Photo : Denis Garonlogue Vigotsky avait une façon éloquentede dire cela. Pour lui, nousn’aidons pas beaucoup l’élève en lelaissant se tirer d’affaire avec cequ’il maîtrise très bien. Il ne fautpas non plus lui demander l’impossible.Il faut plutôt le faire travaillerdans la « zone proximale » de sescapacités acquises, légèrement audelàd’elles, dans une zone où ilpeut réussir avec assistance, avec leprofesseur comme guide.Cela admis, il est utile de nommerles capacités en question, comme lefera le futur « Programme des programmes» du secondaire. Déjà, lafaçon de les nommer qu’on trouvedans la version provisoire du programmedu primaire (Programmede formation de l’éducation préscolaireet de l’enseignement primaire,août 1999) et sa version consolidéeattendue pour l’été 2000nous inspire. Peu importe, le défi estlancé, et il permet déjà un examende chaque enseignement disciplinairedu secondaire, sous la questioncommune suivante : « Commentcette discipline, la mienne, peut-ellele mieux solliciter et stimuler leshabiletés intellectuelles les pluspoussées chez mes élèves?»Une partie de la réponse, aux yeuxde cet amas d’expériences cristalliséque représente la rechercheempirique, résiderait sans doutedans le choix d’approfondir encoreplus, quitte à étendre moins le proposd’un cours, et de préservermieux l’aspect de complexité desquestions abordées en travaillantparfois ou souvent dans le cadred’un projet d’une certaine envergureet d'une certaine continuité.De même, toute évaluation qui valoriseles tentatives, même semifructueuses,d’interprétation, d’analyseet de validation critique, en feraautomatiquement la promotion àl’intérieur de la démarche d’apprentissage.UNE ATTENTION PARTAGÉEENTRE CONTENU ET PROCESSUSNous savons comment l’énoncé depolitique éducative L’école, tout unprogramme pousse à cultiver partoutnon seulement des compétencesintellectuelles, mais aussides compétences méthodologiques.Pourquoi les secondes ? Essentiellementpour attirer l’attention surl’importance de la démarche d’apprentissage,sur l’importance deguider le processus lui-même d’apprentissage.Encore ici, il y a à la fois continuitéet rupture. Depuis longtemps, nousreconnaissons l’importance de « savoirapprendre », donc d’apprendreà apprendre tout en apprenanttoutes sortes de choses. Nous avonsbeaucoup insisté sur les habiletés etles savoir-faire, jusqu’au point, parfois,de réduire les connaissancesau statut de prétexte pour exercerdes savoir-faire. Il va de soi qu’il n’ya rien de plus inquiétant pour l’enseignementsecondaire. Si l’onapprend l’histoire et la géométrie,c’est parce que l’histoire et lagéométrie ont une valeur formatrice;il ne s'agit pas seulementd'une sorte de matière première àexercer l’analyse, le traitement del’information ! Valoriser les compétencesintellectuelles et méthodologiquestransversales, ce n’est en riendévaloriser les diverses matières dusecondaire : c’est, au contraire, unepiste pour les apprendre mieux !L’équilibre et l’interdépendanceentre contenu à apprendre etprocessus d’apprentissage sontatteints beaucoup mieux dans l’actuelleperspective de compétences,dont le lieu d’émergence estl’ensemble des disciplines, que danscertains discours trop réductifs surla formation fondamentale, discoursréductifs où l’essentiel était plutôt àcôté que dans les disciplines.Malgré tout, il faut reconnaître deuxétages, pour ainsi dire, aux habiletésméthodologiques. Le premierétage, le plus évident, consiste àaider l’élève à organiser son travailintellectuel, à persévérer dans unedémarche où le fait de buter sur cequ’il ne sait pas encore, ce qu’il necomprend pas encore, mobilise etstimule, sans détériorer la confianceen soi. Il faut, dans les études,apprendre à repousser la gratificationdans le temps mais il faut aussiqu’elle se produise, à terme. Qu’ilémerge des moments de joie d’apprendre,de découverte de son proprepotentiel ! Le professeur ne peutpas apprendre à la place de l’élève.<strong>Au</strong> premier degré, l’attention auxcompétences méthodologiques del’élève, c’est précisément le décentrementprofessoral d’une attentiontrop axée sur son enseignementvers une attention partagée vers ladémarche d’apprentissage, unedémarche proprement assistée etencadrée puis stimulée.Il y a un deuxième degré, ou un« deuxième étage », aux compétencesméthodologiques. Il est del’ordre du métacognitif, c’est-à-direde la prise de conscience graduelleet de la maîtrise partielle de lafaçon de s’y prendre dans une tâcheintellectuelle. L’approche dite stratégique,largement propagée auQuébec par Jacques Tardif (L’enseignementstratégique, Montréal, éd.Logiques, 1992) est de cet ordre.C’est une perspective relativementneuve, très féconde, intéressantepour toutes les disciplines. D’unecertaine façon, elle propage uneprise en charge plus évoluée de ladémarche d’apprentissage par uneintériorisation des habiletés méthodologiqueschez les élèves.Vie pédagogique 116, septembre-octobre2000LES COMPÉTENCES SOCIALES :LEURS IMPLICATIONS POUR UNEÉQUIPE ÉDUCATIVELa réforme en cours du curriculumentend aussi porter sur une troisièmecatégorie de compétences: des compétencessociales. Dans le programmede formation (version provisoire)il est plutôt question decompétences à la fois personnelles etsociales, mais cela ne change pas lavisée de fond. En quoi cela est-il pertinentpour l’enseignement secondaire? C’est pertinent de diversesfaçons, mais cela exige, plus encoreque pour les compétences précédentes,que les éducateurs de diversesdisciplines travaillent ensemble.Il y a, dans les compétences sociales,à la fois un minimum et unoptimum. Commençons par examinerle minimum. Chaque classe, demême que l’ensemble de l’école,est un lieu où existe une loi, unerègle, un lieu où une loi interditl’interaction violente. Une sorte desocialisation élémentaire se poursuità l’école, en même temps quedans le milieu de vie de l’élève, àmoins que ce milieu de vie ne soittotalement inapproprié : l'élève yapprend à suspendre ses impulsions,à vivre pacifiquement dansun groupe. La vie y obéit à une prescriptionde non-violence. Les élèvess'expliquent plutôt que de se battre.L’école comme la classe ne sont pasgouvernées par les émotions et l'affection,car l’affection ne se commandepas. Elle engendre desgroupes fermés qui expulsent lesmal-aimés. La classe, elle, est ungroupe gouverné par un principesous-jacent d’égalité de tous ettoutes, de dignité et de respect detous. <strong>Au</strong> minimum donc, pour cequi est des compétences sociales, laclasse est un environnement danslequel l'élève fait preuve de civismeet adopte des attitudes qui resterontà la base du civisme au cours detoute la vie. Toutefois, cette dimensionde l’éducation sociale se vitd’autant mieux s’il y a concertationdans l’équipe éducative, et si toutel’école se place délibérément dansun climat d’interaction qui favorisele civisme. Cela se situe naturellementdans l’ordre du projet éducatifde l’école.Il se trouve ensuite un second degréd’ambition, qui touche, cette fois,les compétences sociales. Il s’agitde développer deux capacités impossiblesà travailler et à mettre enjeu dans la solitude. D’abord, lacapacité de travailler intellectuellementà plusieurs et d’être productifsà plusieurs. Ensuite, la capacitéde « délibérer » en groupe, d’échangerdes arguments, de profiter deceux des autres, d’écouter vraimentses pairs. La première capacité esttrès précieuse pour le travail et lavie active. Parmi les capacités génériquesprivilégiées par tous lesobservateurs sociaux du point devue d’une préparation à quelquecarrière que ce soit, c’est, au-delàdu potentiel intellectuel le plusdéveloppé possible, la principale. Ilfaut prendre cela comme un faitincontournable.Trop de critiques humanistes del’éducation sursautent à l’idée que legrand patronat, sous la forme, parexemple, du Conference Board duCanada, affirme cela, et dénoncentle tout comme une perversion utilitaristeou fonctionnaliste d’uneécole qui devrait s’arc-boutersur son idéal d’épanouissementPÉDAGOGIQUE 45<strong>DOSSIER</strong>
<strong>DOSSIER</strong>personnel. Pourtant, même du pointde vue de l’épanouissement personnel,réussir à trouver de la joie dansune productivité collective, un travailcoopératif réussi, c’est aussi unacquis précieux.La seconde compétence sociale nonbanale a ses propres exigences. Ils’agit d’une capacité de délibérationà plusieurs. C’est le dialogue portésur le terrain d’enjeux sérieux, dedilemmes, de situations complexes.Discuter en travaillant la rigueur, lalogique et la capacité persuasive deson propre propos, tout en accueillantle propos analogue de son visà-vis,n’est pas une chose simple.Mais ce serait gravement disqualifierle secondaire que de penser queseuls le cégep et l’université sontdes lieux appropriés pour cela.L’apprentissage de la délibération,du débat, d’une recherche quiavance par des échanges de propossensés, d’objections et par la clarificationde consensus partiels reposesur le développement de l’espritcritique. L’esprit critique, ce n’estpas du tout l’esprit combatif, quis’emploie à disqualifier d’entrée dejeu ceux et celles qui ne pensentpas comme moi. Ici, le professeurest un modèle incontournable,parce que sa propre position sur unsujet ne se présente pas comme « ledernier mot », la fin d’une démarchede recherche, mais souventcomme son amorce.La capacité de délibération sociale ades affinités directes avec l’éducationpolitique, l’éducation du citoyen.Le citoyen qui se sent commeune marionnette des pouvoirs enplace réagit émotivement et par« tout ou rien », en adoptant uncamp dans la lutte universelle pourle pouvoir et ses divers avantages. Lecitoyen critique capable de délibérergarde une distance par rapportaux slogans de son propre parti ougroupe d’intérêt. Comme il a l’habitudede s’efforcer de comprendredes enjeux avant de s’engager…Dans l'enseignement secondaire, ladélibération ne peut pas jouer toujourset partout. Il ne s’agit pas deréinventer Galilée ou l’algèbre !Cependant, la disposition à s’écoutermutuellement avant de se réfuternécessite un certain climat, unebribe d’éthique intellectuelle. L’élève,s’il a à changer d’idée, ne peut lefaire qu’à partir de son idée présente.Comment l’aider sans comprendrecelle-ci ?L’HORIZON D’UNECOMMUNAUTÉ DE RECHERCHEEnfin, il y a, au-delà des compétencessociales de civilité et dedélibération, un optimum pensable,pour ce qui est d'un idéal pédagogique: celui d’une classe fonctionnanten communauté de recherche.Cela découle en droite ligne derecherches approfondies sur ce quesignifie devenir expert. « Expert »,rappelons-le, est un terme plus fortque « compétent ». La différenceprincipale entre la personne compétenteet la personne experte, c’estque la première profite de sesacquis, de la libération d’énergiementale accomplie par une maîtrisesuffisante d’un problème, d’unprocédé ou d’un diagnostic pour sedétendre et prendre du bon temps,tandis que la seconde réinvestitl’énergie mentale disponible pouraller plus loin dans le domaine. CarlBereiter et Marlene Scardamalia ontétudié les implications de cettemarge pour l’école dans un livreremarquable : Surpassing Ourselves.An Inquiry Into the Nature andImplications of Expertise (Chicago,Open Court, 1993). Ils rejoignentl’idée de la classe comme une communautéd’apprenants, développéede façon convergente dans unrécent avis du Conseil supérieur del’éducation : L’école secondaire, unecommunauté éducative (1998).Bereiter et Scardamalia se situent àla jonction des compétences intellectuelleset des compétencessociales lorsqu’ils décrivent lesprincipes directeurs d’une classefonctionnant en « groupe de productionde savoir » :«L’éducation scolaire basée sur lemodèle d’un » groupe de productionde savoir » a les caractéristiquesdistinctives suivantes :1° Il s’y trouve une étude soutenueet en profondeur des sujets, parfoisétendue sur des mois, plutôtqu’un vaste survol superficiel.2° L’attention se concentre sur desproblèmes plutôt que sur descatégories de connaissances;non pas « le cœur » mais « commentle cœur fonctionne-t-il ? »3° La recherche est impulsée parles questions des élèves. Le professeuraide les élèves à poserde meilleures questions et lesencourage à reformuler lesquestions à des niveaux plusapprofondis à mesure que larecherche avance.4° Le défi dominant est celui d’expliquer.Les élèves sont poussésà présenter leurs propres théoriespour rendre compte desfaits et à critiquer mutuellementleurs théories en les confrontantaux faits.5° Même si les professeurs portentattention au progrès individueldes élèves, l’attention quotidienneporte d’abord sur les butscollectifs de compréhension etde jugement plutôt que sur l’apprentissageet le rendementindividuels.6° Il y a peu de travail scolaire traditionneloù tous les élèves travaillentindividuellement en faisanttous la même chose. Defaçon plus générale, les élèvestravaillent en petits groupes;chaque groupe a une tâche particulièreliée au thème central etplanifie la distribution du travailentre ses membres.7° La parole est prise au sérieux.On attend des élèves qu’ilsréagissent au travail des autreset on leur montre à le faire defaçon aidante et encourageante.8° Le savoir propre du professeurne limite pas ce qu’il faut apprendreou chercher. Les professeurspeuvent contribuer à la démarchepar leur savoir, mais il y ad’autres sources d’information.9° Le professeur reste le leader,mais son rôle se déplace : il nese tient plus en dehors de ladémarche d’apprendre pour laguider; il y participe activementet sert de leader à titre d’apprenantplus expert. »Cela n’est pas une utopie, mais c’estrare et difficile. <strong>Au</strong> minimum, il fautapprendre aux élèves à travaillerensemble. <strong>Au</strong> mieux, comme ici, ilsle font d’abord et avant tout pourapprendre encore plus d'unemanière authentique. En quelquesorte, la boucle est bouclée : lescompétences sociales contribuentdirectement aux compétences intellectuelles.UNE CONTRIBUTION DE TOUTESLES DISCIPLINES À LA MAÎTRISEDE LA LANGUELa quatrième et dernière catégoriede compétences transversales colleà une difficulté propre aux étudessecondaires. Elle s’appuie sur uneconstatation bien connue : s’il n’y a,au secondaire, que dans la classede français que le français estimportant, les résultats seront décevantset on perpétuera les plaintesdes professeurs de cégep. D'abord,on apprend à lire puis, de plus enplus, on lit pour apprendre. Si l’habiletéinstrumentale qu’est la lecturen’est que très peu utilisée àl’école elle-même, elle stagne, ellen’atteint pas les niveaux d’aisance etde compréhension qu’il faut. Il enva de même pour l’écriture : sipresque partout, sauf en classe defrançais, on peut se passer d’écrirepour raffiner son analyse et sonargumentation ou d’écrire aussipour s’exprimer, c’est peine perdue.Il y a alors très peu de chancesd’atteindre un niveau de high literacy,comme le disent les chercheursnord-américains. Il s’agit là, eneffet, d’établir un rapport intimeavec la langue, un rapport sensibleà sa souplesse, à ses nuances, à sarichesse. Le vrai moment propicepour acquérir un rapport étroit,aisé, fin, avec une langue orale correcteet avec la langue écrite setrouve à partir du milieu du secondaire.Cela ne se rattrape pas dansun baccalauréat en informatique,en administration des affaires ou engénie. Même un baccalauréat ensociologie n’est pas une garantie derattrapage, sur ce terrain.Qu’est-ce que des cours de biologie,de mathématique, de musique et degéographie peuvent fournir dans uneffort convergent de maîtrise de lalangue ? L’exercice de l’écrit ? L’imprégnationpar une langue oralecorrecte ? La frousse de « perdre despoints » pour l’écriture ? La seulefaçon d’aller au-delà d’une pressionsymbolique en corrigeant le françaispartout, c’est de travailler entre professeursde français et professeursde sciences, ou de mathématiques,VIE 46 Vie pédagogique 116, septembre-octobre2000Photo : Denis Garon
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