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D'où venons-nous? - Marc Angenot

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qu’avec ces mesures philanthropiques, «les déchets sociaux seront très vite<br />

ramenés à un résidu insignifiant». 79<br />

D’ailleurs, les projets eugénistes sont fréquents avant 1914 dans le<br />

socialisme européen. L’État futur, guide et comptable du progrès accéléré, se<br />

donne aussitôt des droits effrayants au nom du progrès lui-même, au nom de<br />

l’humanité, et devant ces droits, ce que <strong>nous</strong> appelons aujourd’hui les «droits de<br />

l’homme» ne pèse pas un fétu:<br />

Toute femme enceinte d’une union permanente ou passagère<br />

devra, sous les peines disciplinaires, déclarer sa grossesse au<br />

service médical.<br />

La justice médicale (...) jugera le nouveau-né et le replongera<br />

dans le néant si elle estime qu’il est voué par sa condition à la<br />

misère physiologique ou psychologique. 80<br />

Il va de soi que cet eugénisme socialiste ne se reconnaissait pas frère de<br />

l’eugénisme encore plus brutal des progressistes de droite, celui des darwiniens<br />

sociaux. Toute assistance aux pauvres est anti-sélectionniste, donc antiscientifique,<br />

démontrait Vacher de Lapouges (personnellement convaincu d’être<br />

un homme de gauche): «Les assistés sont, en règle, des héréditaires de la paresse<br />

et de la débauche, parfois du crime (...), des primitifs soustraits par le parasitisme<br />

à la sélection naturelle». 81 Il serait politiquement rationnel pour un État<br />

scientifique qu’il appelait de ses vœux d’éliminer ces groupes racialement<br />

médiocres par la castration, la relégation et d’utiliser les «déchets humains» pour<br />

les «travaux meurtriers». Lui aussi dans le calme de son cabinet de travail de<br />

Montpellier, préparait le XX ème siècle.<br />

Il allait naître donc un «homme nouveau» qui devrait être pleinement et<br />

fonctionnellement adapté à un régime productiviste, communautaire et égalitaire.<br />

Tout est déduit du premier principe: la nécessité de «socialiser les moyens de<br />

production et d’échange» pour remédier à l’injustice constitutive de l’inique<br />

capitalisme. Cet «homme nouveau» esquissé forme un argument rétroactif qui<br />

persuade que, les mentalités ayant changé sous l’influence rééducatrice de l’État<br />

socialiste, tout baignera dans l’huile: il faudra un homme altruiste et solidaire pour<br />

que la société collectiviste puisse se passer de règlements, de police et de<br />

contrainte. La confiance rousseauïste dans la bonté de l’homme n’est peut-être<br />

pas autre chose qu’un sophisme par les conséquences. Si les humains n’éprouvaient<br />

pas «naturellement», une fois délivrés du délétère esprit individualiste et<br />

concurrentiel, l’instinct de solidarité et de sacrifice au collectif, si les instincts de<br />

lucre et de profit personnel étaient profondément enracinés, alors le collectivisme<br />

serait impossible sans répression et coercition. Il fallait donc que l’homme soit bon<br />

(ou que le milieu soit tout, qu’un milieu optimal engendre un homme meilleur et<br />

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