LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR - il portale di "rodoni.ch"
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Cinquième Dialogue<br />
vos principes les étouffent si vous en craignez l'aigu<strong>il</strong>lon : vous sera-t-<strong>il</strong><br />
possible de vous repentir d'une action de l'in<strong>di</strong>fférence de laquelle vous serez<br />
profondément pénétré ? Dès que vous ne croirez plus de mal à rien, de quel<br />
mal pourrez-vous vous repentir ?<br />
Le Chevalier : Ce n'est pas de l'esprit que viennent les remords, <strong>il</strong>s ne sont<br />
les fruits que du cœur, et jamais les sophismes de la tête n'éteignirent les<br />
mouvements de l'âme.<br />
Dolmancé : Mais le cœur trompe, parce qu'<strong>il</strong> n'est jamais que l'expression<br />
des faux calculs de l'esprit ; mûrissez celui-ci, l'autre cédera bientôt ; toujours<br />
de fausses définitions nous égarent lorsque nous voulons raisonner ; je ne sais<br />
ce que c'est que le cœur, moi ; je n'appelle ainsi que les faiblesses de l'esprit.<br />
Un seul et unique flambeau luit en moi ; quand je suis sain et ferme, <strong>il</strong> ne me<br />
fourvoie jamais ; suis-je vieux, hypocondre ou pus<strong>il</strong>lanime ? <strong>il</strong> me trompe ;<br />
alors je me <strong>di</strong>s sensible, tan<strong>di</strong>s qu'au fond je ne suis que faible et timide.<br />
Encore une fois, Eugénie, que cette perfide sensib<strong>il</strong>ité ne vous abuse pas ;<br />
elle n'est, soyez-en bien sûre, que la faiblesse de l'âme ; on ne pleure que<br />
parce que l'on craint, et vo<strong>il</strong>à pourquoi les rois sont des tyrans. Rejetez,<br />
détestez donc les perfides conse<strong>il</strong>s du chevalier ; en vous <strong>di</strong>sant d'ouvrir votre<br />
cœur à tous les maux imaginaires de l'infortune, <strong>il</strong> cherche à vous composer<br />
une somme de peines qui, n'étant pas les vôtres, vous déchireraient bientôt en<br />
pure perte. Ah ! croyez, Eugénie, croyez que les plaisirs qui naissent de<br />
l'apathie valent bien ceux que la sensib<strong>il</strong>ité vous donne ; celle-ci ne sait<br />
qu'atteindre dans un sens le cœur que l'autre chatou<strong>il</strong>le et bouleverse de<br />
toutes parts. Les jouissances permises, en un mot, peuvent-elles donc se<br />
comparer aux jouissances qui réunissent à des attraits bien plus piquants<br />
ceux, inappréciables, de la rupture des freins sociaux et du renversement de<br />
toutes les lois ?<br />
Eugénie : Tu triomphes, Dolmancé, tu l'emportes ! Les <strong>di</strong>scours du chevalier<br />
n'ont fait qu'effleurer mon âme, les tiens la séduisent et l'entraînent ! Ah !<br />
croyez-moi, chevalier, adressez-vous plutôt aux passions qu'aux vertus<br />
quand vous voudrez persuader une femme.<br />
Mme de Saint-Ange, au chevalier : Oui, mon ami, fouts-moi bien, mais ne<br />
nous sermonne pas : tu ne nous convertiras point, et tu pourrais troubler les<br />
leçons dont nous voulons abreuver l'âme et l'esprit de cette charmante f<strong>il</strong>le.<br />
Eugénie : Troubler ? Oh ! non, non ! votre ouvrage est fini ; ce que les sots<br />
appellent la corruption est maintenant assez établi dans moi pour ne laisser<br />
même aucun espoir de retour, et vos principes sont trop bien étayés dans<br />
mon cœur pour que les sophismes du chevalier parviennent jamais à les<br />
détruire.<br />
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