théâtrale à la merci des caprices de vedettes qui font et défont les succès, voire lescarrières d’auteur.À cela aussi, il y a une réaction et, là encore, Jarry est en première ligne. Sespréoccupations sont très proches de celles du metteur en scène anglais GordonCraig (1872-1966) qui souhaite transformer l’acteur en une <strong>«</strong> surmarionnette ».Christophe Deshoulières signale que <strong>dans</strong> <strong>«</strong> l’univers scénographique théorisé parGraig […] tous les éléments de la représentation, êtres humains compris, obéissentau regard démiurgique du grand <strong>«</strong> régisseur » » (<strong>Le</strong> théâtre au XX ème siècle, p.38)On trouve chez Jarry ce même souci de faire de l’acteur un élément matérieldu spectacle. Déjà <strong>dans</strong> l’article de Mercure de France, il précise : <strong>«</strong> L’acteur devrasubstituer à sa tête, au moyen d’un masque l’enfermant, l’effigie du personnage,laquelle n’aura pas, comme à l’antique, caractère de pleurs ou de rires (ce qui n’estpas un caractère), mais caractère de personnage : l’Avare, l’Hésitant, l’Avideentassant les crimes… » (art.cit.142). D’autre part, <strong>dans</strong> sa <strong>«</strong> conférence sur lespantins » prononcée à Bruxelles en 1902, Jarry dit son intérêt pour les marionettes etpour le théâtre de l’allemand Grabbe qui leur est consacré.Ainsi, contemporain de la création de Lorenzaccio (autrement dit de l’effortpour donner à ce texte romantique réputé injouable une dimension réaliste ethistorique), Ubu-Roi est une pièce qui va apparaître indissociable d’un certainnombre de ruptures indispensables avec les habitudes théâtrales héritées du secondEmpire. Que l’on laisse perdurer ces habitudes et la mise sur scène d’Ubu estimpossible. Que l’on choisisse de lire, de mettre en scène ou de jouer Ubu, et touteréférence à ces habitudes seraient caduques. C’est en ce sens que la pièce de Jarrydénoue la crise du théâtre à la fin du XIX ème siècle, en même temps qu’elle ensouligne le caractère indispensable.
C.T.E.L2001-2002Cours de LMD 140Enregistrement N° 8Ubu roi, un Macbeth bouffon.Ce n’est pas un secret que Jarry ait imité Macbeth pour faire son Ubu roi.On connaît l’argument du Macbeth de Shakespeare : Au soir d’une batailleglorieuse, trois sorcières prédisent à Macbeth un brillant avenir. Elles le saluentsuccessivement, l’appelant tour à tour <strong>«</strong>thane de Glamis », <strong>«</strong> thane de Cawdor » puisla 3 ème sorcière l’interpelle en ces termes : <strong>«</strong> Salut Macbeth qui plus tard sera roi. »Or Macbeth, s’il est bien thane de Glamis ne l’est pas de Cawdor. Pourtant, à l’issuede la bataille, le roi Duncan destitue le thane de Cawdor qui a trahi et donne sacharge au valeureux Macbeth qui a eu un comportement héroïque. Voilà la premièreprophétie réalisée. Pourquoi pas la seconde ?- se demande Macbeth – pourquoi nedeviendrais-je pas roi ? seulement voilà, il y a déjà un roi et c’est Duncan. Influencépar sa <strong>femme</strong>, Macbeth, malgré les bienfaits reçus, tue le roi pendant son sommeil,fait passer le meurtre pour une action des serviteurs de Duncan et conquiert ainsi lacouronne. Mais pour la garder, il accumule les crimes mais finit par être hanté par lespectre d’une de ses victimes, son ami Banquo. Pourtant le châtiment arrive.Malcom, fils de Duncan regroupe ses partisans, s’approche de Dunsinane où estretranché Macbeth en camouflant ses soldats sous des branchages. Ainsi se réaliseune autre prophétie, jusque là incompréhensible, faite à Macbeth par le fantôme d’unenfant : <strong>«</strong> Jamais Macbeth ne sera vaincu avant que la grande forêt de Birnammarche contre lui jusqu’à la haute colline de Dunsinane. <strong>«</strong> <strong>La</strong> bataille s’engage. Elles’achèvera par l’arrivée de Macduff, noble de la suite de Malcom qui porte la tête deMacbeth au bout d’une pique.Cet argument se retrouve à l’évidence <strong>dans</strong> Ubu-Roi. Couvert de bienfaits parle roi de Pologne, le père Ubu est incité par l’infâme mère Ubu à l’assassiner pourprendre sa place sur le trône. Il résiste mais finit par céder. <strong>Le</strong> prince Bougrelas(nouvelle version de Malcom) échappe à la férocité d’Ubu et engage la lutte contrel’usurpateur pour reprendre le pouvoir. Ivre de puissance et de rapacité, le père Ubudécime la noblesse polonaise. Mais le tsar de Russie, soutien de Bougrelas, luidéclare la guerre et il doit s’enfuir en France. Vous avez donc exactement les troistemps de Macbeth : le meurtre du bienfaiteur, la tyrannie du meurtrier, et la punition.Dans le détail, le rapprochement entre les dieux pièces est encore plus convaincantet, en tous cas, plus savoureux. Relisons un fragment de la scène 7 du premier actede Macbeth afin d’en trouver les échos <strong>dans</strong> le texte de Jarry :