12.07.2015 Views

NOT, André, « La satire sociale dans Le Journal d'une femme

NOT, André, « La satire sociale dans Le Journal d'une femme

NOT, André, « La satire sociale dans Le Journal d'une femme

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

(p.495) Du coup, M. Jean est doté d’un immense prestige <strong>dans</strong> le quartier desChamps Élysées. Quand il <strong>«</strong> mène sur les trottoirs, pisser les chiens de Mme lacomtesse, il est l’objet de la curiosité et du respect universels… <strong>Le</strong>s chiens aussi, dureste… » Alors là, c’est l’éclat de rire, et en même temps <strong>dans</strong> l’économie du textec’est in caoda venenum, ce que l’on dit du scorpion, c’est-à-dire tout le venin <strong>dans</strong> lafin, <strong>dans</strong> la queue de la phrase : au fond, M. Jean n’est qu’un objet de luxe auxmains de sa maîtresse, et qu’il soit antisémite et qu’il se signale comme activiste<strong>dans</strong> le camp anti-dreyfusard ne peut que contribuer à la gloire de sa comtesse, avecla bonne tenue des chiens... <strong>La</strong> férocité du pamphlétaire Mirbeau s’affirme ici ets’impose, au dépens de la figure de Célestine qui apparaît légèrement en retrait,moins moqueuse que l’auteur qui l’inspire, prisonnière de ses attachessentimentales. <strong>«</strong> <strong>«</strong> J’ai presque pleuré » dit-elle à la lecture de cette lettre car j’aisenti que M. Jean est tout à fait détaché de moi. » (ibid) Pourtant c’est bien elle quiconclut : <strong>«</strong> un domestique […] c’est un monstrueux hybride humain… il n’est plus dupeuple d’où il sort ; il n’est pas non plus de la bourgeoisie où il vit et où il tend… »(p.496). Que les anti-dreyfusards aient ainsi besoin, pour leur cause, de magnifier detels monstres ne plaident pas en leur faveur. Et l’on sait, par ailleurs que, <strong>dans</strong> leparti des Mercier, des Guerin et des Drumont, le garde-chasse Joseph est un militantconvaincu. D’ailleurs, au chapitre VI, Célestine consent mollement à l’antisémitismeforcené de ce dernier, tout en finissant par noter : <strong>«</strong> Lorsque je m’interrogesérieusement, je ne sais pas pourquoi je suis contre les juifs. » (p.466)<strong>La</strong> <strong>satire</strong> joue ici de l’ambiguïté du personnage narrateur, tour à tour lucide etaliénée. En tant que Célestine elle est capable de révolte, d’indignation. En tant que<strong>femme</strong> de chambre elle dépend étroitement d’un ordre bourgeois établi : ladisparition de cet ordre bourgeois entraînerait l’abolition de sa fonction <strong>sociale</strong>, c’està-dire,<strong>dans</strong> son esprit son propre anéantissement. C’est pourquoi elle est toute prêteà se résigner quand, après avoir voulu porter plainte contre des maîtres indélicats,elle entend le juge de paix lui rétorquer : <strong>«</strong> D’abord, Mademoiselle, on ne vous croirapas…et c’est juste, remarquez bien, que deviendrait la société si un domestiquepouvait avoir raison d’un maître ? il n’y aurait plus de société, Mademoiselle, ceserait l’anarchie ». Alors, impuissante à contester l’ordre établi dont elle est, qu’elle leveuille ou non, complice, Céléstine n’a que la solution de se réfugier <strong>dans</strong> lesépanchements faciles de la sentimentalité ; et après un des nombreux avatars de sacarrière, on la voit oublier ses soucis au théâtre, elle dit : <strong>«</strong> je me payais un Paradis àla porte Saint-Martin, on y jouait <strong>«</strong> <strong>Le</strong>s deux orphelines », comme c’est ça, c’estpresque mon histoire, je passais là une soirée délicieuse à pleurer, pleurer,pleurer… ».

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!