360° magazine / septembre 2021
No.206
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Mais tu vois, baba, je refuse d’y aller sans que Pauline<br />
puisse me tenir la main ; sans que je puisse raconter<br />
ma vie au village, ma vie de gouine, de lesbienne, de<br />
migrante, de précaire. Contrairement à ce que tu leur<br />
racontes, je ne travaille pas à l’ONU et je n’en ai aucune<br />
envie. J’aurais continué à connaître des fins de mois<br />
difficiles si Pauline n’avait pas ce sens aigu d’une justice<br />
sociale qui l’amène à partager sans rien attendre.<br />
Être migrante, en Suisse, ce n’est pas la descente d’un<br />
long fleuve tranquille pendant que Heidi me salue de la<br />
tête en croquant une tablette de chocolat. Et tout ça,<br />
baba, je pense que ça aurait pu être compris.<br />
12h30<br />
Elo m’attend en bas de l’EMS, je lui tombe<br />
dans les bras. Elle se pose devant ta chambre,<br />
présence rassurante, quand j’ouvre la porte.<br />
Tu n’es plus là. Il y a cette odeur des deux dernières<br />
années, l’odeur des murs de l’institution,<br />
de l’enfermement, de ta tristesse. Je suis<br />
bloquée, je regarde, je respire péniblement.<br />
Puis je la vois : ta montre. Son tic-tac continue<br />
alors que le tien a cessé. À ce détail, je<br />
ressens le manque, un manque viscéral qui<br />
me surprend.<br />
On n’a jamais été aussi proches que quand on ne pouvait<br />
pas se parler. Je t’ai tenu la main toute l’après-midi<br />
d’hier. J’ai mis ta musique, notre musique, nos chants.<br />
Au son de ton frère, ta main s’est levée en défiant les<br />
lois de la morphine, tu m’as cherchée, j’en suis sûre, et<br />
je suis encore restée.<br />
12h55<br />
Ta photo trône sur une table devant l’ascenseur<br />
de ton étage, la flamme d’une bougie<br />
LED vacille au passage d’un vent imaginaire.<br />
Ma gorge se noue, une aide-soignante s’approche<br />
: « Il était formidable, votre père. »<br />
Décalage.<br />
Nous descendons au sous-sol où, me dit-on, « tu<br />
reposes ». Je réalise. C’est fini. Je prononce cette<br />
phrase absurde « on se pardonne, on va tout se pardonner<br />
». Est-elle venue par dévouement, par culpabilité<br />
ou pour me délester de tout le poids ? J’ai peine<br />
à te laisser, baba, mais je dois te trouver un pope, un<br />
pope et une église.<br />
LA CHRONIQUE D'AYMERIC DALLINGE<br />
LE PARFUM DES FLEURS<br />
Aymeric Dallinge est militant pour l’amour et la<br />
liberté. Lorsque le temps lui est offert, il s’octroie<br />
rêves et douceur.<br />
Alors que la pluie et les nuages mènent le bal au<br />
dehors, ces petits soleils illuminent les jours qui<br />
se suivent. Juché sur la table basse du salon, le<br />
bouquet resplendissant apporte lumière et joie.<br />
Je me laisse aller à les imaginer grandir en pleine<br />
nature face au soleil éclatant. C'est si beau de voir<br />
de petites graines devenir des joyaux de la nature.<br />
Les fleurs sont douces et parfaites. elles<br />
marquent ces instants que l'on vit. Ce<br />
geste affectueux lors d'un rendez-vous,<br />
ces arrangements pour un « au revoir » à<br />
la personne que l'on a aimée, cette boutonnière<br />
pour un mariage ou le lancer du<br />
bouquet, symbole de tradition. Elles sont<br />
là, partout autour de nous. On y marque de<br />
vives attentions ou de l'ignorance.<br />
Rappelez-vous pourtant le merveilleux parfum de<br />
la rose. Qu'elle soit rouge, jaune ou blanche, laissez-vous<br />
emporter par sa délicatesse. Caressez<br />
ses pétales de velours.<br />
Il est temps de saisir l'éphémère, cet instant<br />
qui apporte jouissance alors qu'il disparaîtra<br />
aussitôt. Respirons ensemble la<br />
saveur du moment et figeons-le dans nos<br />
mémoires.<br />
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