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D'où venons-nous? - Marc Angenot

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(1259) par l’Église, affolée par les mouvements millénaristes qui se réclamaient de<br />

lui, mouvements qui interprétaient le Troisième Règne comme jouissance<br />

terrestre promise aux misérables et non, au contraire du Calabrais qui était<br />

orthodoxe, comme bonheur contemplatif, et qui dénonçaient Rome, la Grande<br />

Prostituée.<br />

L’historicisme se ramène à la certitude d’être entraîné par une force<br />

transcendante vers un but ultime qui sera pour l’Homme la conquête de son<br />

essence – et non, comme pour le petit homme concret, la mort et la<br />

décomposition. L’histoire des hommes est alors l’histoire de l’Homme en marche<br />

et leur liberté s’abolit dans la soumission au sens de cette histoire et dans la volonté<br />

d’en favoriser le bon déroulement. Pas besoin de lire ceci dans de tardives<br />

brochures staliniennes, il suffit d’ouvrir, un siècle auparavant, des journaux<br />

fouriéristes. «Si l’homme, écrit Victor Considerant, n’est pas plus maître d’arrêter<br />

le développement de la vie universelle et la marche de l’histoire que le cours des<br />

grands fleuves, ces forces naturelles et sociales qu’il ne peut comprimer, il peut les<br />

régler» 68 .<br />

Coupons court: <strong>nous</strong> aons mis le doigt ici, dans cette épistémologie, sur le<br />

facteur par excellence de perversion du progressisme. Le discours de la nécessité<br />

historique comme morale immanente au monde s’exprime, d’emblée, en des<br />

termes d’autant plus «rationnels» qu’ils sont rétrospectivement inquiétants: «Du<br />

moment qu’il est prouvé que l’ordre moral [historique] existe, écrit Colins de Ham,<br />

tout ce qui arrive est juste et n’a plus rien de terrible. Il est certain alors que le sang<br />

humain, socialement versé, ne peut l’être que comme expiation; et, tant qu’il<br />

coule, c’est une preuve que l’expiation n’est pas complète». 69<br />

Le règne promis et prochain de l’Esprit, la «certitude pour l’avenir» comme<br />

s’exprimait le vieux Lukàcs dissertant sur Soljenitsyne dans les ruines de son<br />

socialisme réel, démontraient que la société actuelle était d’autant plus mauvaise<br />

que le mal omniprésent ne tenait qu’à une «mauvaise organisation» des choses. Le<br />

présent est alors expliqué par l’avenir dont il contient le «germe». C’est parce que<br />

la Grande explication historique rend raison de la succession des événements<br />

passés qu’on doit lui faire confiance dans ce qu’elle démontre de l’avenir – et c’est<br />

parce que l’avenir est prévu par elle et son avènement inévitable qu’il projette ses<br />

certitudes sur le présent, qu’il permet d’y «voir clair» et de distinguer le bien et le<br />

mal qui se confondent désormais avec l’émergent et le condamné. C’est cette<br />

pétition de principe qui permet de croire connaître et de se donner les moyens<br />

d’agir dans le siècle. Émile Littré, pénétré de la vérité du système positiviste et de<br />

la «Religion de l’humanité» découverte par Comte, synthétise ce raisonnement en<br />

termes limpides: «C’est justement parce que le dogme nouveau a une pleine<br />

intelligence du passé qu’il est apte à <strong>nous</strong> éclairer sur nos destinées futures». 70<br />

Cette sorte d’épistémologie trouvait sa première expression dans l’Esquisse d’un<br />

tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet dont l’incipit de la<br />

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