N° 268 - Portail de la Recherche et des Technologies en Wallonie

Pavan Sukhdev, le fruit de trois années
d’étude entend démontrer l’intérêt
qu’il y a à évaluer ce que peut coûter
la non-préservation de la biodiversité.
«Cette nouvelle approche peut réinitialiser
la boussole de l’économie et ouvrir
une nouvelle ère dans laquelle la valeur
des services de la nature est rendue visible
et devient une composante explicite du
processus de décision dans le monde politique
comme dans le monde des affaires»,
devait expliquer Pavan Sukhdev.
Cette étude estime que la dégra dation
des écosystèmes mondiaux coûte
une fortune à l’économie mondiale:
23.500 milliards d’euros chaque année,
soit la moitié du PIB mondial. Autrement
dit, la nature c’est comme la santé, ça n’a
pas de prix mais quand on la perd, on
mesure combien il en coûte de ne pas
la ménager.
Un exemple ? Des chercheurs ont estimé
la valeur de la pollinisation des arbres
et des plantes par les abeilles dans un
pays comme la Suisse. Ces butineuses
sont l’indispensable chaînon d’une production
agricole estimée à 213 millions
de dollars par an, soit cinq fois plus que
la valeur du miel qu’elles fournissent.
Dans le monde, la disparition des insectes
pollinisateurs se traduirait par des
pertes estimées, selon une équipe de
l’Institut national français de la recherche
agronomique, à 153 milliards de
dollars (soit 9,5% de la production agricole
mondiale). Ces chiffres et quelques
autres, peu rassurants, figuraient dans
les rapports sur l’économie des écosystèmes
et de la biodiversité présentés à
la conférence de Nagoya.
Le rapport TEEB, de Pavan Sukhdev (1),
est à la biodiversité ce que le rapport
Stern est au changement climatique:
une tentative de mesure des coûts
de l’inaction face à la dégradation de
l’environnement. Il vise à rendre économiquement
visibles les services
rendus par la nature et qui passent
largement inaperçus pour la plupart
des décideurs économiques, un exercice
extrêmement complexe en ce qui
concerne la biodiversité car au-delà
de services directement «productifs»
tels que les plantes utilisées par
l’industrie pharmaceutique ou les insectes
pollinisateurs, les écosystèmes sont
également des habitats pour les espèces
animales et végétales et des régulateurs
de l’environnement (stockage
de carbone dans les végétaux, microorganismes
dans les sols qui digèrent
une partie de la pollutions, etc.).
Ce document ne propose donc pas
«LE» chiffre qui agglomérerait toutes
les variables, mais une série d’éclairages
ponctuels. En outre, leurs auteurs ne
sont ni naïfs ni idéologues: il est impossible,
ni même souhaitable, d’attribuer
une valeur monétaire à tous les services
rendus par les écosystèmes, et donc
de fixer «un prix» des compensations
pour leur perte. À combien estimer un
paysage où l’on aime se promener ?
Une valeur
contentieuse
Il est évident que le chiffre d’affaires de
certains secteurs économiques est très
directement lié à la biodiversité. C’est
notamment le cas de l’industrie pharmaceutique.
Aux États-Unis, 10 des 25
médicaments les plus vendus sont dérivés
de la biodiversité. C’est également
vrai pour le tourisme. Outre-Atlantique,
la pêche récréative représente quelque
37 milliards de dollars et un million
d’emplois.
Dans leur synthèse, les membres de la
commission Sukhdev citent également,
à titre d’exemple, une décision de la
municipalité de New York qui, en donnant
des subventions (1 à 1,5 milliard de
dollars) pour éviter des pollutions à des
agriculteurs se trouvant en amont de la
ville, a économisé la construction d’une
station d’épuration d’une valeur
comprise entre 6 et 8 milliards de
dollars.
Mais comment évaluer ce qui
n’a pas d’utilité apparente pour
la société ? Quel est le prix à payer
pour protéger, par exemple, les
baleines de l’Antarctique ? Les montants
évoluent rapidement dans des
fourchettes gigantesques et l’idée ne
résiste pas longtemps au bon sens. Le
débat se décale: la destruction d’un site
doit-elle toujours être compensée par
un autre investissement dans la nature ?
La grande question reste donc de savoir
s’il est légitime de défendre la nature
avec des valeurs monétaires ?
«La notion de prix en ce qui concerne
la nature n’a aucun sens», estime
Paul DEVUYST · BIODIVERSITÉ
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