se donna pas le tempsd’appro fon dir la chose ; et le comte <strong>de</strong> la Roque, en nous ren voyant tous <strong>de</strong>ux, se contenta <strong>de</strong>dire que la conscience du cou pable ven ge rait assez l’innocent. Sa pré dic tion n’a pas été vaine ;elle ne cesse pas un seul jour <strong>de</strong> s’accom plir.J’ignore ce que <strong>de</strong>vint cette vic time <strong>de</strong> ma calom nie mais il n’y a pas d’appa rence qu’elle aitaprès cela trouvé faci le ment <strong>à</strong> se bien pla cer. Elle empor tait une impu ta tion cruelle <strong>à</strong> son hon -neur <strong>de</strong> toutes manières. <strong>Le</strong> vol n’était qu’une baga telle, mais enfin c’était un vol, et, qui pisest, employé <strong>à</strong> séduire un jeune gar çon ; enfin le men songe et l’obs ti nation ne lais saient rien <strong>à</strong>espé rer <strong>de</strong> celle en qui tant <strong>de</strong> vices étaient réunis. Je ne regar<strong>de</strong> pas même la misère et l’aban don1. Invi ter <strong>à</strong> dîner, comme le fai saient les aris to crates qui menaient une vie mon daine.

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