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DESTIN<br />
des Confédérés et « gauchistes » radicaux woke, entre négateurs<br />
du réchauffement climatique et écologistes, et ainsi de suite.<br />
Lorsqu’en 1991, George Bush Senior nomme à la Cour<br />
suprême un juge afro-américain, issu d’une famille pauvre du<br />
Sud profond, les observateurs étrangers s’étonnent : ce Clarence<br />
Thomas est-il si à droite ? Après tout, cet ancien séminariste, né<br />
en 1948, est également un ancien partisan des Black Panthers,<br />
ces révolutionnaires qui, dans les années 1960, avaient leur<br />
QG à Alger ! Rosa Parks, considérée comme la mère spirituelle<br />
du mouvement des droits civiques pour avoir, le 1 er décembre<br />
1955, refusé de céder sa place à un Blanc dans un bus de Montgomery<br />
(Alabama), a cependant immédiatement dissipé toute<br />
illusion sur le nouveau juge : cette nomination « ne représente<br />
pas un pas en avant sur la route du progrès<br />
racial, mais un demi-tour ». Clarence<br />
Thomas, mettait-elle en garde,<br />
« veut remonter la pendule » !<br />
Trois décennies plus tard, l’histoire<br />
aura, encore une fois, donné raison à<br />
Rosa Parks : le jeudi 23 juin dernier,<br />
la Cour suprême – dotée d’une majorité<br />
conservatrice depuis que Donald<br />
Trump y a nommé pas moins de trois<br />
magistrats sur neuf ! – a inscrit dans<br />
le marbre le droit fédéral de porter<br />
une arme en public. Une décision qui<br />
intervient un mois à peine après l’une<br />
des plus horribles fusillades de masse<br />
jamais perpétrées : dans une école primaire<br />
du Texas, 19 enfants et deux institutrices<br />
ont été massacrés fin mai par un<br />
adolescent, avec un fusil d’assaut acheté<br />
le jour de ses 18 ans. Les progressistes<br />
s’étranglent, et ils n’ont encore rien vu…<br />
Dès le lendemain, le 24 juin, la Cour<br />
suprême revient sur l’arrêt Roe v. Wade,<br />
qu’elle avait rendue en 1973 : l’avortement n’est plus un droit<br />
fédéral, et l’institution renvoie aux États le soin de légiférer sur<br />
la question. Aussitôt, une douzaine d’entre eux, dans le Sud et<br />
le Midwest, l’interdisent. Les conséquences sont immédiates :<br />
dans l’Ohio, une fillette de 10 ans, enceinte après un viol, doit<br />
se rendre dans un autre État pour avorter… Imperturbable, la<br />
Cour suprême, à majorité conservatrice, poursuit sa croisade :<br />
le 30 juin, elle interdit à Washington de contraindre les États à<br />
agir contre le réchauffement climatique (que nient, mordicus,<br />
la plupart des républicains…). En l’espace d’une semaine, la<br />
juridiction a donc imposé au pays, gouverné par la gauche, trois<br />
décisions à la droite de la droite. Et ce n’est pas fini : Clarence<br />
Thomas veut détricoter tous les droits acquis depuis le New<br />
Deal des années 1930… Contraception. Mariage homosexuel. Il<br />
en a la volonté. Il en a le pouvoir. Il est inamovible. Surpuissant.<br />
Déterminé. Et en pleine forme !<br />
Son épouse Virginia, en 2017,<br />
impliquée dans l’enquête sur les événements<br />
du 6 janvier 2021.<br />
Ce 24 juin, le juge a obtenu « ce dont il avait toujours rêvé :<br />
la reconnaissance », estime son biographe, Corey Robin, dans<br />
les colonnes du New Yorker du 9 juillet. « Le Noir le plus puissant<br />
d’Amérique » ne s’arrêtera pas là, prévient le journaliste :<br />
« Clarence Thomas règle le pas de la Cour, posant des jalons<br />
qui initialement paraissent extrêmes, avant d’être finalement<br />
adoptés. » Les progressistes – qui ne parviennent pas à comprendre<br />
qu’un homme noir issu d’un quartier pauvre ne soit pas<br />
de leur bord – le voient comme un imbécile, comme un vendu.<br />
En fait, « c’est le plus symptomatique de nos intellectuels », doté<br />
d’« une vision terrifiante de la race, des droits et de la violence<br />
qui est en passe de devenir la description de la vie quotidienne<br />
aux États-Unis », analyse Corey Robin, pour qui nul ne saurait<br />
cerner Clarence Thomas sans appréhender<br />
son parcours atypique.<br />
LE MODÈLE DU GRAND-PÈRE<br />
L’homme est né le 23 juin 1948<br />
à Savannah, en Géorgie, dans une<br />
famille pauvre parlant le gullah (un<br />
patois créole). Son père abandonne sa<br />
famille un an plus tard. Peu après, un<br />
incendie accidentel se déclare dans la<br />
maison : la mère, célibataire et femme<br />
de ménage, est reléguée dans un petit<br />
appartement avec ses deux garçons.<br />
En 1955, débordée, elle confie ses<br />
enfants aux grands-parents, qui vivent<br />
à deux pâtés de maisons de chez eux.<br />
« Toutes mes affaires tenaient dans un<br />
sac en papier », expliquait le juge dans<br />
une longue interview donnée au Daily<br />
Signal, le 22 juin dernier.<br />
Le grand-père est une force de la<br />
nature, « ouest-africain assurément »,<br />
estime Thomas. Né de père inconnu,<br />
il avait été élevé par sa grand-mère, une esclave affranchie.<br />
Dès l’arrivée de Clarence et de son frère, Myers, il apporte à<br />
ces garçons privés de père l’autorité qui leur manquait : « Les<br />
enfants, les damnées vacances sont finies », leur annonce-t-il.<br />
Entrepreneur, travailleur infatigable, économe, il sera pour<br />
Clarence un exemple permanent : « Je ne vous dirai jamais de<br />
faire ce que je dis, mais de faire ce que je fais », leur répètet-il.<br />
Le juge l’appelle « papa » et le considère comme tel, intitulant<br />
même ses mémoires My Grandfather’s Son (« le fils de<br />
mon grand-père ») : « Il est la personne la plus forte que j’ai<br />
connue… Mes grands-parents étaient des Noirs pauvres du Sud<br />
profond, mais ils ont obtenu ce qu’ils voulaient dans la vie. Ce<br />
fut leur victoire. »<br />
Le jeune garçon, motivé par cet homme bosseur et intègre,<br />
est un élève brillant. Il fait toute sa scolarité dans l’enseignement<br />
catholique, et y expérimente le racisme comme le mépris<br />
CHIP SOMODEVILLA/GETTY IMAGES<br />
42 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022