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NOT, André, « La satire sociale dans Le Journal d'une femme

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Si la morale ne tient aucune place <strong>dans</strong> les comportements de Célestine, c’estqu’il s’agît d’une morale conventionnelle établie et défendue par une églisecatholique parfaitement ignoble. Entre tant de places, Célestine, au chapitre XVII seretrouve <strong>dans</strong> <strong>«</strong> une drôle de boîte » : <strong>«</strong> Monsieur était <strong>dans</strong> les pèlerinages… je nesais quoi au juste… quelque chose comme président ou directeur… Il racolait despèlerins où il pouvait, parmi les juifs, les protestants, les vagabonds, même parmi lescatholiques et, une fois l’an, il conduisait ces gens-là à Rome, à Lourdes, à Paray-le-Monial, non sans tapage et sans profit bien entendu. <strong>Le</strong> pape n’y voyait que du feu etla religion triomphait. » (p.552) <strong>Le</strong> comique bouffon (voir l’énumération qui entraîneen pèlerinage <strong>«</strong> même des catholiques ») est poussé jusqu’à la gouaille populaire :<strong>«</strong> Ah ! il a dû en voir des raides <strong>dans</strong> cette maison, le Saint-Père. » 3 Dans la maisonoù elle est entré, effectivement la vie quotidienne ne manque pas de surprises. <strong>Le</strong>père dévergonde les bonnes qu’il partage avec son fils, lequel fils s’arrange pourfournir des amants à sa mère. Et les finances chancelantes de cette famille trèsdépensière ne sont renflouées que par de minables escroqueries déguisées enentreprises charitables. Quand Monsieur offre à Célestine (qui est déjà la maîtressede son fils Xavier) de l’emmener en pèlerinage à Lourdes, elle lui répond vertement :<strong>«</strong> Et M. Xavier ? […] Qu’est-ce qu’il fera, lui, pendant que nous rigolerons à Lourdesaux frais de la chrétienté ? » (p.564)Cet exemple permet de percevoir le fonctionnement de la <strong>satire</strong> <strong>dans</strong> leroman. Chacun des microcosmes bourgeois ou aristocratique où Célestine estintroduite est organisé sur le mode du camouflage, de la dissimulation. Derrièrel’apparence respectable, irréprochable, il y a, pour le dire comme Baudelaire, <strong>«</strong> lesmonstres glapissants, hurlants, grognants, rampants <strong>dans</strong> la ménagère infâme de[leurs] vices. » (Fleurs du mal : <strong>«</strong> Au lecteur ») <strong>La</strong> fonction de la <strong>femme</strong> de chambrela met au contact permanent avec ces dessous cachés de la respectabilité despossédants. Appelée à habiller ses maîtresses, à les voir nues, elle est <strong>«</strong> forcémentla confidente d’un tas de choses, de leur peines, de leurs vices, de leurs déceptionsd’amour, des secrets les plus intimes du ménage, de leurs maladies ». Et Célestinede s’exclamer : <strong>«</strong> Ah, <strong>dans</strong> les cabinets de toilette comme les masques tombent !…comme s’effritent et se lézardent les façades les plus orgueilleuses. » (p.407)A la fois juge et complice, parce qu’elle est à la fois <strong>dans</strong> et hors du cerclebourgeois, la <strong>femme</strong> de chambre apparaît ainsi comme le révélateur idéal desturpitudes du grand monde. Comme le note Pierre Michel : <strong>«</strong> <strong>Le</strong> journal de Célestineapparaît comme une belle entreprise de démolition et de démystification. Nonseulement Mirbeau y donne la parole à une chambrière, ce qui est déjà en soi unetransgression des codes littéraires en usage, car une <strong>femme</strong> de chambre n’est passupposée prendre la plume, mais elle présente surtout l’avantage incomparable denous faire voir le monde par le trou de la serrure. » […] Il fait ainsi de nous desvoyeurs autorisés, exceptionnellement à pénétrer au cœur de la réalité cachée de lasociété, <strong>dans</strong> les arrière-boutiques des nantis, <strong>dans</strong> les coulisses des théâtres du<strong>«</strong> beau » monde. Il arrache le masque de respectabilité des puissants […] et il nousamène peu à peu à faire nôtre le constat désenchanté mais vengeur, de Célestine :<strong>«</strong> si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtesgens. » » (p.344-345)Pourtant, le caractère hétéroclite du genre satirique s’affirme aussi <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>journal d’une <strong>femme</strong> de chambre. À côté d’innombrables notations qui, logiquement,relèvent du regard de Célestine et de la position privilégiée qu’elle occupe, certains3 Ce qui n’empêche pas Célestine d’aller à la messe. <strong>«</strong> <strong>La</strong> religion, c’est toujours la religion. <strong>Le</strong>s riches peuventpeut-être s’en passer mais elle est nécessaire aux gens comme nous ». Elle rejoint, sans le vouloir sans doute, laconception voltairienne d’un Dieu gendarme réservé à l’usage de la canaille(p.415)

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