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EMILIO MORENATTI/AP/SIPA<br />

toutes et tous, en tant que “minoritaires”, à s’allier<br />

aux dictateurs sous prétexte du besoin de protection<br />

et de refuge. C’est loin, très loin de l’esprit<br />

du projet de la Renaissance que leurs ancêtres,<br />

individus acharnés pour la liberté et l’égalité, ont<br />

porté à travers toute la région et auquel ils ont<br />

donné le meilleur d’eux-mêmes… Ziad Majed<br />

Qahr<br />

Qahr veut dire “oppression”. C’est le sentiment<br />

d’injustice provoqué par le qahr qui a poussé<br />

Bouazizi à s’immoler et les populations arabes à<br />

se révolter. Le ras-le-bol général, le refus des exactions<br />

commises par le tyran et de l’humiliation<br />

subie à cause de lui, le poids de la misère, conséquence<br />

de la corruption et de l’incurie, ont poussé<br />

les peuples opprimés à se défaire des chaînes de<br />

la peur pour réclamer justice et liberté. A. N.<br />

Slogans<br />

Les slogans scandés par les manifestants accompagnent<br />

les marches. “Al chaab youridou iskat al<br />

nizam !” (Le peuple veut renverser le régime !)<br />

a été repris en chœur par tous les rebelles, de la<br />

Libye à la Syrie. Mais de nombreux autres slogans<br />

ont été imaginés par les protestataires.<br />

Tantôt percutants, tantôt drôles, chantés a cappella<br />

ou rythmés par des applaudissements, ils<br />

ont contribué à galvaniser les foules et à exprimer<br />

la volonté du peuple (la fin de la dictature,<br />

Egypte<br />

Le Caire,<br />

3 février 2011.<br />

“Dégage !”<br />

Long<br />

courrier<br />

le départ du tyran…) ou à transmettre des messages<br />

aux Arabes et à la communauté internationale.<br />

<strong>En</strong> Syrie, pour répondre à ceux qui leur<br />

conseillent de prendre les armes, les insurgés<br />

n’hésitent pas à répéter : “Silimiya, silmiya !”<br />

(Pacifique, pacifique !), bien décidés à ne pas<br />

tomber dans le piège. Parfois, leur slogan se<br />

réduit à une invocation : “Allahou akbar !”, Dieu<br />

est grand ! Vox populi, vox Dei… A. N.<br />

Torture<br />

Courrier international | n° 1103-1104 | du 22 décembre 2011 au 4 janvier 2012 71<br />

La torture, comme outil de répression, est devenue<br />

publique en Syrie, comme dans les autres<br />

dictatures arabes. Le régime ne cache plus ses<br />

crimes, obligeant les familles à récupérer les<br />

corps de leurs proches dans les casernes et les<br />

prisons, des corps mutilés qui se transforment<br />

en images renvoyées à travers l’Internet dans<br />

tous les coins de Syrie et du monde. Cette torture<br />

publique renvoie à la description faite par<br />

Michel Foucault d’un des derniers actes d’exécution<br />

par torture en l’an 1757. Depuis, la torture,<br />

honteuse, s’était réfugiée dans des geôles<br />

clandestines, ou exportée dans des pays peu<br />

soucieux des droits de l’homme. Avec son<br />

retour sur le devant de la scène publique en<br />

Syrie, la torture a perdu de sa pudeur, mais elle<br />

a gagné en symbolisme. Plus elle est gratuite,<br />

englobant des victimes jusqu’alors considérées<br />

comme n’appartenant pas à la sphère politique,<br />

comme les enfants et les femmes, plus elle<br />

gagne en pouvoir symbolique, comme le signe<br />

du pouvoir illimité de l’Etat. Mais – et là se<br />

cache tout le pouvoir moral des révolutions –<br />

au moment même où elle est toute-puissante,<br />

la torture devient un rite de passage au statut<br />

de martyr, une usine à fabriquer des icônes destinées<br />

à la vaincre. Samer Frangié<br />

Wikidesia<br />

Construit sur le modèle de Wikipédia, un site<br />

Internet intitulé wikidesia.com répertorie le<br />

vocabulaire satirique de la révolution syrienne.<br />

Il qualifie ainsi le Parlement d’“assemblée des<br />

applaudisseurs” et surnomme Ramy Makhlouf…<br />

“Mère Ramy Teresa”. Il raille les manifestations<br />

de soutien à Assad, organisées “spontanément”<br />

par les forces de l’ordre, se moque des médias<br />

du régime, qui pratiquent une désinformation<br />

surréaliste, et ridiculise les rumeurs colportées<br />

par les autorités, qui accusent les manifestants,<br />

enfants compris, d’être des agents stipendiés<br />

par le Mossad. “Que tombe la Syrie, mais que vive<br />

Bachar !” est, selon ce site, la devise des chabbiha<br />

qui terrorisent la population. A. N.<br />

YouTube<br />

Avec YouTube, tout citoyen est devenu témoin<br />

et reporter. Malgré le black-out imposé par le<br />

pouvoir tyrannique, les massacres ne se font plus<br />

à huis clos comme du temps de la boucherie de<br />

Hama, perpétrée dans l’ignorance générale. La<br />

technologie se met au service de la vérité. Les<br />

manifestations, la répression, les arrestations,<br />

les brutalités, les morts en direct, l’entrée des<br />

chars dans les villes, les bombardements… tout<br />

est capté, relayé, diffusé. Mais ce moyen de communication<br />

aussi efficace que discret trahit aussi<br />

les révolutionnaires : filmé par des portables et<br />

diffusé sur YouTube, le lynchage de Kadhafi nous<br />

révèle que la sauvagerie change parfois de<br />

camp… YouTube serait-il devenu cet “œil tout<br />

grand ouvert dans les ténèbres” évoqué par Victor<br />

Hugo dans La Légende des siècles ? A. N.<br />

Réflexion<br />

Rendre vie<br />

aux mots<br />

Les mots ont trois lieux de vie, si l’on exclut<br />

le silence. La voix, l’écriture, la lecture.<br />

On a tendance à privilégier, en termes<br />

de valeur et de culture, les deux derniers.<br />

Non seulement à cause de leur durée,<br />

mais surtout parce qu’ils sont censés avoir<br />

été travaillés par la pensée, l’imagination,<br />

le savoir. Il me semble que l’évidence<br />

de cette supposée supériorité de l’écrit<br />

sur l’oral est fortement ébranlée, en ce<br />

moment, dans le monde arabe. Il se joue,<br />

depuis un an, un formidable renversement<br />

de rôle entre nature et culture.<br />

Ce n’est pas la seconde qui est en train<br />

de façonner la première, mais l’inverse.<br />

C’est la nature qui parle et c’est la culture<br />

qui, sous le choc, est amenée à s’affranchir,<br />

à s’adapter. A revoir ses cartes.<br />

Aucun manifeste, aucun dogme, aucune<br />

forme de pensée organisée n’a été<br />

le déclencheur du grand mouvement<br />

de contestation en cours. Ce sont les mots<br />

les plus simples, repris par des millions<br />

d’hommes, qui ont agi sur les esprits<br />

et les ont libérés. Une phrase a suffi.<br />

Et elle continue de soulever des<br />

montagnes. Elle est simple et littéraire.<br />

Vivante, concise, accessible à tous :<br />

“Al chaab yourid isqat al nizâm”<br />

(Le peuple désire la chute du régime).<br />

Un sujet, un verbe, un complément<br />

d‘objet. Rien d’autre. Pas d’adjectif.<br />

Pas de fioriture. Cette absence n’est pas<br />

un hasard. Consciemment ou pas,<br />

les peuples ont choisi l’austérité contre<br />

la redondance. La clarté contre<br />

la surenchère. Aux discours enflammés<br />

du passé ils ont opposé l’impératif<br />

sans discours du présent. La phrase<br />

qui est née à Tunis et qui, depuis, a fait<br />

le tour du monde, se paie, de surcroît,<br />

le luxe incroyable d’un verbe poli.<br />

Youridou. Cela aurait pu être : “Al chaab<br />

youtaleb, al chaab youhadded, al chaab<br />

ya’mor…” Le peuple n’a ni réclamé<br />

ni ordonné, il a demandé, il a désiré…<br />

Il ne pouvait mieux frapper les<br />

imaginations. Du jour au lendemain,<br />

une figure a pris corps : la multitude<br />

des héros anonymes.<br />

L’anonymat est, en effet, l’un des traits<br />

marquants des révolutions en cours.<br />

Il revêt un caractère d’autant plus subversif<br />

qu’il porte un coup, bien au-delà du monde<br />

arabe, au culte forcené de la célébrité<br />

– à ce vaste lieu de transfert des affects<br />

et des frustrations qui exalte<br />

indifféremment les représentants<br />

de la beauté physique, du pouvoir politique<br />

et de l’argent. Un phénomène auquel on<br />

doit notamment le glissement sémantique<br />

du mot “people” au seul profit d’une caste<br />

dont chaque fait et geste est l’occasion<br />

de promouvoir un nombril au rang<br />

de centre du monde. Et, surtout,<br />

de tout confondre : ce qui est inoffensif<br />

et ce qui est nuisible, la part de paillettes<br />

et la part de poison. C’est ainsi que,<br />

hier encore, Ben Ali, Moubarak, Kadhafi,<br />

Assad et bien d’autres faisaient partie<br />

de ceux qui, du seul fait de leur 72

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