D'où venons-nous? - Marc Angenot
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égoïste et décourageant.» 50 Le culte de l’humanité se confond avec l’espérance<br />
illimitée dans l’avenir qui s’ouvre à elle et induit un criterium moral pour le<br />
présent. Examinez la vie des sociétés modernes: contemplez leur lutte contre<br />
l’ignorance et le mal, leur effort vers le mieux. Vous n’aurez pas besoin d’autre<br />
spectacle pour développer en vous l’espoir illimité en l’avenir.<br />
’ La convergence des progrès<br />
Le paradigme du progrès était un dispositif gigogne: les progrès ne sont jamais<br />
ponctuels ni sectoriels, ils convergent, s’emboîtent, se renforcent les uns les autres<br />
en allant tous dans le bon sens. Les progrès «s’enchaînent», s’étendent, les progrès<br />
matériels induisent des progrès spirituels – tandis que le raisonnement<br />
démonstratif des progressistes va des secteurs les plus évidents de progressions<br />
constatées, ceux des progrès scientifiques et techniques, aux plus discutables et<br />
aux plus diversement compris et souhaités, ceux des progrès «moraux» et civiques<br />
– où la limite, aussitôt atteinte par la conjecture des optimistes, ne peut être que<br />
l’éradication prochaine de tous les maux sociaux et le règne définitif de la justice.<br />
L’homme a renversé l’ordre divin, il a mis la connaissance avant les<br />
révélations et les dogmes. Le progrès de la science, la glorieuse marche de la<br />
raison, confirment la nature rationnelle de l’humanité et prouvent que c’est des<br />
conquêtes de la rationalité que le genre humain doit ses bonheurs présents et<br />
devra son bonheur futur. La science présente déjà un «bilan» tout positif. «La<br />
science gouverne le monde», prononce Michelet. Elle est le moteur de tout progrès<br />
et l’histoire des sciences depuis la Renaissance, telle qu’on la narre, est le modèle<br />
de ces dynamiques cumulatives qui forment le progrès. La science progresse et en<br />
progressant, elle affranchit les hommes, elle les délivre des servitudes naturelles<br />
comme elle les émancipe des superstitions. Elle a acquis ainsi auprès des<br />
modernes des «droits imprescriptibles». Elle offre un bilan enthousiasmant de<br />
découvertes qui permet d’augurer avec confiance de ses inéluctables et plus<br />
grandioses bienfaits à venir: l’avenir lui appartient. Le XIXème siècle, ce «siècle des<br />
merveilles» comme disaient les journaux à un sou, a eu le sentiment de vivre, grâce<br />
aux découvertes de la science, une métamorphose accélérée totale: «Un homme<br />
mort il y a cinquante ans, revenant à la vie aujourd’hui, trouverait la terre<br />
méconnaissable.» 51<br />
On évoquait dans ce contexte, automatiquement, les deux «grandes<br />
découvertes», la vapeur et l’électricité, qui avaient apporté dans la vie de<br />
l’humanité «plus de changements qu’il ne s’en était produit depuis l’origine de<br />
l’ère chrétienne». L’électricité ne relève d’ailleurs plus à la fin du XIX ème siècle de<br />
l’anticipation: la dynamo date de 1861, le premier chemin de fer électrique de<br />
1879, l’ascenseur de 1880, le téléphone se répand dans les années 1880...<br />
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