Vie pédagogique 116, septembre-octobre2000Photo : Denis GaronSUZANNE CIANFLONEl’élève en difficulté qui tire profitdes stratégies du nouveau programme.L’enseignant doit donclâcher prise en ce qui concerne latransmission des connaissancesdont il est porteur. Finies les classessilencieuses, suspendues au verbedu magister. Maintenant, les élèvesparlent et circulent dans la salle decours.Suzanne insiste sur l’importanced’un soutien explicite de la directionaux efforts d’innovation desenseignants qui accepteront des’engager dans cette voie et d’expérimenterde nouvelles approches.Il faudra sans doute cohabiter pendantquelques années avec lesdiverses tendances que manifestentles enseignants, ce qui peut s’avérerdélicat. Pourquoi ne pas regrouperceux et celles qui veulent travaillerensemble ? Il serait impensable, parexemple, de contraindre certainsenseignants, irrémédiablementindividualistes, à faire l’exercice dela collégialité.L’acquisition des compétencestransversales étant fortement tributairedes disciplines, Suzanneconstate qu’un effort de clarifications’imposera. Il ne s’agit évidemmentpas de mesurer des habiletéset des capacités, mais d’en arriverà exprimer clairement un ouiou un non sur la capacité réellede l’élève à exécuter une tâche précisedans le tableau des compétences.Libérée de six heures d’enseignementen vue d’accompagnerquelques collègues engagés dansun projet d’expérimentation etde recherche, Suzanne a doncvécu en précurseur pendant troisPhoto : Denis Garonans le parcours agité et exigeantd’une enseignante-ressource. Elleen tire des leçons précieusespour la phase de généralisationqui s’amorce dans les écoles secondaires.• Monique Roy–Saint-Laurentou la troisième voieEnseignante de mathématique enpremière secondaire à l’écoleÉmilie-Gamelin, à La Prairie,Monique propose une sorte decompromis pour une mise enœuvre réaliste et réussie de l’acquisitiondes compétences transversales.Sans complexe, elle confessequ’elle dispense toujours unenseignement de type magistral,avec une ouverture à une évolutionpossible dans son approche. Ce quine l’empêche nullement d’entretenirune relation harmonieuseavec ses élèves dont elle se sent trèsproche et un climat détendu dans saclasse où l’humour a droit de cité.Ses propos tendent donc à désignerune troisième voie possible entre lemaintien d’un statu quo et l’applicationtous azimuts d’un brusquevirage pédagogique.MONIQUE ROYElle brandit le tableau des onzecompétences transversales. « Maisle voilà tout prêt, notre programmede formation continue ! Concédonsque nous avons de grands progrès àfaire dans les domaines de la communicationet du développementpersonnel et social. Assurons-nousd’abord de maîtriser convenablementles compétences que nousaurons à faire acquérir à nosélèves. » La formation continue luisemble la voie royale du développementprofessionnel, à la conditionque l’équipe enseignante en prennel’initiative et la responsabilité etqu’elle soit l’affaire de tous lesmembres du personnel, y comprisde la secrétaire et du concierge.Sans oublier la direction qui ne faitl’objet, de sa part, d’aucune attenteparticulière du point de vue pédagogique.« Ce sont avant tout desgestionnaires qui doivent faire dubon boulot dans ce domaine. »Pour elle, les compétences transversalessont présentes à l’écoledepuis plusieurs années d’une manièreofficieuse. Ce qui est nouveau,c’est d’avoir à les mettre en oeuvresystématiquement. « Nous aurons àmodifier notre approche et à remettreen question nos modes et nosobjets d’évaluation. C’est nettementun PLUS qui nous est proposé... »Monique est foncièrement réaliste :« Partons de la situation telle qu’elleest. » Elle a eu l’occasion de piloterun projet dans son école. L’initiativea été bien reçue, mais, au début, illui a fallu structurer les tâches avecbeaucoup de précision, à cause dela difficulté de ses collègues à s’approprierconcrètement la démarcheà faire. Elle croit que les personnesressourcesdoivent soigner leur attitudeà l’endroit des collègues,sensibles à toute forme subtiled’arrogance ou de suffisance.« Nous avons encore beaucoup àapprendre sur le chapitre des compétencespersonnelles et sociales. »Pour l’évaluation des compétences,elle reconnaît que la tâche s’annonceardue. Les enseignants ontcommencé à formuler des commentairesau sujet de leurs élèves,mais des balises seront nécessaires.Il faudra aussi s’initier à la pratiquedu jugement collectif au sein d’uneéquipe de travail. « Il est courantd’entendre que ce n’est plus lamatière que l’on évalue désormais,mais la personne. » L’avènementdes compétences n’atténue en rienl’importance des connaissances àacquérir et dont il faudra fixer lesseuils.Monique favorise les rencontresindividuelles avec ses élèves. Quatrefois par année, elle ménage àchaque élève un tête-à-tête au coursduquel elle lui dit simplement commentelle le perçoit, comment ellele voit évoluer dans les différentsaspects de sa personnalité. Ces rencontressont marquantes et appréciéesdes élèves.Elle a travaillé pendant deux ansavec des groupes d’élèves en difficultégrave d’apprentissage, ce quilui a fait prendre conscience del’importance d’établir un lien affectifenseignant — élève stable. C’estpourquoi elle investit beaucoupd’espoir dans la possibilité qu’unnoyau d’enseignants suive ungroupe d’élèves pour la durée d’uncycle.Elle conclut avec vigueur que « c’estdans l’école que la responsabilitédoit s’exercer et que les ressourcesdoivent être disponibles de façonimmédiate. La commission scolairese révèle une structure inadéquatedans ce mouvement de transformationqui exige de la proximité ».• Normand Paris ou le ventdans les voilesHomme de science, Normandenseigne la biologie en quatrième eten cinquième secondaire à l’écoleJoseph-François-Perrault, à Montréal.Cette spécialisation ne l’empêchenullement d’entretenir unevision multidimensionnelle de sonengagement en tant qu’éducateur.Dans des propos souvent passionnés,il montre une indépendanced’esprit à l’endroit du système scolaire,tout en faisant preuve d’unesolidarité lucide à l’égard de sescollègues. Son allégeance premièreva aux besoins des élèves qui luisont confiés. Il s’inscrit résolumentdans un courant d’innovation pédagogiquequ’il explore avec rigueuret détermination.Avec l’arrivée des compétencestransversales, il note que l’enseignant,libéré du souci obsédantde couvrir un programme d’étudesfortement associé à un contenu deconnaissances cataloguées, pourra,en toute légitimité, consacrer dutemps à la formation de citoyensresponsables.Il se fait l’ardent défenseur d’uneapproche éducative qui tientcompte de tous les élèves, sansprivilégier indûment les plus forts etles mieux doués. Son ambition estd’engager à fond ses élèves dans devéritables activités d’apprentissagequi les obligent à accomplir destâches complexes, à se placer ensituation de déséquilibre cognitif, àse frotter aux exigences du travaild’équipe dans la réalisation de projets.Il observe que là où l’onapplique ces mesures, le taux d’absentéismerégresse d’une manièrePÉDAGOGIQUE 19<strong>DOSSIER</strong>
<strong>DOSSIER</strong>Photo : Denis GaronNORMAND PARISnotable. Les garçons, en général, sesentent à l’aise dans l’action concrète.Selon lui, les compétences transversalessonnent le glas des cours magistrauxqui engendrent deschercheurs de bonnes réponses.« Nous sommes tous un produit dece moule, et nous avons, d’instinct,tendance à le perpétuer. Cette formed’enseignement encore dominanteva de pair avec un individualismequi s’enracine dans la convictionque le travail d’équipe est lourd,souvent pénible, toujours grandconsommateur de temps. Il nousdonne l’impression de faire du surplace.À première vue, c’est tellementplus simple, plus efficace defaire carrière en solo. »Il est d’avis que les enseignantsdoivent se familiariser sans tarderavec un nouveau vocabulaire en vued’accélérer les débats indispensables.« Nous pourrons ensuitenous poser les vraies questions ettenter d’y répondre collectivement,ouvrir nos portes de classe et travaillerensemble. »Il est carrément partisan de confierà l’assemblée générale des enseignantsle soin de déterminer lesorientations collectives, de désignerles candidats aux fonctions de chefsd’équipe, de chefs de groupe etd’enseignants-ressources. Les collègueslibérés auront des comptes àrendre aux autres.Il se fait modeste en traitant de laquestion délicate de l’évaluationdes compétences transversales. Àl’heure actuelle, il expérimente laformule du portfolio comme solutionde rechange à une formed’évaluation désuète, qu’il se permetd’ailleurs de court-circuiter. Ilconvient qu’il s’agit là d’une véritablerévolution dans la façon deprocéder et que le dispositif n’estpas encore rodé. Il sera indispensabled’évaluer jusqu’à quel pointles élèves ont acquis les compétencestransversales en cultivantd’abord le réflexe de rétroactionchez les apprenants eux-mêmes. Ils’applique à doter les travaux derecherche de clefs de correctionqui faciliteront l’autoévaluation.Pour l’instant, il avoue marcher surdes oeufs... Le portfolio électronique,utilisé dans un contexte devraie vie, lui semble une pisteprometteuse.• Stéphane Masson ou ledroit à l’erreurStéphane enseigne les sciences endeuxième, en quatrième et encinquième secondaire, à l’écoleLe Sommet, à Charlesbourg. Professeurdynamique et innovateur, ilavoue profiter d’un contexte favorablegrâce à la présence d’unedirection avant-gardiste. « Parrapport à la réforme, notre directeurdispose au moins d’une annéed’avance sur le chapitre de l’information,de l’appropriation et de lavolonté de la mettre en œuvre. »Stéphane affirme sa foi dans l’exercicede la collégialité chez lesenseignants, dans l’efficacité deséchanges d’idées entre pairs, dansl’action concrète accomplie sur leterrain même. « Pourquoi ne pasnous accorder le droit à l’erreur,accepter de courir des risques enexpérimentant de nouvelles pistes ?La peur de manquer notre coup, denous planter, paralyse souvent notreeffort pour avancer. »Selon lui, le cadre des compétencestransversales est un bon canevaspour structurer les activités d’enseignementet d’apprentissage. Lesprogrammes actuels ne sont guèreconçus pour le travail en projet.« J’ai l’avantage de travailler avecdes groupes enrichis, aussi ai-je puexpérimenter audacieusement denouvelles avenues. En effet, lerythme d’apprentissage de cesélèves dégage une marge demanoeuvre pour les essais en nouslibérant des contraintes de temps. »À titre de professeur de sciences, ilreconnaît que la réforme du curriculumforce les enseignants àremettre en question leur pratiqueet que ce défi se révèle essoufflantPhoto : Denis GaronSTÉPHANE MASSONpour ceux et celles qui tentent de lerelever trop rapidement. « Pour mapart, j’ai exploré plusieurs pistes,tenté des essais et des expériencesde toutes sortes. J’ai reçu destémoignages d’élèves qui m’ontréconforté. Même ceux qui éprouventdes difficultés d’apprentissageme disent parfois qu’ils apprécientmes nouvelles méthodes, qu’ellesretiennent leur intérêt. » Il a misl’accent sur les compétences encommunication et sur l’exploitationsystématique des TIC.Toute la démarche d’évaluationdoit, selon lui, s’inscrire directementdans la perspective du progrèsde l’élève. « Il appartient àl’élève de s’autocritiquer et des’autoévaluer à partir d’objectifsqu’il s’est consciemment fixés aupréalable. Les jugements que formulentd’autres élèves, à la faveurdes travaux d’équipe, contribuentà l’éclairer utilement sur l’état deson développement sous diversaspects. »Il juge indispensable que les compétencestransversales figurent dansle projet éducatif de l’école et qu’unréférentiel pédagogique assure unminimum de cohérence dansles pratiques sur divers plans, parexemple sur le plan méthodologique.• Pierre Pouliot ou la fin del’homogénéitéPierre enseigne actuellement lagéographie en troisième secondaireà la polyvalente La Baie, dans la villedu même nom. Il a d’abord consacrécinq années à l’enseignementde l’histoire en deuxième secondaire.Dans son approche pédagogique,il s’efforce de varier lesstratégies. Il a eu l’occasion de collaborerà des travaux d’envergurenationale, ce qui lui donne une perspectivelarge sur les questions liéesà la réforme du curriculum et uneinformation privilégiée relativementaux enjeux. C’est sans doutepourquoi il s’est exprimé avecsobriété tout au long de la discussion.Dans son milieu, il est peu questionde la réforme pour le moment.Toutefois, depuis quelques années,l’équipe-école a fait un effortnotable en vue d’intégrer des TICen classe et d’améliorer les méthodesde travail. Ce qui préparedirectement la voie aux compétencestransversales qui « nousrecentrent sur l’objectif de formerun citoyen conscient et ouvert,capable d’aller chercher l’informationet de la décoder. Mais, pour yarriver, les enseignants devront sedéprogrammer et devenir euxmêmescompétents en compétences,leaders dans leur classe etcoopérateurs. »Son intervention la plus vigoureuseest dirigée contre la tendance àl’homogénéité dans la formationdes groupes d’élèves et du dangerqui en résulte de « former des trèscompétents, des compétents et desdemi-compétents, sans parler deslaissés-pour-compte ». Pierre soutientqu’il faut remettre en questionla récupération par les écolespubliques d’une dynamique propreau système privé. Dans sa région,les écoles internationales et lesécoles privées drainent déjà lesmeilleurs élèves. « En regroupantentre eux les élèves forts et en laissantà leur sort les moins doués,PIERRE POULIOTVIE 20 Vie pédagogique 116, septembre-octobre2000Photo : Denis Garon
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