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LIU JIE/XIN HUA/RÉA<br />
Ketanji Brown Jackson,<br />
l’antithèse de Thomas<br />
Elle est la première Afro-Américaine à intégrer la plus haute juridiction du pays.<br />
Et elle incarne des valeurs diamétralement opposées.<br />
À<br />
sa naissance, en 1970, ses parents ont demandé<br />
à une tante, travailleuse humanitaire en Afrique<br />
de l’Ouest, de leur transmettre une liste de prénoms<br />
locaux chatoyants. Ils ont opté pour Ketanji<br />
Onyika, signifiant « la charmante », a-t-elle raconté durant<br />
son audition au Sénat le 21 mars dernier. De la part de<br />
Johnny et Ellory Brown, enseignants en lycée à Miami, ce<br />
choix était aussi militant que courageux. Militant, car les<br />
Afro-Américains portent les noms imposés à leurs ancêtres<br />
esclaves par les esclavagistes ; et courageux, car les enquêtes<br />
démontrent que les CV des Américains aux prénoms africains<br />
sont 50 % plus souvent refusés que les autres. Et pourtant,<br />
Ketanji Brown Jackson a gravi tous les échelons : « Dans<br />
ma famille, il a fallu une seule génération pour passer de la<br />
ségrégation raciale à la Cour suprême », se félicite la première<br />
femme noire à accéder à une telle fonction. En plus de<br />
deux cent trente années d’existence, la Cour a ainsi vu passer<br />
120 juges, dont 117 blancs et 115 hommes…<br />
Le président Joe Biden avait promis de nommer une<br />
Afro-Américaine en remplacement du juge progressiste<br />
Stephen Breyer, 83 ans, démissionnaire. Son choix s’est<br />
donc porté sur cette juge de la cour d’appel fédérale de<br />
Washington DC. Lors de son audition au Sénat, les républicains<br />
(tout en prenant bien soin d’écorcher son prénom…)<br />
lui ont reproché d’avoir défendu des criminels et des terroristes,<br />
le sénateur de l’Iowa Chuck Grassley s’interrogeant<br />
par exemple sur « la façon dont [elle] traiterait des affaires<br />
Le 8 avril 2022, sa nomination<br />
est confirmée en présence<br />
du président Joe Biden<br />
et de la vice-présidente<br />
Kamala Harris.<br />
de terrorisme », et son collègue du Nebraska Ben Sasse l’accusant<br />
d’avoir « contribué à remettre des criminels violents<br />
dans la rue »… Ketanji Brown Jackson leur a calmement<br />
rappelé cette évidence : tout prévenu a droit à une défense<br />
digne de ce nom.<br />
Mariée à un chirurgien, elle est mère de deux enfants.<br />
Son frère et deux de ses oncles sont (ou ont été) policiers,<br />
notamment à Baltimore, l’une des villes les plus violentes du<br />
pays. Et un autre de ses oncles purge une longue peine de<br />
prison pour une affaire de stupéfiants. Lorsqu’elle était fraîchement<br />
diplômée de l’université de Yale, elle a « compris<br />
qu’elle manquait d’expérience » et a donc « décidé de servir<br />
“dans les tranchées” » : elle s’est donc portée volontaire pour<br />
défendre des délinquants sans le sou, et même des « combattants<br />
ennemis » embastillés sans jugement sur la base<br />
américaine de Guantanamo après le 11 septembre 2001.<br />
Or, au pays du Far West, un tel dévouement plombe une<br />
carrière : « Typiquement, écrit le New York Times, les avocats<br />
qui ambitionnent de devenir juges servent comme procureurs<br />
et envoient les criminels en prison » au lieu de les<br />
défendre. « En tant qu’avocate, j’ai réalisé que les attentats<br />
du 11 septembre ne menaçaient pas seulement notre sécurité,<br />
explique Ketanji Brown Jackson en faisant référence<br />
à Guantanamo, mais menaçaient également nos principes<br />
constitutionnels. » Ses débats avec Clarence Thomas et les<br />
autres juges de la majorité réactionnaire, qui domine la<br />
Cour suprême, promettent donc d’être tendus… ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 45