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D'où venons-nous? - Marc Angenot

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jusqu’au jour sidérant de 1991 où l’URSS elle-même, sans coup férir et d’un jour<br />

à l’autre, a disparu de la carte du monde. Les historiens, perplexes, montreront que<br />

jamais dans l’histoire un puissant empire n’est disparu ainsi sans livrer combat,<br />

sans troubles majeurs et du jour au lendemain. Le passé d’une illusion, va titrer<br />

l’historien François Furet à propos des espérances communistes perdues. Mais audelà<br />

de l’«immense espoir à l’Est» qui s’est évanoui, c’est l’idée de justice sociale,<br />

née en Occident vers 1830 avec un néologisme, «socialisme» (on le date de 1832<br />

comme antonyme d’un autre mot récent, «individualisme»), qui en a pris un coup<br />

et semble s’enfoncer dans le passé idéologique.<br />

La France, écrit Duhamel, est en «panne d’idéologie» car, va-t-il ajouter, il<br />

n’y a pas que le communisme, le socialisme révolutionnaire qui se sont effondrés:<br />

tous les projets sociaux classiques se sont sclérosés, les grands principes civiques<br />

se sont affaissés, il ne reste plus aux Français que «la politique-spectacle» (Alain<br />

Duhamel est l’inventeur de l’expression). La fin des idéologies radicales qui<br />

soulage les uns, fatigués des enthousiasmes de masse, est identifiée par d’autres<br />

comme l’entrée dans une ère de ramollissement mental. «Les temps sont durs, les<br />

idées sont molles», ironise Fr.-Bernard Huyghe dans La soft-idéologie (1987).<br />

Si l’on envisage dès lors la faillite historique dont la fin du XXème siècle<br />

semble avoir consommé la démonstration, il faut d’abord la reconnaître multiple:<br />

échec au «coût» humain atroce des socialismes d’État, à quoi s’ajoutent les échecs<br />

de la plupart des mouvements émancipateurs apparus dans le premier monde et<br />

dans ce qu’on nomme encore le «tiers» monde, blocage des réformes<br />

social-démocratiques et de leur égalitarisme «modéré», crise de la pensée<br />

progressiste et des projets émancipateurs de toutes natures. «Épuisement de<br />

l’espoir» formule Krysztof Pomian, «Effacement de l’avenir» analyse dans un gros<br />

livre qui vient de paraître Pierre-André Taguieff 5 : il est difficile de trouver, sur l’idée<br />

de départ au moins, un accord plus unanime des observateurs alors même que<br />

leur espérance civique (c’est évident des deux penseurs cités) n’avait été<br />

aucunement investie dans l’URSS et ses satellites. La pensée progressiste et<br />

égalitaire sous ses multiples formes, l’optimisme de la perfectibilité humaine<br />

apparu un peu avant 1789 se trouvent dévalués, privés de fondement à mesure que<br />

s’efface toute alternative utopique. 6<br />

Cette crise de l’idée de progrès remonte, certes, bien plus haut que le bilan<br />

reconnu négatif de l’URSS et la chute du communisme. Cette crise, mais elle hante<br />

le siècle, le XX ème siècle tout entier l’alimente! La Première Guerre mondiale avait<br />

porté un premier coup brutal aux espérances et aux illusions pacifistes et<br />

humanitaires. Dès 1945, des philosophes ont crié qu’Auschwitz, ce «saut dans la<br />

barbarie» (Adorno) mettait un terme aux illusions du progrès sauf pour le dernier<br />

des jobards. La seconde moitié du siècle n’aura été à cet égard qu’une période de<br />

latence et de refoulement avant que la faillite du progrès ne se déclare au grand<br />

jour et que des idéologies nouvelles ou retapées ne se bricolent dans le vide ainsi<br />

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