Vie pédagogique 116, septembre-octobre2000habiletés, facilite la gestion de laclasse en permettant aux enseignantsde s'adresser à desgroupes relativement homogènesplutôt que d'avoir à adapter lecurriculum.• L'ancrage des programmes d'étudesdans des manuels de baseet des ensembles didactiques« approuvés » réduit, pour lesenseignants, le besoin d’acquérircertains types d'expertise et letemps nécessaire pour mettre aupoint leur propre matériel.• Les classes centrées sur l'enseignementplutôt que sur l'apprentissagerenforcent le contrôlede l'enseignant, simplifientla planification et le suivi desélèves.La réforme sera donc difficile à vendreet encore plus difficile àsoutenir si elle ne doit bien fonctionnerqu'avec des enseignants quiauront développé des capacitéshors de l'ordinaire : extraordinairemaîtrise des contenus disciplinaires;temps, volonté et capacitéde créer du matériel pédagogiqueoriginal; habileté à enseigner à desgroupes hétérogènes et à maîtriserde tels groupes d'élèves, tout enleur accordant la liberté d'apprendreun peu plus par eux-mêmes.Voilà donc des raisons pourlesquelles, en vertu d'une commoditéorganisationnelle évidente, desmodes traditionnels d'organisationse maintiennent.DES LIENS QUI SONT FLOUSWeick (1976) prétend que lesorganisations scolaires sont composéesde sous-systèmes liés entreeux par un réseau de liens flous.Par cette expression, relate Barnabé(1997), « […] il (Weick) désirepasser l'image que des événementssont liés, mais que chacun conserveson identité et quelque évidence desa séparation physique oulogique ». C'est ainsi que d'autresauteurs (Hoy et Miskel, 1991) ensont venus à dire que l'organisationscolaire a des buts ambigus, uneparticipation inconstante, des activitésnon coordonnées, des élémentsstructurels faiblement reliéset une structure qui influe très peusur les résultats. Ce sont sans douteces caractéristiques qui permettentà l'école de vivre et de se développermalgré les contradictionsqu'elle porte en elle.Les gestionnaires ont beaucoup depouvoir sur les crédits budgétairesalloués, les horaires, l'attributiondes ressources matérielles, etc.,mais peu sur le processus de l'instruction.Parce que l'enseignementse déroule généralement derrièreune porte close, seuls les enseignantset les élèves peuvent vraimentsavoir quel curriculum s'appliqueen classe. À l'extérieur dumonde de l'éducation, la plupartdes gestionnaires peuvent exercerune influence sur le rendement deleurs employés en manipulant certainsmécanismes traditionnels :rémunération en fonction du rendementréel, système de promotion,activités de perfectionnement, plansde carrière, etc. En revanche, undirecteur d'école peut très difficilementcongédier un employé incompétent.Quant aux salaires, ils sontfixés en fonction de l'expérience etdes années de scolarité. Les brevetsd’enseignement sont bons « à vie »sans obligation de remise à jour, etles actes professionnels ne sont officiellementl’objet d’aucun code dedéontologie reconnu. De plus,hormis un accès à certains postesde direction ou de conseillers pédagogiques,il n'existe pas de plan decarrière pour quelqu'un qui voudraitdemeurer associé de près àl'enseignement. Tout cela a conduit,dans les faits, à une autonomie relativetrès importante des enseignantset rend difficile pour les gestionnairesla supervision du curriculumofficiel et de son application enclasse.L'ÉCOLE A UNE EXTRAORDI-NAIRE FACULTÉ D'ADAPTATIONS'il est si difficile de réformerl'école, c'est également à cause deson énorme faculté d'adaptation. Lesystème scolaire fait preuve degénie pour incorporer les changementscurriculaires sans avoir à seréorganiser en profondeur. Pour yarriver, il mise principalement surson formalisme et sa segmentation.Le formalisme, selon Le PetitLarousse, c'est d'abord un attachementaux formes. Il se manifestera àl'école par la façon dont, entreautres, le personnel enseignantadoptera le langage et la terminologied'une réforme sans altérer fondamentalementce qu'il fait chaquejour. La structure très segmentée ducurriculum, quant à elle, permetPhoto : Denis Garonaux écoles d'adopter les nouveauxprogrammes par simple processusd'addition. Il sera toujours possiblede coudre un nouveau segment à uncurriculum déjà fragmenté parceque les additions ne nécessitentaucune réorganisation de l'ensemble.C'est pourquoi l'école est relativementtolérante en ce qui touchel'incorporation de programmesdont les objectifs sont contradictoiresou, au mieux, redondants. Enabandonnant tout engagementd’élaborer un curriculum cohérentet de rendre compatibles les objectifsvisés, les écoles peuvent facilementrécupérer toutes les nouvellesinitiatives sans forcer les changementscollatéraux qui pourraient endécouler. Le résultat, c'est que l'écoleparaît ouverte au changement,alors qu'en fait elle résiste passivement.Cette adaptation est d’autantplus facile que les changementspédagogiques les plus fondamentauxcontenus dans les réformes quiont ponctué le passé récent de l’écolequébécoise n’ont quasimentjamais eu de caractère prescriptif.Claude Paquette, dans une conférencequ’il a donnée aux directionspédagogiques de l’Associationquébécoise des écoles secondairesprivées, a trouvé un nom qui siedbien à cette stratégie peu communed’implantation du changement :c’est le « tentage » (ça te tentes-tu?).Les liens entre l'enseignement etl'apprentissage sont ténusMême si les enseignants, transformaient,au prix de considérablesefforts, le curriculum usuel pourl'aligner sur la réforme, rien negarantirait que les élèvesapprendraient en classe ce qui leurest proposé dans le nouveau curriculum.La loi force la présencedes élèves sur les bancs d'écolejusqu'à l'âge de 16 ans. Le marchédu travail les y maintient pluslongtemps encore. Leur présenceobligée derrière un pupitre ne seracependant jamais une garantie deleur engagement cognitif. On peutmener le cheval à la rivière, dit leproverbe, mais on ne peut le forcerà boire. C'est pourtant au curriculumreçu que l'on devra véritablement,en dernière analyse, jauger lesuccès d'une réforme et justifierdevant la population les ressourcesfinancières, humaines et matériellesque l'on y aura, en son nom,investies.EN CONCLUSIONLa question à se poser à l’heureactuelle, c'est de savoir si la dévolutionà l'école de pouvoirs supplémentairesen matière de pédagogie,l'interdisciplinarité et la transversalitéà partir desquelles on a charpentéles nouveaux programmes,l'approche par compétences etl'organisation de l'enseignementpar cycles pluriannuels suffiront àfaire contrepoids aux caractéristiqueset aux perceptions qui forgentla culture essentielle de l'écolequébécoise. Chacun des élémentssur lesquels nous nous sommesattardés n'a possiblement pas lemême poids dans ce qui pourraitêtre appelé « l'équation de la résistanceau changement ». Chaqueétablissement a sans doute sa propreéquation à l'intérieur de laquellechaque variable a son proprepoids relatif. Mais nul doute qu'ilfaut sérieusement réfléchir sur lafaculté d'adaptation qu'a acquisel'école, sur sa capacité de vivre avecPÉDAGOGIQUE 55
des objectifs divergents et sur sonaffection pour la commodité organisationnelledes modèles plus traditionnels.Cette réflexion devraaussi tenir compte des attentes desnombreux acteurs, à qui l’on vientd'accorder des pouvoirs accrus, etqui croient en général à l'efficacitédu curriculum traditionnel, àl'école et aux enseignants tels qu'ilsles ont toujours connus et quientretiennent pour leurs enfants desattentes au regard de la mobilitésociale qui peuvent avoir commeeffet, en certaines circonstances, deplacer les résultats scolaires et lesunités devant les apprentissages.Enfin, combien cela prendra-t-il deréformes pour changer une seuleécole ? Dans l’état actuel deschoses, une seule, croyons-nous…à la condition toutefois que l'écoleveuille bien changer (ou que nouslui fassions une offre… qu’elle nepourra pas refuser) !Marc St-Pierre est coordonnateurdes services à l'enseignementà l'Association québécoisedes écoles secondairesprivées.BibliographieBARNABÉ, C. La gestion totale de la qualitéen éducation, Montréal, Éditions Logiques,1997.CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION DUQUÉBEC. Les enjeux majeurs des programmesd’études et des régimes pédagogiques,avis au ministre de l’Éducation,Québec, Les Publications du Québec, 1999.GOODLAD, J. A Place Called School, NewYork, McGraw-Hill, 1984.HOY, W. K., et V. G. MISKEL. EducationalAdministration : Theory, Research andPractice, 4 e éd., New York, McGraw-Hill,1991.LABAREE, D. F. How to Succeed in SchoolWithout Really Learning : The CredentialsRace in American Education, New Haven,Yale University Press, 1997.PAQUETTE, C. La grammaire du changementen profondeur, conférence donnée àl'assemblée du printemps des directionspédagogiques de l’Association québécoisedes écoles secondaires privées, Trois-Rivières, 22 avril 1999.PERRENOUD, Ph. « Plaidoyer pour des cyclesd’apprentissage de plus de deux ans », Éducateur,n° 7, 28 mai, 1999, p. 28-33. URL :http://www.unige.ch/fapse/acces/listesse/acperrenou.htmlTYACK, D., et L. CUBAN. Tinkering TowardUtopia : A Century of Public SchoolReform, Cambridge, Harvard UniversityPress, 1995.WEICK, K. E. " Educational Organizations asLoosely Coupled Systems ", AdministrativeSciences Quaterly, vol. 21, 1976, p. 1-19.en abrégé25 E CONGRÈS INTERNATIONAL DE L’AQETAenabrégéEn mars dernier, avait lieu le25 e Congrès international del’Association québécoise pourles troubles d’apprentissage. Axésur le thème Devenir citoyen, undéfi pour tous, l’événement a attiré,comme c’est le cas chaque année,plus de mille personnes.Dès le départ, le ministre de l’Éducation,M. François Legault, a rappeléson engagement à soutenir lacause des élèves en difficulté et adressé le bilan des actions accomplies.Il a ensuite insisté sur le butvers lequel doivent tendre tous ceuxet celles qui interviennent auprèsdes élèves en difficulté d’adaptationou d’apprentissage : l’insertionsociale et la qualification de cesélèves. En terminant, le Ministre atenu à souligner qu’il faut affirmerl’importance de l’éducation etreconnaître que la réussite éducativedes élèves se joue établissementpar établissement. C’est pourquoichacun d’eux sera invité à se doterd’un plan de réussite.CONFÉRENCE D’OUVERTUREPrononcée par M. Jacques Tardif,professeur à la Faculté d’éducationde l’Université de Sherbrookeet auteur d’ouvrages réputés, laconférence d’ouverture s’intitulaitDevenir citoyen grâce au développementde multiples compétences.D’entrée de jeu, le conférenciera affirmé que l’écoleconstitue un lieu privilégié desocialisation des jeunes et d’éducationà la citoyenneté de même qu’unlieu de pratique d’une citoyennetédémocratique. Cependant, l’éducationà la citoyenneté exige quel’école se préoccupe d’inculquerdes valeurs et qu’elle en préconisequelques-unes. L’éducation à unecitoyenneté démocratique s’appuiesur les valeurs suivantes : l’égalitéde tous les êtres humains, le respectde la dignité humaine, la valorisationde la liberté, l’ouverture auxdifférences et la résolution pacifiquedes conflits. De plus, toutel’équipe-école est responsable del’éducation à la citoyenneté, et chaquemembre doit se soucier nonseulement du rapport aux autresmais aussi du rapport à l’autre.M. Tardif considère que pourfavoriser l’éducation à la citoyenneté,l’école doit miser sur la transdisciplinarité,la résolution deproblèmes complexes, la penséecritique, les évidences contradictoireset les interprétations transculturelles,puis aider l’élève àacquérir des compétences decitoyen dans l’action et dans laréflexion sur l’action.LA FORMATION DU CITOYEN SECACHE À L’ÉCOLE AU CŒUR DELA CONSTRUCTION DU SAVOIRTel était le titre de la deuxièmeconférence, donnée par MmeÉtiennette Vellas, chargée d’enseignementà la Faculté de psychologieet des sciences de l’éducation àl’Université de Genève. « Qu’on leveuille ou non, on apprend à l’écoleà devenir un citoyen », affirme laconférencière. Il faut donc déciderquelle sorte de citoyen on veut formeret déterminer quels sont lesthéories de l’apprentissage et lesrapports aux savoirs qui s’avèrentles plus propices. Si l’on adopte unecitoyenneté planétaire, il est certainque les citoyens auront à confronterleurs points de vue et que l’écoleaura à faire acquérir les compétencespour y arriver. Elle devradonc axer la formation sur leraisonnement, l’argumentation, laproblématisation et le phénomènedu pouvoir partagé (liberté et contraintes,droits et obligations). Lapersonne devra savoir être une parmiles autres, tout en prenant saplace, avoir le courage de s’exprimeret courir le risque de la penséecritique.Or si l’on examine de quelle façonles jeunes ont à exercer leur métierd’élèves actuellement, on constateque les occasions de discuter, dechercher, de prendre des initiativeset de remettre en cause des idéesou des pratiques sont plutôt rares.On attend d’eux qu’ils écoutent bien,remplissent des fiches, respectent laparole des enseignants et répondentà des questions au lieu d’en poser,ce qui les mène à mettre en œuvredes stratégies infantiles : ne pas diresa pensée, fuir la prise de parole,tirer son épingle du jeu, vivre dansle non-sens, râler dans son coin, sevenger à la sortie de l’école, etc. Onforme ainsi un citoyen docile qui nesent pas qu’il a le pouvoir d’agirdans la société. Il se dégage del’examen de la situation actuelleque les enseignants fondent leurpratique pédagogique sur desthéories de l’apprentissage nonsocioconstructivistes et qui ne permettentpas d’acquérir les compétencesdu citoyen en même tempsque se construisent les savoirs.Modifier la conception de l’apprentissageainsi que le rapport ausavoir des enseignants pour qu’ilsadoptent des pratiques socioconstructivistesn’est pas simple, laconférencière en convient. Ils n’ontété formés ni à ces pratiques ni parces pratiques. Cependant, l’école nepourra pas esquiver la question.Elle devra préciser son projet deformation du citoyen et se demanderce qu’il faut changer aux modesde transmission des savoirs pourque les élèves puissent devenir descitoyens dans l’acte même d’apprendre.Outre les conférences, l’événementoffrait la possibilité de participer àde nombreux ateliers. Nous avonsassisté à deux d’entre eux : le premierportrait sur le défi de l’éthiqueet de la déontologie pour tous lesenseignants de toutes les disciplineset le second, sur le rôle de l’orthopédagogue.<strong>Au</strong> cours de ce congrès,nous avons pu constater que, dansles ateliers comme dans les conférences,des questions de fond ontété courageusement abordées etdes avenues nouvelles audacieusementexplorées. Cependant, commetoujours lorsqu’il faut changer desconceptions et des pratiques, lepassage à l’acte est difficile et ilexige accompagnement et soutien.VIE 56 Vie pédagogique 116, septembre-octobre2000
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