360° magazine / septembre 2021
No.206
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C’est aussi une invitation à l’auto-réflexion, afin de<br />
ne pas reproduire inconsciemment envers autrui ces<br />
mêmes stéréotypes qui nous oppriment. Ici encore, l’aspect<br />
interactif et participatif des événements joue un<br />
grand rôle : Le but est de créer un safe space pour des<br />
personnes fem* et queer afin de pouvoir explorer ces<br />
questions collectivement, pour mieux comprendre soimême<br />
et autrui à travers une pratique communautaire.<br />
Observes-tu plus de violences envers les personnes<br />
queer ces dernières années ?<br />
C’est difficilement évaluable, mais personnellement,<br />
j’ai l’impression qu’il n’y a pas plus<br />
de violences qu’avant envers des personnes<br />
queer – les gens se mobilisent plus pour les dénoncer<br />
! Les violences, non seulement contre<br />
la communauté queer, mais aussi les violences<br />
sexistes, racistes et autres, sont enfin moins<br />
banalisées et les gens s’organisent collectivement<br />
pour lutter contre ces violences systémiques<br />
ensemble. En outre, les média sociaux<br />
figurent également comme un important vecteur<br />
de réseautage et comme un porte-voix qui<br />
permettent à ces problèmes de devenir plus<br />
médiatisés et donc plus visibles, ce qui permet<br />
de donner des forces aux individus souhaitant<br />
sortir de l’isolement et du silence – même si les<br />
algorithmes en vigueur sur les réseaux sociaux<br />
essaient d’empêcher ces alliances.<br />
Comment l’expliques-tu ?<br />
J’ai l'impression que nous nous trouvons actuellement<br />
dans un moment charnière : nous<br />
vivons la plus grande crise du capitalisme depuis<br />
le début du XX e siècle – un capitalisme<br />
patriarcal, sexiste, hétéronormatif, raciste,<br />
validiste et classiste. L’augmentation de la<br />
violence policière est juste un exemple de<br />
l’acharnement des dominant·e·x·s de délégitimer<br />
la parole de tou·te·x·s celleux qui mettent<br />
en question l’ordre en vigueur et qui se révoltent<br />
contre ces violences systémiques.<br />
En tant qu’artiste, estimes-tu que ton travail a une portée<br />
politique ?<br />
Dans tous mes projets, il y a une forte dimension<br />
politique, même si elle n’est pas toujours<br />
explicite. Comme notre vie privée, tout ce<br />
que nous vivons et donc aussi mon art est<br />
inscrit dans un système social, et pose donc<br />
forcément des questions politiques.<br />
L’art contemporain est-il un safe space pour les personnes<br />
queer ?<br />
Non ! L’art contemporain est un espace traversé<br />
par les mêmes mécanismes d’exclusion,<br />
rapports de force et systèmes de valeurs que<br />
toute notre société. C’est un espace capitaliste,<br />
dominé par des hommes blancs, riches, valides<br />
et cis-hétéronormés. Ainsi, les institutions artistiques<br />
(à part quelques précieuses exceptions)<br />
privilégient la production d’œuvres qui sont<br />
destinées au marché de l’art, aux galeries et aux<br />
collections privées et non pas à un public queer,<br />
fem* ou racisé. Si des sujets queer sont traités<br />
dans l’art contemporain, c’est plutôt à la surface,<br />
comme une mode, sans pour autant prendre au<br />
sérieux les réelles intentions et questions politiques<br />
brûlantes qui se cachent derrière cette<br />
esthétique « flamboyante » et « excentrique » si<br />
convoitée. Ceci est également reflété par la difficulté<br />
en Suisse de trouver du soutien financier<br />
durable et juste pour des projets artistiques qui<br />
touchent explicitement aux questions queer<br />
et féministes. Cependant, il y a de l’espoir et la<br />
volonté de beaucoup d’artistes et de quelques<br />
institutions de créer des micro safe spaces<br />
pour ces communautés marginalisées, notamment<br />
dans le domaine de la performance<br />
et surtout aussi en collaboration avec le monde<br />
de la nuit. Ces espaces éphémères permettent<br />
aux personnes queer de se connecter et de se<br />
construire ensemble.<br />
Le projet HVNGRY for more apporte-t-il des angles<br />
différents ?<br />
Bien qu'au cours des dernières années, de nombreuses<br />
avancées législatives aient été réalisées<br />
qui accordent davantage de droits et de<br />
protection aux personnes queer et au BIPOC<br />
(Black, Indigenous and People Of Colour), il<br />
reste un grand besoin de réforme avant que<br />
l'on puisse parler d'une société où tou·te·x·s<br />
auraient des droits égaux. En Suisse, le droit<br />
pénal précédemment applicable contre le racisme<br />
a finalement été étendu pour inclure la<br />
discrimination fondée sur l'orientation sexuelle<br />
– l’homophobie est désormais punissable en<br />
Suisse. Cependant, la discrimination fondée<br />
sur l'identité de genre n'est toujours pas<br />
incluse – la violence contre les personnes<br />
trans* et intersexes n’est actuellement pas<br />
punissable en Suisse. Ma nouvelle série photographique<br />
HVNGRY for more est une suite du<br />
projet HVNGRY. Composée de portraits de personnes<br />
non-binaires, de personnes trans* et de<br />
QTPOC (Queer and Trans People Of Colour), la<br />
série traite moins de la réappropriation d’insultes<br />
sexistes. Il s'agit plutôt de donner aux<br />
personnes représentées l'espace pour exprimer<br />
librement leurs identités de genre, leurs<br />
sexualités et leurs corps de façon authentique,<br />
non-censurée et en accord avec leurs désirs<br />
les plus intimes. HVNGRY for more, fortement<br />
influencée par l'esthétique du monde des jeux<br />
vidéos, représente un collectif de créatures<br />
queer dans lequel l'altérité, l'individualité et la<br />
vulnérabilité partagées sont célébrées et deviennent<br />
un terrain propice au développement<br />
du sentiment de communauté, à la solidarité et<br />
aux rencontres interpersonnelles.<br />
Découvrez et participez à l’événement HVNGRY à l’espace<br />
d’art contemporain Forde de Genève, les 22 et<br />
23 octobre <strong>2021</strong>.<br />
44 CULTURE 360 SEPTEMBRE <strong>2021</strong>