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20 Courrier international | n° 1103-1104 | du 22 décembre 2011 au 4 janvier 2012<br />
Europe<br />
L’ancien président<br />
tchécoslovaque, puis tchèque,<br />
ne cherchait pas le pouvoir<br />
pour le pouvoir.<br />
Mais il a été indispensable<br />
à son pays. L’hommage<br />
d’un grand quotidien tchèque<br />
après sa mort, le 18 décembre.<br />
Hospodářské Noviny (extraits)<br />
Prague<br />
<br />
’interview “Je ne m’aventurerai<br />
L jamais sur ce terrain” est parue<br />
dans la revue samizdat [clandestine]<br />
Sport, le prédécesseur de l’hebdomadaire<br />
Respekt. On était alors en<br />
septembre 1989. La Pologne venait d’organiser<br />
ses premières élections quasi<br />
libres et les Allemands de l’Est, à bord de<br />
leurs Trabant, se frayaient par des chemins<br />
tortueux la route d’un nouvel avenir.<br />
Dans une Prague grise et couverte<br />
d’échafaudages, un homme de 53 ans,<br />
sorti quelques mois auparavant d’un nouveau<br />
séjour en prison, se faisait lentement<br />
à l’idée qu’il allait passer les<br />
prochaines années de sa vie un peu différemment<br />
de ce qu’il aurait probablement<br />
souhaité.<br />
Dans cette interview du journaliste<br />
Ivan Lamper, Václav Havel, le leader de<br />
l’opposition tchécoslovaque, insistait<br />
avec force sur le fait qu’il n’entendait<br />
absolument pas devenir un homme politique<br />
professionnel. “Nous n’avons pas<br />
choisi la politique, c’est la politique qui nous<br />
a choisis. Et tout ce que nous faisons, nous le<br />
faisons pour mettre en place des conditions<br />
qui nous permettent de ne pas être obligés de<br />
nous consacrer à la politique”, disait-il en<br />
citant son ami le Polonais Adam Michnik.<br />
“Je ne suis ni un ange ni Dieu, et je n’ai pas<br />
de forces surhumaines ou herculéennes. Je<br />
ne peux pas changer cette nation… Mais je<br />
la servirai tant que je le pourrai.” Havel est<br />
devenu président trois mois plus tard et<br />
il a servi la chose publique les vingt-deux<br />
années suivantes, jusqu’à son décès, hier<br />
matin. Nous pouvons être certains qu’il<br />
continuera à la servir.<br />
L’amour et la vérité<br />
A la fin de l’année 1989, personne ne pouvait<br />
imaginer ce qui allait arriver. Un pays<br />
en déclin, où stationnaient encore plus<br />
de 70 000 soldats soviétiques, se trouvait<br />
alors à l’aube d’un changement de<br />
civilisation qui concernerait chacun<br />
d’entre nous. “L’amour et la vérité doivent<br />
triompher du mensonge et de la haine” :<br />
c’est par cette formule célèbre que Václav<br />
Havel a résumé l’esprit euphorique de<br />
cette époque. Pour une très grande partie<br />
de la population, il est apparu comme le<br />
garant de cette victoire tant attendue. Il<br />
convient de rappeler ici une autre décla-<br />
ration de Havel, liée à la première : sa<br />
promesse de conduire le pays jusqu’aux<br />
premières élections libre, en juin 1990,<br />
puis de retourner à l’écriture.<br />
Pour les contempteurs de Vaclav<br />
Havel, ce fut une preuve de son hypocrisie,<br />
car il a finalement présidé le pays<br />
– avec un court intermède dans la<br />
seconde moitié de l’année 1992, au<br />
moment de la partition de la Tchécoslovaquie<br />
– pendant treize longues années,<br />
au cours desquelles le match entre la<br />
vérité et l’amour d’un côté et le mensonge<br />
et la haine de l’autre n’a pas pris<br />
la tournure qu’il avait espérée.<br />
Mais nous ne pouvons absolument<br />
pas savoir quel aurait été le cours des<br />
événements si Havel n’avait pas assumé<br />
cette responsabilité et si, à l’été 1990 ou<br />
après la naissance de la République<br />
tchèque [le 1 er janvier 1993], il avait<br />
pleinement profité de ce rôle, pour lui<br />
Héritage L’ensemble des quotidiens<br />
tchèques ont fait leur une,<br />
le 19 décembre, sur la mort de Václav<br />
Havel, décédé la veille à 75 ans,<br />
“le Tchèque le plus important de<br />
la seconde moitié du XX e siècle”,<br />
République tchèque<br />
Václav Havel : ni ange ni Dieu<br />
plus naturel, de star intellectuelle mondiale.<br />
Havel a décidé de s’engager et de<br />
se mettre au service non seulement de<br />
son pays, mais de toute l’Europe postcommuniste.<br />
C’est lui qui, aux yeux du<br />
monde entier, a ramené toute la région<br />
dans le giron de la civilisation.<br />
Besoin de lui<br />
Bien sûr, il y avait au début une certaine<br />
fascination pour l’exotisme de ce président<br />
rock’n’roll qui, dans ce nouveau rôle<br />
qu’il avait endossé, refusait de changer<br />
d’habitudes et d’amis. Mais, s’il n’y avait<br />
eu que cela, l’“effet Havel” se serait<br />
épuisé juste après 1990, quand George<br />
Bush, le dalaï-lama, Margaret Thatcher,<br />
les Rolling Stones, le pape ou François<br />
Mitterrand lui rendaient visite à tour de<br />
rôle. Ce ne fut pas le cas. Havel est<br />
devenu comme une caution pour cette<br />
partie du monde, méritant d’être prise<br />
au sérieux et d’être aidée.<br />
Lorsque, au printemps 1997, Havel<br />
s’est demandé s’il devait pour la dernière<br />
fois se lancer dans la course à la présidence,<br />
il venait de sortir, six mois seulement<br />
auparavant, d’une lourde opération<br />
d’un cancer du poumon. Il avait alors<br />
parfaitement le droit de se retirer de<br />
cette atmosphère de plus en plus tendue<br />
qui régnait dans le pays, au moment où<br />
selon, par exemple, le journal<br />
Lidové Noviny, qui décrit l’ancien<br />
chef de l’Etat comme “un homme<br />
politique qui, en fait, n’a jamais été<br />
un homme politique, mais restait<br />
davantageun écrivain et un penseur”.<br />
Václav Havel le 1 er novembre 1989, figure clé de la “révolution de velours”.<br />
Deux mois plus tard, il devient président du pays.<br />
“Nous n’avons<br />
pas choisi la politique,<br />
c’est la politique<br />
qui nous a choisis :<br />
je n’ai pas de forces<br />
surhumaines”<br />
le “miracle économique” prenait fin en<br />
même temps qu’une époque dont Havel<br />
était le symbole. Mais il a accepté ce<br />
nouveau défi. Et, au cours de son dernier<br />
mandat, il a fait entrer son pays dans<br />
l’Otan et l’a conduit aux portes de<br />
l’Union européenne.<br />
Les Tchèques avaient besoin de lui,<br />
et cela même si sa cote de popularité<br />
dans le pays – contrairement à celle dont<br />
il bénéficiait à l’étranger – s’était peu à<br />
peu émoussée, jusqu’à 40 % à la fin de<br />
son dernier mandat, il y a neuf ans. Il en<br />
est ainsi. Václav Havel n’était, comme il<br />
l’a dit de lui-même dans Sport, ni un ange<br />
ni Dieu et il savait qu’il ne changerait pas<br />
la nation. Mais il a toujours servi son<br />
pays comme le lui avait toujours dicté sa<br />
conscience.<br />
Cette confrontation d’une autorité<br />
morale avec la politique réelle ne peut,<br />
semble-t-il, se terminer autrement que<br />
par une certaine désillusion de toutes<br />
les parties.<br />
Certes, la vérité et l’amour ne triomphent<br />
pas du mensonge et de la haine,<br />
mais on ne peut douter que ce sont ses<br />
plus profondes convictions qui ont toujours<br />
guidé les discours et les actes de<br />
Havel, et que c’est là le chemin qui mène<br />
à cette victoire.<br />
Jindrich Sídlo<br />
MIROSLAV ZADJIC/CORBIS