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Jacques Rousseau Lettres à Malesherbes - Le Livre de Poche

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8ÉTUDE DU DEUXIÈMEEXTRAIT (l. 216<strong>à</strong> 261)La pre mière lettre s’achève sur une « objec tion » (for mu lée l. 124-127) : si Rous seau éprouveun « invin cible dégoût » pour « le commerce <strong>de</strong>s hommes » (l. 72-73), s’il recherche la soli tu<strong>de</strong>par goût <strong>de</strong> la « paresse » (l. 91), <strong>de</strong> l’« indo lence » (l. 124), pour quoi s’est- il engagé dans unecar rière d’écri vain, qui sup pose la recherche du suc cès auprès du public ? Pour réfu ter cette objec -tion, Rous seau, selon un pro cédé qu’il affec tionne, trans forme ce qui aurait pu être une contra -dic tion en un para doxe, qui a en outre l’avan tage d’assu rer sa sin gu la rité : il est <strong>de</strong>venu « auteurpresque mal gré [lui] » (l. 250), comme le montre le récit <strong>de</strong> l’expé rience excep tion nelle qui adécidé <strong>de</strong> sa car rière. Ce fai sant, il pour suit son auto por trait et complète son auto justi fi cation.<strong>Le</strong> récit d’une expé rience excep tion nelle– <strong>Le</strong>s cir constances <strong>de</strong> cette expé rience doivent être expli ci tées. <strong>Le</strong>s para graphes pré cé <strong>de</strong>ntsdécrivent l’état d’esprit <strong>de</strong> Rous seau en 1749 : après avoir vai ne ment cher ché le bon heur dansle mon<strong>de</strong>, il est encore « atta ché <strong>à</strong> cette société » que son esprit lui fait pour tant mépri ser,il aime et hait <strong>à</strong> la fois ses contem po rains que, influ encé par ses lec tures roma nesques, il netrouve jamais conformes <strong>à</strong> son idéal. Cette contra dic tion se résout sou dain quand « un heu reuxhasard » (l. 207-208), pré paré par les rela tions que Rous seau entre tient alors avec Di<strong>de</strong>rot et les« phi lo sophes », l’amène <strong>à</strong> cla ri fier ses idées : <strong>à</strong> la ques tion <strong>de</strong> savoir « si le réta blis se ment <strong>de</strong>ssciences et <strong>de</strong>s arts a contri bué <strong>à</strong> épu rer les mœurs », il donne une réponse néga tive et s’engagedans la dénon cia tion <strong>de</strong>s « abus <strong>de</strong> nos ins ti tutions » (l. 237), qui ren<strong>de</strong>nt « les hommes […]méchants ». <strong>Le</strong>s « foules d’idées vives » (l. 223-224) qui lui viennent alors lui donnent la matière<strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux Dis cours et <strong>de</strong> l’É mile.– Cette expé rience consti tue une véri table illu mi na tion, <strong>à</strong> la fois unique et fon da trice puis qu’ellea déter miné la vie et l’œuvre <strong>de</strong> Rous seau. Elle en a les carac té ris tiques par sa sou dai neté etsa vio lence, sou li gnée par le voca bu laire (« ins pi ra tion subite », « tout <strong>à</strong> coup », « une confu -sion qui me jeta »), l’emploi <strong>de</strong>s temps (pas sage au présent <strong>de</strong> nar ra tion, l. 218 et 226-232), lerythme <strong>de</strong>s phrases <strong>de</strong>s lignes 222 <strong>à</strong> 233 dans les quelles se pressent <strong>de</strong>s noms et <strong>de</strong>s verbes expri -mant une gran<strong>de</strong> inten sité sen so rielle, et même sen suelle : les plu riels et les hyper boles (« millelumières », « foules d’idées », l. 223), le voca bu laire du mou ve ment, phy sique et men tal, lesadjec tifs <strong>à</strong> valeur super lative (« idées vives », « trouble inex pri mable », « vio lente pal pi ta tion »,« une telle agi ta tion »), l’évo ca tion <strong>de</strong>s larmes montrent que le corps et l’esprit sont éga le mentaffec tés, jus qu’<strong>à</strong> la perte <strong>de</strong> la conscience <strong>de</strong> soi. Para doxa le ment, cet état combine la fai blesse etl’agi ta tion, la pas si vité et l’acti vité : Rous seau reçoit <strong>de</strong>s sen sa tions et une révé la tion : « ébloui »,la « tête prise par un étour dis se ment », il ne semble pas être l’acteur <strong>de</strong> la pen sée qui se fait enlui et qui est pour tant d’une richesse qui excè<strong>de</strong> ses capa ci tés intel lec tuelles, il a « vu et senti »(l. 234) plus que pensé et, <strong>à</strong> en juger par le pas sif imper son nel (« il n’y eut d’écrit sur le lieumême que la pro so po pée », l. 248-249), l’acte même d’écrire paraît s’être fait en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> savolonté. C’est enfin une expé rience fon da trice qui a bou le versé la vie et l’œuvre <strong>de</strong> l’auteur, ceque sug gère aussi l’emploi du passé composé qui éta blit une conti nuité entre le moment <strong>de</strong> cetteillu mi na tion et le présent <strong>de</strong> l’écri ture.– Comment appré cier cette illu mi na tion ? Elle est proche <strong>de</strong> l’expé rience d’autres grands vision -naires et d’abord <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s mys tiques comme sainte Thérèse d’Avila, <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Pas cal (consi -gnée dans le « Mémo rial » du 23 novembre 1654), <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l <strong>à</strong> Notre- Dame <strong>de</strong> Paris(25 décembre 1886) : comme eux, Rous seau est en proie <strong>à</strong> un trouble phy sique, <strong>à</strong> une émo tionintense et il reçoit la révé la tion <strong>de</strong> « gran<strong>de</strong>s véri tés » (l. 241) dont il se fera l’apôtre, qui sera<strong>à</strong> l’ori gine <strong>de</strong> son œuvre phi lo sophique et <strong>de</strong> la « réforme » <strong>de</strong> sa vie. Mais, s’il sou ligne bienla dis pro por tion entre sa fai blesse et la force <strong>de</strong>s idées qui lui sont venues, on ne sau rait voirl<strong>à</strong> une expé rience mys tique puis qu’il ne fait aucune allu sion <strong>à</strong> la divi nité, évo quant seule ment« un heu reux hasard » (l. 208) et une « ins pi ra tion subite » (l. 221) qu’il ne contrôle pas et quilui donne une intel li gence supé rieure. Cette expé rience est donc <strong>à</strong> rap pro cher d’illu mi na tionsintel lec tuelles comme celle <strong>de</strong> Descartes (10 novembre 1619). On doit aussi faire la part <strong>de</strong>l’exa gé ra tion que le souci <strong>de</strong> se jus ti fier fait naître dans ce récit : Rous seau insiste sur la vio lence<strong>de</strong> l’évé ne ment pour bien mon trer <strong>à</strong> <strong>Malesherbes</strong> qu’il n’a pas vrai ment choisi la car rière d’écri -vain.

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