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D'où venons-nous? - Marc Angenot

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L’humanité était cependant à la fois un fait transhistorique, et quelque<br />

chose encore à naître, ou quelque chose d’à peine sorti de l’enfance étant à peine<br />

consciente d’elle-même. La «révolution prolétarienne», diront les socialistes, en<br />

abolissant les frontières des États bourgeois allait la faire devenir la réalité politique<br />

concrète de l’avenir. Les hommes s’étaient regroupés d’abord en hordes, puis en<br />

tribus, puis en cités antiques, en principautés féodales, en États modernes, toutes<br />

ces réalités transitoires se succédaient et disparaissaient les unes après les autres<br />

jusqu’au jour prochain où naîtrait la «Fédération socialiste de l’Humanité»: voici<br />

bien une variante, on ne peut plus typique, du paradigme linéaire du progrès! Ici<br />

encore, à quelques nuances de phraséologie, les socialistes-révolutionnaires de la<br />

Belle Époque ont prolongé l’espérance des vieilles barbes utopistes de 1848:<br />

l’Humanité «est la société réelle, en opposition aux sociétés accidentelles que <strong>nous</strong><br />

appelons nationalités», définissait le colinsien Louis de Potter. 29<br />

Le progrès était une marche vers la perfection, si on veut, mais en termes<br />

plus corrects, il était une progression vers l’«état normal» de l’homme, émancipé<br />

des misères, des préjugés et des ignorances du passé, aboutissement prouvé par<br />

les avancées partiellement accomplies, par les maux sociaux déjà disparus ou en<br />

voie d’éradication – état enfin qui, de par tout ceci, allait être indépassable. Le<br />

devoir-être du monde est un dévoilement de l’essence humaine: c’est du Hegel (et<br />

du jeune Marx).<br />

’ Présupposé: l’histoire connaissable et l’avenir fatal<br />

Le XX ème siècle s’est caractérisé, selon Philippe Ariès, par une «monstrueuse<br />

invasion de l’homme par l’histoire». Une fois encore, c’est pourtant le XIX ème , par<br />

tous ses penseurs, qui a fait d’abord de l’histoire le tribunal sans appel du monde.<br />

Pour l’homme des grandes espérances, la conviction qu’il possède (ou qui le<br />

possède) d’aller dans le bon sens de l’évolution historique et de s’être mis à son<br />

service, l’«absout d’avance au tribunal de l’histoire». 30 L’histoire avec ses «leçons»,<br />

ses «enseignements», ses «lois», mais aussi ses «ruses» et ses «ironies» est devenue<br />

la pythie qui répondait plus ou moins limpidement à toutes les questions des<br />

hommes. L’histoire fait raconter au passé l’avenir fatal de l’humanité et elle<br />

démontre la moralité immanente des entreprises humaines légitimes en même<br />

temps qu’elle condamne et défait les entreprises scélérates puisque réactionnaires.<br />

Comprenons ainsi ce propos de Renan qui était loin d’être un mystique historiciste<br />

pourtant et loin d’être un jacobin inconditionnel: «la Révolution française n’est pas<br />

légitime parce qu’elle s’est accomplie: mais elle s’est accomplie parce qu’elle était<br />

légitime». 31 L’histoire est un produit de la raison, une théodicée, un tribunal<br />

civique.<br />

Très tôt dans le XIX ème siècle s’est formé un syntagme qui étend son ombre<br />

sur toutes les entreprises totalitaires du XX ème : «science de l’histoire». Dès qu’il<br />

20

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