Trouver la vérité doit permettre de découvrir une issue pour sortir du chaos du souvenir. A la recherche de la vérité Les fake news, les fake facts, les fake stories existent mais le fake trauma (faux traumatisme) existe-t-il aussi? Et si oui, comment le distinguer des vrais traumatismes? Karsten Prause, chef de clinique au Zentrum für psychosoziale Therapien, Psychiatrie Bâle-Campagne Photo: © Adobe Stock 40 3/19 VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal
Point de mire Le psychiatre et philosophe Karl Jaspers s’est exprimé en ce sens: «La vérité est un processus entre des personnes parlant sincèrement.» Cette phrase commune du postmodernisme perturbe par son relativisme. Le savoir objectif, définitif avait déjà été aboli par Kant qui disait que l’Homme ne peut rien reconnaître en dehors de ses catégories conceptuelles. La tournure très actuelle de «fake quelque chose» suggère d’une part à tort qu’il s’agirait d’un nouveau phénomène, d’autre part que le concept de vérité objective existerait encore. Les Hommes racontent des histoires, des narrations, ils les disent vraies ou sont peut-être euxmêmes convaincus qu’elles le sont. Ceux qui, il y a 20 ans, défendaient encore la «société du savoir» avec une ferveur positiviste, se trouvent parfois désemparés face au «producteur de fake» se présentant comme la vérité et qui prétend avec insolence représenter la vérité. Cela concerne par exemple la recherche pharmacologique lorsque des études aux résultats indésirables ne sont pas publiées ou le nombre croissant des négationnistes qui nient les souffrances vécues par des personnes d’abord stigmatisées idéologiquement, puis traumatisées. Après plusieurs siècles de déni et de banalisation des personnes ayant subi un traumatisme psychique, il existe tout de même aujourd’hui, dans les Etats démocratiques, une culture – malheureusement pas inattaquable – qui s’efforce de prendre au sérieux les personnes traumatisées et de leur apporter une aide thérapeutique. Le traumatisme oublié Celui qui veut distinguer le faux du vrai doit d’une part se confronter aux motivations des locuteurs, d’autre part aux conditions et aux contenus de ce qui est dit. Dans le débat autour du traumatisme, précisément en lien avec les réfugiés, la question se pose toujours de savoir si ce qu’une victime a par exemple vécu comme acte de violence correspond vraiment aux «faits». En effet, il y a des personnes qui simulent des maladies. Cela peut se produire délibérément, de manière frauduleuse, ou bien il s’agit du «trouble factice» rare (CIM-10: F68.1) avec lequel les patientes et les patients sont certes conscients qu’ils simulent mais ne savent pas pourquoi. Il est spécialement fréquent en psychotraumatologie que des traumatismes aient été totalement oubliés: «Williams (1994) et Williams et Banyard (1997) ont, dans une étude de suivi, examiné des hommes et des femmes qui avaient été admis au service des urgences d’un hôpital au début des années 70 suite à des abus sexuels sur enfants. Ils ont découvert qu’à l’époque de cette étude (17 années après), 38% des femmes et 55% des hommes ne se rappelaient plus de l’abus qui avait été documenté avant. Sur les femmes qui s’en souvenaient, 16% reconnaissaient qu’il y avait, par le passé, une époque pendant laquelle elles ne se rappelaient absolument pas que quelque chose de ce genre leur était arrivé.» [1] Mais dans ce contexte, les expériences durant lesquelles de «faux souvenirs» sont simplement «glissés» aux sujets sont particulièrement déconcertantes. Lors de l’expérience «lost in the mall», on présenta à des étudiants trois histoires vécues de leur enfance qui avaient été recueillies auprès de proches. A celles-ci s’ajoutait à chaque fois une histoire qui n’avait absolument pas eu lieu. Dans l’évaluation de ces narrations, 6 sujets sur 24 prétendaient que l’histoire fausse était vraie et 5 des sujets qui se trompaient qualifiaient de faux un événement qui avait réellement eu lieu. [2] Il est fréquent que nous supposions que notre mémoire consulte toujours de la même manière ce qui a été enregistré une fois et que les contenus restent inchangés. Mais de récentes études sur la mémoire [3] ont révélé que la mémoire fonctionne de manière beaucoup plus «douce» et pragmatique que ce que nous supposions jusqu’alors. A chaque récupération d’un souvenir dans la mémoire dite déclarative, c’est-à-dire la structure de mémoire qui enregistre les événements et les informations traités avec un code linguistique et sans affect, certains contenus peuvent changer de manière imprévue. Cela peut s’expliquer par le fait que les informations ne sont pas «matériellement inscrites» mais qu’elles sont représentées de manière dynamique par un modèle d’activité neuronal, maintenu de manière constante. De plus, le cerveau utilise toujours les mêmes structures neuronales pour le souvenir, la perception et l’imagination. Dans notre cerveau, il n’existe pas d’emplacement de stockage spécifique («disque dur») pour les informations. Le SSPT, une maladie du souvenir On pourrait désigner le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) comme une «maladie du souvenir»: la personne traumatisée ne souffre plus de l’événement en luimême car il est passé mais du souvenir de celui-ci. Les souvenirs de traumatismes ont un effet traumatisant car ils n’ont pas pu être enregistrés dans la mémoire «froide» déclarative comme récit traité. Ils sont enregistrés comme un «patchwork affecto-cognitif» sous la forme de souvenirs dits fragmentés qui activent constamment la réaction de stress générale dans la mémoire «chaude», implicite. Cette mémoire implicite n’a pas de structure linguistique et reste fortement liée, dans le vécu du souvenir, aux sentiments associés alors. Ces sentiments étant liés aux «images d’horreur» ou «films intérieurs» correspondants, les personnes concernées ont de grandes difficultés à raconter ces expériences traumatiques de manière cohérente lors d’une séance thérapeutique ou dans le cadre d’une procédure de demande d’asile. C’est ici souvent la manière spéciale, souvent très honteuse, parfois contradictoire, avec VSAO /<strong>ASMAC</strong> Journal 3/19 41