LA VIE JUDICIAIRE DU TRIBUNALLe 22 mars 2007, M. Simoneau porte p<strong>la</strong>inte à <strong>la</strong> Commission <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>personne</strong> et <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse (ci-après <strong>la</strong> « Commission »). En novembre 2008, un règlement est adopté par <strong>la</strong> Ville<strong>de</strong> Saguenay prévoyant un dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux minutes entre <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière (dont le texte apparaîtau règlement) et l’ouverture <strong>de</strong> l’assemblée du conseil. M. Simoneau continue cependant d’y arriver 15à 20 minutes avant le début <strong>de</strong> <strong>la</strong> séance, refusant <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière.M. Simoneau témoigne avoir subi <strong>de</strong> nombreux inconvénients à <strong>la</strong> suite du dépôt <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>inte à <strong>la</strong>Commission. Il a ainsi été l’objet <strong>de</strong> commentaires du maire en public, d’appels menaçants, <strong>de</strong> proposdésobligeants au travail, et a découvert à un certain moment plusieurs petites croix <strong>de</strong> bois déposéesdans son véhicule. Il mentionne avoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté à dormir, explique que les appels intimidantset le processus judiciaire ont eu <strong><strong>de</strong>s</strong> effets négatifs sur sa famille et déplore le fait qu’il a été obligé<strong>de</strong> dévoiler publiquement son incroyance. Au mois <strong>de</strong> mai 2008, <strong>la</strong> Commission informe M. Simoneau<strong>de</strong> son intention d’exercer sa discrétion <strong>de</strong> ne pas saisir un tribunal, malgré le fait qu’elle considère<strong>la</strong> preuve suffisante pour ce faire. Le recours <strong>de</strong>vant le Tribunal est donc intenté par M. Simoneauet le Mouvement <strong>la</strong>ïque québécois en vertu <strong>de</strong> l’article 84 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Charte.M. Tremb<strong>la</strong>y et <strong>la</strong> Ville <strong>de</strong> Saguenay soutiennent que <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière ainsi que <strong>la</strong> présence d’uncrucifix et d’une statue du Sacré-Cœur dans les salles où ont lieu les assemblées ne portent atteinteà aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> et libertés <strong>de</strong> M. Simoneau protégés par <strong>la</strong> Charte et que, même s’il y avait atteinte, elleserait minimale, négligeable et insignifiante. Ils p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>nt également que le nouveau règlement <strong>de</strong> 2008a été adopté notamment pour accommo<strong>de</strong>r M. Simoneau, que le maire et les conseillers municipauxsont en droit d’exercer leur liberté <strong>de</strong> religion lors <strong><strong>de</strong>s</strong> séances publiques du conseil municipal et que <strong>la</strong>récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière et l’exposition du crucifix et <strong>de</strong> <strong>la</strong> statue du Sacré-Coeur perpétuent <strong>la</strong> tradition.La preuve présentée amène tout d’abord le Tribunal à conclure que <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière et l’expositiondu crucifix ainsi que <strong>de</strong> <strong>la</strong> statue du Sacré-Coeur sont essentiellement <strong>de</strong> nature religieuse. La preuvea également démontré que les convictions <strong>de</strong> M. Simoneau sont sincères et que <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong>prière et l’exposition <strong>de</strong> symboles religieux ont porté atteinte à sa liberté <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> religiond’une façon plus que négligeable et insignifiante. Le Tribunal conclut donc que les défen<strong>de</strong>urs ont portéatteinte <strong>de</strong> façon discriminatoire à <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> religion <strong>de</strong> M. Simoneau en débutantles séances <strong>de</strong> l’assemblée publique du conseil municipal par <strong>la</strong> récitation d’une prière, en exposant uncrucifix et une statue du Sacré-Coeur dans <strong><strong>de</strong>s</strong> salles où se tiennent ces assemblées et en autorisant,par voie <strong>de</strong> règlement, le prési<strong>de</strong>nt du conseil municipal à réciter une prière dès son entrée dans <strong>la</strong> salle<strong>de</strong> délibérations. Ainsi, le maire et <strong>la</strong> Ville <strong>de</strong> Saguenay ne respectent pas, tant à l’égard <strong>de</strong> M. Simoneauqu’à l’égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> collectivité, l’obligation <strong>de</strong> neutralité que leur dicte <strong>la</strong> Charte.Selon le Tribunal, afin d’assurer l’égalité religieuse <strong>de</strong> tous, sans égard à leurs convictions en <strong>la</strong> matière,les représentants <strong>de</strong> l’État réunis dans une assemblée politique tenue dans l’espace public ne peuvents’acquitter <strong>de</strong> leurs obligations légales autrement qu’en s’abstenant complètement d’y prier et d’y exposer<strong><strong>de</strong>s</strong> symboles religieux. De plus, <strong>la</strong> Ville <strong>de</strong> Saguenay ne pouvait adopter un règlement privilégiant unereligion au détriment d’une autre ou au détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> non-croyants, et ce, également en raison <strong>de</strong> sonobligation <strong>de</strong> neutralité en matière religieuse. Or, en l’espèce, même si ce règlement prévoit un dé<strong>la</strong>ientre <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière et le début <strong>de</strong> l’assemblée publique, aucune mesure d’accommo<strong>de</strong>mentne peut garantir l’égalité religieuse <strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens. Le Tribunal rejette également l’argument <strong><strong>de</strong>s</strong> défen<strong>de</strong>ursà l’effet que <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière et <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> symboles religieux perpétuent <strong>la</strong> tradition.L’aspect historique ne peut à lui seul justifier l’imposition, par une municipalité <strong>de</strong> valeurs religieuses.Même à supposer que <strong>la</strong> récitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière et le fait d’exposer <strong><strong>de</strong>s</strong> symboles religieux puissents’inscrire dans une tradition, ceci n’a pas pour effet d’écarter leur portée religieuse, considérée dans lecontexte spécifique <strong><strong>de</strong>s</strong> séances publiques d’un conseil municipal, ni le fait qu’il s’agisse <strong>de</strong> l’imposition,par une institution publique, d’une morale religieuse particulière.48 Bi<strong>la</strong>n d’activités 2010-2011
En guise <strong>de</strong> réparations, le Tribunal ordonne à <strong>la</strong> Ville <strong>de</strong> Saguenay, aux membres du conseil municipal,à ses officiers et préposés et à M. Tremb<strong>la</strong>y <strong>de</strong> cesser <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> <strong>la</strong> récitation d’une prière dans<strong>la</strong> salle <strong>de</strong> délibérations du conseil municipal. À ce titre, le Tribunal déc<strong>la</strong>re inopérant et sans effet leRèglement numéro VS-R-2008-40, ayant pour objet <strong>de</strong> modifier le règlement numéro VS-2002-39intérieur du conseil <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ville <strong>de</strong> Saguenay, adopté par <strong>la</strong> Ville en 2008. Le Tribunal ordonne également à<strong>la</strong> Ville <strong>de</strong> Saguenay <strong>de</strong> retirer <strong>de</strong> chacune <strong><strong>de</strong>s</strong> salles où se réunit le conseil municipal en assembléepublique tout symbole religieux, dont <strong>la</strong> statue du Sacré-Coeur et le crucifix. En outre, le Tribunalcondamne solidairement les défen<strong>de</strong>urs à verser à M. Simoneau un montant <strong>de</strong> 15 000 $ à titre <strong>de</strong>dommages moraux ainsi qu’un montant <strong>de</strong> 15 000 $ à titre <strong>de</strong> dommages punitifs. Le Tribunal n’accor<strong>de</strong>cependant aucun montant à titre <strong>de</strong> frais extrajudiciaires car il n’y a pas eu en l’espèce un abus du droitd’agir en justice <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong><strong>de</strong>s</strong> défen<strong>de</strong>urs.Bi<strong>la</strong>n d’activités 2010-2011 49