10 Courrier international | n° 1103-1104 | du 22 décembre 2011 au 4 janvier 2012 <strong>En</strong> <strong>couverture</strong> L’OR Une frénésie planétaire La flambée des cours de l’or, même tempérée par une récente correction, provoque une nouvelle ruée sur le métal précieux. Réouverture de mines, achats spéculatifs, nouvelle clientèle asiatique : l’or n’a jamais été autant convoité. Cette frénésie mondiale cache mal le travail de forçat des mineurs et les atteintes à l’environnement. Mineur sud-africain à Johannesburg. Le coût de production d’une once d’or atteint en moyenne 800 dollars, soit la moitié du cours mondial du métal précieux.
DAVID GOLDBLATT/SOUTH PHOTOS/AFRICA MEDIA ONLINE Spéculation La nouvelle ruée vers l’or Valeur refuge par excellence en période d’incertitudes économiques, le métal précieux conserve son pouvoir d’attraction. Même si son cours n’est pas toujours tranquille. Mail & Guardian (extraits) Johannesburg Allons-nous assister au grand retour de l’étalon-or ? Le métal précieux, l’une des premières formes de monnaie, était le pivot du commerce international jusqu’à ce que le président américain Richard Nixon abolisse l’étalon-or en 1971 [en abandonnant la convertibilité du dollar en or]. Ce système présentait des inconvénients notoires : il fallait échanger du papier contre des lingots chaque fois que les investisseurs et les épargnants s’inquiétaient de l’ampleur du déficit ou de la dette d’un pays, ou encore de sa propension à faire marcher la planche à billets. Dans la mesure où l’appétit pour le métal précieux reflète les échecs économiques et politiques, il n’est pas étonnant que certains rêvent aujourd’hui d’un retour à l’étalon-or. Selon les traders de lingots, c’est la ruée générale – des fonds spéculatifs aux fonds souverains, en passant par les particuliers, les joailliers et les banques centrales – vers le métal jaune, sous sa forme physique ou en produits cotés sur les marchés. Une garantie pour les investisseurs Pendant que les Américains et les Européens tentent de résoudre la crise de la dette en émettant de la monnaie qui ne vaut rien, les investisseurs et les banques centrales – en particulier sur les marchés émergents comme la Chine, la Russie et la Corée du Sud – trouvent refuge dans des valeurs tangibles comme l’or physique, afin que leurs réserves ne soient pas uniquement à la merci du dollar et de l’euro. L’or a gagné presque 27 % en 2011, même si après un pic de 1 921,15 dollars l’once, atteint le 6 septembre, son cours est retombé autour de 1 600 dollars [à la mi-décembre, soit 1 226 euros]. <strong>En</strong> 2010, la demande mondiale en or s’est élevée à 4 330 tonnes. Les joailliers en ont acheté 50 %, et les investisseurs, 38 %, contre seulement 4 % dix ans plus tôt, selon le Conseil mondial de l’or. Quant aux banques centrales, elles n’en ont acheté que 73 tonnes, volume qui devrait dépasser 500 tonnes en 2011, selon Walter de Wet, analyste à Standard Bank. “De plus en plus de banques centrales font des réserves d’or, constate-t-il. Même si les pays de la zone euro et les Etats-Unis parviennent à trouver des solutions [à la crise de la dette], ils seront malgré tout confrontés à une récession. Or, en période de récession, les Etats impriment de la monnaie ; le cours de l’or va donc monter.” Bien que le métal jaune ne rapporte ni dividendes ni intérêts, contrairement aux obligations ou aux actions, il garantit des gains en capitaux et rassure les banques centrales et les investisseurs prudents lorsque les marchés Courrier international | n° 1103-1104 | du 22 décembre 2011 au 4 janvier 2012 11 s’effondrent. “Une once d’or est une once d’or. Un baril de pétrole est un baril de pétrole. Mais qu’estce qu’un dollar ? Ce n’est qu’un instrument de mesure dépourvu de sens, puisque le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, peut créer de toutes pièces des milliards de dollars”, explique Jay Taylor, rédacteur en chef de Gold, <strong>En</strong>ergy & Tech Stocks, dans un entretien publié récemment sur le site The Gold Report. A nouveau à la mode en Asie Alarmé par la crise mondiale de la dette souveraine, le Venezuela a rapatrié en septembre plus de 160 tonnes d’or, dont la majorité était stockée par la Banque d’Angleterre. Plus de 60 % des réserves internationales de ce pays sont constituées d’or. L’Allemagne, vue comme le grand sauveur potentiel de la zone euro, détient la deuxième plus grande quantité d’or du monde [après les Etats-Unis] : le métal précieux représente 71 % (environ 3 400 tonnes) de ses réserves. La Chine arrive au sixième rang du classement, avec seulement 1,6 % (1 100 ton nes), contre 7 % pour l’Inde et la Russie, et 14 % pour l’Afrique du Sud. Les acquisitions des banques centrales, toutefois, sont modestes comparées à celles des orfèvres. L’or est de nouveau à la mode en Asie et au Moyen-Orient, où la consommation du marché de la joaillerie augmente à vue d’œil. La demande de ce secteur avait baissé au cours des dix dernières années, car le prix du métal précieux augmentait plus vite que les revenus. Après avoir atteint un niveau record de 3 290 tonnes en 1997, elle est retombée à 1 850 tonnes pendant la récession de 2009. Mais le marché a repris des forces au cours des dix-huit derniers mois : environ 2 000 tonnes ont été achetées en 2010 et plus de 2 300 tonnes en 2011. Certains investisseurs en quête de rendements réels ne sont toutefois pas séduits par l’éclat de l’or. Selon l’homme d’affaires américain et milliardaire Warren Buffett, “ce métal n’a aucune utilité. On le déterre d’Afrique du Sud pour l’envoyer à la Réserve fédérale [américaine], où il est de nouveau enterré.” Sharda Naidoo <strong>En</strong> cinq ans, le cours de l’or a triplé Prix de l’or sur le marché de Londres (en dollars par once) 1 800 1 500 1 200 900 600 300 0 1990 2000 2010 Sources : Reuters Datastream, LBMA, World Gold Council Conjoncture Fin de la bulle ? <strong>En</strong> quelques jours, le marché de l’or semble avoir brutalement perdu de son éclat, son prix abandonnant plus de 350 dollars par rapport au record enregistré au mois de septembre (1 920 dollars l’once). “La montée de l’or touche-t-elle à sa fin ?” s’interroge The Hindu. Le quotidien The Economic Times, observant les évolutions du passé, avertit : “On est monté de 32 dollars l’once en 1971 à plus de 800 dollars au début des années 1980 ; ensuite, le prix de l’or a été divisé par quatre.” Un tel scénario peut-il se répéter aujourd’hui ? La presse indienne a des raisons de s’inquiéter. “<strong>En</strong> Inde, l’un des plus grands marchés de l’or, le cours du métal subit la baisse de la demande liée à la fin de la saison des mariages et des festivals”, rapporte le site KhaleejTimes.com. Cette mauvaise passe du marché indien n’explique pourtant pas tout. La remontée du dollar, alimentée par les inquiétudes mondiales (dernière en date : les incertitudes liées à la succession de Kim Jong-il en Corée du Nord), fait presque automatiquement baisser le cours de l’or. De même, l’intensification de la crise de la dette souveraine en Europe et l’importance des investissements spéculatifs pèsent aussi sur le prix du métal précieux. Le magazine économique Forbes reste pourtant serein. “<strong>En</strong> dépit d’une correction sévère en décembre, les fondamentaux de l’or indiquent une nouvelle année très dynamique en 2012”, pronostique le journal américain. Et de relativiser le recul de ces dernières semaines. “L’or reste l’un des placements les plus performants en 2011. <strong>En</strong> dépit de la débâcle de fin d’année, le métal jaune gagne 15 %, largement devant le marché des actions américaines ou celui des matières premières.” Alors, 2012, année en or massif ou en plaqué or ? Demande mondiale d’or (2010, en milliards de dollars) Joaillerie 79,4 Total 157,5 milliards de dollars 18,4 Technologie (électronique, autres industries et soins dentaires) Investissements (or physique et or papier) 59,7 Sources : GFMS, LBMA, World Gold Council