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Jacques Rousseau Lettres à Malesherbes - Le Livre de Poche

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22– Rous seau tend en effet <strong>à</strong> se poser en vic time <strong>de</strong> cette société et rejette sur elle une par tie<strong>de</strong> sa culpa bi lité. Son dis cours ajoute en effet la cri tique <strong>à</strong> l’auto cri tique, celle- ci se trou vantmino rée par celle- l<strong>à</strong>. S’il reconnaît bien avoir calom nié Marion, il sug gère que c’est sa condam -na tion défi ni tive par une société par ti cu liè re ment dure avec les domes tiques qui lui a nui le plusen la rédui sant <strong>à</strong> la pros ti tution. L’accu sa tion vise le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s riches, <strong>de</strong>s aris to crates, queRous seau déteste par ti cu liè re ment (« Je hais les grands », écrit- il <strong>à</strong> <strong>Malesherbes</strong>) : il dénonceici l’atti tu<strong>de</strong> mépri sante <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> La Roque qui pro cè<strong>de</strong> <strong>à</strong> un inter ro ga toire public, expé di tif,humi liant, ne per met pas au jeune cou pable d’avouer sa faute, « se content[e] » <strong>de</strong> ren voyer les<strong>de</strong>ux domes tiques qu’il méprise assez pour condam ner éga le ment, donc injus te ment, l’innocentaussi bien que le cou pable, sachant bien que cela va en outre pri ver la jeune fille <strong>de</strong> la pos si bi litéd’obte nir un tra vail hon nête. C’est ce même mon<strong>de</strong> qui accable <strong>de</strong> « tant <strong>de</strong> mal heurs » l’auteur<strong>de</strong>s Confes sions.– Rous seau se montre péremp toire dans ses expli ca tions sur ses « dis po si tions inté rieures »,comme si la connais sance <strong>de</strong> soi rele vait pour lui <strong>de</strong> l’intui tion la plus immé diate. Pour écar terl’accu sa tion <strong>de</strong> « méchan ceté », il pro nonce ainsi <strong>de</strong>s juge ments caté go riques sur les sen ti mentsqu’il a éprou vés au cours <strong>de</strong> cette scène, pour tant vieille <strong>de</strong> près <strong>de</strong> qua rante ans, il sait « infailli -ble ment » qu’il se serait dénoncé si on lui avait épar gné la honte publique, il en est « par fai te -ment sûr », <strong>de</strong> même qu’il ne doute pas d’avoir expié sa faute, ni d’avoir vécu « qua rante ans <strong>de</strong>droi ture et d’hon neur » alors que la suite <strong>de</strong>s Confes sions révèle au lec teur d’autres aveux. Il vajus qu’<strong>à</strong> se dire cer tain <strong>de</strong> son inno cence aux yeux <strong>de</strong> Dieu, met tant au défi le lec teur <strong>de</strong> contre -dire le juge suprême. Qui vou drait pour tant contester son point <strong>de</strong> vue s’entend signi fier unefin <strong>de</strong> non- recevoir dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>r nières phrases. La pas sion <strong>de</strong> la jus ti fi cation appa raît biencomme un trait essen tiel <strong>de</strong> la per son na lité <strong>de</strong> l’écri vain.« Il n’y a que le méchant qui soit seul », avait écrit Di<strong>de</strong>rot dans sa pièce <strong>Le</strong> Fils natu rel (voirTextes complé men taires, p. 57) : ce juge ment blessa Rous seau et fut <strong>à</strong> l’ori gine <strong>de</strong> la rup tureentre les <strong>de</strong>ux amis. Rous seau était obsédé par l’idée que sa « méchan ceté » était admise dans lemon<strong>de</strong> comme un lieu commun : « Je suis un méchant homme, n’est- ce pas ? Vous en avez lestémoi gnages les plus sûrs ; cela vous est bien attesté », écrit- il dans sa <strong>de</strong>r nière lettre <strong>à</strong> Di<strong>de</strong>rot(2 mars 1758). D’où l’entre prise <strong>de</strong> longue haleine qu’il engage dans ses écrits auto bio gra phiquespour récu ser cette accu sa tion injuste et infa mante : c’est d’abord <strong>de</strong> cela que témoigne cet extrait<strong>de</strong>s Confes sions dans lequel il entend per sua <strong>de</strong>r le lec teur qu’il a pu, une fois, commettre une« action atroce », un « for fait », sans pour autant être un méchant. L’argu men ta tion ser rée qu’ilpro duit, impres sion nante, se révèle pour tant fra gile dans la mesure où elle pré tend démon trerce qui est en fait posé et lui sert même d’argu ment : la bonté natu relle <strong>de</strong> Rous seau, que celuicisent comme une évi <strong>de</strong>nce (« je sens mon cœur », affirme- t-il au début <strong>de</strong>s Confes sions – voirTextes complé men taires, p. 81). Plus tard, il a tem péré quelque peu ce sen ti ment : « le Connaistoitoi-même du temple <strong>de</strong> Delphes n’était pas une maxime si facile <strong>à</strong> suivre que je l’avais crudans mes Confes sions » (voir ci- <strong>de</strong>ssus, Texte C) ; mais il n’a pas cessé <strong>de</strong> se dres ser contre sonsiècle comme le modèle <strong>de</strong> l’innocent per sé cuté.<strong>Jacques</strong> VASSEVIERE

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