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NOT, André, « La satire sociale dans Le Journal d'une femme

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la lune : <strong>«</strong> M. Bourget a observé les gens du monde toute sa vie et il n’en est pasmoins resté fidèle à la première image que s’en était formé le petit répétiteur affaméde chic anglais. Ses ducs sentencieux ressemblent à des notaires, et quand il lesveut naturels, il les fait bête comme des lévriers. » (Œuvre II, p.354)Dans <strong>Le</strong> journal d’une <strong>femme</strong> de chambre, Paul Bourget, dès le chapitre V,entre <strong>dans</strong> la galerie des personnages que Célestine est amenée à côtoyer. Servantchez la comtesse Fardin, elle s’associe à l’engouement de sa maîtresse et de sonentourage pour la psychologie des passions. <strong>«</strong> C’est un fait reconnu, remarque-t-elle,que notre esprit se modèle sur celui de nos maîtres et que ce qui se dit au salon sedit également à l’office » (p.449) Ayant eu à faire, un jour, une course chez <strong>«</strong> l’illustremaître », elle s’enhardit à lui soumettre une question qui la tracasse, en l’attribuant àune de ses amies. Paul Bourget entame alors avec elle un savoureux dialogue : <strong>«</strong> -Qu’est-ce que c’est votre amie, une <strong>femme</strong> du peuple ?… une pauvresse sansdoute ?… - une <strong>femme</strong> de chambre comme moi, illustre maître -. M. Bourget eut unegrimace supérieure, une moue de dédain. - Ah sapristi ! il n’aime pas les pauvres. –Je ne m’occupe pas de ces âmes-là, dit-il… ce sont de trop petites âmes…ce ne sontmême pas des âmes… elles ne sont pas du ressort de ma psychologie… - jecompris que, <strong>dans</strong> ce milieu, on ne commence à être une âme qu’à partir de centmille francs de rentes. » (p.449-450) Voilà pour la <strong>satire</strong>, puisqu’évidemment cespropos ne sont que pure invention, et que Bourget n’en a sans doute pas tenu desemblables, mais voilà de quoi désillusionner la pauvre Célestine qui pourtantrevendiquait <strong>dans</strong> le chapitre III un statut supérieur aux domestiques campagnardes,statut garanti par <strong>«</strong> l’éducation, le frottement avec les gens chics, l’habitude desbelles choses, la lecture des romans de Paul Bourget » (P.423). <strong>La</strong> littérature commebibelot faisant partie de la panoplie donnant accès à un certain standing, tout celamarque l’ironie de Mirbeau. On retrouve ici ce dont on parlait la dernière fois : l’ironied’un Mirbeau satirique, traversant le flux de conscience d’une Célestine aliénée, et semoquant de Paul Bourget plus que de la <strong>femme</strong> de chambre. A terme, pourtant, chezcelle-ci, les effets de l’illusion se dissolvent. Ainsi, au chapitre VII : <strong>«</strong> J’ai relu du PaulBourget… ses livres ne me passionnent plus comme autrefois, même ilsm’assomment et je juge qu’ils sont faux et en toc. » (p.470) Et plus la connaissancevéritable, empirique pourrait-on dire, de la psychologie réelle progresse chezCélestine, plus les ridicules et l’odieux des élaborations romanesques de PaulBourget apparaissent ; plus, en même temps, la critique se fait cinglante. Ainsi, auchapitre XVI, à propos du séjour chez la comtesse Fardin, Célestine précise : <strong>«</strong> Là,j’ai connu Paul Bourget en sa gloire, c’est tout dire… Ah ! c’est bien le philosophe, lepoète, le moraliste qui convient à la nullité prétentieuse, au toc intellectuel, aumensonge de cette catégorie mondaine, où tout est factice : l’élégance, l’amour, lacuisine, le sentiment religieux, le patriotisme, l’art, la charité, le vice lui-même qui,sous prétexte de politesse et de littérature, s’affuble d’oripeaux mystiques et secouvre de masques sacrés… où l’on ne trouve qu’un désir sincère… l’âpre désir del’argent, qui ajoute au ridicule de ces fantoches quelque chose de plus odieux et deplus farouche. C’est par là seulement que ces pauvres fantômes sont bien descréatures humaines et vivantes… Là j’ai connu M. Jean, un psychologue et unmoraliste lui aussi, moraliste de l’office, psychologue de l’antichambre, guère plusparvenu <strong>dans</strong> son genre et plus jobard que celui qui régnait au salon. M. Jean vidaitles pots de chambre… M. Paul Bourget vidait les âmes. Entre l’office et le salon, il n’ya pas toute la distance de servitude que l’on croit. » (p.651)<strong>Le</strong> fragment était un peu long mais il fallait le citer en entier. L’exaltationpolémique, ici, escamote un peu le personnage de la <strong>femme</strong> de chambre qui devientprétexte à une charge violente, plus qu’elle n’en est vraiment l’énonciatrice. Mais le

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