LES ACTIVITÉS DU TRIBUNALMme <strong>la</strong> juge Leduc a expliqué que ceci est dû à l’ampleur <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes sociaux spécifiques vécusdans le Nord, tels que : le manque important <strong>de</strong> logements et le surpeuplement <strong><strong>de</strong>s</strong> rési<strong>de</strong>nces, lemanque <strong>de</strong> travail, le désintérêt à pratiquer les activités traditionnelles, les problèmes <strong>de</strong> consommation<strong>de</strong> drogue et d’alcool, l’accès facile aux armes et les difficultés à vivre un encadrement.Pour faire face à cette triste réalité, <strong><strong>de</strong>s</strong> comités <strong>de</strong> justice ont été créés par certaines communautés.Toutefois, ils ne survivent pas plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans en raison du manque <strong>de</strong> disponibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> sages, soit <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>personne</strong>s âgées avec <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences diversifiées, qui sont capables d’ai<strong>de</strong>r et <strong>de</strong> supporter. SelonMme <strong>la</strong> juge Leduc, le règlement <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes en milieu nordique passe par <strong>la</strong> responsabilisation<strong><strong>de</strong>s</strong> citoyens, <strong>la</strong> volonté à s’assumer et <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour du Québec sera <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r à lefaire. En janvier 2008, un groupe <strong>de</strong> travail composé <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cour du Québec, duministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Justice, du directeur <strong><strong>de</strong>s</strong> poursuites criminelles et pénales et du Secrétariat aux affairesautochtones a d’ailleurs présenté un rapport sur <strong>la</strong> justice autochtone. Ce rapport comprend plusieursrecommandations sur l’orientation à privilégier au cours <strong><strong>de</strong>s</strong> prochaines années dans le Nord québécois.Mme <strong>la</strong> juge Leduc a ensuite fait part aux membres du Tribunal <strong>de</strong> certaines réalités ou traditions enmilieu nordique en matière d’adoption d’enfants. Il existe en effet <strong>de</strong>ux types d’adoption, soit l’adoptiontraditionnelle et l’adoption coutumière, lesquelles engendrent <strong><strong>de</strong>s</strong> effets juridiques et sociaux distincts.En terminant sa présentation, Mme <strong>la</strong> juge Leduc a soulevé les questions suivantes : Que sont les <strong>droits</strong>individuels face aux <strong>droits</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> ban<strong><strong>de</strong>s</strong>? Comment assurer une plus gran<strong>de</strong> accessibilité à <strong>la</strong> justice etle respect accru <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> inscrits dans <strong>la</strong> Charte <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>droits</strong> et libertés <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>personne</strong>? Mentionnantqu’on ne parle pas encore ouvertement en milieu autochtone <strong>de</strong> discrimination, <strong>de</strong> harcèlement oud’exploitation, Mme <strong>la</strong> juge Leduc est d’avis que dans un avenir très rapproché, il se développera unejurispru<strong>de</strong>nce importante à cet égard étant donné que les Autochtones ont eux aussi les mêmes besoinset les mêmes <strong>droits</strong> à protéger.Quelques enjeux socio-économiques d’importancepour les peuples autochtonesConférence <strong>de</strong> Mme Michèle Au<strong>de</strong>tte, prési<strong>de</strong>nte, Femmes autochtones du Québec.Mme Au<strong>de</strong>tte a débuté sa conférence en expliquant que sa présentation n’est pas le fruit <strong>de</strong>longues étu<strong><strong>de</strong>s</strong> universitaires, mais plutôt <strong>de</strong> <strong>la</strong> transmission d’un savoir ancestral qu’elle a recueillià travers les enseignements <strong><strong>de</strong>s</strong> aînés <strong>de</strong> son peuple. Mme Au<strong>de</strong>tte est née à Maliotenam d’un pèremontréa<strong>la</strong>is et d’une mère innue. Avant l’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> B<strong>la</strong>ncs en Amérique, les sociétés amérindiennes,pour <strong>la</strong> plupart noma<strong><strong>de</strong>s</strong>, étaient extrêmement bien organisées. À l’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> B<strong>la</strong>ncs, <strong><strong>de</strong>s</strong> alliancesse sont conclues avec les chasseurs qui fournissaient <strong><strong>de</strong>s</strong> peaux en échange d’autres biens. Lespeuples autochtones ont accueilli les coureurs <strong><strong>de</strong>s</strong> bois, leur ont transmis une partie <strong>de</strong> leur savoir,ce qui leur a permis <strong>de</strong> survivre. Une tradition <strong>de</strong> pactes d’amitiés s’est installée, notamment par<strong><strong>de</strong>s</strong> alliances militaires dans lesquelles les Amérindiens étaient considérés comme <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés etnon pas comme <strong><strong>de</strong>s</strong> sujets du Roi. Ce premier contact a donc eu lieu sous les signes <strong>de</strong> l’allianceet <strong>de</strong> <strong>la</strong> coopération. Vers le début du 19 e siècle, <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> fourrure a décliné en Europe etles hostilités américano-britanniques se sont atténuées. Les alliances avec les Amérindiens sont<strong>de</strong>venues moins nécessaires. Le projet d’assimi<strong>la</strong>tion a pris forme et, en 1867, au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong>création <strong>de</strong> <strong>la</strong> Confédération canadienne, les Amérindiens n’ont aucunement été consultés lorsqu’i<strong>la</strong> été décidé qu’ils relèveraient désormais <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétence exclusive du gouvernement fédéral. En1869, l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauvages et à <strong>la</strong> meilleure administration<strong><strong>de</strong>s</strong> affaires <strong><strong>de</strong>s</strong> Sauvages a été adopté. En 1876, il a été remp<strong>la</strong>cé par l’actuelle Loi sur les Indiens.66 Bi<strong>la</strong>n d’activités 2010-2011
L’idée avouée <strong>de</strong> cette légis<strong>la</strong>tion consistait, selon Mme Au<strong>de</strong>tte, à assurer l’assimi<strong>la</strong>tion totale<strong><strong>de</strong>s</strong> popu<strong>la</strong>tions autochtones. On imaginait alors le statut d’Indien comme un statut temporairevoué à disparaître. Cette Loi a mis en p<strong>la</strong>ce une tutelle permanente <strong><strong>de</strong>s</strong> popu<strong>la</strong>tions autochtones,les a dépossédées <strong>de</strong> leurs terres dont <strong>la</strong> propriété était désormais fédérale et leur a retiré <strong>la</strong>capacité politique <strong>de</strong> définir qui sont les <strong>personne</strong>s visées par cette Loi 45 . À partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin du19 e siècle, les enfants ont été systématiquement retirés <strong>de</strong> leur milieu familial et p<strong>la</strong>cés dans <strong>de</strong>lointains pensionnats (les écoles rési<strong>de</strong>ntielles) où ils ont été dépossédés <strong>de</strong> leur culture et victimesd’abus divers. Le régime <strong><strong>de</strong>s</strong> pensionnats indiens est <strong>de</strong>meuré en vigueur jusqu’en 1970 et a<strong>la</strong>issé <strong>de</strong>rrière lui toute une génération d’Autochtones profondément traumatisée qui peine encoreà cicatriser <strong>de</strong> ces blessures profon<strong><strong>de</strong>s</strong>.Mme Au<strong>de</strong>tte a poursuivi sa présentation en expliquant que <strong>la</strong> Loi sur les Indiens continue encoreaujourd’hui d’entretenir <strong>la</strong> dépendance et l’assimi<strong>la</strong>tion <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples autochtones en bafouant leurdignité humaine inhérente. Il reste beaucoup <strong>de</strong> progrès à accomplir afin <strong>de</strong> rendre cette loi exempte<strong>de</strong> c<strong>la</strong>uses discriminatoires et éventuellement, pour s’en défaire définitivement. Par exemple,<strong>la</strong> loi C-31 sur le statut <strong><strong>de</strong>s</strong> Autochtones, adoptée en 1985, a permis à 1 155 femmes et à6 974 enfants autochtones du Québec <strong>de</strong> retrouver leur statut d’Indien, mais cette modificationlégis<strong>la</strong>tive a créé <strong>de</strong> nouvelles sources <strong>de</strong> discrimination. En effet, <strong>la</strong> loi C-31 ne fait pas qu’autoriser <strong>la</strong>réinscription <strong>de</strong> ces femmes et enfants au Registre <strong><strong>de</strong>s</strong> Indiens, elle pose également <strong><strong>de</strong>s</strong> conditionspour faire reconnaître leurs enfants comme Indiens inscrits. Désormais, les femmes réinscritespeuvent transmettre leur statut retrouvé à leurs enfants, mais ces <strong>de</strong>rniers le transmettront à leurtour seulement si leurs conjoints sont <strong><strong>de</strong>s</strong> Indiens inscrits. Pour les femmes qui ont <strong><strong>de</strong>s</strong> enfantshors mariage, <strong>la</strong> situation s’avère encore plus grave. Si le père biologique refuse <strong>de</strong> reconnaîtrelégalement son enfant, <strong>la</strong> loi C-31 présuppose que l’enfant n’est pas un Indien <strong>de</strong> plein droit.Or, les communautés autochtones comptent <strong>de</strong> nombreuses mères célibataires.Concluant son allocution, Mme Au<strong>de</strong>tte a affirmé son profond désir d’un avenir où les enfantsautochtones pourront vivre en harmonie sans avoir à subir les affres <strong><strong>de</strong>s</strong> préjugés persistants etexprimé le souhait que l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Autochtones soit reconnue, dépouillée <strong>de</strong> ses interprétationsethnocentriques où se lit encore le mépris, et ensuite enseignée à tous les enfants québécois.M. Patrick Bacon, agent <strong>de</strong> lutte contre <strong>la</strong> pauvreté au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé et <strong><strong>de</strong>s</strong>services sociaux <strong><strong>de</strong>s</strong> Premières Nations du Québec et du Labrador, a ensuite présenté un portraitstatistique <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvreté chez les Premières Nations. Alors qu’en 2001 le Canada se c<strong>la</strong>ssait au8 e rang mondial selon l’indice <strong>de</strong> développement humain <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations Unies, les Premières Nationsdu Canada se situaient au 76 e rang, soit l’équivalent d’un pays du Tiers-Mon<strong>de</strong>. Les popu<strong>la</strong>tionsautochtones du Québec éprouvent <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes quant à leur niveau d’éducation, à <strong>la</strong> surpopu<strong>la</strong>tion<strong><strong>de</strong>s</strong> logements, à leur surreprésentation dans le système carcéral. La dépendance aux drogues età l’alcool continue aussi à poser problème. Devant un tel portrait statistique, M. Bacon a concluqu’il faut s’attaquer à <strong>la</strong> racine du problème en appuyant le développement social <strong><strong>de</strong>s</strong> familleset en adoptant une approche qui met l’accent sur <strong>la</strong> guérison plutôt que sur <strong>la</strong> répression.45 Le Registre <strong><strong>de</strong>s</strong> Indiens du ministère <strong><strong>de</strong>s</strong> Affaires indiennes départage entre ceux qui sont considérés Indienset ceux qui ne le sont pas. C’est ainsi qu’apparaît <strong>la</strong> distinction entre les « Indiens avec statut » (Indiens inscrits)et les « Indiens sans statut » (Indiens non inscrits).Bi<strong>la</strong>n d’activités 2010-2011 67