LES ACTIVITÉS DU TRIBUNALLA JOURNÉE THÉMATIQUE : QUELQUES ENJEUX ACTUELSPOUR LES PEUPLES AUTOCHTONESL’état du droit sur les <strong>droits</strong> ancestrauxet les revendications territoriales et les rapports<strong><strong>de</strong>s</strong> peuples autochtones avec le système <strong>de</strong> justiceConférence <strong>de</strong> M e Renée Dupuis, consultante spécialisée en droit autochtone.Les revendications territoriales et les <strong>droits</strong> ancestraux sont <strong>de</strong>ux concepts récents dans l’histoiredu régime constitutionnel canadien en ce qui a trait aux peuples autochtones. Ainsi, avec l’adoption<strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle Loi constitutionnelle, en 1982, le concept <strong>de</strong> revendication territoriale passe<strong>de</strong> simple légis<strong>la</strong>tion fédérale à principe constitutionnel.L’article 35 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Loi constitutionnelle <strong>de</strong> 1982 42 constitue ainsi <strong>la</strong> première reconnaissanceconstitutionnelle <strong>de</strong> <strong>droits</strong> autochtones préexistants ou postérieurs à l’établissement <strong><strong>de</strong>s</strong>souverainetés européennes. En fait, au paragraphe (1), une protection constitutionnelle est accordéeà <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> <strong>droits</strong>, soit les <strong>droits</strong> ancestraux existants <strong><strong>de</strong>s</strong> Autochtones et les <strong>droits</strong> existantsissus <strong><strong>de</strong>s</strong> traités signés avec les Autochtones. Le paragraphe (2) introduit quant à lui un nouveauprécé<strong>de</strong>nt constitutionnel : le légis<strong>la</strong>teur y reconnaît les Autochtones comme <strong><strong>de</strong>s</strong> « peuples ».On y reconnaît aussi pour <strong>la</strong> première fois le statut <strong>de</strong> « peuples » aux Métis. Cette reconnaissance<strong>de</strong> leur statut <strong>de</strong> « peuple » sert d’assise à l’argument selon lequel les Autochtones auraient un droitinhérent à l’autonomie gouvernementale et, en vertu du droit international, à leur autodétermination.L’adoption du paragraphe (3) résulte d’une modification constitutionnelle ayant eu lieu en 1983.Celle-ci vise à inclure dans <strong>la</strong> protection du paragraphe (1) les <strong>droits</strong> issus <strong>de</strong> traités (conclus etfuturs) rég<strong>la</strong>nt les revendications territoriales. En conséquence, les <strong>droits</strong> décou<strong>la</strong>nt par exemple<strong>de</strong> <strong>la</strong> Convention <strong>de</strong> <strong>la</strong> Baie James et du Nord québécois ainsi que <strong>de</strong> <strong>la</strong> Convention du Nord-Estquébécois sont constitutionnellement protégés. Le paragraphe (4) qui protège l’égalité <strong><strong>de</strong>s</strong> sexesrésulte lui aussi <strong>de</strong> <strong>la</strong> modification constitutionnelle <strong>de</strong> 1983.De gauche à droite :Mme <strong>la</strong> juge Denyse Leduc,Mme Michèle Au<strong>de</strong>tte, M. Ghis<strong>la</strong>in Picard,Mme <strong>la</strong> juge Michèle Pauzé et M e Renée Dupuis.42 Partie II <strong>de</strong> <strong>la</strong> Loi constitutionnelle <strong>de</strong> 1982, [annexe B <strong>de</strong> <strong>la</strong> Loi <strong>de</strong> 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U)].L’article 35 se lit comme suit :« 35. (1) Les <strong>droits</strong> existants — ancestraux ou issus <strong>de</strong> traités — <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.(2) Dans <strong>la</strong> présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> Indiens, <strong><strong>de</strong>s</strong> Inuit et <strong><strong>de</strong>s</strong> Métis du Canada.(3) Il est entendu que sont compris parmi les <strong>droits</strong> issus <strong>de</strong> traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les <strong>droits</strong> existantsissus d’accords sur <strong><strong>de</strong>s</strong> revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.(4) Indépendamment <strong>de</strong> toute autre disposition <strong>de</strong> <strong>la</strong> présente loi, les <strong>droits</strong> — ancestraux ou issus <strong>de</strong> traités —visés au paragraphe (1) sont garantis également aux <strong>personne</strong>s <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux sexes. »64 Bi<strong>la</strong>n d’activités 2010-2011
L’article 25 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Charte canadienne <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> et libertés 43 octroie quant à lui, selon M e Dupuis, unstatut particulier aux <strong>droits</strong> autochtones reconnus dans <strong>la</strong> Constitution et fait en sorte que ce statutparticulier ne soit pas affecté par les dispositions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Charte canadienne qui reconnaît plutôt <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>droits</strong> individuels. Il prévoit une protection plus <strong>la</strong>rge que celle prévue à l’article 35. Alors que ce<strong>de</strong>rnier n’offre une protection qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong>, l’article 25 inclut à <strong>la</strong> fois les <strong>droits</strong> et les libertés <strong><strong>de</strong>s</strong>peuples autochtones. De plus, l’article 35 ne couvre que les <strong>droits</strong> ancestraux ou issus <strong>de</strong> traitésalors que l’article 25 couvre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> ancestraux, issus <strong>de</strong> traités ou d’autres <strong>droits</strong>.L’adoption <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux articles est en quelque sorte, selon M e Dupuis, <strong>la</strong> suite logique du revirementjurispru<strong>de</strong>ntiel ayant eu lieu dans l’arrêt Cal<strong>de</strong>r 44 , rendu en 1973 par <strong>la</strong> Cour suprême du Canada.Cet arrêt a en effet mis <strong>de</strong> côté <strong>la</strong> jurispru<strong>de</strong>nce antérieure qui était fondée sur <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions duConseil Privé qui prévoyaient que les Autochtones avaient uniquement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> explicitementreconnus par <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion.M e Dupuis a terminé son exposé en traitant notamment <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> décou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Convention <strong>de</strong><strong>la</strong> Baie James et du Nord québécois, <strong>de</strong> <strong>la</strong> réception du droit coutumier en droit canadien et <strong>de</strong> <strong>la</strong>nature fiduciaire <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports entre le gouvernement fédéral et les Autochtones.Quelques réflexions sur l’intervention judiciaire en milieu autochtoneConférence <strong>de</strong> Mme <strong>la</strong> juge Denyse Leduc, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour du Québec, district judiciaire d’Abitibi.Mme <strong>la</strong> juge Leduc a traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité autochtone, celle <strong><strong>de</strong>s</strong> Inuits et <strong><strong>de</strong>s</strong> Cris qui occupent lesterritoires du Nord-du-Québec et, plus particulièrement, partagé son expérience <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour itinérantequi, <strong>de</strong>puis 1974, dispense <strong><strong>de</strong>s</strong> services <strong>de</strong> justice dans le Nord-du-Québec, soit à <strong>la</strong> Baie d’Ungava,<strong>la</strong> Baie d’Hudson et <strong>la</strong> Baie-James. Ces services <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour itinérante font partie intégrante <strong>de</strong> <strong>la</strong>Convention <strong>de</strong> <strong>la</strong> Baie James et du Nord québécois qui a été signée en 1974 entre le gouvernementet les Cris et les Inuits.Depuis sa création, le nombre <strong>de</strong> dossiers entendus <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Cour itinérante a considérablementaugmenté. En 1974-1975, <strong>la</strong> Cour itinérante a fait 3 voyages et a siégé durant 10 jours. Les donnéesindiquent qu’en 1990 il y a eu 28 voyages et 135 jours siégés et finalement, en 2009, il y a eu57 voyages et 263 jours siégés. Pour une popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> 27 000 <strong>personne</strong>s, soit 15 000 Cris etenviron 12 000 Inuits, <strong>la</strong> Cour traite actuellement environ 7 000 dossiers en matière criminelle,protection <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse et règlements municipaux. La Cour itinérante a 22 points <strong>de</strong> service à couvrirdans le district d’Abitibi. Ceci implique <strong>de</strong> nombreux dép<strong>la</strong>cements pour <strong>la</strong> Cour et implique plus <strong>de</strong>900 heures <strong>de</strong> transport. Le volume <strong>de</strong> dossiers en matière criminelle est très élevé. Il s’agit <strong>de</strong>dossiers d’agression sexuelle, d’introduction par infraction, <strong>de</strong> voies <strong>de</strong> fait, d’utilisation négligented’armes à feu et d’entrave à <strong><strong>de</strong>s</strong> policiers. Environ 18 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion a un dossier criminel, soit1 <strong>personne</strong> sur 5, alors que <strong>la</strong> moyenne provinciale est <strong>de</strong> 1 <strong>personne</strong> sur 50.43 Partie I <strong>de</strong> <strong>la</strong> Loi constitutionnelle <strong>de</strong> 1982, [annexe B <strong>de</strong> <strong>la</strong> Loi <strong>de</strong> 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U)].L’article 25 se lit comme suit :« 25. Le fait que <strong>la</strong> présente charte garantit certains <strong>droits</strong> et libertés ne porte pas atteinte aux <strong>droits</strong> ou libertés — ancestraux,issus <strong>de</strong> traités ou autres — <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples autochtones du Canada, notamment :a) aux <strong>droits</strong> ou libertés reconnus par <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mation royale du 7 octobre 1763;b) aux <strong>droits</strong> ou libertés existants issus d’accords sur <strong><strong>de</strong>s</strong> revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis. »44 Cal<strong>de</strong>r et al. c. Procureur Général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313.Bi<strong>la</strong>n d’activités 2010-2011 65