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12 Courrier international | n° 1103-1104 | du 22 décembre 2011 au 4 janvier 2012<br />

<strong>En</strong> <strong>couverture</strong> L’or, une frénésie planétaire<br />

Canada<br />

Les chercheurs d’or à l’assaut du Yukon<br />

Ce territoire du nord-ouest du Canada<br />

est le théâtre d’un nouvel emballement<br />

pour le métal jaune. La concurrence<br />

y est si rude que les sociétés<br />

d’exploitation aurifère ne respectent<br />

même plus la trêve hivernale.<br />

The Wall Street Journal<br />

(extraits) New York<br />

De Whitehorse (Yukon)<br />

Denis Jacobs balise des concessions<br />

minières pour le compte de sociétés<br />

d’exploitation aurifère depuis<br />

1975. Mais il n’avait encore jamais<br />

été témoin d’une frénésie semblable<br />

à celle qui vient à nouveau<br />

de s’emparer du Yukon, le territoire le plus occidental<br />

du Canada, qui a déjà été le théâtre, il y a<br />

plus d’un siècle, de l’une des plus formidables<br />

ruées vers l’or.<br />

Denis Jacobs fait partie d’un petit groupe discret<br />

de “jalonneurs”, qui sillonnent les montagnes<br />

et les forêts du Yukon sur des kilomètres pour<br />

planter des poteaux en bois dans le sol. Depuis<br />

des années, ils délimitent et repèrent des terres<br />

pour les compagnies minières, les autorisant ainsi<br />

à explorer le sous-sol en quête du précieux minerai.<br />

Avec l’envolée du cours de l’or, les jalonneurs<br />

ont dû bouleverser leurs habitudes : cette année,<br />

ils ont continué de travailler pendant tout l’hiver,<br />

pourtant rigoureux dans le Yukon. De nouvelles<br />

découvertes d’or dans la région stimulent en effet<br />

l’activité. “Dès le moment où le prix de l’or a augmenté,<br />

tout a changé, constate Denis Jacobs, 60 ans.<br />

Ça se déchaîne, dans le jalonnement.”<br />

Ces dernières années, les compagnies faisaient<br />

enregistrer quelque 15 000 titres d’exploration<br />

par an, estime un porte-parole des<br />

autorités du Yukon. Aucun jalonnement ou<br />

presque n’avait lieu en hiver. <strong>En</strong> mars dernier,<br />

cependant, les entreprises en ont fait 18 472, soit<br />

un total de 34 022 concessions enregistrées sur<br />

la seule période de janvier à mars 2011. Le gou-<br />

vernement du Yukon, contrairement aux pratiques<br />

les plus courantes dans le reste du monde,<br />

exige que le jalonnement s’effectue à pied : les<br />

concessions sont ensuite enregistrées dans l’un<br />

des quatre bureaux de conservation des registres<br />

miniers du Yukon. Depuis la grande ruée vers l’or<br />

des années 1890, ce territoire canadien n’a cessé<br />

d’élaborer des réglementations détaillées, encadrant<br />

jusqu’à la surface des concessions. La plupart<br />

du temps, les jalonneurs profitent du long<br />

hiver glacial du Yukon pour interrompre leur<br />

activité. Les avalanches et les températures qui<br />

tombent au-dessous de – 30 °C ne sont que<br />

quelques-uns des dangers que présente cette<br />

saison. Au printemps, c’est des grizzlis qu’ils doivent<br />

se méfier.<br />

Chaque matin, l’équipe de Denis Jacobs,<br />

formée d’une dizaine de jalonneurs, part travailler,<br />

raquettes aux pieds et hache à la main. Juste après<br />

le lever du soleil, ils montent à bord de l’un des<br />

trois hélicoptères de location, qui les conduit loin<br />

de tout, dans des paysages de vallées enneigées<br />

et de sommets pelés.<br />

Coureur des bois<br />

Commence ensuite une longue marche qui durera<br />

des heures, pendant laquelle ils plantent des<br />

piquets et balisent les arbres à l’aide de leur hache<br />

ou bien de rubans. Les règles sont complexes,<br />

mais, pour l’essentiel, leur travail consiste à obtenir<br />

pour leurs clients l’autorisation d’exploiter le<br />

sous-sol des lopins qu’ils ont marqués.<br />

La société de Denis Jacobs, Coureur des bois<br />

Ltd., a de nombreux concurrents dans le jalonnement,<br />

qui n’est d’ailleurs qu’un volet de ses<br />

activités. Denis Jacobs ne dévoile pas l’identité<br />

de ses clients, qui ne tiennent pas à ce que leurs<br />

concurrents sachent à quels territoires ils s’intéressent.<br />

Ses camions ne portent pas le logo de sa<br />

société et Denis Jacobs ne transmet les cartes à<br />

ses hommes qu’à la dernière minute.<br />

Pour revendiquer une concession, la première<br />

étape consiste souvent à se rendre en catimini<br />

dans un bureau de conservation des registres<br />

miniers. “Ils prennent soin de venir quand il n’y a<br />

A la une<br />

Dans “Easy chair”,<br />

la chronique phare<br />

de Harper’s,<br />

l’éditorialiste Thomas<br />

Frank s’en prend aux<br />

amis de l’or (“Des<br />

métaux précieux pour<br />

tirer profit de la<br />

paranoïa”, juillet 2011).<br />

Il rappelle que c’est<br />

Roosevelt qui a<br />

déconnecté le dollar<br />

de l’étalon-or<br />

en 1933 pour faire<br />

rebondir l’économie.<br />

La majorité de ceux<br />

qui défendent l’or<br />

aujourd’hui, note<br />

le journaliste, ne se<br />

positionne pas par<br />

rapport à un débat<br />

monétaire, mais<br />

succombe à l’aura<br />

du métal précieux.<br />

Cent ans après<br />

la première ruée<br />

vers l’or, le Yukon<br />

(Canada) est à<br />

nouveau convoité.<br />

personne d’autre, pour jeter un œil aux cartes et poser<br />

des questions bien précises”, raconte Janet Bell-<br />

MacDonald, conservatrice des registres miniers<br />

à Dawson City. Ce matin-là, le jalonneur Tyler<br />

Quock, 24 ans, et Robert Clarke, 39 ans, chef<br />

d’équipe de longue date de Denis Jacobs, s’installent<br />

à bord de l’hélicoptère qui les attend. Préalablement,<br />

ils ont largué de l’hélicoptère des jalons<br />

entourés de ruban adhésif orange vif dans une<br />

zone montagneuse. Cette sortie doit leur permettre<br />

de les planter dans le sol aux bons emplacements<br />

avant d’aller faire enregistrer leur<br />

marquage en ville.<br />

Après avoir déposé Tyler Quock, l’appareil<br />

vire au-dessus d’une crête pour laisser descendre<br />

Robert Clarke dans une clairière où la couche de<br />

neige dépasse largement un mètre d’épaisseur.<br />

Grâce à un GPS portable et à une boussole, il<br />

détermine où planter son premier jalon, avant d’y<br />

inscrire la date et l’heure sur une plaque de métal.<br />

Puis il avance péniblement dans la neige en comptant<br />

1 500 pas, jusqu’à l’endroit où a été largué un<br />

autre piquet, qu’il plante à son tour. Il lui faut<br />

ensuite baliser la ligne reliant les deux jalons, en<br />

pratiquant une entaille dans les troncs d’arbres<br />

ou en nouant des rubans biodégradables dans les<br />

broussailles et à la cime des arbres.<br />

“Cela devrait être une zone assez riche, potentiellement”,<br />

déclare Robert Clarke en montrant du<br />

doigt une montagne au loin. Ses équipes l’ont<br />

jalonnée presque intégralement au cours des dernières<br />

années, précise-t-il.<br />

Glissant sur ses raquettes comme sur des skis,<br />

il rejoint la berge abrupte d’un cours d’eau gelé.<br />

Il avance d’abord très prudemment sur les bords<br />

glacés, pour éviter que la glace ne rompe, puis<br />

escalade la rive opposée où l’attend l’hélicoptère.<br />

L’aventure et le danger font partie intégrante<br />

de ce métier. <strong>En</strong> novembre 2009, un des<br />

hommes de Denis Jacobs s’est retrouvé enseveli<br />

sous une avalanche peu après sa descente<br />

d’hélicoptère. Heureusement, un de ses collègues<br />

avait repéré l’antenne de sa radio portable<br />

et a réussi à le dégager.<br />

Chip Cummings<br />

MARC SHANDRO

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