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Destine Literare nr. 23 - septembrie - decembrie 2012 - Scriitorii ...

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estine iterare D L<br />

IONELA MANOLESCO (CANADA)<br />

80<br />

«Nelligan et<br />

Eminesco»<br />

Eminesco et Nelligan! Qui l’aurait dit? Et pourtant ils<br />

sont tous les deux rassemblés, comme par hasard, par<br />

une Muse commune, une reine poète Carmen Sylva.<br />

Celle-ci était lue, connue et admirée partout dans le<br />

monde, car elle bénéficiait d’une médiatisation sans<br />

pareil. Nelligan ne l’avait connue que par sa photo<br />

largement diffusée. Ses portraits figuraient régulièrement<br />

dans tous les magasines huppés de l’époque,<br />

dont celui de Montréal où s’était abonnée sa mère<br />

Émilie. Cette princesse vraiment lointaine, dont<br />

l’adolescent Nelligan se constitue ad hoc le barde<br />

insolite, était considérée par l’ intelligentia occidentale,<br />

tant européenne que Nord américaine, comme la plus<br />

remarquables des femmes de lettres de son temps.<br />

Ceux qui l’attestent comme telle dans leurs écrits,<br />

s’appellent Pierre Lotti, Mark Twain, le président<br />

Theodore Roosevelt, Edgar Poë, Bernard Shaw et bien<br />

d’autres - qui l’ont connue, cultivée, ou seulement lue et<br />

hautement appréciée. C’était la beauté personnifiée,<br />

celle du corps et de l’esprit, à laquelle s’ajoutait une<br />

bonté proverbiale. Elle protégeait les faibles, les<br />

démunis, les enfants, les vieux, les infirmes et les<br />

bêtes.<br />

Carmen Sylva a soigné des blessés de guerre, des<br />

orphelins, des êtres en détresse. Sa célébrité fut telle<br />

que j’ai pu encore reconnaître, dans le répertoire d’une<br />

orgue de Barbarie que j’ai récemment entendue à<br />

Montmartre, une chanson que me chantait ma<br />

grand’mère et qui datait d’avant la première guerre<br />

mondiale, composée en l’honneur de la reine Carmen<br />

Sylva traversant les champs de bataille et pleurant la<br />

mort de ses soldats…<br />

Cette reine a financé de l’ombre Eminesco, sans q’il<br />

le sache, de ses propres fonds. Eminesco avait déjà<br />

refusé, pas seulement l’aide, mais encore toute<br />

gratification, pour une collaboration en qualité de<br />

traducteur auprès de la reine ; le poète ayant transposé<br />

pour elle, de l’allemand vers le roumain, les Allégories<br />

que la celle-ci avait rédigées dans sa langue<br />

maternelle, l’allemand, pour les lui faire ensuite publier<br />

en version bilingue, donc en roumain aussi, dans<br />

l’Almanach de la Jeunesse qu’il avait fondé.<br />

Malgré les réticences du poète, elle allait le financer<br />

indirectement, en lui payant les frais d’hospitalisation en<br />

clinique psychiatrique privée, ainsi que deux voyages<br />

de rémission temporaire, à Vienne et à Venise. Elle l’a<br />

fait de son propre gré, par l’intermédiaire d’un<br />

mandataire, le ministre de la Culture, qu’était devenu<br />

entre temps le chef de l’École littéraire en vogue, des «<br />

Propos (roum.« Convorbiri ») littéraires » et mentor du<br />

poète Eminesco ; son parrain littéraire ; son promoteur<br />

et, en fin de comptes, son éditeur : Titu Maïoresco.<br />

Nelligan allait connaître la poésie d’Eminesco ; son<br />

ascension au sommet, son déclin subit et son<br />

internement à l’hospice, toujours par Françoise. Celle-ci<br />

se tenait au courant des intrigues de château dont se<br />

plaignait Carmen Sylva dans des lettres adressées, de<br />

même, à l’écrivain Pierre Loti (1850-19<strong>23</strong>), qui ne manqua<br />

pas de divulguer la mesquinerie des mégères ;<br />

certaines de ses dames de compagnie, qui provoquèrent<br />

sournoisement l’inquiétude du roi Carol Ier, tout<br />

en lésant la brave reine, par envie contre l’«étrangère»<br />

qu’elle était - que chantaient les rapsodes, que son<br />

peuple adorait et le que louait tout un monde.<br />

Nelligan a établi a posteriori sa communion<br />

spirituelle avec un Eminesco , tombé en désuétude, en<br />

compatissant avec lui. Il en a eu des nouvelles par<br />

l’intermédiaire de Françoise, sa « sœur d’amitié »,<br />

formatrice et protectrice, qui entretenait par écrit ses<br />

contacts, établis au préalable à Paris, avec Carmen<br />

Sylva, reine de Roumanie. La reine, de son côté, voua<br />

à la longue une amitié fraternelle à Robertine Barry, en<br />

continuant de lui envoyer ses livres.<br />

De son côté, la femme de lettres et journaliste<br />

réputée qu’était devenue Françoise, alias Robertine<br />

Bary, ne renia jamais son « filleul », qui bientôt va<br />

sombrer à son tour : le poète Émile Nelligan. Elle<br />

continua de lui faire part des trésors de sa riche bibliothèque.<br />

Parmi ses livres, on signale la version française<br />

d’une autobiographie, où Carmen Sylva évoquait,<br />

nostalgique, son adolescence à seize ans, précédant<br />

sa métamorphose, peu de temps après, en reine de<br />

Roumanie. J’ai personnellement remarqué la vignette<br />

en forme de rose, l’unique ornement que porte sur sa<br />

couverture le livre de Carmen Sylva, l’objet qui devint,<br />

pour ma thèse, un témoin précieux, éclairant l’elliptique<br />

Madrigal.<br />

Le volume est joliment relié et il contient le<br />

«Journal» de la reine, paru dans sa version en anglais.<br />

La couverture en vélin de ce livre n’est ornée que d’un<br />

seul bouton de rose stylisé, muni d’un minuscule<br />

pendentif en forme de cœur. Voilà ce qui suffit à<br />

l’adolescent Émile Nelligan pour évoquer la reine dans<br />

un portrait sentimental. Quant à sa perception réelle, il<br />

l’a eue par sa photo. La reine- auteur de ce livre de<br />

mémoires, accueillait le lecteur par un portrait d’apparat<br />

où le rose domine, placé en frontispice<br />

Le poète Nelligan garda en mémoire ce portrait

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